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Premières heures chez les braves

J'arrive dans l'enceinte de la cour des braves. Celle-ci est plus grande que je ne le pensais. Elle n'est composée que de terre, tout comme nos chemins. Elle est entourée de deux bâtiments et de deux murs. De l'autre côté de l'un se trouve l'océan, si j'en crois les bruits de l'extérieur. L'endroit est encore plus beau que tout ce que j'avais pu imaginer. Le premier bâtiment est plus impressionnant depuis la cours des braves. Il est composé de quatre étages à en juger par le nombre de fenêtres disposées à la verticale. Le second bâtiment quant à lui est de six étages ; des restes de l'époque de mon grand-père. Ceux sont simplement des chambres avec salle de bains pour chaque brave diplômé souhaitant s'installer ici.

- En rang contre le mur, ordonne une voix.

Nous nous exécutons. Nous nous plaçons tous contre le mur que l'homme nous a indiqué. C'est à ce moment-là que je m'aperçois que nous ne nous sommes qu'une trentaine d'apprentis.

Seulement ?! Je sais que dans la classe de la connaissance ils sont sept, dans la classe de la culture quinze, dans celle de la sagesse vingt et un, dans celle de la création dix-sept. Le compte est donc bon.

Nous étions quatre-vingt-dix à recevoir notre don cette année. C'est ce que ma mère – qui sait tout – m'a dit. Bien sûr c'est toujours ça !

C'est bizarre… Normalement, il y a plus de quarante braves, deux ou trois connaisseurs. Les culturistes sont toujours moins de dix, les créateurs plus de vingt et moins de dix sages.

Nous avons trois professeurs. Les trois doivent avoir une vingtaine d'années, je pense.

- Bonjour, je m'appelle Léo, je vous enseignerai la façon dont on se bat à mains nues.

- Moi c'est Arthur, je vais vous enseigner la stratégie de combat.

Ils sont peut-être doués dans leurs catégories mais niveau parlote et grand discours il faudra repasser.

Léo est noir, grand, très musclé, trop... Il n'a même pas de cou. Il est chauve, les yeux noirs. Arthur, lui est tout l'inverse. Il est petit, très blanc, maigrichon, brun avec des yeux noirs et il porte des lunettes.

Comme je disais leur seul point commun hormis d'être brave, doit-être celui de ne pas faire la conversation devant une tasse de thé. J'en reste sans voix lorsque le troisième se présente. James est... beau, musclé... Sa voix est grave et sérieuse. Je l'ai déjà vu quelque pars. Mais où ?

- Moi c'est James. Je vous enseignerai à vous servir d'armes blanches et des armes à feu. Je vais aussi et surtout vous apprendre à gérer vos peurs, à les surmonter pour qu'elles ne soient plus jamais un handicap ou une faiblesse mais au contraire une force. La formation dure jusqu'aux examens qui ont lieu fin août.

James est... Parfait ! Il est à peine plus grand que moi. Ses muscles sont taillés et mis en évidence par son tee-shirt noir moulant, mais contrairement à son collègue, lui, il a un cou. Il a les yeux verts, un vert comme deux émeraudes, magnifiques, le nez droit, les cheveux courts cuivrés ; la coupe militaire mais en plus long... Je reconnais sa voix.

C'était lui, sur le toit. Il est encore plus beau que dans mon souvenir... Je ne m'étais pas trompée, il a l'air beaucoup plus jeune rasé. Enfin, si c'est bien lui...

Je suis tiré de ma rêverie lorsque quelqu'un me parle.

- Si je te dérange, Kristen, tu peux aller boire un café. Me dit sèchement James.

Pas si parfait en définitive le type... Crétin ! Et puis comment il connaît mon prénom ? Je ne l'ai pas encore donné. La messe est dites, je vais être son punching-ball jusqu'à la fin des cours à celui-là... En plus, je déteste le café.

Mal à l'aise, je baisse ma tête.

- Pardon, monsieur, murmurai-je.

- Bien. Allons visiter les bâtiments. Reprend-il.

