30 Le bon temps

Sulk fit semblant de dormir alors que les mineurs se levaient travailler, pour ensuite avoir la salle à lui tout seul.

Il commença par changer son pansement comme Arch lui avait indiqué, comme tous les jours.

La blessure était depuis longtemps refermée, et seul après une inspection minutieuse on pouvait voir au dessus de son sourcil une cicatrice discrète.

Elle se faufilait depuis son sourcil jusqu'à ses cheveux tirés en arrière, semblable à une fissure dans de la roche.

Sulk ne la voyait pas, mais son esprit ressentait avec perfection chaque centimètre carré de son corps, et Sulk aurait été capable de dessiner avec précision chaque parcelle de sa peau sans utiliser de miroir.

Bien qu'il n'y eut personne dans la pièce à part Arega endormie, et bien que ses sens lui aient dit que personne n'était à proximité, Sulk refit le pansement rapidement.

Mieux valait être trop prudent que pas assez.

Quiconque verrait qu'il était parfaitement guéri seulement quelques jours après la blessure saurait que quelque chose était étrange avec lui.

Sulk regarda sa mère dormir pendant plusieurs secondes.

La respiration régulière et lente le rassurait. La couleur était entièrement revenue sur ses joues et elle dormait paisiblement, le visage parfois troublé par un rêve qui lui faisait froncer légèrement les sourcils.

Sulk l'embrassa délicatement et rajusta sa couverture de peau avant de quitter la pièce.

Arega avait dormi pendant presque deux jours complets, et Sulk se serait inquiété s'il ne l'avait pas senti se lever en pleine nuit et revenir propre.

Les yeux fermés en méditation, il paraissait dormir profondément quand il l'avait senti manger la nourriture qu'il avait mis à son chevet.

Il avait même perçu son sourire lorsqu'elle avait trouvé la brioche offerte par Lingi.

Les jours suivants passèrent avec une vitesse incroyable dans l'esprit de Sulk.

Le matin il profitait de la salle basse vide pour faire de l'exercice.

Il faisait une série d'étirements, puis des exercices pour chacun de ses muscles.

Chaque jour il lui semblait constater que sa musculature se développait à vu d'œil.

Couplé au fait que chaque jour il pouvait faire plus d'effort avant d'être épuisé, cela renforçait son impression de progrès.

Pendant plus de deux heures chaque matin il s'entraînait ainsi, poussé par l'idée d'améliorer son physique.

Yahzin lui avait dit qu'il fallait que son corps soit fort pour pouvoir développer la magie de la Foudre Éternelle.

Dès que ses muscles semblaient avoir atteint leur limite, sa volonté le poussait à tenir encore quelques secondes ou répétitions de plus.

Sulk passait ensuite le reste de la matinée à méditer, ce qui reposait ses muscles.

Après deux heures d'effort intensif, il ne lui fallait que deux heures pour que son corps soit reposé, sans courbatures, comme s'il s'était écoulé une nuit complète de sommeil.

Venait ensuite l'heure du repas, ou Sulk se joignait à Kahn.

Ce dernier gardait toujours sur lui le set d'écriture que Arch lui avait laissé, et profitait du repas pour s'exercer avec Sulk, et pour essayer de lui parler.

Il arrivait enfin à formuler des questions complètes, auxquelles Sulk répondait à l'oral.

Maintenant que Kahn pouvait s'exprimer presque naturellement, Sulk découvrit que sous les cheveux longs et le visage sec de son ami, Kahn avait un sens de l'humour plutôt développé.

Cela avait surpris Sulk la première fois, car avec la vie que son ami avait semblé passé, et qu'il lui décrivait par écrit parfois, jamais Sulk n'aurait pu s'imaginer que Kahn fut actuellement quelqu'un de drôle et de positif.

Bien que le repas ne soit court, entre ce moment et les sessions nocturnes d'écriture, Kahn avait décrit du mieux qu'il pouvait à Sulk, qui lui posait toujours plus de questions.

Les deux garçons semblaient épanouis, et pour Kahn cela contrebalançait la vie de mineur et les aller-retours avec des sacs de roche sur le dos.

Il lui semblait avoir maintenant une raison de vivre dans la mine, et contrairement à son arrivée tragique dans les profondeurs, il arrivait même à profiter de ces moments joyeux.

