Le téléphone sonna deux à trois fois, mais madame Munehara n'osa pas se lever pour aller répondre. Elle se contenta de fixer du regard l'appareil comme un cerf surpris en plein milieu d'une route par les phares d'une voiture.
Puis, la sonnerie se tut, plongeant la pièce dans le silence.
Les épaules de la cliente se relâchèrent, ce qui me fit me rendre compte qu'elle avait été pétrifiée de peur durant ces quelques secondes.
Le moindre appel semblait la terrifier.
« Vous allez bien ? » S'enquit la détective.
La cliente hocha de la tête. Elle avait recouvré son calme, bien qu'elle fut encore effrayée par le moindre petit bruit. Elle lança également quelques regards à la fois au téléphone, et à la fenêtre, tout en ramassant la tasse qu'elle avait fait tomber au sol.
Pour ma part, n'ayant rien à faire, j'observais tout autour de moi.
Le logement était composé d'une pièce principale et d'une salle de bain, avec d'un côté la porte d'entrée, et de l'autre, une double fenêtre coulissante donnant sur la cour par laquelle nous étions arrivés. Des voilages gris étaient tirés devant, laissant passer la lumière mourant en fin de journée sur les façades des bâtiments aux alentours ; mais empêchant les regards indiscrets de percevoir qui ou quoi se trouvait à l'intérieur.
Quelques petites plantes en pot étaient posées juste devant, et juste à côté, une pile de magazines empaquetés avec de la corde. Sûrement pour les mettre au recyclage. Mais je reconnaissais la couverture du numéro tout en haut de la pile comme étant un magazine sorti il y a déjà plusieurs semaines de cela.
Je n'avais pas l'habitude d'en lire, mais je voyais souvent ceux que le Chef Chiba achetait traîner en salle de pause. D'où la rapidité avec laquelle j'avais reconnu le numéro en question.
« Vous ne sortez pas les poubelles ? » Demandais-je.
La détective me lança à nouveau un regard. Peut-être pensait-elle ma question déplacée, ou trop brusque. Toutefois, la cliente ne prit pas offense.
« N… Non. Pas depuis un moment... » Répondit-elle, un peu gênée.
« Vous aviez trop peur pour le faire? » Demanda la détective, rebondissant sur ma question initiale.
Encore une fois, madame Munehara répondit non verbalement, par un hochement de tête. Elle avait entre-temps reposé la tasse à présent vide sur la table, et épongé avec du papier la surface des tatamis.
Elle semblait être une personne réservée et calme de nature. Les nombreux livres présents sur les petites étagères placées contre un des coins de la pièce montrait qu'elle était une personne réfléchie et qui, peut-être, était plus intellectuelle que physique au quotidien. Aussi, peut-être avait-elle été perçue comme une victime de choix par un agresseur en particulier.
« À vrai dire, j'ai peur de sortir de chez moi, mais j'ai aussi peur d'y rester... » Avoua madame Munehara. « Depuis que j'ai fait changer les verrous, je reçois plusieurs soirs par semaine des appels bizarres... »
« Des… Appels ? » Répéta la détective, afin d'inciter sa cliente à en dire plus sur le sujet.
« Je les reçois toujours juste quand je suis rentrée chez moi, en fin de journée... » Expliqua-t-elle. « Parfois, il n'y a aucun bruit, ou alors j'entends une respiration. Et parfois, j'entends une voix dire un seul mot... »
« Et donc ? Qu'est-ce que la voix disait? » Insista la détective.
La discussion actuelle mettait vraiment mal à l'aise la cliente, ce qui se manifesta par des rides plissées entre ses sourcils, des lèvres serrées et arquées vers le bas, ainsi que par des difficultés à rester immobile.
« La voix me disait de 'partir'... » Finit-elle par révéler avec anxiété. « Juste... 'partez'... »
C'était vraiment bizarre de recevoir des appels de ce genre. Déjà, elle ne savait pas qui était la personne au bout du fil, ; mais en plus, on lui disait de sortir de chez elle. Presque comme une provocation.