De l'entrée, qui se trouve entre les deux bâtiments nous pouvons apercevoir le couloir qui est immense. J'ai la sensation qu'il n'y a plus que des petites pièces. Il est lumineux, rempli de miroir. D'où je me trouve, au niveau de la porte d'entrée, nous avons accès à la salle des souvenirs qui est à notre droite, aux toilettes, hommes, puis femmes à notre gauche. Tout en face, à l'opposé, se trouve le réfectoire. Je le vois grâce aux baies vitrées qui servent d'entrée pour celui-ci. Juste avant l'accès au réfectoire, il y a l'escalier.

Au premier étage, on arrive sur un palier avec deux portes. Il y a les deux salles de combats. La porte entrebâillée me permet de jeter un coup d'œil à la pièce. Elle est assez grande avec un tatami au centre et des sacs sur tout le tour. Je pense que les deux salles doivent être identiques. D'où je suis, l'odeur est assez forte. Cela sent le cuir et aussi la peinture ; comme si la pièce venait d'être repeinte en blanc.

Au second étage, un stand de tir, pour le maniement des armes. Au troisième étage se trouve le bureau des braves. Il est aussi impressionnant qu'ennuyeux. Des bureaux, des écrans et une table au centre, pour « étudier les plans d'attaque » je suppose. Les braves qui ne vont pas sur le terrain se réunissent chaque jour. À ce qu'on dit, dans les bureaux, il y a tellement d'écran connectés aux caméras qu'ils n'ont pas besoin de faire chauffer la pièce. Nous avons des caméras dans toute l'île, en cas de problèmes les braves de bureaux préviennent ceux du terrain afin qu'ils interviennent.

Au quatrième étage, il y a, ce qu'ils appellent « la salle des braves ». Une salle où se déroulent toutes les réunions des chefs de l'île. Comme le réfectoire, il n'y a pas de mur, seulement des vitres partout avec une table. Elle est grande, en bois clair et une quinzaine de chaise l'entoure. Les plans de l'île sont accrochés sur un tableau au mur.

- Maintenant que les présentations sont faites, on va manger. J'ai les crocs. En plus, c'est lasagnes aujourd'hui. C'est James qui nous l'annonce avant de s'éclipser.

Les crocs ? Je ne connaissais pas cette expression. Il va falloir que je me mette à jour. Je sais déjà que je ne parle pas la même langue que beaucoup de mes camarades. Je n'ai jamais été très sociable. Enfin, les gens n'ont jamais trop aimés me parler. Enfin... Tout ça n'a pas d'importance... C'est lasagnes aujourd'hui et j'adore ça, même si je doute qu'elles soient aussi bonne que celle de ma mère ou les miennes.

Avec mes camarades braves, nous suivons nos professeurs pour accéder à la cafétéria. Ce n'est pas très compliqué. La cafétéria est au rez-de-chaussée, au bout du couloir, à l'opposé de l'entrée.

- Bonjour à tous, je m'appelle Hector, voici Coralie, Gustave, Yvan et Penny. Nous sommes les cinq chefs braves.

Dans chaque secteur, normalement, il n'y a que deux chefs dans les autres sections mais pour une raison inconnue, chez les braves, ils sont cinq.

Nous n'interviendrons pas dans votre formation, ni dans vos notes, vos professeurs sont là pour ça, mais une fois que vous aurez vos diplômes, si vous les obtenez bien sûr, sachez que nous serons vos supérieurs et que vos professeurs ne seront plus que des collègues, des soldats au même titre que vous.

Hector ressemble étrangement à James, comme une doublure mais en plus âgée. Peut-être sont-ils frères ? Père-fils ? Cousins ? Je ne sais pas. Apparemment, Coralie et Gustave sortent ensemble, si j'en crois le baiser qu'ils se sont échangés. Je trouve ça déplacé, s'exposer autant. Une relation intime n'est-elle pas censée le rester ? Intime!

Coralie est blonde, les yeux bleus, Gustave lui est immense, brun les yeux marrons. Yvan est plus petit, plus maigre, brun, les yeux marrons et Penny est grande, rousse, les cheveux courts, les yeux marrons. Elle ressemble à un garçon.

Je vous souhaite un très bon appétit, surtout aux apprentis. Vous verrez qu'ici, la bouffe est moins dégueulasse qu'à l'école, continue Hector en ricanant.

Tout le monde se met à rire.

