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CHAPITRE 11 : SOUHAIT.

— C'est vraiment de la folie furieuse, de faire ça.

Jonathan râlait comme à son ordinaire en préparant un sac à dos. Les six jeunes sorciers avaient décidé de partir à la recherche du katana et de Maître Guillaume au cours de leur prochaine visite à Valinor. Ils ne tenaient pas à rester piéger sur place à vingt-deux heures lorsque le portail sur le vieux monde s'ouvrirait. Il aurait été compliqué de justifier de vingt-quatre heures de disparition pour Adrien, Mark et Eowyn, tous trois étant encore mineurs.

Aussi, mirent-ils à profit le temps qu'ils avaient devant eux pour peaufiner leur plan et Mark rédigea un rapport succinct à leur supérieur, évoquant une « piste » à suivre dans les mines à côté de la vallée des loups garous. Ils avaient finalement choisi de ne pas mentionner le katana pour l'instant et d'aviser en temps voulu sur ce qu'ils allaient en faire. Le plus important était de trouver Maître Guillaume, peu importe qui était derrière tout cela.

Adrien avait suivi une formation accélérée d'escrime auprès d'Eowyn, afin qu'il puisse se munir d'une épée pendant le voyage et qu'il sache s'en servir en temps utile. Il n'était pas encore très assuré, mais au moins il saurait parer des coups en cas de besoin. Katherine s'occupa de préparer des provisions pour trois jours, Yohan étudiait les cartes à leur disposition. Jonathan, quant à lui, était chargé de constituer le nécessaire de voyage pour chacun.

Ils mangèrent frugalement vers vingt heures trente et se quittèrent le cœur lourd à vingt-et-une heure quarante-cinq, chacun regagnant sa chambre en regrettant de ne pas partir dès maintenant à la recherche du vieil homme. Eowyn et Adrien se tenaient désormais devant le portail, attendant son ouverture, main dans la main. Adrien prit une grande inspiration et se lança :

— Tu sais, je voulais te remercier.

— Pourquoi ? s'étonna la jeune femme

— De m'avoir amené ici, de m'avoir accordé ta confiance, de m'avoir prouvé que je n'étais pas fou, de m'avoir accepté dans ta famille et dans ta maison, de m'aider à utiliser mon pouvoir… Pour tant de choses que je n'arrive pas à me souvenir de tout.

Adrien devenait de plus en plus rouge au fur et à mesure qu'il s'exprimait. Eowyn lui sourit. Elle trouvait charmantes les petites rougeurs, qui apparaissaient parfois sur ses joues.

— Tu n'as pas à me remercier, je l'ai fait de bon cœur. Je suis heureuse, si cela a pu répondre à certaines de tes questions. Quant aux autres… Disons que l'on aura l'occasion de les aborder pendant les récrés, si tu consens à revenir les passer au CDI avec moi. Il faudra aussi passer du temps ensemble en dehors du lycée pour que je te montre les bases de la magie.

— Bien sûr ! Rien ne me ferait plus plaisir. J'ai hâte de commencer !

— Alors c'est entendu ! Nous pouvons débuter demain après les cours si tu veux.

— Ça marche !

***

Une fois qu'ils eurent repassé le portail magique, Eowyn prit congé de son ami et se dirigea vers sa maison d'un pas léger. Bien sûr, elle était inquiète pour son maître, mais pour l'instant elle ne pouvait rien y faire. Dès demain soir, elle se consacrerait entièrement à sa recherche. À côté de cela, elle avait trouvé un allié au lycée et un nouvel ami à qui parler de la magie dans le Vieux Monde. Elle allait lui enseigner tout ce qu'il avait besoin de savoir et elle avait hâte de commencer les séances d'entraînement.

Elle avait conscience que ce n'était pas uniquement dans le but d'aider un ami. En vérité, Adrien lui plaisait beaucoup. Il était facile et plaisant de converser avec lui, comme s'ils se connaissaient depuis plusieurs années et non quelques jours. Elle trouvait ses yeux magnifiques. Ils lui faisaient penser à deux lagons au fond de sable clair. Elle avait été jusqu'à caresser doucement ses cheveux blonds dorés quand il s'était endormi dans sa chambre, après lui avoir retiré le livre des mains.

Heureusement qu'il ne s'était pas réveillé à ce moment-là. Il n'aurait probablement pas apprécié… Pourtant, il semblait aimer travailler près d'elle. Et il ne retirait pas sa main, quand elle la saisissait sous le couvert de le guider. Elle n'avait jamais été très courageuse de ce point de vue là. Autant, se battre contre des orques ne lui faisait pas peur… Enfin, juste à moitié… Autant flirter avec un garçon la terrifiait. Il était bien plus facile de jouer les indifférentes et les dures-à-cuire.

