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Le Chronarque et le mendiant

Sur le vaisseau qui venait d'arriver sur l'autre face, les jeunes saints quittaient peu à peu le pont pour se rendre dans les salles communes et les dortoirs. 

« C'était incroyable ! »

« Oui ! j'ai beau y assister chaque année, c'est toujours aussi magique à mes yeux ! »

« N'est-ce pas ! »

Les étudiants riaient et se chamaillaient entre eux, ne pouvant calmer leur excitation suite à l'évènement de la matinée. L'entière du Galion était très animée. Jusque dans les étages les plus bas du vaisseau, on pouvait entendre des groupes d'élèves, faire la fête et s'amuser. Puisqu'ils ne s'étaient pas vus depuis novembre de l'an dernier, Chacun avait quelque chose à raconter et partager avec ses amis. Les couloirs résonnaient d'éclats de rire, d'échanges animés et de récits fantastiques de leurs expériences.

Mars, qui était lui aussi allé assister au passage du portail, retournait maintenant au dortoir, suivit de trois étudiant de cinquième année. L'un d'eux se vantait ouvertement de ce qu'il avait fait pendant les vacances, encouragé par les deux autres.

« Eh, tais-toi un peu, tu veux ? »

Les trois cinquième années se turent.

En entrant dans la chambre, Mars vis Emile allongé à même le sol en plein milieu de la pièce.

« C'est quoi ce bordel ? »

***

« Veilleur des réalités primordiales »

« Suprême gardien des Méandres temporelles »

« Vénérable souverain des arcanes du destin »

« L'éminence du temps et des dimensions infinies, Athanor »

Norval mit un genou à terre devant l'autel, avant de venir coller deux de ses doigts, l'index et le majeur, contre son front, paume tournée vers l'extérieur.

« Que ma volonté soit faite en ces lieux qui sont les tiens »

« Mon humble personne requiert à ce seigneur la permission de retourner d'où il vient »

Les murs se mirent à trembler violemment, au point que Norval en perdit ses appuis et qu'il ne finisse par s'écrouler sur le sol.

"Qu'est-ce que tu as fait ?" Hurla l'autre homme coincé dans cette dimension. "Ces mots… n'était-ce pas le titre honorifique du Chronarque ?"

Une divinité aussi mystérieuse que le Chronarque céleste ne possédait aucun fidèles. Ainsi, personne ne connaissait son titre honorifique. Pourtant, Norval venait de le réciter avec facilité. Difficile de ne pas attiser la curiosité en faisant preuve d'une telle démonstration de connaissance depuis longtemps disparus. Cependant, les connaissances de Norval ne semblaient pas être la seule anomalie. En effet, Comment cette personne aurait pu savoir que ce qu'il venait d'entendre était le titre honorifique du chronarque s'il ne le connaissait pas lui-même ?

Déconcerté, Norval se releva lentement, les yeux rivés sur les flammes dansantes des bougies de l'autel.

"C'est bien cela. Mais comment l'as-tu reconnu ?"

— "Je pensais que nous étions d'accord sur le fait de ne pas chercher à connaître nos identités respectives" Répondit l'inconnu sur un ton sarcastique. "Et tu n'as pas répondu à ma question. Qu'as-tu fait pour provoquer un tel chaos ?"

Agacé, Norval leva les yeux au ciel et laissa plana le silence un moment avant de lui répondre.

"Si, et je dis bien si nous nous trouvons toujours dans la conscience collective, alors certains indices me laissent à penser que le propriétaire de ce lieu, est le Chronarque céleste."

"Le Chronarque… Tu veux dire que nous sommes dans l'une de ses zones d'influences ?"

Sa voix sonnait bien moins sereine qu'il y a encore un instant.

"Je n'en suis pas certain mais c'est ce que me laisse croire l'architecture de la cathédrale."

— "Tu n'en ai pas certain ? Et qu'est-ce qui te permet encore de croire que ta théorie est fausse ? La cathédrale ne s'est-elle pas mise à trembler une fois que tu as récité le titre honorifique de ce… dieu ?"