Pour ce premier jour, je n'ai pas d'ami, pas de connaissance, pas même un copain d'un copain, ni l'enfant d'un copain de mes parents... Rien ! et c'est sans doute pour ça que personne ne me laisse une place à une table.

Le réfectoire n'est fait que de vitres avec d'immense néon au plafond. C'est le mode d'éclairage de l'ensemble des bâtiments d'ailleurs. Le réfectoire est différent du reste de l'école mais l'organisation reste la même. Il y a beaucoup de tables et de chaises avec un buffet au fond de la salle. Ça sent les lasagnes, mais surtout c'est d'un calme impressionnant. Je pensais que cela serait bruyant, voire assourdissant mais non. Même à table les soldats restent des soldats, calment et sous contrôle.

- C'est pris, me dit une élève en posant sa main sur la table à l'endroit où je voulais poser mon plateau.

Je fais un demi-tour et part vers une autre table.

- Cette place est prise, désolée, me dit une autre en rentrant la chaise pour m'empêcher de m'asseoir.

C'est ça oui ! Je suis fille de parents contre-nature, je ne suis pas stupide. J'en ai assez que les gens me juge sans savoir. Ils ne me connaissent pas, mais se permettent ce genre de chose. Mon père et ma mère mon enseignés à ne jamais repousser les autres. Nous sommes tous égaux. Mon frère aussi a toujours été rejeté pour la même raison. La seule chose qu'ils peuvent nous reprocher c'est d'avoir des parents qui s'aiment au-delà des préjugés.

Je décide de me mettre dans un coin, toute seule, à l'abri des regards et surtout... loin de ses personnes limités dans leur jugement. Et dire que je vais devoir faire équipe avec eux.

« Mieux vaut être seule que mal accompagnée ». C'est un dicton parfait pour la situation.

Je prends place et contemple mon plateau : salade, lasagne, une pomme et un fromage blanc.

Je me suis un peu trop servie. Je ne pense pas pouvoir manger tout ça. Et moi qui déteste gaspiller... C'est du propre tiens ! À moins bien sûr que j'apporte le reste à...

Je suis tirée de mes pensées car quelqu'un tire la chaise en face de moi. Les yeux émeraudes m'indiquent de qui il s'agit. James !

- Bonjour, me dit-il.

- Monsieur. Je chuchote mais j'ai du mal à faire mieux.

Baisse la tête et mange. Surtout ne parle pas ! Je me répète : Tais-toi… tais-toi…tais-toi…

Lorsque nous ne sommes pas sur un entraînement, c'est James.

Je préfère m'en tenir à « monsieur », si cela ne vous gênes pas.

Ma définition du « tais-toi» est surprenante. Unique dirais-je même ! Pourquoi James se trouve ici ? A ma table je veux dire.

- Tu ne me tutoie plus, comme sur le toit ?

Oh, c'était donc bien lui, sur le toit ! Je m'en doutais mais bon...

- La situation a changée. Je vais donc m'en tenir au vouvoiement de rigueur.

Il hausse les épaules.

- C'est comme tu veux, dit-il presque à lui-même.

Au bout de quelques secondes à me fixer en silence, il finit enfin par s'occuper de son assiette. Je fais de même mais j'ai du mal à avaler et me sens super mal à l'aise.

- J'adore les lasagnes, c'est mon plat préféré, me dit-il.

- Moi aussi, mais celles de ma mère sont meilleures que celles-ci et les miennes meilleures que celles de ma mère. Dis-je d'un seul d'un trait…

Oups !

- Tu ne te vanterais pas un peu ? Se moque-t-il le sourire aux lèvres.

Zut, c'est l'image que je renvoi ? J'ai l'air d'être une vantarde ? Non mais franchement ! En même temps, qu'est-ce qui m'a pris de dire ça ?

Incapable d'affronter ses yeux qui me fixent, je baisse les miens. Je me passionne pour mon assiette. J'arrive à articuler timidement :

- Non, ce n'est pas mon genre.

- Je m'en doute. J'espère qu'un jour j'aurais la chance de goûter à tes lasagnes dans ce cas. Ainsi je pourrai en juger par moi-même.

