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Parle!(Suite de « traumatisme »)

- Kristen, cet événement t'a traumatisée. Il peut arriver de perdre l'usage de la parole temporairement. Cela va revenir. Ne t'en fais pas. Ça va aller, prend ton temps. Quand tu seras prête, tu reparleras.

 

D'accord, mais quand ? Je ne peux pas rester comme ça.

 

Je hoche la tête. Ma mère n'a jamais été très tactile, pourtant, elle pose sur moi un regard bienveillant. Je lis tellement de tendresse dans son regard que c'en est presque choquant. Ma mère, une femme pourtant si logique, qui ne se base que sur des faits, qui peut paraître froide aux premiers abords, me dit « je t'aime » avec ses yeux. Ces mots doux, ces gestes tendres donnés sans concession par ma mère sont tellement rare que mon cœur se gonfle d'amour à la place de toute l'amertume qui s'était engouffrée dans celui-ci.

- Je sais que je ne vous le dis pas assez, que ce soit à toi, ton frère et même à ton père, mais je vous aime. Je t'aime Kristen.

Je pleure de joie parce qu'elle me dit qu'elle m'aime, de tristesse parce que je suis dépassée par tout ce qui m'est arrivé... Ma mère part retrouver mon père. Je les entends parler.

 

- Qu'est-ce qu'elle a ?

- Ce n'est rien. Cet événement... l'a traumatisé. Elle fait un blocage psychosomatique. C'est une façon qu'à son corps de réagir au traumatisme de son esprit. La voix de ma mère est professionnelle mais je sens qu'elle est tintée de peur.

- Ma petite fille...

- Il faut continuer à lui parler. Essayer de ne pas lui faire ressentir nos angoisses. Son corps réagira lorsqu'il sera prêt à le faire.

- Mais pourquoi a-t-elle reculé quand tu as tendu le bras vers elle ?

- Avec les coups qu'elle a reçu, bien qu'elle sache que je ne vais pas lui faire de mal, son cerveau a fait un blocage et il associe le toucher à la douleur.

- Ça va lui passer ?

- Elle reparlera quand elle sera prête mais la sensation de douleur peut être plus longue à dépasser...

- Mon enfant… sa voix est cassée. Je suis sûr qu'il retient ses larmes. Mon Dieu, faites que ma fille retrouve vite l'usage de la parole, qu'elle dépasse cette épouvantable épreuve.

- Joseph, ne t'en fais pas, elle va surmonter ça. Elle est forte. Tu lui as appris à surmonter toutes les épreuves que Dieu lui demanderait, elle surmontera celle-ci aussi. Elle est remplie de notre amour, et cela va lui donner la force de guérir. Fais lui confiance.

- Ce n'est pas d'elle que je doute, je doute de l'aide que nous pouvons lui apporter. Comment pouvons-nous la soutenir ?

- Restons naturel avec elle. Nous comporter comme d'habitude, continuer à lui donner de l'amour.

- Ça, nous pouvons le faire.

- Oui.

 

Je suis encore dans ma chambre, en train de pleurer. Je me lève et me remets devant le miroir.

 

Je dois parler ! Je sais parler, il faut juste que j'ouvre la bouche... Rien ne sort...

Je vais chercher un livre au salon. Peut-être que lire à voix haute me sera possible. Lorsque j'arrive dans la pièce. Ma mère me voit.

 

- Coucou, Kristen.

Mon père se lève en me voyant.

 

- Mon enfant, tu as besoin de quelque chose ?

 

Je hoche la tête et me dirige à la bibliothèque. Je choisi un livre. « Orgueils et préjugés. ». J'adore ce livre. Nous pouvons en déduire une morale intéressante « Que les premières impressions ne sont pas toujours les bonnes. Qu'il faut apprendre à connaître l'autre, à s'ouvrir à l'autre… »

Quand je me retourne mon père est là, à m'observer. Il s'avance vers moi, mais je ne sais pas pourquoi, je recule. Peur d'être blessée à nouveau, peur d'avoir mal.

 

- Je t'aime, Kristy.

- Je t'aime moi aussi, ma chérie. - Poursuit ma mère.

 

En réponse, je hoche la tête.

 

Il doit voir la peur dans mes yeux car il se rassoit sur le canapé et reprend la lecture de sa Bible.

 

Une fois dans ma chambre, je prends le livre. J'essaie de lire à voix haute mais je n'y arrive pas. Je jette le livre et me remet à pleurer. Mon père a entendu du bruit depuis le salon. Il entre dans ma chambre, sans même prendre le temps de frapper à ma porte. Ça ne lui est jamais arrivé !

 

- Kristy, mon enfant, ça va ?

 

Je pleure, encore et encore. Pourquoi je n'arrive pas à parler ? Mon père voit le livre au sol. Il le ramasse et le pose sur mon bureau.

