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Les Limbes

Chron émergea de son coma dans un gémissement. Son corps tout entier irradiait de douleur. Elle tenta de bouger son bras, mais il retomba sur le sol tant elle était faible.

« Un sol? » fit-t-elle, étonnée, d'une voix rauque.

Elle sentait une surface dans son dos, pour la première fois depuis des mois, elle n'était pas en chute libre. Elle ouvrit péniblement ses yeux. Tout était noir. Elle tourna sa tête de coté pour voir le sol qui lui avait tant manqué et souffla presque imperceptiblement :

« Plus jamais, plus jamais je ne te quitterai... »

La surface était aussi noire que le reste de son environnement, mais Chron discerna son reflet, comme si le sol avait été un miroir dans une salle parfaitement éclairée. Pourtant, elle était elle-même plongée dans une obscurité totale.

Chron essaya de rouler sur le coté pour se relever mais hurla de douleur lorsqu'elle se retrouva à supporter tout son poids sur son épaule meurtrie.

Elle retomba sur le sol, et laissa échapper un juron quand son dos ravagé rentra brutalement en contact avec le sol.

« Ces conneries n'en finiront jamais... »

Trop fatiguée pour continuer, elle laissa ses lourdes paupières se fermer et sombra à nouveau dans le sommeil.

Lorsqu'elle ouvrit à nouveau les yeux, la souffrance aiguë qui l'avait torturée s'était muée en une douleur sourde. Aussi revigorée que son état le lui permettait, elle roula sur le coté. Cette fois la sensation était supportable et elle pu continuer l'opération, se hissant en tremblant sur ses deux jambes.

Une fois debout, elle observa à nouveau son environnement. Elle était toujours entourée de ténèbres épaisses. C'était la première fois qu'elle faisait face à une obscurité totale. Même le Vide, par quelque mystérieux procédé naturel, était toujours assez éclairé pour pouvoir voir à quelques centaines de mètres. Mais ici, elle ne pouvait même pas apercevoir le bout de son nez. Elle tendit l'oreille, essayant de repérer un quelconque bruit mais seule sa respiration se faisait entendre.

Chron baissa son regard sur le sol et vit son reflet. Elle se voyait, parfaitement éclairée, comme si elle était l'ombre du reflet. Elle sentit son cœur se libérer d'un poids et laissa échapper un un cri de victoire.

« Les Limbes, je suis dans les Limbes ! J'ai passé ce putain de Vide! »

Elle serra ses poings et commença à lever ses bras, mais se ravisa quand les plaies qui couvraient ses épaules menacèrent de se rouvrir.

« Je devrais peut-être éviter de me tuer à la porte de l'Au-Delà... »

Elle se tourna de façon à voir son dos dans son reflet au sol puis grimaça.

Il était couvert de plaies, certaines peut-être même assez profondes pour être considérées comme fatales, jugea-t-elle.

« J'ai dû sortir du Vide de justesse, et une fois dans les Limbes… On ne peut pas vraiment mourir lorsque l'on est pas vivant je suppose? »

Elle tenta de hausser les épaules, mais elle tressailli quand la douleur la rappela à l'ordre.

« Il faut trouver la sortie maintenant. L'instructeur avait parlé d'une porte, ou d'un portail ? Quelque part dans le noir? »

Elle avança de quelques pas avant d'être assaillie par un vertige.

« Foutredieu, j'ai épuisé mon mana? »

Sa main gauche commença à tâter sa ceinture, ou plutôt ce qu'il en restait, avant de s'arrêter lorsqu'elle sentit sa besace. Elle l'ouvrit et y plongea ses griffes.

« Un, deux, trois, quatre? Seulement quatre éclats ? » Elle fit un rapide calcul mental « Il ne m'en reste que pour un peu plus de deux mois ?! » s'écria-t-elle

Elle s'empara de l'un d'entre eux, referma la besace, et posa la pierre dans la paume de sa main droite. Elle referma ses griffes dessus et serra le cristal jusqu'à le briser. Elle sentit alors le flot d'énergie la pénétrer et un poids quitter ses épaules.

Prête, elle commença à marcher droit devant elle, plissant les yeux pour essayer d'apercevoir une quelconque structure dans l'océan de ténèbres.

Elle marcha.

Elle marcha..

Elle marcha...

La fatigue s'accumulait lentement, mais elle continua à marcher.