Je veux bien t'en faire, tous les jours. Après tout, avant de conquérir le cœur d'un homme, il faut lui remplir l'estomac... Mais à quoi je pense bon sang !!! Même dans ma tête je sors des inepties plus grandes que l'île. C'est vrai que je ne supporterai pas qu'il me touche, mais je me contenterai de le regarder. Cela m'irait !

- Ton père est un sage et ta mère une connaisseuse, c'est ça ?

Virage à 180° pour lui comme pour moi.

- Oui.

- C'est contre nature, tu le sais sans doute.

Il me regarde droit dans les yeux, comme pour y chercher une réponse.

Non mais je rêve ! C'est pour ça qu'il est ici ? Pour me rappeler pourquoi les autres me rejettent. S'il s'est assis là parce que je suis l'attraction du jour il est encore plus tordu que les autres. Qu'il parte prendre le thé ou le café avec ses potes et qu'il me fiche la paix.

La vision des trois braves en train de tricoter et de se raconter leurs petites vies de combats me traverse l'esprit et je ne peux retenir un petit rire.

- Ma question te fait rire ? Me demande-t-il surpris.

- Oui un peu.

- Pourquoi ?

- Parce que vous êtes comme tout le monde - Je m'applique à détacher chaque syllabe et à planter mon regard dans le sien.

La colère me donne du courage.

Il sait que ce n'est pas un compliment et c'est tant mieux, parce que ce n'en ai pas un.

- Pardon ?

Il plisse les yeux et je sens qu'il réfléchit s'il doit se mettre en colère ou attendre la suite. Je me mets à scruter son beau visage, m'armant de courage, je réponds.

- Rien n'est contre nature quand deux humains s'aiment, c'est une chose naturelle, non ? - Mon ton est carrément sarcastique, mes dents sont serrées, la colère monte.

- Vu sous cette angle je suppose, mais avec leur don opposé...

- Les dons ne définissent pas les personnes, ils mettent juste l'accent sur le trait dominant de leur caractère - Je me calme un peu. Il a l'air sincèrement intéressé par mon point de vue.

- C'est très recherché... Comme théorie.

- Pas du tout. Mes parents s'aiment pour leurs différences. C'est une chose admirable et non l'inverse.

- Admirable, pourquoi ?

- Je trouve que c'est très facile d'aimer quelqu'un qui a le même don et qui a donc le même fond que vous.

- Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

- Aucune divergence d'opinion : l'un parle, l'autre est d'accord. Alors que lorsque mon père donne son avis, ma mère en tient compte et donne le sien. Mon père écoute attentivement. Ils essaient et arrivent à trouver des compromis sans que cela entache leur entente au quotidien. Quand deux personnes opposées s'aiment, ils savent que rien ai acquis mais luttent pour entretenir l'harmonie par le respect et l'évolution de leurs opinions voir de leur personnalité. Ceux qui se ressemblent restent figer dans leurs certitudes. Ils n'ont pas de nouveaux regards sur les choses et donc n'ont pas à se remettre en question. Il est si facile de rester ensemble dans ce cas. Par amour ou pas…

- Donc pour toi, c'est parce qu'ils se ressemblent qu'ils s'aiment et rien d'autres. S'ils s'aiment vraiment en fait ?!

- Oui ils s'aiment. Qui n'est pas amoureux de son image ?

À part moi. Je fais la grimace peu convaincu par ma dernière phrase.

Il ricane, comme s'il avait entendu ce que je venais de penser. À moins que ce soit ce que je lui ai dis qu'il le fasse rire. Bien que je ne vois pas ce qu'il y a de marrant là-dedans.

- Un point pour toi...

Encore une fois, nous nous taisons, le temps de manger. Puis il reprend.

- Tu penses rester toujours aussi proche de ton père ? C'est un sage !

- J'aimais mon père avant le don. Celui-ci ne change ni ma façon d'être ni ma façon de voir les choses. Si un jour je tombe amoureuse, peu importe le don de cet homme, j'espère que je l'aimerais pour lui.

- Moi, je pense que nous ne devons pas nous mélanger. Les braves avec les braves, les sages avec les sages etc…

- Mes parents se sont aimés avant leur don. Heureusement qu'ils ont eu le courage d'assumer la situation lorsqu'elle a changé. Le résultat est merveilleux, leur amour l'est.