Et elle avait beau se montrer souriante à mon égard, je savais que je la mettais toujours mal à l'aise, rien qu'à la façon avec laquelle elle avait toujours tendance à croiser ses mains devant elle.
Ce qui me fit réaliser quelque chose. Une chose que la détective avait apparemment déjà cernée, car sa question suivante porta directement dessus.
« Est-ce qu'il vous fait peur ? » Demanda-t-elle tout en me désignant du doigt.
Elle avait fait cela sans même regarder vers moi pour capturer ma réaction. Mais vu que je ne réagissais jamais, elle ne ratait pas grand-chose. Ce qui ne m'empêchais pas d'être tout de même un peu déçu par le fait qu'elle avait posé cette question avant que je ne le fasse.
Madame Munehara secoua négativement la tête.
« Dans ce cas, la personne qui vous appelle... Est un homme, pas vrai ? » Devina la détective.
La cliente était surprise de cette déduction, mais n'eut pas le temps de réagir autrement qu'en ouvrant légèrement la bouche. Car déjà, la détective expliquait son raisonnement.
« Quand vous m'avez appelée, vous m'avez fait part d'un problème avec un harceleur. Mais sur le moment je ne pouvais pas savoir s'il s'agissait d'une femme ou d'un homme. Toutefois, le fait que vous ayiez des craintes vis-à-vis de mon assistant, » Expliqua-t-elle en me montrant de la main ; « me laisse à penser que la voix au téléphone était suffisamment audible pour reconnaître qu'il s'agissait d'un homme. Pas vrai ? »
J'étais un peu énervé qu'elle n'arrête pas de me montrer comme si j'étais un article en soldes. Peut-être était-ce de l'agacement ? Je n'étais pas très sûr.
Mais en tout cas, j'étais étonné qu'elle ait deviné comme moi, que madame Munehara avait peur de moi uniquement parce que j'étais un homme. Et probablement pas à cause de mon comportement. Enfin, peut-être...
« C'est... C'est exact, » avoua la cliente.
Puis, me regardant enfin dans les yeux de façon franche, elle ajouta avec un air navré:
« Je suis vraiment désolée de vous avoir traité ainsi. »
La détective balaya rapidement d'un signe de main ses excuses.
« Ne vous en faites pas pour lui. Dites m'en plus sur ces appels. »
Madame Munehara nous raconta alors que les appels se produisaient toujours en soirée, quand elle rentrait du travail. Et qu'à chaque fois, elle se sentait observée de près, et en avait des frissons. C'était pour cela qu'elle avait maintenu fermés ses voilages devant la fenêtre ; pour faire en sorte qu'on ne puisse pas la voir complètement depuis l'extérieur.
« Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il vous observe depuis l'extérieur, en même temps qu'il vous appelle ? » Demanda alors la détective.
La cliente regarda rapidement la fenêtre avec nervosité, puis répondit :
« L'appel a lieu à chaque fois juste après que je sois rentré et ait allumé la lumière... » Expliqua-t-elle. « Et je ne rentre pas forcément à la même heure... »
« Je vois... Donc il attends que la lumière soit allumée pour être sûr que vous êtes rentrée, puis vous appelle... » réfléchit à haute voix la détective. « Ce qui veut dire qu'il doit en effet se trouver à proximité pour observer le moment où vous arrivez chez vous... »
Elle s'affaira alors à rapidement écrire un message sur son téléphone – peut-être à la personne avec qui elle discutait déjà précédemment – puis se tourna vers moi.
« Nijima-kun, ce soir c'est le weekend, et je suppose que tu n'as rien prévu pour samedi ou dimanche. Pas vrai ? » Me demanda-t-elle.
Je hochais de la tête.
Je ne faisais pas grand chose les jours où je ne travaillais pas. Mais ce n'était pas non plus compliqué à deviner.
Mais visiblement, cette nouvelle ravit la détective. Car quelques secondes plus tard, elle était déjà debout, et me souriant avec confiance, dit :
« Bien, partons à la chasse aux harceleurs ! »