***

Le lendemain, Eowyn se leva plus tôt que d'ordinaire. Chose rarissime, elle avait décidé de se maquiller. Un petit peu de blush, du mascara et une touche de gloss suffisait. Sa crinière avait, pour une fois, accepté de se laisser dompter par une pince, qui maintenait une partie de ses cheveux à l'arrière de sa tête. Ne voulant pas en faire trop et, par la même occasion, rendre trop évidente sa tentative de séduction, elle opta pour un jean et une blouse vaporeuse rose en dessous de sa veste en cuir marron. Après avoir jeté un dernier coup d'oeil satisfait au miroir, elle descendit quatre à quatre les marches afin de rejoindre son camarade…

Adrien l'attendait déjà près du rondin de bois à côté de l'arrêt de bus. Il lui fit la bise, devant une Éris, à la fois stupéfaite et furieuse. Romain le regarda d'abord éberlué, puis goguenard quand il vit la jalousie de sa camarade.

— Ben toi ! dit-il à Adrien en lui serrant la main. A peine arrivé et tu brises déjà des cœurs. Éris a failli s'étrangler avec sa langue !

— Si ça pouvait être vrai, marmonna Eowyn.

Romain éclata de rire.

— En tout cas, je pense que je vais avoir la paix durant le trajet… Reprit-il. Elle boude !

Effectivement, Éris ne desserra pas les dents du trajet. Et son regard lança carrément des éclairs quand Adrien s'assit à côté d'Eowyn. Il ne pouvait s'empêcher de lui sourire, sourire qu'elle lui rendait volontiers. Ils n'osèrent pas parler de magie dans le bus : trop d'oreilles indiscrètes.

La matinée passa bien trop lentement aux yeux des deux jeunes gens. Ils avaient décidé de ne pas trop changer leurs habitudes afin de ne pas attirer l'attention… Peine perdue ! De nombreux yeux curieux les observaient désormais. À la pause, au CDI, il y avait tellement de monde au coin lecture qu'ils durent se réfugier dans les rayons pour avoir un peu d'intimité. Eowyn lui montra ses livres et ses auteurs préférés, elle découvrit avec plaisir, qu'elle en partageait plusieurs avec Adrien.

Le repas de midi fut particulièrement dur à supporter pour le jeune homme. Éris le bombarda de questions sur sa relation avec Eowyn et sur les raisons pour lesquelles il avait changé d'attitude vis-à-vis d'elle. Sa stratégie avait visiblement évolué, Éris cherchait à obtenir des informations sur Eowyn et se montrait courtoise en parlant de sa camarade. Mais Adrien n'était pas dupe, il coupa court à la discussion. La sournoiserie d'Éris lui hérissait le poil. Seul Romain semblait prendre plaisir à observer la scène. Lily, elle, essayait de changer de sujet.

Lorsque le bus les déposèrent dans leur village, Adrien suivit Eowyn jusqu'à chez elle. Il avait prévenu ses parents qu'il allait travailler chez une amie. Ses parents étaient tellement heureux de savoir qu'il s'était fait des amis qu'ils ne lui avaient même pas donné d'heure pour revenir à la maison. Adrien savait qu'ils avaient souffert de leur mise à l'écart, peut-être même plus que lui. Au moins, Adrien avait une raison de s'éloigner des gens.

Quand ils arrivèrent devant le portail, un chat noir les accueillit en faisant des huit autour des jambes de la jeune femme.

— Oui, Réglisse, lui dit-elle en la caressant sous le menton. Je t'ouvre.

— Un chat noir ? Vraiment ? Ça ne fait pas un peu cliché ? fit Adrien, sarcastique.

— Je l'ai recueillie, il y a deux ans à la SPA. Figure-toi que personne ne voulait d'elle parce qu'elle avait un pelage noir ! Je n'ai pas hésité une seule seconde. Je sais ce que c'est d'être rejetée alors que personne n'a pris la peine de savoir qui vous êtes et ce que vous valez…

Ses derniers mots se brisèrent dans sa gorge. Adrien sentit son cœur se contracter. Non seulement, il voyait très bien ce qu'elle voulait dire, mais cela lui faisait du mal de la savoir touchée à ce point-là. Il posa sa main sur l'épaule de son amie, qui leva des yeux humides et surpris vers lui.

— Je suis désolé. J'ai cru comprendre en lisant tes carnets que votre désaccord ne date pas d'hier avec Éris.

— Depuis le collège pour être exact. Elle m'a prise en grippe dès notre rencontre. Elle aime tacler les gens, les rabaisser, afin de se mettre en avant. Elle n'a tout simplement pas suffisamment confiance en elle pour se faire des amies en se contentant d'être elle-même. En vérité, elle me fait pitié.

