Tout le reste de la journée, j'avais étrangement été plutôt efficace dans mon travail, et avait même réussi à faire bien plus de choses que pendant n'importe quelle journée banale au bureau.
Peut-être était-ce à cause du rendez-vous que j'avais ce soir.
J'avais probablement hâte d'y être, ce qui m'avait rendu beaucoup plus rapide dans mes tâches. Et même, de faire un excès de zèle, en allant dans une clinique pour faire traiter mon œil.
Toutefois, voir avec mon seul œil disponible – l'autre étant recouvert d'un patch en coton – un banal vieil immeuble d'habitation, je redescendis vite de mon nuage.
Qu'est-ce que je faisais là ?
Je regardais à nouveau l'adresse sur mon téléphone.
Pas d'erreur possible.
J'étais bien au bon endroit. Mais c'était vraiment une zone de la ville tout ce qu'il y a de plus normale. Est-ce que c'était bien là qu'elle voulait qu'on se retrouve ? Et si oui, pour quoi faire ?
Elle avait parlé d'évaluation. Mais qu'est-ce qu'elle avait voulu dire par cela ?
Et plus j'attendais, plus j'avais des doutes.
Le quartier était plutôt tranquille, et je vis plusieurs voitures passer à proximité. Quelques collégiens sur le chemin du retour avançaient en un petit groupe compact, leurs rires me parvenant par vagues entrecoupées de bruits de circulation.
Ils semblaient insouciants, à plaisanter sur des choses que je ne pouvais pas entendre ; à ressentir des émotions que même à leur place des années auparavant, je n'avais pas connues.
J'entendis également quelques enfants crier, qui devaient probablement habiter dans l'immeuble devant lequel je me trouvais.
Il s'agissait d'un petit bâtiment de 2 étages, avec une cour en terre battue dans laquelle quelques bicyclettes étaient rangées à l'ombre d'un grand arbre. Deux petites voitures compactes étaient également garées près de l'entrée.
Personnellement, j'avais garé ma voiture à l'extérieur, contre le mur d'enceinte. Je ne voulais pas gêner les habitants en me garant trop près. J'avais déjà eu quelques regards curieux de riverains, notamment à cause de mon œil dissimulé derrière une compresse. Mais aussi peut-être parce que j'avais l'air louche, avec mon regard morne et mon costume fripé.
Je me fichais un peu des apparences, que ce soit pour les autres ou me concernant. Mais peut-être que j'aurais dû faire un petit effort, pour éviter d'affoler les gens.
Il se passa un petit quart d'heure, avant que la détective n'arrive à pieds depuis l'autre bout de la rue. Elle avait peut-être pris les transports en commun pour venir, maintenant que j'y pensais.
« Oh, tu es déjà là, Nijima-kun ? » S'étonna-t-elle en m'approchant.
Je ne répondis rien. Ma présence parlait d'elle même.
Elle m'invita donc à la suivre dans l'entrée du bâtiment, et se positionnant devant l'interphone, sonna à l'un des noms.
Quelques secondes plus tard, une voix féminine étouffée se fit entendre.
« Qui est là ? »
Il me sembla que la voix était hésitante. Comme si la personne à l'autre bout du fil avait peur de ce qu'elle allait entendre.
« C'est l'agence Orion, Munehara-san, » répondit calmement la détective dont j'ignorais toujours le nom. « Je suis venue avec une autre personne, si cela ne vous dérange pas. »
Il y eut un silence inconfortable pendant un petit moment, avant que le petit portillon devant les escaliers ne grésille ; signe qu'il venait d'être déverrouillé.
La femme en question avait peut-être hésité avant d'ouvrir ; mais cela ne perturba pas la détective. Elle semblait même s'être attendu à cette réaction.
Toutefois, au vu de ma réticence à la suivre dans les escaliers, elle se retourna vers moi.
« Qu'est-ce que tu attends ? » S'enquit-elle.