— "Si c'était lui… j'aurais du recevoir une réponse"

— "Ne pas posséder d'enveloppe physique t'as-t-il rendu aveugle ? Ou peut-être la niaiserie est-elle simplement innée chez toi ?"

Ce type… ne peut-il pas cesser de s'en arret me lancer des piques ?

L'inconnu avait dit ça, car la réponse de cette divinité lui semblait évidente. Mais l'impitoyable silence qu'il reçut en guise de réponse, lui fit réaliser qu'il n'avait peut-être pas assez d'informations pour se permettre de contredire celui qu'il ne voyait pas.

"Toi… tu me cache quelque chose, pas vrai ? Qu'est-ce qui t'a permis d'en arriver à une telle déduction ? Qu'est-ce que tu sais que je ne sache pas !"

— "Tu l'a dit toi même, nous n'avons pas à dévoiler nos identité"

— "Ne me fait pas croire que ce que tu cache me permettra si facilement de découvrir ce que tu es."

A la suite d'un profond soupir, Norval déplaça son regard sur le Chœur de la Cathédrale, à l'arrière de l'autel. Là siégeait majestueusement une haute statue de marbre, à l'effigie de la figure divine pour laquelle ce remarquable édifice avait été bâti. Son visage, taillé avec une précision presque ineffable, irradiait d'une beauté intemporelle. Ses traits délicats, semblaient refléter la perfection sculptée par les mains de dieu.

Ses yeux, d'une froideur éthérée, fixaient l'horizon avec une intensité déconcertante, dévoilant une profondeur insaisissable. Bien que la courbe de ses lèvres exprimait une félicité éternelle, le regard du jeune homme demeurait distant, mystérieux, comme si, derrière ce sourire enchanteur, résidait une profonde réserve, une distance insondable qui défiait toute tentative de pénétrer son mystère.

La prestance de la statue ne pouvait être ignorée. Chaque centimètre de sa grandeur imposait le respect, évoquant la confiance tranquille d'un être sûr de lui-même. Son charisme s'affirmait dans chaque courbe, chaque pli minutieusement ciselé de sa silhouette élancée. Sa posture, empreinte d'une grâce infinie, conférait à l'ensemble une aura de grandeur indéniable. 

"Je connais cette déité." Avoua Norval.

— "Si cet espace n'appartient pas au Chronarque, alors pourrait-il en être le propriétaire ?"

— "Non, c'est impossible"

L'inconnu se mit à rire.

— "C'est fou comme tu es toujours si sûr de toi. Pourquoi ne pas prononcer son titre honorifique pour vérifier ?"

Ne pouvant s'empêcher de soupirer à nouveau, Norval se frotta violemment les tempes. Cette action était au-dessus de ses moyens. Il ne pouvait pas se résigner à accomplir cette prière. S'il y avait une quelconque chance d'éviter d'avoir à formuler ce titre, alors il l'a saisirait !

"Ne me dit pas pas que ne le connaît pas ?"

— "Je le connais," répliqua Norval.

— "Alors qu'est-ce que tu attends ? Tu était bien plus enthousiaste lorsqu'il s'agissait du Chronarque."

Bon sang…

Norval prit une profonde inspiration, puis s'avança jusqu'à l'autel, fixant la divine représentation du dieu, dans les yeux. Le silence plana un moment dans l'immense cathédrale, avant qu'il ne prenne la parole.

"Éternel souverain des cieux tourmenté"

"Régents des vents et des ouragans"

"Révélateur des secret célestes"

"La majesté du ciel, Orion"

Cette fois, il ne posa pas genou à terre.

"Cette humble personne requiert la permission de retourner d'où il vient"

Cependant, rien ne se produisit.