Eowyn avait expliqué cela avec toute la lassitude que confèrent les longues années de conflits permanents. Elle ouvrit la porte d'entrée et s'effaça pour laisser passer son camarade. La maison d'Eowyn était très différente de la sienne. Il était habitué à vivre dans un décor minimaliste, tout était à sa place, rangé, épousseté, assorti… comme un catalogue de décoration.

Là, il avait face à lui, non pas une double page de catalogue, mais de nombreuses pages superposées les unes aux autres. Des bibelots d'origines et de natures diverses étaient disposés un peu partout sur des meubles en bois d'essences différentes. Un long escalier partait de l'entrée vers les étages. Eowyn enleva ses chaussures, Adrien en fit de même avant de la suivre dans la cuisine, d'où s'échappait une musique entraînante.

Au milieu d'une pièce envahie d'ustensiles en métal et d'aliments divers, une petite femme secouait ses boucles rousses au rythme des percussions, tout en mélangeant des ingrédients dans un saladier. Eowyn attira son attention en se plaçant dans son champ de vision.

— Hey oh ! Maman ?! Je suis rentrée !

— Bonjour ma chérie ! Je suis en train de faire un gâteau.

Eowyn fit la moue.

— Pas encore une recette expérimentale, j'espère…

— T'inquiète pas, je goûterai avant, comme ça tu n'auras pas l'excuse de l'empoisonnement pour rater ton contrôle d'histoire, lui répondit sa mère en riant.

Eowyn se détendit un peu, avant de présenter Adrien, que la femme ne semblait pas avoir remarqué.

— J'ai amené un ami avec moi. Il…

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà Adrien se trouvait étreint par la cuisinière en herbe.

— Je suis si heureuse de rencontrer un de ses amis. Eowyn ne ramène jamais personne ici…

— Peut-être parce que tu risques de leur faire peur dès la première rencontre… souleva sa fille, en secouant la tête.

— Je suis enchanté de vous connaître madame, dit le jeune homme en souriant timidement.

— Tu peux m'appeler Clémentine. Et toi, comment te nommes-tu ?

— Adrien.

— Comme c'est charmant ! Depuis quand connais-tu…

— Maman, on va dans ma chambre, fit Eowyn, interrompant le babillage exubérant de sa mère.

— Oh ! J'espérais que nous pourrions faire connaissance ! fit Clémentine, la mine déçue.

— Maman ! lui répondit sa fille, l'air excédée. Il est là pour bosser avec moi.

— Mais oui, mais oui, ma chérie… s'amusa sa mère en lui faisant un clin d'oeil. Ne « bossez » pas trop ensemble quand même…

— Maman !

Eowyn entraîna vivement son camarade dans les escaliers, puis jusqu'à sa chambre.

— Ta maman est très … expansive, remarqua Adrien

— Envahissante et embarrassante tu veux dire… soupira Eowyn.

— Au moins, elle semble ouverte d'esprit.

— Elle vit dans un monde parallèle au nôtre et ça n'a rien à voir avec la magie. Au moins, elle ne me trouve pas trop bizarre, elle, contrairement à nos camarades.

Ils s'étaient arrêtés devant un porte au fond du couloir à l'étage. La jeune femme ouvrit la porte et invita son ami à entrer. Adrien trouva que la chambre lui ressemblait. Contre un pan de mur rose pâle était positionné un grand lit recouvert de nombreux coussins vert et surmonté d'une longue moustiquaire blanche. Des étagères pleines à craquer de livres entreposés sur plusieurs rangées cachait la quasi-totalité d'un mur vert anis, tandis qu'un bureau en bois massif attirait l'œil au centre de la pièce. Voyant son regard intrigué, Eowyn lui précisa :

— Je l'utilise comme plan de travail pour la couture. Parfois j'ai besoin de tourner autour de mon projet, c'est plus aisé ainsi.

Adrien acquiesça et continua de détailler la chambre.

— Tu as beaucoup de pierres, de géodes…

— Oui, elles peuvent s'utiliser en magie et pour soigner.

— Vraiment ? fit Adrien, surpris.

— Tiens, tu vois cette pierre ?

Elle désigna un quartz rose.

— Elle permet de repousser un sortilège malveillant et même de purifier des objets ensorcelés.

— Et celle-là ? demanda Adrien en désignant un pierre grise aux reflets multicolores.

— C'est une labradorite. Elle permet de se protéger des sentiments négatifs. Je l'ai beaucoup utilisée face à Éris.

— Et ça marche bien ? Je veux dire, les pierres et la magie d'une manière générale ?

