La nuit commençait à peine à tomber, et pourtant, les rues ne désemplissaient pas. C'était toujours comme ça, dans les grandes villes, et c'était encore plus accentué dans les arrondissements grouillant de monde à toute heure de la journée comme Shinjuku.
Je marchais le long d'une grande avenue bordée de grands immeubles entièrement illuminés, des camionnettes et des taxis se pressant à proximité d'une des plus grandes gares du monde. Certains véhicules s'engouffraient dans un tunnel a proximité, sous les yeux de passants traversant la double voie grâce à une grande passerelle vitrée suspendue au-dessus de la circulation.
Diverses publicités agressaient mes yeux à mesure que j'avançais, sous forme d'affiches géantes ou d'écrans diffusant en boucle des publicités aux couleurs aguichantes. Les immeubles de taille moyenne, eux, s'étaient contentés de créer une mosaïque de panneaux dépareillés s'affrontant dans le peu d'espace disponible pour attirer l'œil du passant.
Des attroupements de personnes attendant de pouvoir traverser la route s'étaient formés au niveau des passages piétons ; rendant difficile l'accès à certaines portions du trottoir.
Je regrettais à présent d'avoir décidé de me rendre dans cette partie de la ville dès ma sortie du travail. Tout l'arrondissement était connu pour être d'autant plus vivant une fois la nuit tombée, notamment avec les différents quartiers dédiés aux loisirs le constituant. Alors pendant une veille week-end ? Les bars devaient déjà être pleins à craquer, tout comme les restaurants.
Toutefois, je n'étais pas là pour manger, ni même pour aller passer du temps dans une des nombreuses activités disponibles aux alentours. Téléphone à la main, je suivais scrupuleusement les indications que me donnait le GPS en mode piéton ; regardant à peine ce qui m'entourait.
Je traversais une des grandes avenues, et me retrouvais au pied d'un immeuble où chaque étage était dédié à une petite entreprise. C'était monnaie courante, qu'un immeuble soit divisé entre plusieurs propriétaires ou locataires. Parfois, même, les étages eux-mêmes étaient cloisonnés, chaque porte cachant une personne ou un service différent. Des vendeurs de photocopieurs et autre matériel de bureau pouvaient très bien côtoyer un salon de manucure, ou un type faisant dans la divination. Toutes sortes de prestataires, rassemblés sous un même toit.
Passant devant une supérette, je vis à l'intérieur des lycéens par encore rentrés chez eux en train de lire devant leur présentoir des magazines de mangas et de mode. À côté d'eux, un employé de bureau aux traits tirés s'était emparé d'un journal et lisait la page des petites annonces.
L'employée au comptoir passait machinalement le scanner à code-barres qu'elle avait en main sur les articles que les clients avaient déposés devant elle. Elle devait avoir à peu près mon âge, et la situation me fit repenser au jeune Sagawa, qui devait sûrement lui aussi travailler à cette heure-ci, après les cours.
Je me demandais d'ailleurs comment s'étaient déroulé la suite des événements, pour lui comme pour madame Munehara. Ça ne m'intéressais pas plus spécialement que ça, mais disons que j'étais un peu curieux.
Me faufilant dans une petite ruelle où plusieurs restaurants étaient installés avec un comptoir directement ouvert sur l'extérieur et au-dessus desquels des lampions jaunes étaient suspendus, je me surpris à avoir un peu faim. J'avais probablement sous-estimé mon estomac, qui commençait à s'agiter à chaque odeur différente croisant mon chemin. Toutefois, je n'avais pas le temps de m'arrêter, ou plutôt, pas l'envie. J'étais plus intéressé par le fait de revoir la détective, et pour cela, je devais trouver son agence.
Encore quelques minutes plus tard, je me retrouvais devant un vieil immeuble de six étages à l'écart des rues principales. Au rez-de-chaussée, se trouvait un restaurant de quartier avec des prix relativement abordables et déjà occupé par de nombreuses personnes ; et au premier étage, une agence publicitaire.
