Aujourd'hui, il fait un temps doux, le soleil bat pourtant son plein. Il a plu hier, pour la première fois cette année. Pour fêter le don de connaissance de mon frère, nous avons décidé de faire une sortie et de nous promener tous les quatre à travers notre forêt. Mon frère est impatient d'apprendre avec maman tout ce qu'il y a à savoir dans ce monde. Je le vois à sa façon de courir jusqu'à l'entrée de la forêt pour la rejoindre. Je regarde ma mère tendre quelque chose à mon frère. Comme c'est étrange pour moi de l'avoir entendu ce matin demander à notre mère des informations sur les arbres, les plantes et les organismes vivants que contient notre forêt.
C'est vrai que Cyril a toujours été curieux de tout. Il m'a toujours aidé à étudier quand j'en avais besoin. Il est plus intelligent que moi de bien des manières, je l'admets. Mais le don de connaissance franchement !? Je suis heureuse pour lui. C'est un don rare mais ce qui me tracasse, c'est plus de savoir pourquoi je ne me suis pas doutée du don qu'il allait avoir. Mon frère est aussi intelligent que je suis instinctive, alors ?... D'un autre côté, notre don ne nous définit pas forcément. Il relève un trait dominant chez nous. Avant que celui-ci se manifeste. Les personnes de nature très croyantes deviennent sages, ceux qui ont beaucoup d'imagination deviennent réalisateurs, les personnes dotées d'une main verte deviennent culturiste, les personnes curieuses par nature ayant une soif d'apprendre deviennent connaisseuses et les gens courageux ou instinctif deviennent des braves. Mais l'homme qui est curieux, instinctif, avec la main verte et beaucoup d'imagination et de croyance ne sera doté que d'un seul don. Enfin, en général c'est comme ça que cela fonctionne.
- À quoi penses-tu Kristy ?
Mon père me tire brusquement de ma rêverie.
- Oh, rien papa. Excuse-moi, je regardais Cyril et maman.
- Tu ne dois pas les voir très bien d'où tu te trouves Kristy.
- Si très bien.
C'est à ce moment-là que je me rends compte que Cyril et maman ne sont plus à portée de vue. Ils ont du s'enfoncer dans la forêt.
- Je ne les regardais pas je... Réfléchissais surtout.
Mon frère devait sans doute être trop pressé avec maman pour nous attendre papa et moi. Ils doivent déjà être dans notre forêt alors que nous avons à peine traversé le jardin de roses. Mon père n'aime pas marcher vite. Il préfère profiter de la nature, de sa beauté, de son bienfait. L'observation est une chose que j'adore faire, mais je ne profite pas du paysage, je suis plutôt sur mes gardes, j'ai peur de voir quelqu'un surgir d'un endroit sombre ou...
- Tiens mon enfant.
Je regarde mon père qui a une rose blanche à la main. Il a enlevé les épines et a coupé la tige courte pour que je puisse l'insérer dans la petite poche de ma chemise noire.
- Merci papa.
Je souris à mon père qui me regarde avec la tendresse qu'il y met à chaque fois. C'est fou comme je lui ressemble, brune les yeux noirs. Je suis l'exact opposé de mon jumeau qui est semblable à notre mère. Cela paraît si bizarre ! Heureusement que nous avons la preuve que nous sommes jumeaux. Nous sommes si différents. Les gens pourraient penser que je suis la petite sœur de Cyril, chose interdite dans les États mais non. Je suis juste comme notre père et Cyril comme notre mère.
- Tu sais, je m'en veux un peu, par rapport à Cyril... Enfin...- dis-je à mon père.
- Pourquoi donc, mon enfant ? Me demande mon père surpris.
- J'aurais dû me douter qu'il serait du don de connaissance. Cyril est ma moitié. J'aurais du savoir.
- Il est impossible d'anticiper le don qui nous est destiné Kristy. Nous sommes tous humains. Nous avons tous notre caractère. Nous sommes tous similaires en certains points tout en étant différents dans d'autres et pourtant, deux personnes complètement opposées peuvent recevoir le même don comme deux personnes semblables peuvent recevoir des dons contraires.
- Oui, mais maintenant que j'y pense, il a toujours été curieux. Il m'a toujours aidé à réviser... Je ne sais pas je...
- Parlons d'autre chose. Comment cela se passe à l'école ?
- Oh, plutôt bien. Les Andaloriens nous ont fait un festin digne des Rois hier. Nous avons mangé une salade composée, des raviolis jambon chèvre. Un délice ! Ensuite nous avons eu des fruits et un yaourt.
Je suis sûr que tu préfères quand même les lasagne de ta mère.
- Ce n'est pas comparable… mais j'ai douté un moment sur ma préférence entre ravioli et lasagne.