Elle soupira. Adrien prit dans sa main une petite pierre blanche nacrée. Eowyn reprit sans voir son manège.

— Tu sais, la magie ne fonctionne pas à tous les coups, surtout au début. Parfois, les résultats sont assez inattendus. Un jour, j'ai voulu comprendre pourquoi Éris me détestait et j'ai utilisé un sortilège pour décrypter ses pensées. Sauf que je l'ai mal formulé… Je me suis mise à entendre les pensées désagréables de TOUTES les femmes.

— J'aimerais bien être une femme deux ou trois jours pour enfin vous comprendre… lui dit Adrien en souriant

— Je ne suis pas sûre que quelques jours suffisent… fit Eowyn avant de glousser.

Soudain, elle poussa un petit cri et se précipita vers lui pour lui prendre la pierre blanche des mains.

— Oh non ! Dis-moi que tu viens à peine de la prendre.

— Euh, ça fait quelques minutes que je l'ai dans les mains. Pourquoi ? Elle est dangereuse ? lui répondit Adrien paniqué.

— Ça dépend de ce que tu souhaites… C'est une pierre de lune. Elle aide à réaliser les souhaits. Or, tu viens de faire un souhait bien particulier… fit Eowyn en grimaçant.

— Eh bien, ça n'a pas l'air d'avoir marché, dit Adrien, à nouveau détendu. Je suis toujours un homme, n'est-ce pas ?

— Ne plaisante pas avec ça ! rétorqua Eowyn, agacée. Si ça avait fonctionné, tu aurais fait comment, hein ?!

— Du calme ! Je ferai attention la prochaine fois. Ne t'enflamme pas ! plaisanta-t-il.

— Ha ! Ha !

Eowyn bouda un instant, puis se détendit à son tour. Elle l'enjoignit à ne plus toucher de pierre et ils s'assirent sur son lit.

— On va commencer par travailler la lévitation, commença la jeune femme. Donne-moi tes mains.

Adrien lui tendit, un peu nerveux. Elle le sentit et l'encouragea.

— Tout va bien se passer. On va juste faire voltiger ce crayon entre nous. Ferme tes yeux et concentre-toi sur ton but.

Le jeune homme s'exécuta. Il prit les mains d'Eowyn et une vague de chaleur se diffusa dans ses mains, puis son bras à mesure que son tatouage se dessinait sur sa peau. Il ferma les yeux, se concentra sur le crayon et sentit une énergie formidable grandir en lui, une magie plus puissante encore que lorsqu'il avait mis le feu involontairement au gymnase. Une force attirait cette énergie vers ses mains. Il ouvrit les yeux et ce qu'il vit le laissa bouche bée.

Le crayon lévitait entre eux deux… ainsi que tous les crayons de la chambre d'Eowyn… Elle aussi n'en revenait pas.

— C'est pas croyable ! Je n'ai quasiment rien fait. J'ai juste dirigé ton pouvoir vers tes paumes. Tu es très doué !

Il rougit, ce qui lui fit perdre sa concentration et tous les crayons retombèrent d'un coup avec fracas.

— Essayons à nouveau, cette fois-ci tu vas faire ça sans mon aide, proposa Eowyn.

Après deux tentatives infructueuses, la troisième se révéla payante. Elle lui proposa alors de tenter de la faire léviter, elle.

— Ça peut se révéler utile quand tu vois quelqu'un tomber d'une hauteur. Tu peux ralentir, voir stopper sa chute, expliqua Eowyn.

Adrien se concentra sur son pouvoir et le dirigea vers sa camarade. Lorsqu'il atteint la jeune femme, il se heurta à un autre pouvoir magique, puis tout alla très vite, une vague d'énergie revint tel un boomerang et les atteint tous les deux de plein fouet en même temps. Ils tombèrent à la renverse sur le lit.

— Qu'est-ce que… commença Eowyn avant de s'interrompre brutalement.

Adrien se redressa, interdit. Il avait entendu la voix de sa camarade dans sa tête avant qu'elle ne prononce le moindre mot. Il fut un instant perdu en constatant qu'il continuait de l'entendre alors que ses lèvres ne bougeaient pas…

––Que s'est-il passé ? Pourquoi son énergie a-t-elle ricoché ? disait-elle dans la tête d'Adrien.

C'était comme si elle partageait ses réflexions avec lui sans s'exprimer à voix haute.

— Pourquoi tu m'as caché que tu étais télépathe ? s'exclama-t-il en même temps qu'elle répondait à sa question.

––Je ne suis pas…

Elle le regarda avec ahurissement, puis il comprit. Ils pouvaient entendre les pensées l'un de l'autre.