Akira est mort en monstre. Le divin lui accorde une seconde chance en le ramenant à la vie. Mais dans une terre où les Sans-éclats sont traqués, écartelés, massacrés et greffés à d'indicibles abominations, Akira pourra-t-il trouver un sens à sa résurrection ?
Une lueur orange éclaira l'obscurité, puis s'estompa. Le bruit sourd d'un marteau la fit jaillir à nouveau, plus vive, plus forte. Plus puissante.
La lumière révéla une femme d'une grande beauté, à la chevelure d'or arrangée en une longue natte tombant derrière le dos. De ses deux mains, avec toute l'énergie dont elle était capable, elle frappait la surface d'une enclume à l'aide d'une masse, avant d'être engloutie par l'obscurité.
« Les feuilles mortes… content une histoire. »
Un nouveau martèlement éclaira la scène. Cette fois-ci, la silhouette fine et musclée d'un forgeron avait pris sa place. Torse nu, penché sur l'enclume, sa longue tresse écarlate virevoltant derrière lui, il s'efforçait de réparer ce qui venait d'être brisé. Mais avant qu'il ne disparaisse dans le noir, on pouvait lire le désespoir, la peur et la douleur sur son visage.
Une déflagration dorée dissipa les ténèbres. Le marteau s'était abattu si violemment sur l'enclume qu'il fit exploser l'ouvrage tant convoité.
« L'illustre Cercle d'Elden a volé en éclats. »
La vision s'estompa pour laisser apparaître un pays baigné de rais dorés, au bord d'une mer agitée, dont les vagues s'acharnaient contre ses falaises escarpées. Une terre recouverte d'un impressionnant dôme de lumière, comme si le soleil même se trouvait à la cime des arbres.
« Chez nous, à travers la brume, dans l'Entre-Terre… »
Une femme crucifiée remplaça subitement le tableau du paysage. Drapée dans une robe noire à manches courtes, aux boutons et aux attaches dorés, le visage plongé dans le vide, elle semblait inconsciente. Sa chevelure blonde grisonnait, sa silhouette s'amaigrissait. Ses bras nus ornés de multiples bracelets étaient figés comme par des étaux invisibles. Enfin, le diadème d'argent qui la coiffait menaçait de tomber à tout instant.
« A présent, la reine Marika l'Eternelle est introuvable. »
L'image de la reine s'effaça pour laisser place à un homme agenouillé, le dos balafré par une immonde cicatrice noire en forme de scolopendre. Il se débattait, mais ses assaillants, des assassins encapuchonnés en armure d'écailles grisâtres, lui retenaient les bras pour l'immobiliser pendant que l'un d'eux brandissait un terrifiant poignard incurvé, aux lames courbées et dentelées, pour le plonger au niveau de la nuque.
« …Et lors de la Nuit des Couteaux noirs, Godwyn le Doré fut la première victime. »
L'homme fut pris de convulsions ; il se débattit de plus belle, mais rien à faire. Il était déjà trop tard. Ses assaillants le lâchèrent et s'empressèrent de prendre la fuite en enfourchant des destriers cadavériques. Son visage rencontra brusquement le sol et, peu après, son épiderme commença à se couvrir de cloques, à gonfler comme si des insectes se déplaçaient sous sa peau. Ses yeux s'ouvrirent et du sang noir coula lorsque les cloques gagnèrent ses paupières.
« Rapidement, les descendants de Marika, tous des demi-dieux… »
La vision du cadavre de Godwyn disparut, et les représentations d'une jeune fille coiffée d'un chapeau de laine, vêtue entièrement d'un mélange de bleu et de blanc évoquant le froid glacial, puis de celles de deux puissants guerriers en train d'en venir aux mains au milieu d'un champ de bataille, l'un à la crinière rouge, l'autre hérissé de cornes répugnantes, entourés de leurs troupes, lui succédèrent.