"Pourquoi ce titre honorifique ressemble-t-il autant à celui de–"

L'inconnu fut interrompu par une petite fenêtre rouge qui était apparue devant ses yeux. La même chose était apparue devant Norval. Cela semblait tellement improbable, qu'aucun des deux hommes ne prononça un mot pour y réagir.

Sur la fenêtre virtuelle apparut devant eux, une phrase y était affichée en romain, un langage universel, fréquemment utilisé dans le mysticisme.

[ Vous avez été convié dans la zone d'influence onirique du Souverain des Arcanes du Destin ]

[ Souhaitez-vous passer au point de vue interne ? ]

Le Souverain des Arcanes du Destin ? Alors le Chronarque est bien le propriétaire de ce lieu après tout…

Norval resta observée cette fenêtre virtuelle un bon moment, avant de voir une silhouette se dessiner devant lui.

"Oh, alors c'est comme ça que ça marche ?"

C'était un jeune homme d'apparence convenable. De longs cheveux rouges lui tombaient sur les épaules, et ses yeux d'une prononciation cruelle lui donnaient un air vicieux. Cependant, sa tenue contrastait fortement avec son apparence. Il était habillé de plusieurs couches de vêtements usés et déchirés, le genre de vieilles loques que pourrait porter un mendiant.

Alors qu'il le jaugeait, Norval leva un sourcil, déconcerté par cette étrange tenue. Cependant il ne s'y attarda pas plus que ça.

C'est donc ce que cette phrase voulait dire en parlant de passer à un point de vue interne…

"Qu'est-ce que tu attends ?" Demanda l'homme aux cheveux rouge, le regard dans le vide. "Tu dois sélectionner 'oui' si tu veux pouvoir manifester un corps et passer au point de vue interne du rêve."

'Si je veux pouvoir manifester un corps'… j'en déduis que je peux choisir l'aspect. C'est vrai, après tout, le Chronarque n'est pas assez fourbe pour nous obliger à révéler nos véritables apparences.

Norval sélectionna l'option 'oui', et comme s'il avait reçu l'autorisation de l'administrateur, il sentit qu'il avait maintenant un peu plus de contrôle sur ce monde onirique. Cela ne se restreignait qu'au pouvoir de passer du point vue externe au point de vue interne et inversement, ainsi qu'au contrôle de son apparence, mais c'était déjà pas mal quand on savait que ce rêve appartenait un véritable dieu.

***

"L'astral est de moins en moins sûr en ce moment"

— "Cette endroit à toujours été dangereux, ce n'est pas nouveaux"

— "Je veux bien l'admettre, mais ce genre d'incident ne se produisaient pas aussi souvent il y a vingt ans, c'est un fait !"

— "Je le sais tout autant que vous. Les créatures de l'au-delà s'agitent de plus en plus depuis ces dernières années."

— "Quelques années de plus, et nous ne pourrons même plus emprunter les routes les plus sûres de l'astral."

— "Ne dites pas ça… La situation n'est pas immuable. Avec un peu de chance, les choses pourraient se calmer."

En ouvrant les yeux, Norval vis un plafond qu'il ne reconnaissait pas. Alors qu'il commençait tout juste à réaliser ce qu'il venait de se passer, il perçut des voix parler en fond. Elles devaient provenir de la pièce d'à côté. 

"Eh docteur ! il s'est réveillé !" Hurla une voix familière, à ses côtés.

Des pas précités résonnèrent dans la pièce, puis le visage d'une femme apparu devant lui. Elle l'aveugla avec une lampe torche, probablement afin d'examiner la réaction de ses pupilles à la lumière, puis elle l'aida à se relever. Apparement il se trouvait dans l'infirmerie du vaisseau. Mars était également présent. C'est lui qui avait appellé cette femme quand il c'était réveillé.

"Que se passe-t-il ?" demanda-t-il aux trois personnes réunis dans la pièce.

La troisième personne était un vieil homme en uniforme de navigateur positionné derrière la doctoresse. Norval se rappelait l'avoir vu la veille au côté du capitaine. Celui-ci le regardait d'un air étrange. Norval n'en connaissait pas la raison, mais cette attitude avait pour effet de l'agacer. La doctoresse prit une grande inspiration avant de prendre la parole. 

