Akira pointait la jeune femme de son arme. De longues secondes s'étaient déjà écoulées dans un silence pesant. La dénommée Mélina l'observait, son unique oeil faisant des va-et-viens entre son épée brandie, dégoulinante du sang des soldats, et lui. Le samouraï, quant à lui, la transperçait du regard, guettant le moindre indice pouvant témoigner de sa dangerosité. Sous une cape noire ample comme la sienne, on pouvait dissimuler n'importe quoi.
Contre toute attente, un pâle sourire s'étira sur les lèvres de la nouvelle venue.
« Vous ne me faîtes pas confiance, je le vois bien, dit-elle.
— En effet, gronda Akira.
— Je m'y attendais. Pour témoigner de ma bonne grâce, je vous ai apporté un présent. »
Cela éveilla l'intérêt d'Akira. Il redoubla d'attention lorsque, lentement, la dame tendit ses mains devant elle, paumes tournées vers le ciel. Et son katana s'y matérialisa dans un bref éclat de lumière bleutée.
« Où l'as-tu trouvé ? lâcha Akira.
— Son emplacement précédent a-t-il réellement une importance ? répliqua la jeune femme. L'important est qu'il demeure ici, devant vous. Entre mes mains. Et que je le restitue à son propriétaire légitime. »
Dans un bruissement de cape, Mélina déposa le katana par terre, près de la grâce.
« Cela vous convainc-t-il de mes bonnes intentions ? »
Sans la quitter du regard, Akira s'accroupit pour ramasser son vieux katana. Il en tâta le manche, en évalua le poids, vérifia l'affutage de la lame. Des traces d'humidité subsistaient comme s'il avait pris l'eau, mais pas de doute : c'était le sien.
Akira planta l'épée de soldat dans la terre boueuse de la grotte.
« De quel genre de marché viens-tu me parler ? » dit-il en s'installant face à la jeune femme, son katana sur les genoux.
Mélina le scruta de son unique oeil, dont il ne saurait dire s'il était de couleur grise ou verte.
« Avez-vous entendu parler des Servantes de l'Augure des Doigts ? Elles servent les Deux Doigts en offrant leurs conseils et leur aide aux Sans-éclats. »
Elle marqua une pause. Son regard, même pour Akira, était difficile à soutenir ; en contemplant son unique prunelle, il avait l'impression de lentement sombrer dans un océan grisâtre aux profondeurs insondables, aux abysses parsemés de reflets incandescents, et dont les teintes évoquaient des langues de feu et des déflagrations de chaleur, des flammes anciennes, des reliques du passé, bien trop vieilles pour correspondre avec l'apparence jeune et fraîche de…
Akira en était convaincu : l'âge de cette femme dépassait l'entendement.
« Mais vous, je crains que vous n'ayez guère de Servante.
— C'est ce que j'ai également cru comprendre, confirma Akira.
— Je peux assumer ce rôle. Et convertir vos runes en puissance. Afin de vous aider dans votre quête du Cercle d'Elden. »
Silence. Venait-elle de lui proposer ouvertement de devenir sa Servante ? Sans contrepartie ?
« Vous n'avez qu'à m'emmener avec vous. Jusqu'au pied de l'Arbre-Monde.
— L'Arbre-Monde ? releva Akira. L'immense arbre qui surplombe tout le pays ? »
Mélina acquiesça d'un lent mouvement de tête. Akira resta songeur un moment.
« Cet arbre est de toute façon trop important pour que je ne m'y rende pas. »
A nouveau, un sourire léger flotta sur les lèvres de la jeune femme.
« Bien, alors c'est décidé. Invoquez-moi près d'un site de grâce, pour convertir vos runes en puissance.
— Un site de grâce ? Qu'est-ce donc ?
— Ceci, est un site de grâce », dit-elle en désignant la concentration de lumière dorée au sol. « Un endroit où les rayons de grâce, censés vous guider, se rassemblent et canalisent le pouvoir du Cercle d'Elden. (Elle effleura le halo éclatant du bout des doigts.) La grâce, en ces lieux, y est si puissante qu'elle permet de soigner les blessures. Ou, du moins, les blessures de ceux qui la distinguent encore. »
Mélina parlait d'une manière particulière. Elle choisissait soigneusement ses mots et n'hésitait pas à employer des termes souenus, tout en marquant une pause à la fin de chacune de ses phrases pour laisser le temps à ses paroles de faire leur effet. Une manière bien inhabituelle de s'exprimer, surtout pour Akira qui, à cause de là où il venait, était habitué à aller droit au but. Akira contempla quelques instants l'effusion flavescente, pensif.
« Et les runes ?
— Les runes, sont l'énergie vitale qui animent chaque être vivant sur cette terre. Tous, possèdent des runes. Et c'est en les tuant, que vous les récupérez. C'est en tuant, que vous deviendrez plus fort.
— Et c'est en tuant que je m'enrichirai ? ajouta Akira. Un marchand du nom de Kalé m'a dit qu'il vendait ses articles contre des runes. Dois-je comprendre que l'on paye avec de l'énergie vitale ici ?
— Cela peut paraître suprenant, en effet. Surtout pour des voyageurs d'au-delà de la Brume. Mais tel est le cas dans l'Entre-Terre. (Mélina pencha la tête sur le côté, sans le quitter du regard.) Avez-vous d'autres questions ? »
Akira ne répondit pas, préférant contempler l'effluence de grâce devant lui.
« Ah, autre chose. »
La jeune femme plongea la main à l'intérieur de sa cape, puis lui tendit un joyau de la forme d'une bague.
« Je vous lègue cet anneau. Servez-vous-en pour parcourir de grandes distances. Cela vous permettra d'invoquer un destrier spectral nommé Torrent. »
Akira accepta le présent et le retourna entre ses doigts, perplexe. Fait de ce qui semblait être de l'or pur, l'anneau contenait un petit orifice sur la tranche. Avec précaution, le samouraï le passa à son index.
« Torrent vous a choisi. Traitez-le avec respect. »
Sur ces mots, la jeune femme se mit à luire avant de s'évanouir dans une poussière bleutée, disparaissant aussi vite qu'elle était apparue. Et Akira se retrouva seul, face à la grâce qui continuait de danser telle une flammèche dorée par terre, au milieu de la boue.
Et, lessivé, il s'endormit en un instant, son menton tombant sur son torse.