Une fois à l'entrée de la forêt, nous entendons du bruit puis un cri puissant, un cri de douleur. Je ne sais pas pourquoi, l'instinct sans doute, me fait me précipiter vers le lieu d'où vient ce hurlement de souffrance qui me déchire. Je ne peux m'arrêter de courir malgré les appels de mon père.
- Kristen ! Hurle mon père.
Je passe devant Cyril et ma mère. Cette dernière essaie de me bloquer en se mettant sur ma trajectoire.
- Ne te mêle pas de ça Kristen !
Je sens de la menace, de la fermeté dans la voix de ma mère mais c'est la peur que je lis dans son regard qui me stoppe. Pas très longtemps car un second cri poignant retentit. Je fais face à ma mère, ses yeux m'implorent de ne pas bouger. Je la toise, je sais ce que je dois faire, c'est une évidence. Je me tiens droite, près à la contourner, à lui désobéir s'il faut. Je lui rétorque :
- Cet homme a besoin d'aide !
- Je ne pense pas que ce soit un homme.
Heureusement que le brave qui m'a aidé n'a pas pensé comme toi aujourd'hui ! Sinon, je ne serais plus de ce monde ou pire...
- Kristen, ça n'a rien à voir, je pense que c'est un Andalorien.
Je n'ai pas le temps de répondre qu'un nouveau hurlement retentit à travers la forêt. Je contourne ma mère et reprends ma course. Je vois Stuart, le chef de notre État, l'homme censé nous protéger, un homme sage et respecté, en train de frapper avec un fouet un homme à terre ; un Andalorien sans doute. Il est accompagné d'une brave qui le frappe avec sa ceinture. Lorsqu'elle lève à nouveau son bras je me place entre elle et l'Andalorien. Stuart écarquille les yeux en me voyant et stop la brave déjà bien lancée avec son outil de torture.
- Cela suffit, il est déjà à terre ! - Dis-je en hurlant à bout de souffle sans prendre la peine de la saluer.
- Kristen...
- Non, il est à terre Stuart, ça suffit.
- Mais c'est un Andalorien et il n'a rien à faire ici, dans cette forêt.
Depuis que je connais Stuart il n'a changé ni de mentalité, ni de physique que beaucoup de femmes trouvent attirant d'ailleurs. Sur le papier il est parfait : grand, cheveux noir et long, les yeux marrons, musclés, imposant sans trop l'être.
Mais ce n'est que sur le papier ! J'insiste bien là-dessus parce que moi, tout ce que je retiens de ce... cet homme, c'est que du haut de ses trente-huit ans, il encourage les châtiments quels qu'ils soient, physiques ou psychologiques. Il est arrogant, hautain et pas aussi gentil qu'on pourrait le croire. Quant à la brave qui se tient maintenant près de lui, elle a l'air totalement surprise de mon intervention.
- Avez-vous au moins pris la peine de lui demander ce qu'il faisait ici ?
Je crache ces mots à la figure de la femme en laissant exploser ma colère. Stuart est trop occupé à imaginer ce qui se trouve en dessous de ma chemise pour vraiment entendre ce que je lui dis.
Cette fois, la jeune femme reprend un peu de contenance. Elle ne s'attendait sans doute pas à ce que je lui parle de cette manière.
- Euh... Non, mais il n'est pas autoriser à être ici, c'est illégal.
- Il est dans une forêt privée et à y réfléchir c'est vous qui n'êtes pas autorisés à être ici. - Voulez-vous le même châtiment ?
- Comment osez-vous me parler sur ce ton ? - Qui êtes-vous pour me dire ce que je dois ou non faire !?
Elle relève le nez, regarde Stuart dans l'espoir d'un appui. Elle est prête à en découdre. Mais je ne suis nullement impressionnée ni par l'un, ni par l'autre aveuglée par un sentiment de révolte.
- Je vous parle comme je veux parce qu'en battant une personne à terre dans la forêt de MA famille, de MES parents et donc MA forêt vous nous manquez de respect. Vous êtes ici chez moi alors partez.
- Mais Stuart m'a dit...
- Je m'en fiche ! - Je hurle.
Je me tourne vers Stuart, pour lui expliquer également ma façon de penser.
- Tu es ici chez moi aussi Stuart ! Chef de Fulgur ou pas, la prochaine fois que je te vois, toi ou un autre en train de frapper quelqu'un je...
Je pose mes yeux sur l'Andalorien pour évaluer les dégâts. Il est encore à terre. Son dos est couvert de stries. Il reste en boule, la tête relevée. Je m'arrête sur son regard car je lis de la fierté et de la détermination. En aucune façon de la soumission. Cela me donne encore plus de courage et nourrit ma colère.