« Je ne vois pas vraiment ce qu'on viens faire ici... » Avouais-je.
Elle croisa les bras, pensive.
Une légère brise fit onduler ses cheveux, en même temps que me parvint le bruit d'une rame de train claquant sur des rails à proximité. Je l'avais déjà remarqué auparavant, mais sa peau était vraiment pâle.
Même si je ne savais toujours pas ce qui s'était réellement passé la veille, j'avais l'étrange impression, en regardant ses yeux pleins de vie, que je n'avais rien à craindre. Comme si je lui faisais confiance, par le simple fait que j'étais entré malgré moi dans sa bulle de secrets.
Toutefois, je n'arrivais pas à savoir quelle vision elle pouvait avoir de moi.
Peut-être se méfiait-elle encore de moi.
« Nous allons travailler ensemble sur une affaire qui m'a été confiée, » finit-elle par dire, me sortant de ma rêverie. « Tu seras mon assistant d'un soir, alors montre moi ce que tu sais faire. »
Que je lui montre… Ce que je sais faire ?
Je n'étais pas vraiment au courant de ce qui se faisait dans les enquêtes de détectives, même en ayant lu quelques chapitres traitant de ce sujet. Alors même en étant un simple assistant, je ne voyais pas vraiment ce que je pouvais faire dans ce genre de situation où j'ignorais tout.
Mais déjà, elle avait monté les escaliers jusqu'au premier étage, me laissant la charge de la rattraper par moi-même avant que je ne la perde complètement de vue.
Arrivé sur le pallier, qui était un couloir ouvert sur l'extérieur avec plusieurs entrées d'appartements, je la vis déjà frapper à une porte encore close.
Je la rejoignais, et au moment où je me positionnais à côté d'elle, la porte de l'appartement s'ouvrit lentement, retenue par une chaîne de verrouillage.
Apparut alors dans l'entrebâillement le visage craintif et fatigué d'une jeune femme – elle devait avoir la vingtaine, ou peut-être la trentaine, je n'étais pas très sûr – nous dévisager. Enfin, elle semblait plus me regarder moi, que la détective.
« Munehara-san, voici Nijima-kun, » me présenta-t-elle. « Il va m'assister pour aujourd'hui, si cela vous convient. »
La femme dans son appartement sembla encore hésiter, mais grâce à un sourire rassurant de la part de la détective, elle se décida enfin à refermer la porte pour détacher la chaîne, et à la rouvrir en grand pour nous inviter à rentrer à l'intérieur.
Je suivit de près la détective, et arrivant directement dans la pièce principale qui servait à la fois de salon, cuisine, salle à manger et salle à coucher, on nous invita à nous asseoir autour d'une table basse.
Cette femme, qui semblait donc être la cliente actuelle de la détective, resta un peu agitée, et refusa de s'asseoir dans un premier temps.
Elle s'affaira à préparer du thé, et amena plusieurs tasses qu'elle posa sur la petite table. Mais encore une fois, elle ne s'assit pas, regardant avec inquiétude à la fois la fenêtre de la pièce donnant sur la cour, et moi-même.
Je compris alors que je la mettais probablement mal à l'aise, pour une raison que j'ignorais encore. Je pris la décision de me lever, et de m'éloigner de la table basse, pour me tenir debout derrière la détective.
Les deux femmes m'observèrent sans dire un mot, jusqu'à ce que la cliente ne pousse un long soupir nerveux.
« Je suis désolée, veuillez m'excuser... » Sourit-elle péniblement.
Elle désigna alors de la main la place que je venais de quitter, me réinvitant à m'asseoir à nouveau.
Je m'exécutais, pendant qu'elle fit de même ; prenant place en face de nous.
Puis, l'ambiance s'étant un peu détendue, la détective prit enfin la parole.
« Bon, si vous nous parliez plus en détail de ce harceleur ? »
C'est parti pour ce qui semble être la toute première enquête de notre duo.