Plic.
Ploc.
Des sabots dans l'eau. Un souffle chaud contre sa nuque. Un hennissement.
« Ne t'en fais pas, Torrent. La fortune lui sourit. »
La voix était tendre ; elle lui évoquait le ton que prenait, il y a longtemps, sa mère pour le réconforter. L'affection et la douceur transparaissaient dans les mots qu'elle employait.
Plic.
« Après tout, nous l'avons trouvé. »
Un renâclement troubla le silence. Un bruit d'éclaboussure retentit ; une présence s'agenouilla auprès de lui.
« Un de ses semblables est voué à la quête du Cercle d'Elden. »
Ploc.
Son murmure résonna tout près de son oreille. Des poils se hérissèrent le long de sa nuque quand elle prononça :
« Même s'il faut pour cela braver l'interdit de l'Ordre d'or… »
❋ ❋ ❋
Akira rouvrit les yeux. La seconde suivante, il crachait ses poumons.
Secoué de quintes de toux à quatre pattes dans l'eau, il expulsait des caillots de sang mêlés à de l'eau salée. Par plusieurs fois, il manqua de vomir. Une atroce douleur lui contractait le coeur et les poumons ; une chaleur brûlante parcourait ses avants-bras engourdis, ses cuisses et ses mollets, comme si un feu liquide circulait dans ses veines ; une violente migraine lui fit tourner la tête.
Il se plia en deux : il vomit toute la bile que son estomac vide contenait, avant de s'écrouler dans l'eau croupie.
Plongé dans la petite mare, Akira laissa passer la douleur et redescendit sur terre. L'horrible sensation de réchauffer le corps glacé d'un mort se dissipait et, bientôt, il put respirer avec calme.
Quand Akira se redressa, il se trouvait dans une grotte, une caverne creusée à flanc de montagne où la marée provenait par une brèche dans la roche. Le plic ploc de l'eau qui gouttait depuis les stalactites se mêlait au shhu-shuu du vent qui soufflait. Une cathèdre de bois comme il en avait vue dans la chapelle, se trouvait, intacte, auprès d'un arbuste recouvert d'or.
La samouraï se figea. La chapelle…
Il chercha aussitôt où était passé son sabre ; il tâta ses flancs, son ceinturon, l'intérieur de son manteau. Un coup d'oeil lancé vers le fond de la caverne, à travers la surface de l'eau. Rien. Nul part. Son arme avait disparu. Et son fourreau avec.
Malédiction, jura-t-il en se délestant de son manteau de voyage devenu lourd, tellement il était gorgé de l'eau glacé de la mer, pour ne garder que son hanten écarlate, sa veste matelassée de samouraï, aux épaulières de bronze et aux brassards de métal, l'habit traditionnel de sa terre natale dont il n'avait que guère l'envie de se rappeler.
Il s'approcha de la chaise et de l'arbuste dans l'idée d'y abandonner sa cape en lambeaux, mais la silhouette diaphane d'un vieillard assis se dessina. Instinctivement, Akira porta la main au côté, pour ne toucher que le vide qu'avait laissé son sabre.
« Brave Sans-éclat », souffla-t-il d'une voix comparable au chuchotement du vent. « Sautez le pas. Immergez-vous dans la connaissance et le souvenir. Imprégnez-vous des arts de la guerre et de votre sang de guerrier. »
Puis Akira, médusé, le regarda disparaître en une poussière étincelante.
« Dire que je ne croyais que guère aux histoires de fantôme », murmura-t-il pour lui-même, avant de poursuivre sa route, s'efforçant de ne pas être affecté plus que ça.
Il jeta un coup d'oeil à l'arbuste doré, semblable en tout point au gigantesque érable qui trônait, gigantissime, au milieu de l'Entre-Terre. Son bois fait d'or, ses feuilles orangées, tout était identique.
Akira remonta à la surface. Il gravit un escalier de marbre poussiéreux, fit grincer deux lourdes portes, emprunta un ascenseur en pierre dont il ignorait le fonctionnement, puis, enfin, retrouva l'air libre.
La lumière fut si forte qu'il dut attendre un moment avant que ses pupilles ne s'adaptent.