- Pour toi cela va être différent. Aujourd'hui tu as ton don, donc il est logique que tu tombes amoureuse d'un brave.

- Je trouve que votre raisonnement est vraiment restrictif. En fait si je réfléchis bien il manque un don sur notre île. Le don « des idiots ». Et de nature beaucoup en seraient pourvus - Je reprends mon ton sarcastique.

- Ah bon ? Un exemple à me donner peut être ? Un prénom ?

Il plisse les yeux.

Il ne me mettrait pas au défi ? S'il croit que je vais me taire face aux inepties qu'il balance.

- Vous par exemple et l'ensemble de vos idées - Dis-je de mon air le plus merdeux.

Cette fois James éclate de rire, si fort que tout le monde regarde par ici. Je suis soudain mal à l'aise. Cette manière ostentatoire de rire a coupé l'effet de colère. J'ai chaud et ma respiration est saccadée.

Lorsque James redevient sérieux, je sens que les braves reprennent leurs repas, en nous oubliant.

- Tu m'as l'air d'être une emmerdeuse de premier choix. Cette année va être intéressante – il sourit.

- Oui je suppose.

J'ai perdu de ma superbe. En plus Lorsque James sourit, une magnifique fossette se dessine sur sa joue. J'ai du mal à détacher mon regard et encore plus à finir mon assiette.

- Quand est-ce que tu as reçu ton don ?

- Il y a dix jours à peu près, et vous ?

Nous nous regardons. Il a l'air surpris par ma question.

Pourquoi ? Suis-je trop indiscrète ?

- Pardon, je n'aurai pas du vous poser cette question, c'était sûrement trop indiscret –

Je m'excuse alors qu'il y a 2 minutes je le traitais d'idiot et cela le faisait rire ?!

- Il y a vingt mois à peu près. Cela m'a fait bizarre mais je n'ai pas été surpris en voyant que j'avais reçu le don de bravoure et toi, ça t'as fait quoi ?

- Moi j'étais plutôt surprise de voir mes yeux passer du noir au bleu. Je ne suis pas du matin alors en voyant ça j'ai hurlé. J'ai flippé d'avoir reçu le don de bravoure. C'est assez ironique non ?!.

Je ricane à ce souvenir, James rit aussi.

- Moi, ils sont passés du vert au bleu donc ce n'était pas si terrible. Et tu as quel âge exactement ?

Tiens, un autre virage à 180°. À croire qu'il les collectionnent !

- Pourquoi cette question ?

- Tu parles comme si tu étais de la génération précédente.

Vu le ton, ce n'est pas un compliment.

- Ma mère m'a toujours dit que la sagesse de mon père m'avait fait vieillir trop tôt - je souris en y pensant.

- C'est une théorie intéressante... Donc ton âge ?

- J'aurais dix-huit ans dans deux mois... Environ.

Un silence pesant s'installe.

- Tu ne me demande pas mon âge ? - le ton de James manque pour la première fois d'assurance, c'est comme s'il était... Timide ?

Non mais franchement, je rêve, Lui, Timide ? Moi je le suis, je manque de confiance en moi mais lui, sûrement pas.

- Vous voulez que je vous pose la question ?

- Oui si cela t'intéresse.

Ça m'intéresse mais les raisons ne sont pas très bibliques, ce qui est vraiment super gênant.

Je me sens rougir, ce qui ne m'aide pas. Il faut que je me reprenne afin de garder une voix et un teint contrôlés.

- Si vous pensez que ce renseignement est important alors, je veux bien le connaître.

Il rigole et c'est plutôt moqueur. A ce moment je remarque que ses yeux sont encore plus clairs quand il est enjoué. Je le regarde en souriant.

J'apprécierais sans nul doute « James le jeune homme ». Il a un sourire totalement craquant avec sa fossette... Par contre le professeur ? Il m'a paru plutôt sévère. Et puis les armes ce n'est pas vraiment dans mes principes. Et la gestion de mes peurs… Il y en a une que je ne pourrai jamais maîtriser. Mais ce n'est pas grave. Personne n'a besoin de savoir. Personne ne sait. Pourtant je vais devenir une brave. Cela va vraiment être compliqué.

- Je vais faire vingt ans bientôt. Je serais majeur dans trois mois - Me dit-il fièrement.