« …revendiquèrent les éclats du Cercle d'Elden. »
La scène changea pour montrer un monstre à la forme humanoïde, vêtu d'habits royaux sombres incrustés de rubis. D'une main, il tenait un puissant trident maculé de sang ; de l'autre, il tirait un enfant à la chevelure d'or du cocon dans lequel il reposait, profondément endormi. Puis lui succéda ensuite la vision d'un grand serpent en train de dévorer vivant un prêtre qui, semblait-il, se laissait faire, sans broncher, malgré les spasmes qui le secouaient.
« La folie provoquée par leur puissance fraîchement acquise déclencha l'Eclatement… »
Un champ de bataille dans un désert de sable rouge, jonché de cadavres, où les guerriers ferraillaient dans la tempête, le sang, la sueur et les larmes, trucidant amis et ennemis sans distinction ; où les blessés se traînaient dans la poussière en se cramponnant à leur lance pour espérer avoir la vie sauve.
« … Une guerre qui ne vit nul seigneur émerger. »
Une chevaleresse à la chevelure rousse titubait à travers les corps, la main plaquée sur sa prothèse mécanique qui remplaçait son bras droit. Le sabre qu'elle brandissait était d'une portée démesurée. Puis, son casque se redressa ; elle leva les yeux vers son dernier adversaire : un colosse semblable à un géant, caparaçonné dans une armure de plates décorée de fourrures, évoquant une véritable bête de guerre sanguinaire.
« Une guerre qui sonna le renoncement de la Volonté suprême. »
Alors, le conteur, couvert de simples hardes, surplombant un immense cimetière où des centaines de sarcophages s'alignaient, leva les bras :
« Levez-vous, Sans-Eclats. (Les tombes s'ouvrirent les unes après les autres, les couvercles de pierres s'effondrant lourdement sur le sol.) Vous avez péri, et pourtant, vous vivez. L'appel de la grâce perdue depuis longtemps nous parle à tous. »
Le premier cadavre à sortir de sa tombe fut un robuste guerrier aux cheveux sales et au torse couvert de cicatrices. Un tigre spectral, translucide, était accroché à ses épaules. Mais rapidement, son corps pâle et décharné retrouva des couleurs.
« Hoarah Loux, le chef des Terres stériles », scanda le conteur, de sa voix de stentor.
Un seconde dépouille attrapa les rebords de son sarcophage et émergea du monde des morts. Mais à la place de son visage, ce fut un masque doré en forme de soleil que l'on découvrit.
« Masque d'or, à la lueur aveuglante. »
Une jeune femme blonde se réveilla auprès de la dépouille d'un roi, sous un drap écarlate, et observa les alentours comme si elle venait de sortir d'un long rêve.
« Fia, la compagne mortuaire. »
Au fond d'un immonde charnier encore rempli d'ossements, se dessina la silhouette d'un homme purulent, dont la peau et le visage étaient couverts de pustules infects.
« L'abject Coprophage », cracha le conteur, sans contenir son dégoût.
Puis un autre cercueil s'ouvrit, pour dévoiler un homme plongé dans des milliers d'oeils et d'oreilles. Il avait été enterré avec plusieurs ouvrages, et le casque qu'il portait était orné de motifs en forme de nez.
« Et Sire Gideon Ofnir, l'Omniscient ! »
Enfin, sur un talus à des centaines de lieux de là, dans une contrée lointaine, une petite lueur tomba du ciel et progressa, comme une luciole, jusqu'au creux de la main d'un cadavre.
« Et un dernier être, que la grâce bénira à nouveau. »
La lumière disparut, et le cadavre reprit aussitôt des couleurs. Ses blessures se résorbèrent, la chair recouvrit les os. Le jeune homme commença à bouger.
« Un Sans-éclat sans renom. »
Tremblant comme une feuille, il essaya de se relever, mais sa jambe se déroba sous lui.
« Traversez les brumes en direction de l'Entre-Terre. »
Il mit sa main en visière lorsqu'une puissante lumière l'éblouit devant lui.
« Pour vous tenir devant le Cercle d'Elden. »
Le Sans-éclat regardait autour de lui, éberlué par ce qui lui arrivait. Le conteur murmura ses dernières paroles presque dans un ultime soupir.
« Et devenez le Seigneur d'Elden. »