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INTERLUDE | Les Carnets du Nécromancien I

Depuis ma plus tendre jeunesse, une chose m'obsède : la mort. Le simple fait de l'évoquer m'angoisse. Pourquoi ? Pourquoi la mortalité nous a-t-elle été imposée ? Pourquoi les elfes ne connaissent-ils que trop peu cette fatalité et vive parfois des milliers d'années sans que celle-ci ne daigne se montrer ? Au plus profond de moi, je recherche l'inexorable vérité sur cette forme intangible qui terrasse nombre d'entre nous à chaque instant.

Je ne suis qu'un humble fossoyeur habitant dans un village humain au fin fond de la campagne. Toute mon existence, j'ai cherché sans relâche les secrets sur la vie et la mort. Je ne sais pas si c'est le destin qui m'a mené jusqu'à ce projet singulier, mais en tout cas, il m'a donné la capacité d'y arriver. J'en suis persuadé. 

Mes ancêtres ont tous été bénis par les Ténèbres, et je n'y ai pas non plus échappé. Je sens l'obscurité de cette affinité couler dans la moindre parcelle de mon corps. 

Que m'apporterait-elle de plus que celle de Lumière ? 

La nécromancie, tout simplement.

Cet art occulte, jugé tabou depuis ses premières incantations, est peut-être le moyen le plus rapide de trouver les réponses à mes questions. Cependant, cette magie controversée - permettant de ramener les morts à la vie - est trop dangereuse si elle est mal employée. Je ne le sais que trop bien. Parents, grands-parents, ils ne me l'ont que trop dit. Et de ce fait, je dois me méfier de chacune de mes ambitions, aussi infimes soient-elles. 

Nombre d'ouvrages et notes étaient présents dans l'ancienne bibliothèque qui ornait les murs de notre crypte. Dès mon enfance, je les ai dévorés par ma simple curiosité et mon envie de faire évoluer les choses. Voir ces hommes et femmes, jeunes et vieux, allongés sur cette table froide dans l'obscurité, les yeux vides, éteints. Entendre les pleurs et la colère de leurs proches, suppliant que ce destin ne soit jamais arrivé. Je n'ai jamais pu le supporter, mais cette empathie si commune a changé. Elle s'est progressivement métamorphosée en une profonde haine envers le genre humain. 

Alors que nous avions tant de qualité et de potentiel, nous nous sommes laissés aller à la facilité. Nous nous sommes abandonnés, rongés par des vices et des défauts qui nous poussent irrémédiablement vers le bas. 

Paresse, orgueil, avarice, luxure, colère, gourmandise, envie. Qui en ce monde n'est pas atteint par l'un de ses maux ? 

Personne, et je n'en suis pas exempté.

Enfant, mon grand-père me contait les histoires sur la nécromancie et les adeptes qui s'y essayèrent. Malgré ses mises en garde, il ne m'a jamais formellement interdit son utilisation et c'est à partir de cet instant que je me suis lancé dans cette quête improbable. Les ouvrages qu'il m'a fait découvrir retranscrivaient bon nombre d'explications et de formules. Cependant, ils restaient vagues, incomplets. Seul le nom d'une divinité y était souvent cité : Aker. 

Peut-être était-ce un premier indice ?

*

Mes premières expériences se sont portées sur des bêtes de petite taille. Un matin, la voisine apporta son chien, son état montrait déjà des raideurs cadavériques et de légers gonflements. À première vue, il était mort de vieillesse depuis un jour, peut-être deux. 

Être fossoyeur s'avérait finalement idéal pour cette tâche, car tous les corps transitaient par notre office et la réputation de ma famille était telle que nous croulions sous les demandes de ce type. Ma discrétion était donc assurée d'une certaine façon.

J'ai placé la bête sur la table de la crypte, puis j'ai prononcé les mots :

— Ô, Aker... Ouvre les portes de ton royaume et ramène cet être parmi les vivants…

Mon incantation était simple, improvisée. Je n'y croyais que trop peu. Cependant, alors que mes mains étaient au-dessus du cadavre, une lueur noire et effrayante s'en échappa. Mes pensées et mon esprit semblaient agir et accorder du crédit à la volonté farouche que j'exprimais.