Un magnifique paysage se dévoila sous ses yeux. Une forêt abondante, clairsemée par des prairies verdoyantes, garnissait les environs ; des routes pavées traçaient leur chemin entre les arbres et gagnaient, ça et là, une église saccagée, un cimetière parsemé de pépites d'or, un campement militaire. Des lucioles voletaient et se mêlaient aux abeilles qui s'affairaient auprès des lys et des floras mundis, des fleurs orangées. Un vent d'ouest soufflait agréablement, apportant une fraîcheur bienvenue ainsi qu'un doux parfum de rose et de lilas. Au loin, brillait l'indétronâble arbre d'or, prodigieux dans son immensité, si haut que sa lumière filtrait à travers la fine couche de nuages dans le ciel. Mais son intérêt fut surtout attiré par des rayons dorés qui, à la manière des arcs-en-ciel, semblaient indiquer des directions. Ces mêmes rayons qu'il avait suivis pour arriver ici.
Il en était convaincu, Akira avait gagné le paradis. Un paradis divin, fait d'or et de délices.
« Oh, mais oui… Vous êtes un Sans-éclat, n'est-ce pas ? » résonna une voix derrière lui.
C'était un homme au masque blanc et aux loques tâchées de sang.
Akira réagit au quart de tour. Il fit volte-face, attrapa le bras de l'homme qui venait de proférer puis, à l'aide d'une prise complexe, il lui exécuta une clef de bras et le força à se mettre à genoux. Masque Blanc gémit de douleur.
« Qu'est-ce que… »
Akira le plaqua au sol, grimpa sur lui et lui écrasa la tête avec la semelle de sa chaussure.
« Fais le moindre geste, et ce sera ton dernier », gronda le samouraï à son oreille. « Tu vas répondre à mes questions. »
Masque Blanc ricana.
« Je peux savoir ce qui te fait rire ?
— Pour être honnête, ma mort serait plus déplorable pour toi, pauvre Sans-éclat, que pour moi… »
Le visage d'Akira se durcit.
« Ah oui », fit le guerrier, plus froid que la glace. « Et qu'aurais-je donc à attendre de toi vivant ? Que tu me poignardes dans le dos comme tu aurais pu le faire ? »
Il resserra sa prise, tordant davantage le bras de sa victime. Son masque l'empêchait de voir ses expressions faciales, mais à voir la manière dont il se tortillait, il n'était pas aussi serein qu'il voulait le laisser paraître.
« Des réponses », grogna Masque Blanc. « Je peux t'apporter des réponses… »
Akira hésita. Si son sabre ne l'avait pas abandonné, il l'aurait sûrement déjà envoyé six pieds sous terre. Cet homme, vêtu de pareilles loques, ne lui inspirait aucune confiance. Même son masque comportait des traces de sang.
Mais il avait besoin de réponses.
« Parle », dit Akira avant de le relâcher. « Dis moi tout ce que tu sais. (Le samouraï le pointa du doigt.) Dis moi qui tu es, et où nous sommes. »
Pendant que Masque Blanc se redressait en se massant le bras, Akira mit de la distance. Il aperçut, dans l'herbe, une puissante lumière dorée qui émettait plusieurs autres rayons étincelants. En s'en approchant, une énergie vibrante l'enveloppa tout entier, le pénétra jusqu'au plus profond de son être. Des nimbes rayonnantes l'encerclèrent, et aussitôt il sentit ses forces lui revenir. Quelle est cette chose ? se dit-il en contemplant sa peau pâle reprendre des couleurs.
« Je me nomme Varré », dit-il en avançant dans sa direction. « Et ici, nous nous trouvons en Entre-Terre. En Nécrolimbe, plus précisément. »
Akira le fusilla du regard. Le dénommé Varré s'arrêta à une distance respectable. Le samouraï ne tenait pas à sentir son souffle rauque sur sa nuque.
« Le château que l'on voit, là-bas, sur la falaise, est le Château de Voilorage », poursuivit Masque Blanc en désignant une imposante forteresse, aux épais murs et aux tourelles solidement bâties. Akira l'avait déjà entraperçu en sortant de la chapelle. « Le repaire du demi-dieu décrépit, Godrick le Greffé.
— Du demi-dieu décrépit ? releva Akira. Explique-toi. »
Varré se frotta les mains avec satisfaction. Ses ongles étaient noirs, tandis que sa peau avait pris une teinte rougeâtre, comme si la chair avait été mise à vif.
