8 Entraînement mental

Sulk passa ainsi plus d'un mois à gagner en rapidité mentale.

Désormais il pouvait passer d'un état à l'autre, de la réalité à son espace mental, instantanément.

Le retour à l'état corporel lui avait posé problème pendant longtemps, mais si une seule de ses qualités devait le définir, c'était sa volonté.

L'enfant qui avait un jour décidé de travailler pour aider sa mère avait pris sur lui et avait grandi.

Il n'avait pourtant que treize ans mais il réalisa que pour faire voyager son esprit de son corps à son âme, seul la volonté pouvait l'aider.

A force de travail il avait su s'améliorer. Il n'était pas particulièrement doué, mais chaque minute pendant plus d'un mois il s'était efforcé de s'entraîner.

C'était pourtant inutile au premier abord, il ne pouvait rien faire dans son esprit. Mais au bout de quelques semaines il avait réussi à comprendre l'étape suivante de la liberté mentale.

L'étagère immatérielle présente dans son esprit avait changé de forme. Il n'y avait désormais plus que les deux sphères volatiles dans sa conscience, mais la sienne, la violette, avait presque doublé de taille pendant ce dernier mois.

Il avait assimilé la rangée de bols dans son âme.

Ce n'était après tout qu'une représentation qu'il s'était faite de sa mémoire. Cela lui avait permis de sonder son esprit pour la première fois, mais maintenant il pouvait accéder à n'importe lequel de ses souvenirs instantanément.

Il pouvait d'un simple instant de concentration revivre dans son esprit chaque détail de sa vie au plus loin qu'il se souvienne, et y accéder en totalité.

Il revoyait chaque détail, chaque son, chacun de ses sens semblait être aussi en éveil qu'ils ne l'avaient été au moment ou il avait vécu le souvenir.

Cependant cela n'était possible que lorsqu'il veillait durant la nuit, à la lueur des cristaux bleutés et froids.

Son esprit pouvait alors quitter son corps sans soucis et se soumettre entièrement au contrôle de son âme. Le faire pendant le jour pouvait se montrer dangereux, surtout dans une mine où des éboulements, bien que pas fréquents, n'était pas impossibles.

Il passait alors la première partie de la nuit à converser avec l'inconnu, partageant ses souvenirs avec la fumée noire, et la seconde partie de la nuit à s'entraîner à rester dans son espace mental le plus longtemps possible.

Un problème récurrent faisait obstacle à son utilisation de son esprit pleinement. Le jour il ne pouvait pas y rester plus de quelques minutes sans quoi son crâne s'emplissait d'une douleur cinglante qui le forçait à sortir et à arrêter tout travail.

La nuit il pouvait passer jusqu'à une heure dans son esprit. La fumée noire au visage argenté lui avait expliqué que c'était à cause de la surcharge mentale que ses sens causaient à son esprit.

Ce fut lorsqu'il entendit les paroles de l'homme qu'il comprit que lorsqu'il accédait à son âme, contrairement à ce qu'il avait pensé initialement, son corps ne s'arrêtait pas.

Son esprit recevait quand même les informations habituelles qu'il traitait inconsciemment. Le bruit de la mine et le tintement des pioches sur la pierre, le raclement des minerais ramassés sur le sol, mais également la lumière des cristaux à la ceinture des gens autour, tout était quand même enregistré par son inconscient.

Sulk eut alors une théorie.

Peut-être pouvait-il accéder à son esprit et à son corps en même temps.

Si les signaux extérieurs étaient quand même perçus lorsqu'il était à l'intérieur, il pouvait peut être forcer une partie de sa conscience à rester à l'extérieur.

De la même manière qu'il avait fait pour sa mémoire avec les bols, il avait un soir imaginé une sorte de croisement, une frontière qu'il pouvait franchir plus ou moins à l'entrée de son esprit. Le tunnel mental qu'il s'était fait ressemblait en tout point à ceux de la mine qui l'entourait à chaque instant de sa vie.

"Il faut vraiment que tu voies le monde extérieur, gamin. Même tes constructions mentales, tes petites astuces, ressemblent à cette mine humide. Lorsque tu sortira des entrailles sinueuses de Kvara tu pourra peut être imaginer autre chose que des tunnels."

L'homme se permettait souvent de faire des remarques directement dans l'esprit de Sulk. Les deux avait passé tellement d'heures ensemble pendant les derniers mois qu'il s'était établi une sorte de complicité entre les deux.

Ou plutôt une sorte de relation de maître et d'apprenti.

L'homme avait littéralement ouvert l'esprit du garçon et avait partagé avec lui un monde de magie qui dépassait Sulk.

Même si l'inconnu était limité par les restrictions magiques de la rune, il s'était avéré d'une grande aide dans les progrès du garçon.

Et également comme par symbiose, la maturité mentale de Sulk lui était profitable et le libérait peu à peu de la magie qui le bloquait.

Sulk était un garçon solitaire, et grandir dans une mine ne l'avait pas amené à se sociabiliser. Ses seuls contacts avec d'autres tierrans étaient les histoires de Arch, et la compagnie de sa mère.

L'homme dans son esprit était maintenant là à chaque instant, pendant la nuit du moins, et était en quelque sorte son confident.

Les sphères mentales qui représentaient les deux âmes partageant un même corps étaient désormais presque trois fois plus grandes qu'elles ne l'avaient été.

Celle de Sulk s'était agrandie, mais la volute violette tournoyant à l'intérieur n'avait pas vraiment changé, elle se déplaçait juste comme dans un courant d'air invisible dans une sphère plus grande.

La sphère de l'inconnu de la rune au contraire ne s'était pas diluée dans l'espace plus grand.

Elle était tout aussi concentrée qu'à son arrivée dans l'esprit de Sulk.

C'était comme si la sphère mise à sa disposition la concentrait et la comprimait à l'intérieur de l'esprit de Sulk.

Sulk ne mis pas plus de quelques semaines avant de faire des progrès évidents dans son entrainement mental. En empruntant les différents tunnels de sa galerie mentale qui partait de l'endroit avec les deux sphères, il pouvait accéder à un de ses sens, tout en gardant un œil sur les sphères et en sondant ses souvenirs.

Il avait d'abord eu accès à sa vue, même si son corps restait bloqué et sourd.

Puis était venu le son, puis les mouvements.

Il avait également vu dans son esprit les tunnels se raccourcir, jusqu'au soir où tous ses sens étaient ouverts, presque comme lorsqu'il était dans son corps, juste un peu confus.

Il pouvais désormais rester actif physiquement mais être également cette entité omnisciente autour de son âme.