 

- Ma fille, je voudrais utiliser mon don pour savoir ce qui te tourmente, mais je ne le ferais qu'à la condition que tu sois d'accord. Tu veux bien ?

 

Je réponds oui en secouant ma tête de haut en bas. Les yeux citrines de mon père se plongent dans mes yeux noirs puis redeviennent tout aussi noirs que les miens.

 

- Ne t'énerve pas, mon enfant, tu retrouveras l'usage de la parole bientôt. J'ai confiance en toi Kristy... Tu dois également te faire confiance et être patiente.

 

Après quelques secondes d'hésitation.

 

- Je peux te prendre dans mes bras ?

 

Non !

Je secoue la tête, c'est trop dur. J'ai trop mal et j'ai encore trop peur... Je me recroqueville sur mon lit. Le genou indemne sur ma poitrine.

 

- Ce n'est pas grave, Kristy. Je t'aime et quand tu seras prête, tu reviendras. Mes bras t'attendent. Ils t'attendront le temps qu'il faudra.

Une semaine est passée. Je ne suis pas retournée à l'école. Cela ne me manque pas plus que ça. J'aime être seule à la maison. Je me sens en sécurité dans mon monde, dans ma bulle. Je n'arrive toujours pas à parler ni à avoir des contacts physiques. Je n'ose même plus être dans la cuisine avec un membre de ma famille. L'espace est trop restreint et quand je n'y suis pas seul, j'ai la sensation qu'on peut me blesser en me frôlant.

Lorsque mes parents ont reçu les voisins il y a trois jours. Cela s'est très mal passé… avec moi surtout. Quand l'homme, un sage, s'est approché de moi, j'ai tellement reculé que j'ai renversé la table et cassée tout ce qui s'y trouvait dessus. Heureusement, nos voisins sages ne nous ont pas jugé, mais quand même. De honte, je me suis enfermée dans ma chambre et je n'ai pas mangé. Le lendemain, j'ai fait l'effort de sortir un peu. Mais je n'étais pas fier de moi et de mon manque de maîtrise.

Je viens de faire un cauchemar horrible : ses hommes, leurs mains sur moi... Je n'ai pas trouvé meilleur moyen de taire mes angoisses que celui de me réfugier dans le jardin, sur la balançoire. Je dois y être depuis un certain temps déjà.... Perdue dans mes pensées quand je sens mon père s'approcher de moi.

- Je peux te prendre dans mes bras, mon enfant ?

 

Oui, j'en ai besoin.

Ses bras solide, réconfortants, sécurisants me manquent. Je le prends dans mes bras. Soulagée d'y arriver enfin. L'odeur de mon père me fait du bien. J'ai cru ne jamais plus la sentir le soir où ma vie a basculé. J'aurais pu mourir mais je suis là, envie.

 

- Ta voix me manque, Kristy.

 

Parle !

 

Mon père est secoué par les sanglots, je m'écarte de ses bras, ayant cru rêver, mais non, mon père pleure vraiment.

 

- Je t'aime tant mon enfant. Je suis tellement désolé que tu es dû vivre cette épreuve, tellement désolé de ne pas pouvoir soulager ta peine. Je t'aime ma fille, profondément et j'aurais été anéanti de te perdre. Je ne peux pas vivre sans toi, tu es la lumière dans ma vie Kristen.

 

Je vois la tristesse dans les yeux de mon père. Et là, je m'entends parler.

 

- Papa - murmurais-je.

- Kristy - mon enfant.

- Papa.

- Tu reparles, c'est merveilleux mon enfant.

Papa.

 

Je répète ça, encore et encore. Là, surprise ! Mon père se met à pleurer de joie. Je le prends doucement dans mes bras. J'ai un peu peur, mais c'est mon père. Il ne me fera pas de mal. Je suis plus petite que lui mais je pose ma tête contre son cœur. J'adore son odeur. Je la trouve rassurante, apaisante. Il sent la forêt lui aussi, la pomme et le frais.

 

- Mon enfant, tu as une voix tellement belle.

- Merci, papa.

- Kristy, si tu savais comme je t'aime.

- Je t'aime moi aussi, papa.

- Kristy, je suis désolée de ce qui t'est arrivée, si j'avais su...

- Papa, ce n'est pas de ta faute.

- Non, mais je me sens responsable. Tu es ma fille, je suis censée te protéger, envers et contre tout.

- Rentrons papa.

- Bien, comme tu veux.

 

Mon père ouvre la porte brusquement pour nous faire rentrer à l'intérieur, directement dans le salon. Ma mère est installée en tailleur sur le canapé, en train de lire un livre de médecine sans doute. Elle se retourne dès qu'elle entend la porte.

 

- Il y a un problème ? - Demande ma mère, surprise par l'entrée fracassante de mon père.