Fasciné par un spectacle visuel que je découvrais et dont j'étais l'acteur principal, un petit couinement me sortit soudain de ma torpeur. Le chien ouvrit les yeux. Il se releva tant bien que mal et se mit à haleter comme inconscient de son état. Sa forme n'avait pas changé, l'une des parties de son corps restait totalement aplatie.

Tous ces contes étaient donc bien réels ? 

Je m'étais pincé pour voir si je n'hallucinais pas. Pour voir si tout ceci n'était pas un vulgaire fantasme. La vive douleur, que j'avais ressentie sur ma joue à cet instant, m'indiqua le contraire. Il se trouvait bien devant moi, ressuscité. Même si ce sort n'avait pas guéri ses maux, j'étais pris d'une forme de joie inexplicable. J'avais envie d'uriner, trop excité par cette incroyable découverte. 

Malheureusement, cette euphorie fut de courte durée. Mon chat eut l'imprudence de passer au même moment et le chien se jeta dessus pour l'égorger comme l'aurait fait n'importe quel animal de son genre. 

Je hurlai désespérément qu'il arrête et il s'exécuta sans la moindre hésitation. 

Était-ce un simple hasard ou bien serait-ce la magie qui opérait de cette façon ? 

Ce doute ne pouvait rester indéfini.

Alors que mon compagnon agonisait, je demandais à la bête réanimée de partir à l'autre bout de la pièce. Celle-ci obéit une fois de plus, sans broncher. 

Je me rappelai que de son vivant, celui-ci était sourd et n'écoutait rien de ce qu'on lui disait. Ce fait m'apporta la certitude que ce sort, en plus de ressusciter les morts, asservissait le sujet qui en bénéficiait. Et cela ne me plaisait guère. 

Même s'il gardait une forme de libre arbitre, quel serait l'intérêt de ramener un être à la vie si ce dernier restait une marionnette jusqu'à la fin de son existence ? 

Pendant cet égarement, mon chat succomba à ses blessures. Bien que cela m'attristait, il aura servi à résoudre l'une des nombreuses énigmes qui pèsent autour de cette expérience. Néanmoins, cela ne suffisait pas, il me fallait toujours plus d'informations. 

J'ai placé sa dépouille sur la table puis ai réitéré l'incantation. Ce dernier se releva, tout comme le chien. Son miaulement était difforme à cause de sa carotide sectionnée, mais le sang de la blessure ne coulait plus. 

Comment était-ce possible ? 

Le fait qu'il ne circulait pas sous-entendait que son cœur ne fonctionnait plus. Je posais farouchement une oreille sur son ventre pour écouter un éventuel battement. 

Rien. 

Je cherchais désespérément un pouls. 

Rien non plus.

Il était donc bel et bien mort. 

Alors comment ? Comment faisait-il pour paraître si vivant ? 

Je regardais avec une certaine frénésie dans mes livres pendant que les deux bêtes me scrutaient d'une étrange admiration. 

Corps ? Psyché ? Âme ? 

Il devait bien y avoir une solution. 

Soudain, une idée me traversa l'esprit. Ces trois choses étaient liées. La psyché permet de transmettre les informations au corps. Le corps fait par la suite ces actions. L'âme quant à elle effectue la liaison entre les deux. Si l'âme s'échappe, alors ce lien est rompu et l'état de mort se révèle. 

Dans ce cas là, pourquoi ?! 

Alors que ces interrogations me frustraient, un miaulement de douleur m'interpella. Le sang. Il coulait de nouveau, me procurant une fois de plus cette joie indescriptible. 

Était-ce juste dû à un temps d'adaptation ? La mécanique corporelle se relancerait-elle petit à petit ? 

Sans pouvoir plancher sur la question, je lui ai appliqué des soins, restructurant sa gorge comme je pus, puis refermant sa plaie avec mes outils pendant que son sang imbibait mes mains. 

