9 Le bruit de la cloche

Sulk s'était entraîné de cette manière pendant les quelques semaines qui suivirent.

Le travail de la mine, qui jusque là était son quotidien, semblait maintenant comme fade et ennuyeux.

Lui qui auparavant n'avait rien connu d'autre, se demandait maintenant comment il avait enduré tant d'années dans cet environnement.

L'inconnu de la rune avait empli sa tête de rêves et de désir de voir le monde extérieur. Il songeait maintenant à s'échapper, à quitter la mine le plus rapidement possible.

Cela lui causait une sorte de haine grandissante pour sa vie actuelle. Plus il en connaissait sur le monde extérieur, plus il avait envie de quitter les tréfonds de la terre et de découvrir la surface et ses merveilles qu'il imaginait incroyables.

Il passait ses journées à voir ses souvenirs et à fortifier ses constructions mentales, tout en travaillant la roche.

Il était désormais assez puissant mentalement pour établir constamment un lien entre son état de conscience extérieur et intérieur. Il continuait pourtant, d'un point de vue extérieur, à vivre une vie de mineur sans écarts.

Vivant la même routine, encore et encore, comme il avait toujours fait depuis qu'il travaillait activement.

La nuit venue, il s'entraînait à rester le plus longtemps possible dans son propre esprit. Même après que la fumée noire se soit tue, quand l'homme était trop épuisé mentalement pour poursuivre leurs discussions et se reposait, il restait dans son esprit, à explorer les possibilités que lui offrait son nouveau pouvoir.

Arega le voyait de plus en plus épuisé le matin. Elle ne savait pas ce qui se passait dans le cœur du garçon qui était devenu de plus en plus secret et renfermé.

Même Arch n'avait aucune idée de ce que pensait Sulk. Ce dernier était de plus en plus distant et froid.

Les mineurs comme Gané, avec qui il échangeait habituellement quelques mots chaque jour attribuèrent son silence à une phase de croissance liée à l'adolescence.

Bien qu'il ait vécu toute sa vie dans la mine, c'était dans les gènes de tout le monde que l'adolescence se manifestait. Sulk cependant était déjà à un stade de maturité qui aurait impressionné tout le monde.

Ses capacités mentales excédaient déjà celles de quasiment tous les habitant de la mine.

Sulk ressentait également l'impact que sa croissance mentale avait sur son entourage.

Il commençait maintenant à se sentir supérieur et dédaignait les autres mineurs qui avaient subi quotidiennement les mêmes conditions que lui.

Dans son esprit germaient des idées de rébellion, qu'il pouvait de moins en moins contenir.

Un jour particulièrement il se sentit oppressé par ses conditions lorsque ayant passé presque toute la nuit éveillé dans son espace mental, il ne réussit pas à s'éveiller après toute l'accumulation de fatigue qu'il subissait.

Son entrainement consistait à rester le plus longtemps possible dans son esprit avant que le mal de crâne lancinant de le force à le quitter et à se reposer.

Il progressait rapidement mais un jour Arega ne réussit pas à le faire se lever assez rapidement.

Un homme s'approcha alors du garçon encore trop endormi. Il portait un pagne en paille séchée qui était le signe reconnaissable des contremaîtres.

C'était précisément le garde qui l'avait empêché trois ans plus tôt de travailler pour soulager le fardeau de sa mère.

Il connaissait le jeune garçon comme tout de monde dans la mine, mais ne le portait pas dans son cœur. Il réveilla alors Sulk en le soulevant dans les airs à presque un mètre de hauteur avant de le lâcher lourdement sur sa couche de paille.

Cela sortit Sulk de sa torpeur. Le garçon n'ayant pas le temps de comprendre ce qui venait de se passer éprouva alors pour la première fois de sa vie de la haine envers un autre tierran.

Il lança un regard noir mêlé d'une lueur meurtrière à l'homme. Le contremaître ressentir alors un très bref instant qui ne dura pas plus d'une fraction de seconde une sorte de peur invisible comme un pressentiment comme les mineurs ressentaient parfois avant qu'un éboulement mortel se produise.

Il n'y fit pas attention alors qu'il rouait de coups à l'aide de sa baguette de bois dur le garçon.