Après ce qui lui sembla comme une journée, elle décida de s'arrêter et s'allongea au sol en silence. Elle ferma les yeux et s'abandonna à un sommeil profond, sans rêves.

Après quelques heures, elle se réveilla, elle se mit debout, et poursuivit sa marche silencieuse et solitaire.

Elle marcha, elle marcha longuement, elle marcha jusqu'à l'épuisement, puis se coucha, dormit pour, à son réveil commencer un nouveau cycle de marche.

Puis un autre.

Puis un autre..

Puis un autre…

Au bout de ce qui semblait être le dixième cycle, le vertige revint. Elle tira un nouvel éclat de sa bourse et le consuma. Ce cycle laissa sa place à un nouveau.

Puis un autre.

Puis un autre..

Puis un autre…

Le vertige fit son retour. Elle plongea sa main dans la besace, retira un cristal et le brisa pour en absorbe le mana. Elle se laissa tomber au sol et regarda son reflet.

Elle semblait épuisée, vieillie, la peau sillonnée de rides. Si elle avait eu des cheveux, ils seraient peut-être désormais blancs.

« J'ai passé trop de temps dans les Limbes... » Elle ferma ses yeux et s'abandonna au sommeil. A son réveil, elle se mit debout et regarda son reflet. Sa peau parcheminée, pendouillait en certains endroits, d'énormes cernes entouraient ses yeux, elle semblait n'avoir que la peau sur les os.

Chron porta sa main gauche au visage, mais lorsque ses griffes en effleurèrent la surface, elle pouvait toujours sentir la peau ferme. Elle toucha ensuite son bras droit, ses muscles saillants étaient toujours présents. Elle poussa un soupir de soulagement.

« C'est que mon âme, tant que je fous le camp d'ici, ça s'arrangera... »

Elle commença sa marche, accélérant le pas.

Un nouveau cycle passa…

Puis un autre…

Puis un autre…

Puis un autre…

Au début d'un nouveau cycle, le vertige revint. Elle tira de sa besace son dernier cristal. Elle contempla la pierre pendant quelques secondes au travers de son reflet, puis le replaça dans la sacoche.

« Je dois rationner ce qu'il me reste… Je peux bien m'en passer un jour ou deux ? »

Elle commença à marcher. Elle marcha jusqu'à l'épuisement puis, terrassée par le vertige, s'écroula au sol. Le sommeil l'emporta à la seconde ou sa tête entra en contact avec le sol.

A son réveil, Chron se redressa difficilement. Elle tituba sur quelques pas puis poussa un soupir résigné puis tira le dernier éclat de sa sacoche pour le briser.

Elle sentit la familière énergie circuler dans ses veines, chassant le vertige. Puis elle jeta un regard circulaire, embrassant l'océan de ténèbres. Son cœur se serra.

« Foutredieu… Je vais y rester… Je vais crever ici ! je vais crever...comme ça ?! »

Elle sentit la panique monter. Elle s'élança et couru, elle couru aussi vite que le lui permettait son corps encore convalescent.

Elle couru.

Elle couru..

Elle couru...

Elle continua de courir alors ses poumons commencèrent à brûler.

Elle ne ralentit pas alors que ses jambes devinrent douloureuses.

Elle ne s'arrêtât pas alors même que ses genoux semblaient sur le point d'exploser.

Elle couru.

Elle couru..

Elle couru... jusqu'à ce que ses jambes cédèrent sous son propre poids.

Elle s'écrasa face contre le sol, la respiration sifflante. Son cœur battait à tout rompre et ses poumons semblaient en feu. Ses jambes refusaient de bouger, comme déconnectées de son corps, et pourtant Chron pouvait sentir la douleur qui en émanait.

S'aidant de ses coudes, elle se retourna, se couchant sur le dos.

Elle poussa un hurlement. Puis un second. Elle s'apprêtait à en pousser un troisième quand elle fut prise de sanglots. Toute la frustration accumulée pendant tous ces cycles surgissait.

« C'est une blague, tout ça n'est qu'une foutue blague, allez tous vous faire foutre, qui que vous soyez, allez vous faire foutre ! » parvint-elle à articuler avant de se laisser libre court à la pression.

Ses pleurs retentirent dans l'infinie étendue pendant un long moment avant que finalement le silence ne la regagne. Chron avait fini par sombrer dans le sommeil.