- Mélanie, elle reparle.

- Kristen ?

 

Ma mère court me prendre dans ses bras. C'est si peu naturel chez elle les câlins que je me raidis.

 

- Maman

- Je suis tellement contente de t'entendre - Me dit ma mère.

- C'est merveilleux - commente mon père.

 

Elle me lâche. Je ne l'ai pas repoussé mais j'ai arrêté de respirer quand même.

Ma mère ne donne pas de « câlin » naturellement à part quand ils servent à apaiser une douleur. Mais mon père, étant un sage, la poussait à nous en faire pour nous féliciter, pour nous encourager.

 

- C'est super de t'entendre, Kristen.

 

Mon frère s'approche de moi, rapidement. Son pas feutré est si assuré qu'on le prendrait pour un prédateur chassant sa proie. Je ne sais pas pourquoi mais là, j'ai vraiment très peur. Peut-être parce que mes agresseurs ont son âge, le nôtre, je ne sais pas.

 

- Kristen, je ne te ferais pas de mal.

- Cyril, non. Je ne peux pas...

- Mais Kristen... Je suis toujours ton frère jumeau.

 

Sa voix est implorante et rassurante. Je sais pouvoir lui faire confiance. C'est vrai, c'est ma moitié. Je lui adresse un sourire et le prend timidement dans mes bras. Pourquoi j'ai eu peur de lui ? Cyril, mon frère, mon jumeau, ma moitié, mon double. Bref, c'est Cyril. Il ne m'a jamais fait de mal, ni lui, ni mes parents.

 

- Excuse-moi. J'ai été bête d'avoir peur.

Je n'aurais sans doute pas dû m'approcher aussi vite. C'est moi qui te demande pardon.

 

Je l'enlace. Mon frère est plus grand que moi lui aussi mais sur la pointe des pieds, j'arrive à atteindre le creux de son cou. Tout comme mon père, Cyril sent la nature, la forêt, la lessive. Je me demande si je sentirais à nouveau le parfum si rassurant de ce brave qui s'est interposé. J'aimerai le remercier.

J'ai le sentiment qu'il m'a sauvé la vie. Est-ce que c'est pour cela que son souvenir apparaît régulièrement au milieu de mes pensées ?

 

- Je t'aime Kristen.

- Moi aussi, Cyril.

 

Je sors de l'étreinte de mon frère. Je constate que mes parents me regardent avec une joie assumée. Cela me fait vraiment plaisir.

 

- Bon et si on mangeait maintenant, je meurs de faim – Déclarai-je.

 

Tout le monde rit. Je sais que cela les rassure. J'ai perdu l'appétit depuis cette agression et j'ai perdu du poids aussi mais ce n'est pas pour me déplaire.

 

- Allons-y - nous demande mon père.

- J'ai fait des lasagnes, spécialement pour toi Kristen - Dit ma mère.

- Tu adores ça, c'est parfait - Rétorque mon frère.

- Dieu savait qu'aujourd'hui c'était un grand jour, donc il a demandé à ta mère de te préparer ton plat préféré - Déclare mon père.

- Ce n'est pas Dieu, mais moi qui les ai faites, mon cœur, reprend ma mère.

- Oui mais Dieu t'as créé avec un talent bien particulier : « la maîtresse des lasagnes », chérie.

- Non, j'ai juste lu la recette.

 

Ils éclatent de rire. Leurs différences les amusent, les rapprochent et ne les séparent jamais. Ils adorent leurs petits combats de coqs, tout comme Cyril et moi. Mais bon, j'ai toujours aussi faim.

 

- Au lieu de chercher, qui a fait quoi, pour qui. Peut-être devrions-nous manger. Quand dites-vous ?

- C'est une bonne idée, mon enfant. Tout le monde à table.

- Super !

 

Nous nous installons tous autour de la table, à nos places habituelles. Ma mère sur la chaise qui fait dos à la cuisine, mon père à sa gauche, moi en face de la cuisine et mon frère à droite de ma mère.

 

- Tu sais, tu nous as vraiment manqué. Tu étais là, sans vraiment être là. Les cours sans toi, ce n'est vraiment pas pareil. Je n'ai pas l'habitude d'aller en cours sans toi, sans ton sourire, sans tes blagues, sans ta répartis.

- Les cours ne m'ont pas maqués tant que ça, à moi - m'esclaffais-je.

Nous partons tous les quatre dans un rire libérateur et joyeux. Je pense à tous ces jours que j'ai manqués. Je me demande combien de personne se sont inquiétés de mon absence. Certainement personne. Les enfants des « contre-nature », c'est à dire, mon frère et moi, ne fréquentent pas grand monde. Nous n'avons que peu d'amis car nos parents ne sont pas censés s'aimer.