Ils étaient parfois rejoints par Lingi lorsqu'elle avait fini son travail de rishya.

Elle semblait aussi enjouée à l'idée d'apprendre à écrire à Kahn en échange d'information sur la surface.

Dans l'esprit des trois jeunes, un rêve semblait se mettre en place.

Kahn rêvait de retourner à la surface, et Sulk et Lingi rêvaient de voir un jour ce monde qui leur semblait irréel par manque d'imagination.

Lorsque l'heure de reprendre le travail après manger fut venue, Kahn et Lingi laissaient Sulk pour retourner à leurs postes.

Sulk en profitait alors pour aller voir Arch, qui semblait avoir libéré tous ses après midis pour enseigner l'art de la médecine à Sulk.

Il lui expliqua un jour comment il avait convaincu un chef-contremaître de le laisser faire.

Il l'avait persuadé qu'avoir un nouveau médecin pouvait se montrer utile, et qu'en plus pendant la durée de la convalescence de Sulk, puisqu'il ne pouvait pas travailler, autant qu'il utilise ce temps pour s'améliorer.

Le discours de Arch semblait avoir du sens, aussi le vieux vanir avait obtenu du temps pour transmettre ses connaissances à Sulk.

Sulk progressait à une vitesse qui impressionnait grandement Arch.

S'il avait sû que Sulk faisait exprès de faire parfois quelques erreurs dans la reconnaissance des plantes, pour cacher sa mémoire phénoménale, le vieil homme aurait surement fait une crise cardiaque.

Le nez de Sulk principalement, semblait prodigieux.

Les yeux fermés Sulk était capable de reconnaître chaque produit que Arch lui avait présenté une seule fois.

Sa connaissance des plantes, onguents, poudres et encens était toujours grandissante, et bientôt il semblait à Arch qu'il n'aurait plus rien à lui présenter.

"C'était la dernière plante dans mon atelier. Je ne suis pas sûr de connaitre d'autres objets avec des propriétés soignantes. Mais ton travail ne s'arrête pas la bien entendu.

- Qu'est-ce qu'il reste à apprendre, Arch ?

- Déjà tu vas devoir apprendre à différencier le Lila-de-Feu et l'Eone-Prunier. Tu les confonds toujours on dirait.

- ... "

Sulk savait exactement quelle était la différence entre la fleur à cinq pétales et celle avec les tâches jaunes, mais ne put que sourire intérieurement en s'excusant silencieusement auprès du vanir dupé.

"Ensuite je te montrerai le plus important du travail de médecin. Savoir quelles plantes ont quel effet sur quelqu'un est bien, mais il faut avant tout ... ?

- Euh... savoir ce que la personne a ?

- Savoir ce que la personne a, exactement. Tu es pas mon apprenti pour rien ahahaha."

Sulk était content d'apprendre auprès de Arch, et Arch semblait plus qu'heureux de partager son savoir avec la génération future.

L'apprentissage de la médecine prenait tout l'après-midi de Sulk, qui rentrait au moment du repas avec le flux des mineurs épuisés.

Après le repas, la journée de Sulk se terminait par l'enseignement de l'écriture et la lecture à Kahn.

Lingi semblait rester de plus en plus longtemps avec eux le soir, et parfois son rire cristallin et aigu perçait le silence de la salle à manger, après quoi les garçons lui faisaient signe de se taire, de peur de réveiller les mineurs dans la salle mitoyenne.

Cela faisait généralement rire Lingi de plus belle, qui avait hérité du rire sonore de la mère, finalement jointe par Kahn et Sulk qui ne pouvaient pas se retenir.

Un jour les trois amis rigolèrent presque jusqu'au matin lorsque Kahn leur écrit un mot d'une main rapide.

"Heureusement que je n'ai pas de langue, Lingi fait assez de bruit pour deux."

Son sens de l'humour parfois noir faisait beaucoup rire ses amis, et son autodérision leur faisait du bien à tous les trois.

La nuit Sulk parlait avec Yahzin, qui lui disait parfois qu'il était sur la bonne voie, et que bientôt Sulk serait assez puissant pour supporter les deux consciences éveillées en même temps dans le même corps.

Sulk avait hâte d'avoir la présence de Yahzin, qu'il considérait comme mentor et ami, constamment avec lui.

avataravatar
Next chapter