Stuart s'approche de moi tend le bras d'un geste théâtrale mais ne me touche pas. Depuis mon... « Incident »... même cet atrophié du cerveau a compris que quelque chose avait changé dans mon comportement avec les autres. Que je tenais mes distances. Il s'adresse à la brave tout en me regardant d'un aire condescendant.
- Excuse-toi, d'avoir souillée la terre de cette charmante et très impulsive demoiselle, brave.
Celle-ci est sous le choc et n'a pas l'air contente du tout. Elle me fusille du regard, prend une bouffée d'air et lâche sans aucune conviction dans la voix :
- Je... suis désolée... Mademoiselle... Je vais partir - Dis-t-elle.
Elle n'est pas sincère, cela s'entend dans sa voix. Elle tremble de colère.
- Nous allons partir immédiatement. Lâche Stuart d'un ton absolument et totalement hypocrite. Soit certaine que nous ne rentrerons plus chez toi sans permission.
Il sourit.
- Mais bien sûr !
- Cela ne se reproduira plus, insiste Stuart, tu as ma parole.
A présent il me regarde droit dans les yeux et j'ai le sentiment d'être nue devant cet homme dégoulinant d'orgueil. Je vois bien qu'il imagine des choses mais je ne veux surtout pas savoir quoi. Je bloque mes pensées de peur de perdre toute contenance. Il peut me la donner sa parole pour ce qu'elle vaut !
- Vous n'auriez pas dû rentrer la première fois Stuart. Ni vous…
Je m'arrête net car je sais que je vais m'emporter et il ne faut que j'oublie que Stuart est le chef de l'île et est admiré par beaucoup. Pour ma part je ne le sens pas du tout. On dit que les yeux sont le reflet de l'âme et les siens me font vraiment flipper.
Stuart et la brave tourne les talons et partent de façon naturelle. Ils viennent de frapper un homme à terre mais cela ne les atteint absolument pas. A croire que mon intervention les a juste dérangés dans leurs tâches habituelles.
Une fois ces deux-là hors de vue, je m'agenouille vers l'Andalorien pour évaluer ses blessures.
- Vous allez bien ?
- Je... Je regrette, d'être venue me réfugier dans votre forêt mademoiselle. Je voulais simplement me reposer un peu. Je travaille depuis hier soir dans le champ voisin et je n'avais pas le droit de me reposer. J'ai attendu qu'ils partent travailler pour venir manger un peu et dormir au frais de ces grands arbres.
- Oh.
Son histoire m'horripile. Comment peut-on faire vivre ce genre de chose à des êtres vivants et continuer à prétendre être humain ?
L'Andalorien se lève, tant bien que mal, en grimaçant. Il touche sa lèvre fendue d'une main. Il a la tête baissée. Son dos est couvert de plaies ouvertes mais aussi d'autres plus anciennes et déjà cicatrisées. Ce n'est pas la première fois qu'on lui inflige des tortures. Ni la dernière sûrement. Cette constatation me retourne le ventre.
- Je m'en vais. je vous assure, je ne voulais pas vous importuner. Je... Je vais retourner travailler... Pardonnez-moi mademoiselle.
Ne vous inquiétez pas monsieur. Il n'y a rien de mal à se reposer. Restez ici tant que vous le voulez.
Je sors ma petite trousse de secours. Pas de quoi soigner grands choses
mais on y trouve un désinfectant, des pansements et une pommade à l'Arnica pour les coups.
- Je peux ?
- Qu'est-ce que c'est ?
- Je voudrais vous soigner.
L'Andalorien me regarde. Ses yeux sont noirs comme l'ébène et son regard est profond. Je ressens une sorte de force intérieur. Je ne lis aucune colère mais une détermination sans faille. Pourtant il paraît très ému… Il me fixe.
- Monsieur ? - Insistais-je pour l'encourager à me répondre.
- « Monsieur » ? Vous venez vraiment de m'appeler « Monsieur » ?
- Euh, oui. Je ne connais pas votre nom, comment aurai-je pu vous appeler autrement que « monsieur » ?
- En général, les humains ne nous appellent pas. C'est à peine s'ils nous regardent lorsqu'ils nous frappent. Quand ils viennent nous chercher pour travailler ils nous appellent par nos numéros.
- Vos numéros ?
- Oui, lors de notre arrivée, on nous a attribué des numéros selon notre âge. Le plus âgé d'entre nous est le numéro un, moi je suis le numéro trente sur cent. Sur Fulgur c'est ainsi que cela se passe en tout cas. Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres États.
- Trente ? Mais, vous me paraissez jeune pourtant.
- Oui, nous ne vieillissons pas aussi vite que vous autres. Lorsque vous prenez une année, nous vieillissons d'environ un mois.
- Vous n'êtes que cent Andaloriens ? Pas plus ?