Je souris. Je ne sais pas pourquoi on accorde autant d'importance aux anniversaires, à l'âge, ce genre de chose...

- Qu'est-ce qu'il y a ? Reprend-il.

- Rien.

Je continue de sourire, sans pouvoir m'en empêcher. Je baisse la tête et continue à manger mes lasagnes... froides.

- Dis-moi, pourquoi tu souris ?

- Ça n'a pas d'importance.

- Et si cela en avait pour moi ?

Il arrête oui ! C'est super gênant cette situation. Je déteste me faire remarquer, je déteste qu'on m'accorde de l'intérêt et je déteste quand on me force à répondre à une question.

Je secoue la tête, pour lui faire comprendre que je ne veux vraiment pas répondre, mais son regard émeraude est insistant. Je sens qu'il ne lâchera pas l'affaire.

Je dois changer de sujet et vite, parce que cela me met mal à l'aise, parce que j'ai envie de lui répondre, d'être sincère, sauf que lorsque je lui dirais ma réponse, il va me trouver super bizarre et j'ai plutôt envie qu'il est un regard bien veillant sur moi. Mais à quoi bon mentir ?

- On ne fête jamais les anniversaires chez moi. Une naissance est logique mais la fêter tous les ans ne l'est pas.

- Je trouve que certaines naissances doivent être fêtées. Tout comme la vie.

- Nous fêtons la vie en l'honorant et en la respectant...

- C'est une façon de voir les choses. Et ce sourire cela voulait dire quoi ?

OK, je me lance !

- Ne le prenez pas mal mais... Vous aurez juste un jour de plus que la veille, c'est tout.

À son tour, il me fait un sourire en coin.

Oh, bang sang ! Je ne suis pas censé jurer, par respect pour mon père mais là... C'est trop... À tomber... De l'air ! De l'air ! Son sourire en coin est éblouissant. Le regarder me va très bien. C'est la première fois que je prends autant de plaisir à détailler le visage d'un jeune de mon âge. Il faut dire qu'il est vraiment très beau. Et il est de l'autre côté de la table ce qui me va très bien, et c'est mon professeur donc aucun quiproquo ; que le plaisir de regarder un beau visage.

- Fascinante ! - dit-il dans un murmure, comme s'il se parlait à lui-même.

Là, la conversation devient bizarre. Je suis plutôt timide quand on me complimente. A moins que ce ne sois pas pour moi ou que ce n'était pas un compliment. Une diversion serait la bienvenue...

- Pourquoi vous êtes ici, à parler avec moi ?

- Personne ne mérite d'être seul, surtout dans un lieu inconnu.

En fait c'est de la pitié. Je préférai me dire qu'il m'avait trouvé un air intelligent ou un truc comme ça.

Cela me met vraiment très mal à l'aise et je sens de la colère, je suis vexée.

- Je n'ai pas besoin de votre pitié, monsieur, dis-je d'un ton très raide.

- Il n'est pas question de pitié mais de principe.

- Je ne comprends pas. Ce que vous dites n'a absolument aucun sens.

- On ne laisse pas un soldat en retrait.

Il le dit bien assez fort pour que tous les élèves entendent. Je rougis parce que je déteste me faire remarquer et lui, il fait tout pour que l'on me remarque.

En fait je ne suis qu'un prétexte de leçon. C'est comme ça qu'il donne des leçons ? En trouvant une occasion de donner un cours militaire ? Je me sens humiliée.

Il me regarde, pensif, très concentré. J'ai le sentiment d'être un livre que l'on vient d'ouvrir.

Pourquoi il cherche à me mettre mal à l'aise ?

Son attention ne me lâche pas. Ses yeux ont changé. Son regard est déterminé. Comme s'il voulait aller au bout de quelque chose. À ce moment-là… je ne suis plus en colère mais sur le qui-vive.

- Tu es prête à affronter tes peurs ? – me lâche-t-il.

- Non, oui… j'apprendrai – Il me prend de cours. Une peur restera au fond de moi !

- Bien. Il faudra gérer toutes tes peurs. Même les pires. Tu ne pourras pas y échapper au cours de la formation.

- D'accord, je l'ignorais – dis-je d'une voix blanche.