Sa voix était toujours difforme, mais il semblait en pleine santé comme auparavant. Malgré cette bonne nouvelle, je restais sur mes gardes. Je devais les observer pour voir comment la situation allait évoluer. 

J'ai prévenu mes parents qui tenaient la boutique, ces derniers étaient en total désaccord avec mes pratiques… 

Pourquoi ? 

Si nous pouvions combattre la mort avec tant de facilité, cela serait incroyable ! 

Alors que le ton montait, je fus sourd face à leur opposition. 

Je me suis finalement enfermé les jours suivants dans la crypte, ne laissant personne y entrer. En observant les deux bêtes, je remarquais que leur animosité naturelle avait disparu, c'est comme si elles étaient en symbiose. 

Et si les humains ne s'entretuaient plus grâce à cela ? 

Ce serait tout simplement fantastique ! 

Néanmoins, une nouvelle déception me frappa. Une odeur singulière, discernable entre toutes, envahissait la pièce. Une odeur putride liée à une décomposition. Il s'agissait du corps du chien qui tombait peu à peu en lambeau. Finalement, seul le cas du chat me consolait, car lui n'était pas touché par de quelconques nécroses. 

Était-ce lié à la différence de temps qui séparait la mort de la réanimation ? 

Avec frayeur, j'ai vérifié certains faits pour le chien en entaillant l'articulation de sa patte. La coupure nette ne découvrait que de la chair en putréfaction. Il n'y avait pas de sang et la blessure n'impactait pas sa mobilité. Il ne ressentait pas non plus la douleur. C'était un simple cadavre ambulant sans le moindre avenir hormis celui de se décomposer lentement, mais sûrement. 

À contrecœur, je décidai d'abréger son existence en procédant de diverses manières. S'il n'y avait plus de sang, il ne pouvait pas mourir d'une hémorragie, ce qui aurait été un décès des plus communs. 

D'un autre côté, ôter ses organes aurait été inutile. Si la circulation ne se faisait plus, alors ils devaient également être nécrosés. Cependant, dans le doute, il me fallait tout de même essayer. Je devais donc les retirer, du moins vital au plus indispensable. 

Même si j'étais habitué à l'odeur âcre de la mort, la pratique fut difficile tant celle-ci m'enivrait. Et finalement, rien n'y faisait. Il ne mourait tout simplement pas. 

Je terminais cette expérience par le cerveau en plantant une dague dans sa boîte crânienne. Aucun son, aucune douleur. Il s'était subitement éteint. 

Pourquoi la réaction entre les deux bêtes était-elle si différente ? 

D'un point de vue logique, le corps aurait dû reprendre ses droits. À moins que ce dernier ne puisse réparer les cellules de lui-même dans un si court laps de temps.

Nous savons que la psyché se situe quelque part dans la boîte crânienne. 

Où et sous quelle forme ? Aucune idée, personne n'a jamais découvert son origine. 

Nous déduisons seulement qu'elle existe et régit sur tous nos faits et gestes. 

Ce cas m'amenait donc à penser qu'elle reste primordiale, même dans la mort. Si elle venait à s'évanouir pour de bon, alors le corps du sujet serait définitivement inerte. 

J'inhumais le chien selon les volontés de sa maîtresse, le remerciant pour toutes les choses qu'il m'avait apportées. Une larme coula le long de mon visage. Il faut croire qu'après ce court temps passé à ses côtés, je m'étais attaché à lui. Cependant, je ne pouvais le maintenir dans cet état éternellement. 

Je me décidai enfin à sortir de la crypte, observant par la même occasion le chat les semaines suivantes lors de mes activités professionnelles. Rien d'anormal ne s'était produit, mis à part peut-être le fait que celui-ci me talonnait où que j'aille et sans vaquer à ses occupations. Une chose des plus étrange pour son espèce. 

Ces essais sur les bêtes furent enrichissants, mais pas assez pour s'avérer concluants. Il fallait que j'expérimente cela sur des humains, mais comment faire sans éveiller les soupçons sur mes pratiques ?