- Non. Nous sommes bien plus nombreux sur la Terre. Mais sur l'île de Fulgur il a été établi que 100 Andaloriens. Nous ne pouvons pas nous reproduire et je dois dire que c'est tant mieux. Qui voudrait offrir une telle vie à son enfant ?! De la maltraitance, des coups de ceinture. Nous n'avons pas droit à l'éducation, pas d'accès à la culture…
Ces yeux se perdent… j'y lis une profonde tristesse.
- Vous n'avez vraiment pas d'école ? Et les plus jeunes Andaloriens sont arrivés à quel âge ? Et quel âge ils ont maintenant ?
Soudain, je me tais. Il me fixe à présent. Son regard a changé. Il devient sûrement méfiant face à mes questions. Je vais trop vite et trop loin.
- Je suis désolée, je vous pose beaucoup de questions, je suis très curieuse et trop spontanée. Mon père me le répète souvent.
Il a l'air de me trouver à présent … amusante !?
- Vous ne savez rien de nous.
C'est une affirmation.
- Non, nous n'avons aucune école. Nos plus jeunes enfants sont arrivés bébés sur Terre et ont aujourd'hui une quinzaine d'année.
- Ouah, c'est impressionnant.
Je prends un coton imbibé de désinfectant et nettoie les plaies de l'homme. Sa lèvre est fendue et du sang coule de son cuir chevelu. Son dos est couvert d'ecchymoses. Je ne vais pas aller très loin avec ce que j'ai pour le soigner mais je fais de mon mieux.
- Tenez, lui dis-je en lui tendant la trousse de secours.
- Vous voulez que je vous la tienne ?
- Non je vous la donne. Elle est neuve, remplie du matériel nécessaire. J'imagine que vous n'avez rien pour vous soigner, alors c'est un cadeau.
- Un cadeau ? Voilà bien longtemps que l'on ne m'a pas fait de cadeau. Est-ce vraiment désintéressé ?
Il se méfie à nouveau.
- Bien sûr. Sinon c'en ne serait pas un. Votre dos à besoin de soin et vous trouverez de quoi vous soulager dans la pochette.
- Merci mademoiselle.
Il se détend un peu mais ses yeux me fixent toujours. J'ai le sentiment qu'il me sonde. Je sais ce que ça fait d'être effrayé par quelqu'un dont on ne sait rien, moi-même j'ai un peur d'être seule ici, avec cet Andalorien que je ne connais pas à quelque pas de moi.
- Je m'appelle Kristen.
- Numéro trente.
- Pardon ?
- Excusez-moi, je suis Raven.
- Vous avez de la famille ici, j'imagine.
- Une sœur, Gloria. Enfin… numéro trente-deux.
- Gloria, c'est très beau.
- Kristen ? Tu es où ?
La voix de mon père retentit. L'homme se tend.
- C'est mon père, ne vous en faites pas. Restez ici tant que vous le voulez mais je dois rentrer chez moi.
- Merci pour tout Kristen.
Il hésite et me lâche…
- Ce doit être Andalis, qui vous envoie.
- Pardon ? Anda... quoi ?
- Andalis, notre Dieu, si vous préférez. Nous prions et le vénérons beaucoup. Nous lui demandons souvent de nous venir en aide, de nous envoyer un message, un signe. Voilà deux cents ans que nous le lui demandons humblement. Et peut-être qu'aujourd'hui il vient de nous répondre. Vous êtes une personne exceptionnelle. En effet tout ce temps nous avons attendu qu'un humain nous considère comme son égal. Certains d'entre vous sont plus aimables à notre égard mais aucun ne nous a regardés comme vous l'avez fait aujourd'hui. Aucun n'a eu la force ou la bonté de s'élever contre l'autorité qui nous maltraite. Vous ne semblez ni avoir peur de nous, ni nous considérez comme des êtres inférieures. Vous devez être envoyée par Andalis pour nous redonner espoir et nous venir en aide. Vous comprenez… si vous existez c'est que d'autres humains peuvent avoir comme vous un cœur, de la bienveillance pour nous. Vous venez de me redonner espoir Mademoiselle. Je ne vous oublierais jamais. Que Andalis et votre Dieu vous bénissent. Je partagerai avec les miens cet espoir et pour les Andaloriens de Fulgur vous êtes à partir d'aujourd'hui, je m'y engage, une amie.
L'Andalorien se leva et s'enfuit en courant.
Mais comment a-t-il fait pour se relever aussi vite et courir alors qu'il est, il me semble gravement blessé ? De plus il me faut du temps pour digérer ses dernières phrases… Aucune personne n'a montré un peu de considération pour se peuple ? Est-ce possible ? Cela me semble si naturel pour moi… Je pense qu'il vient de me donner plus que je en mérite.