- Quelles sont tes peurs, Kristen ?

- Le vide, les serpents, l'immensité de l'océan et tout ce qui peut y avoir dedans, c'est trop... Incertains.

- C'est tout ?

Il me regarde sans sourire et ses yeux toujours plantés dans les miens.

Non. Mais la dernière de mes peurs tu n'as pas besoin de la savoir.

- Oui. C'est déjà beaucoup - mentis-je avec une voix très peu convaincante à mon avis.

- Ne me mens pas s'il te plaît Kristen. Plus tu reculeras l'échéance et moins je pourrai t'aider. Fais-moi confiance.

Je sens la panique monter en moi.

Mais qu'est-ce qu'il lui prend ? Il ne peut pas savoir ce qu'il m'est arrivé donc je n'ai cas continuer à mentir et en m'en tenir là. Je ne veux pas en parler, je ne veux pas me souvenir. Je veux oublier !!!

- Je ne mens pas – J'ai du mal à parler - J'ai peur des requins. Un jour j'en ai vu un petit alors que je nageais sous l'eau. J'ai eu très peur.

Ma voix tire de plus en plus sur les aigus. J'ai le cœur au bord des lèvres. Donner le change… il faut que je donne le change.

- OK. C'est très intéressant Kristen – il est carrément sarcastique - Mais je sens qu'il y a autre chose. Je me trompe ? Sa voix est plus douce, son débit est lent, son regard est presque tendre.

- Il y a une peur que je...

Il me fait quoi là ? Il me teste ?

J'ai un sentiment de colère qui monte.

Qu'est-ce que je lui dis ? Franchement, en quoi cela le regarde ? Rien que d'en parler, je me sens mal. Il faut que personne ne sache. Il faut que je me protège.

Je finis de manger très vite. Le regard de James est devenu tellement noirs que je peux y lire de la colère, de la frustration mais mon intuition me dis que ce n'est pas tourné contre moi. Je n'y comprends rien mais je sais qu'il faut que je parte de là car je me sens vraiment mal.

- Et sinon, vos peurs à vous ? – Je m'applique à sourire.

- Je les affronte chaque jour. Elles sont moins effrayantes aujourd'hui. Une peur est une maladie que l'on soigne grâce au courage... Mais ne change pas de sujet. « Il y a une peur que je... » que je quoi Kristen ?

Je voudrais me cacher dans un trou encore plus petit que celui d'une souris. Je ne veux pas en parler, je ne peux pas. Je veux que personne ne sache. Je croyais qu'il avait compris. C'est le premier jour, les premières heures. Il ne peut pas me lâcher non !!

Ma salade et mes lasagnes terminées, je prends ma pomme pour la mettre dans la poche de ma veste. On verra ça plus tard. Je ne le regarde plus. Je n'en ai plus la force.

- Merci d'avoir mangé avec moi, monsieur – je me suis levée.

- Kristen, tu n'as pas répondu à ma question. Assis-toi s'il te plaît. Il n'y a aucun problème mais je pense qu'il serait bien que tu répondes à ma question – Le ton est doux et conciliant.

Il articule comme si il y avait une chance que je ne comprenne pas ce qu'il dit.

- Non j'ai fini de manger. Et puis je préférerai que vous deviniez... Tout bien réfléchis, je préférerai garder ça pour moi... Mieux encore... Laissez tombée.

Je relève la tête et le regarde avec, à mon avis, de la haine dans les yeux.

- Il faudra en parler Kristen. Que tu le veuilles ou non il faudra…

- En attendant, je file. Excusez-moi, monsieur.

Je m'enfuis carrément de la table. Je sens que James s'est levé. Je me précipite hors de la cafétéria.

Un endroit pour me cacher, pour reprendre mes esprits, faire le vide dans ma tête. Je sens mes angoisses, des images, des odeurs envahir mon esprit. Il faut que j'arrive à enterrer tout ça au plus profond de moi.

Je vois à ma droite, dans le grand couloir, la porte des toilettes des femmes.

Bingo !

Je rentre dans les toilettes, je vais pour m'enfermer mais James plaque la porte de telle sorte que je ne peux plus ouvrir… Ni sortir car son corps fait obstacle. Je suis prise de panique, je sombre presque.