Quelques minutes plus tard Sulk était levé. Il avait alors évité Arega pendant plus d'une journée entière, chose qui n'était jamais arrivé avant. Elle se sentait coupable de n'avoir pas su le réveiller, et elle savait qu'il pensait la même chose.

Cela n'avait pas duré mais était resté profondément dans la mémoire de Sulk et de sa mère. Le jour suivant s'était déroulé normalement.

Sulk avait limité son entrainement mental de nuit et s'était réveillé lorsque sa mère, appréhensive, l'avait doucement remué.

Les jours passèrent sans aucune différence pendant plusieurs semaines. Sulk s'était retenu dans son entraînement mental, conscient du risque que cela lui faisait prendre.

Au bout de quelques heures de travail un de ces jour totalement habituel, une cloche retentit dans la mine.

Le son agressif à l'oreille venait du premier niveau de la mine, là ou la plateforme acheminait les roches et minerais collectés.

C'était un son métallique grave qui se répercutait jusque dans les profondeurs du quatrième niveau.

Tous les mineurs s'étaient alors arrêtés de travailler et s'étaient agglutinés près des échelles. Il remontèrent tous jusqu'à la première galerie, en bas de la plateforme.

C'était un des seuls moments ou Sulk voyait tous les gens de la mine rassemblés. Le millier de mineurs, les cent contremaîtres, tous étaient rassemblés en arc de cercle entourant la montée rocheuse menant à la plateforme.

La plateforme était remontée.

Tout le monde levait les yeux et observaient l'immense masse sombre descendre dans les profondeurs. La descente était accompagnée du bruit grinçant des cordes de la taille du bras de Sulk dans les poulies rouillées par l'humidité ambiante, et du silence des mineurs.

La cloche appelant tous les mineurs ne pouvaient signifier que deux choses.

Un arrivage de travailleurs, ou bien une descente du Roi de la mine de Kvara.

Le silence pesait sur la foule depuis plusieurs minutes quand la plateforme de bois massif se posa sur le sol de pierre grise.

Instantanément tous les regards se posèrent sur les quelques occupants du seul accès à la surface.

L'un d'eux était un contremaître, qui semblait encore bien jeune pour occuper ce poste.

Les autres derrière lui étaient tous des hommes. Il avaient tous des bleus sur les membres et l'un d'eux se tenait l'épaule, arborant un air hagard.

Il semblaient tous peinés et le regard dans leurs yeux trahissaient la tristesse qu'ils éprouvaient.

Les mineurs en bas de l'estrade les observèrent d'un air triste et compatissant. Ils avaient tous vécu ce moment de leur arrivée dans la mine à un moment de leur vie.

Le dernier était un garçon. Il ne devait pas être plus vieux que Sulk d'une année, et se tenait debout, appuyé sur une jambe, l'autre encore rougie et douloureuse des coups qu'il avait reçu.

Sa tête était baissée, et si les mineurs avaient pu la voir, ils auraient vu les quelques larmes qui coulaient sur ses contusions.

Il avait été battu sévèrement durant les dernières heures, aurait-on dit. Sulk était choqué par l'apparence du garçon et son simple habit où s'étalaient des taches brunes de sang séché.

"Voici vos nouveaux collègues. Accueillez les comme il se doit, et mettez les au courant du fonctionnement de la mine."

Le contremaître pointa du doigt cinq des nouveaux travailleurs:

"Ceux là iront dans la branche 2 du troisième, ceux ci dans la branche 3. Les autres iront dans la quatrième galerie et auront le privilège de former une nouvelle branche. Quant à lui.."

Son regard se posa sur le garçon battu, le plus jeune des nouveaux arrivants.

Il s'appelait Kahn et avait été pris un jour auparavant à essayer d'infiltrer un convoi de vivres alimentant la mine, dans le but de voler de la nourriture. Les gardes l'avaient surpris et il avait été frappé pendant plusieurs heures avant de rejoindre les nouveaux esclaves.

Le regard du contremaître se détourna du garçon et se tourna vers la foule. Il chercha visiblement quelque chose pendant une seconde avant que sa vue ne se pose sur Sulk.

"Gamin, viens la. Tu accompagnera le voleur. Montre lui tes dortoirs et ce qu'il doit faire de ses journée."

C'est ainsi que Sulk rencontra Kahn.

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