Le troisième étage était plongé dans le noir, mais un panneau dépassant de l'angle du bâtiment indiquait la présence d'un cabinet médical. Le quatrième étage était allumé mais n'avait aucune indication visible depuis l'extérieur, et le cinquième étage était marqué comme disponible à la location. Quant au sixième étage, un logo d'extincteur rouge sur une des fenêtres me fit comprendre qu'il s'agissait d'une société d'entretien des systèmes anti-incendie.
Je fronçais les sourcils. Est-ce que j'étais vraiment au bon endroit ?
Regardant à nouveau l'écran de mon smartphone, je vis que j'étais pile à l'adresse indiquée par le GPS. Il n'y avait pas d'erreur possible.
M'approchant du hall d'entrée ouvert et de la cage d'escaliers dont la peinture s'était effritée par endroits, je lus les indications sur les boîtes aux lettres et les plaques en plastique présentant les différentes entreprises occupant le bâtiment. Encore une fois, je pus découvrir les mêmes informations que sur la façade. Ce qui, en un sens, me donna un indice suffisamment important.
Il n'y avait pas de plaque pour le quatrième étage, alors que la lumière y était pourtant allumée. Ce qui voulait dire que quelqu'un occupait bien l'espace en question, sans pour autant souhaiter être repéré. Il était donc fort probable que le bureau de la détective privée s'y trouvait.
Je rangeais mon téléphone dans ma poche de veste, et avec mon sac de travail suspendu dans le dos, je montais à mon rythme – assez lentement pour ne pas être essoufflé, mais assez vite pour atteindre rapidement ma destination - et bientôt, me retrouvais dans un petit couloir sombre muni d'un seul éclairage de sécurité et menant à deux portes. L'une d'elle, vert foncé et située tout au bout du couloir, menant à l'escalier de secours ; et l'autre de couleur bleu ciel et en plein milieu, menant à la zone occupée de l'étage.
Cette dernière comportait un judas en son centre, et des prospectus dépassaient d'une seconde boîte aux lettres placée dans le mur à côté. Il n'y avait aucune décoration, ni plante pour égayer l'endroit qui semblait à l'abandon.
Déjà que le bâtiment semblait vétuste – il avait dix, peut-être vingt ans d'ancienneté – le manque de lumière ne devait pas inciter le passant à s'y arrêter.
Je levais la tête, et vis juste au-dessus de la porte une sorte d'enseigne lumineuse restée éteinte. L'éclairage indiquant l'issue de secours la plus proche me permis de discerner les caractères la parcourant.
'Agence de détectives'.
J'avais bien trouvé ma destination, malgré le peu d'indications. Toutefois, même si j'avais été impatient d'arriver et de revoir la détective, ma main s'arrêta à quelques centimètres de la porte. Au lieu de frapper à la porte, je m'étais figé sur place, incertain.
La lumière était allumée, donc elle devait forcément être là. Mais qu'allait-elle penser, en me voyant débarquer tard le soir à son bureau ? Est-ce qu'elle m'attendait encore, au moins ?
Non. C'était déjà un peu trop tard pour s'inquiéter de cela.
Je me mis à taper trois fois sur la porte pour signaler ma présence, et j'entendis quelqu'un remuer à l'intérieur.
Et l'instant d'après, la porte s'ouvrit sur une détective pieds nus aux cheveux rapidement attachés en une queue de cheval, un t-shirt noir un peu trop grand pour elle glissant légèrement de ses épaules, ainsi que ce qui semblait être un pantalon de pyjama à rayures bleues et blanches.
En me voyant se tenir devant elle, elle ouvrit et referma rapidement la bouche tout en haussant les sourcils.
« Oh… t'es pas le livreur de pizza... » Dit-elle avec une pointe de déception dans la voix.
Ce fameux moment où t'es relax chez toi, tu t'en fiche de ce à quoi tu ressemble... Et quelqu'un arrive à l'improviste sans que t'aies le temps de te changer.