« Godrick est le Seigneur de Voilorage, et le gouverneur de ces terres. Il descend de la Reine Marika elle-même-
— La Reine Marika ? Celle qui dirige ce pays ?
— Celle-là même, confirma Varré. Sa disparition, après que le Cercle d'Elden ait été brisé, a déclenché l'Eclatement, une féroce guerre qui vit s'affronter ses propres enfants pour les fragments du Cercle… Oh, rassurez-vous, ce conflit a pris fin il y a bien longtemps, mais il a laissé des traces, disons… indélébiles, à certains endroits… »
Akira s'adossa à un rocher. Il croisa les bras, perplexe, ses longs cheveux noirs cascadant devant son visage.
« J'imagine que si vous êtes de passage dans l'Entre-Terre… (Varré se frotta les mains avec davantage d'ardeur.)... c'est pour vous emparer du Cercle d'Elden, hmm ?
— Courir après les fragments d'un trésor brisé ne m'intéresse pas.
— Allons allons, c'est l'évidence même », minauda Masque Blanc. (Akira eut une moue agacée.) « Il n'y a aucune honte à ça. Seulement… votre malheur, c'est que vous n'avez pas de Servante.
— De Servante ?
— Sans personne pour vous guider, sans le pouvoir des runes et sans invitation au Bastion de la Table Ronde… Je crains que vous ne soyez destiné à périr dans l'anonymat. »
Akira plissa les yeux. Une Servante… la femme morte dans la chapelle était-elle la sienne ? Etait-elle censée le guider à travers l'Entre-Terre, jusqu'au Cercle d'Elden ? Le message écrit à côté de sa dépouille lui revint en mémoire. « Bien que la voie soit tortueuse et incertaine, emparez-vous du trône d'Elden ! » Lui était-il destiné ?
Masque Blanc se rapprocha. Cette fois-ci, Akira ne réagit pas, préoccupé par ses pensées. Il ignorait tout de cette contrée et de son histoire, mais il répugnait de passer pour un ignare crédule et manipulable.
« Heureusement pour vous, une lueur d'espoir subsiste, même pour ceux qui vont sans Servante… », murmura-t-il près de son oreille. « Et cette lueur, c'est moi. Varré.
— Je ne m'en serais pas douté, grommela Akira en lui jetant un regard en coin.
— Ecoutez-moi donc : connaissez-vous la grâce ? Cette lumière dorée qui insuffle la vie aux Sans-éclats ? Discernez-vous parfois des rais d'or vous indiquant une direction ? »
Sa réaction le trahit. A cet instant, Akira fut persuadé que s'il lui retirait son masque, il trouverait un grand sourire.
« Bien sûr que vous la voyez, se réjouit-il. C'est ainsi que la grâce vous guide sur la voie des Sans-éclats.
— Vous allez me dire qu'il existe déjà une voie toute tracée pour moi ?
— Oui, c'est cela, confirma Varré. La grâce vous apportera toutes les réponses. Elle vous accompagnera sur le chemin qui est le vôtre… (Masque Blanc se frotta à nouveau les mains.)... Même si celui-ci doit vous conduire à votre tombe. »
Akira tourna les talons et s'en alla, sans un mot.
« Vous allez donc partir sans me dire au-revoir ?
— S'il y a bien une chose qui m'agace, c'est ceux qui prétendent connaître le destin des autres. (Akira planta son regard dans le sien.) En vérité, ils n'en savent rien.
— C'est tout à votre honneur. »
Akira en avait fini. Sans doute aurait-il pu lui soutirer d'autres informations, mais sa présence, sa voix détimbrée, ses mimiques, sa manière de se frotter les mains quand il s'exprimait… tout était insupportable dans sa personne.
« Une dernière chose », lança Varré du haut de la colline. « Prenez garde, en vous aventurant dans la région. Les hommes de Godrick traquent les Sans-éclats. Il faut bien que notre Seigneur de Valorage reste fidèle à son titre…
— Pourquoi m'avertir ? » fit Akira, qui continuait de dévaler la pente. « Vous soucierez vous de mon sort ?
— Oh non, non… ne me prêtez donc pas d'aussi bonnes intentions. Je me disais seulement qu'il était peut-être temps que quelqu'un mette un terme à sa folie… »
Ne comptez pas sur moi, rétorqua Akira en son for intérieur, avant de s'enfoncer dans les contrées verdoyantes de la Nécrolimbe.