"Mon garçon, ce jeune homme là bas t'a retrouvé évanoui dans le dortoir et a tout de suite envoyé quelqu'un me prévenir. On m'a dit que c'était la première fois que tu te rendais à l'académie. Je devine que c'est aussi la première fois que tu voyages sur l'autre face, n'est-ce pas ?

Bien sûr que non. 

— "Oui…."

— "Hm, je m'en doutais… Et te souviens-tu des consignes données par le capitaine avant que nous ne traversions le portail ?"

— "Je crois me rappeler qu'il a prévenu de faire attention à ce que nous pourrions voir dans nos rêves ?"

— "Donc tu t'en souviens. Dans ce cas, je vais te demander de ne me dire que la stricte vérité. Est-ce que tu te rappelles de quelque chose en particulier qui se serait passé avant que tu ne t'évanouisse ?"

Qu'est-ce que… J'ai sérieusement le droit à un interrogatoire là ?

— "Non, rien en particulier"

Son regard se déplaça sur le navigateur, qui était toujours en train de le dévisager. Mars, qu'en a lui, ne semblait pas intéressé par ces questions, et était en train de s'amuser avec des outils médicaux sur le côté.

— "Tu as dû t'en douter, mais ton évanouissement soudain est une anomalie qui n'aurait pas dû se produire. Nous pensons que c'est dû à notre entrée dans l'astral. Lorsque tu étais évanoui, tu as fait un rêve n'est-ce pas ? Est-ce que tu te souviens de quelque chose en particulier qui s'y serait produit ?

Norval se mit à feindre un sourire embarrassé. Il donnait l'air d'être mal à l'aise d'avoir dérangé autant de personnes.

— "À vrai dire je ne me souviens pas d'avoir rêvé. Êtes vous sûr que mon évanouissement soit anormal ? Je n'ai pas bien dormi ces derniers temps. Peut-être pourrais-ce en être la cause ?"

Laissez moi juste tranquille…

— "Vraiment ? Tu n'essaie pas de me mentir, n'est-ce pas ?"

— "Je n'oserais pas, madame."

— "Hm, dans ce cas… tu as peut-être raison. T'a perte de connaissance n'est pas forcément une anomalie liée à l'astral. Mais fait quand même attention. Si tu remarques quoi que ce soit d'anormal dans les prochains jours, rapporte le moi immédiatement. Ce genre de chose n'est pas à prendre à la légère. Cette face du monde regorge de nombreux secrets inexplorés, dont la majorité sont des dangers auxquels il ne faut absolument pas se frotter. Tu comprends ?"

Norval lui rendit un sourire, qui donnait l'impression d'être l'émanation même de l'innocence.

— "Bien sûr, je vous promets de vous le faire savoir si quelque chose ne va pas."

La doctoresse eut l'air d'y croire, mais le navigateur derrière elle ne semblait pas totalement convaincu. Finalement ils le laissèrent partir, tout en lui conseillant de se reposer et de faire en sorte d'avoir des nuits de sommeil complète à partir de maintenant. 

Sur le chemin du retour au dortoir, Mars semblait inhabituellement pensif.

"Pourquoi as-tu mentit ?" 

— "Qu'est-ce qui te fais dire ça ?"

Mars s'arrêta et le fixa droit dans les yeux.

— "Ça fait plusieurs jours que nous voyageons ensemble, et je suis certain que tu n'as pas le moindre problème de sommeil. Je l'aurais remarqué si c'était le cas."

— "C'est vrai, je dors très bien la nuit."

— "Alors ce rêve… tu l'as fait ?"

Norval lui révéla une expression étrangement prétentieuse.

— "Puisque je me suis réveillé, alors le problème est déjà réglé, tu ne crois pas ?"

Mars écarquilla les yeux, avant de lâcher un rictus, incrédule.