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Par Delà L'Horizon

A l'aube, les plaines orientales d'Artharys étaient baignées de la scintillante et douce lumière du soleil. Celles-ci étaient en grande partie inhabitées. Recouvertes d'herbes hautes comme la moitié d'un homme, il était difficile pour les caravaniers cherchant à rejoindre les rares villes de s'aventurer au-delà des routes.

Les seuls habitants de ces contrées inhospitalières étaient les bandits et quelques rares ermites. La vie y était rude, l'eau rare et la région peuplée d'animaux sauvages aussi dangereux les uns que les autres. Raconte-t-on aussi qu'une tribu d'orcs sillonnait ces plaines, attaquant les malheureux amenés à les rencontrer.

A ces heures, rares étaient les personnes qui erraient dans les rues de Ninakami. Certains s'en retournaient chez eux après une soirée alcoolisée qui avait un peu trop durée tandis que des marchands commençaient tout juste à préparer leurs étals, alors que le marché n'était pas encore ouvert.

Eiji quant à lui avait un tout autre objectif. Armé de son sabre d'acier, et couvert de la plus légère de ses armures dont il avait retiré le casque, laissant ses cheveux mi-longs en cascade jusqu'à ses épaules, il s'apprêtait à quitter la ville pour partir à l'aventure et rejoindre un ordre dont lui-même n'en avait la connaissance que depuis peu.

La ville de Ninakami était agencée de manière simple : au centre-ville, on retrouvait les bâtiments administratifs ainsi que le château du shogun Maeda. Autour se trouvait le marché, les services ainsi que les quartiers populaires. Enfin, les quartiers des nobles se trouvaient en bordure de ville côté ouest, là où les terrains sont plus grands. Du côté est on trouvait l'espace côtier de la ville, avec toutes ses activités portuaires.

Eiji n'avait que quelques minutes de marche pour rejoindre la sortie de la ville, et bien qu'il s'y était préparé, il peinait à faire ses adieux à la ville, au quartier dans lequel il vécut ces dix-neuf dernières années.

Lorsqu'il arriva au poste de garde, frontières de la ville, il aperçut à proximité des écuries une personne assise à côté de deux chevaux attelés à une poutre. De loin, il reconnut la silhouette élancée de Tahrren.

Ce dernier ne tarda pas à l'apercevoir à son tour. Il se leva, et les deux hommes d'approchèrent l'un de l'autre.

"Alors, tu as fini par venir."

Il n'y avait pas la moindre trace de doute sur le visage d'Eiji. Il regarda l'elfe dans les yeux.

"Je vous suis. Je souhaite rejoindre l'ordre des chasseurs d'âmes."

Pour la première fois, Eiji aperçut un sourire s'esquisser sur le visage de Tahrren.

"Excellent. Mais avant tout, laisse-moi m'excuser de nouveau proprement. Au moins pour la brutalité de notre rencontre. Tu ne me pardonneras sans doute jamais pour ce que j'ai fait. Mais dorénavant, et pour de nombreux mois, je serai ton professeur. En réalité, tu es encore trop faible pour être membre à part entière des chasseurs d'âmes."

Tahrren tendit son bras vers Eiji, souhaitant lui serrer la main. Ce dernier n'hésita pas longtemps avant d'accepter.

"Eiji, enchanté. Bien, nous ferons plus ample connaissance lorsque nous serons sur la route. Suis-moi, je vais te présenter ton cheval."

Légèrement surpris, Eiji haussa les sourcils.

"Mon cheval ?"

Tahrren guida Eiji jusqu'aux deux chevaux attelés. Le premier était d'un blanc pur, visiblement très musclé et au regard docile. Il répondait au moindre geste que Tahrren faisait. Le second était plus foncé, presque noir. Son regard était plus sauvage. Il était également plus agité que le premier. Il n'était clairement pas tout à fait habitué à être enfermé dans une écurie.

"Ce cheval blanc m'appartient il se prénomme Minska. J'ai acheté ce second à un éleveur du coin, hier."

Eiji tiqua à ces paroles et lança un regard accusateur vers son nouveau mentor.

"Donc vous vous doutiez de ma venue…"

Tahrren peina à camoufler le sourire sur son visage et décida de ne pas s'aventurer sur le sujet.

"On t'a appris à monter à cheval, n'est-ce pas ?"

Eiji acquiesça d'un léger geste de la tête. Tous les Higashito, homme ou femme, civil ou garde, avaient suivis de près ou de loin une formation d'équitation au cours de leur éducation. Pour les gardes, cela comprenait également le combat sur destrier.

"Ce cheval-là se nomme Suiseki. Bien qu'il ne soit pas le plus fort du coin, il est d'après l'éleveur très endurant et rapide. De plus, bien qu'il semble farouche, il est en réalité assez docile."

Eiji s'approcha doucement de la bête, et tenta de poser sa main sur son crâne. Suiseki refusa au début son approche en reculant sa tête. Après quelques tentatives, il s'habitua à l'odeur et la présence de son nouveau maître, et accepta ses caresses.

Tahrren détacha les deux équidés, qui étaient prêts à être montés : mors, selle, sangles et étriers… Tout y était.

Ils tirèrent chacun leurs chevaux jusqu'au centre de la route. Alors qu'ils s'apprêtaient à chevaucher, une voix rauque résonna derrière eux.

"Tu comptais partir sans me dire adieu, fils ?"

Shun était un homme à l'esprit inflexible. Son imposante carrure, ses multiples cicatrices ainsi que son profond regard prouvaient qu'il avait au moins subi tout ce que la vie avait de pire à offrir ; il s'était forgé un caractère d'acier et rares étaient les choses capables de faire vaciller son esprit. Pourtant aujourd'hui, lui qui n'avait guère versé de larmes à la mort de sa fille et de sa femme, avait les yeux humides face au départ de son fils.

"Père…"

Eiji s'approcha lentement de lui. Lorsqu'il se tint enfin juste en face de lui, le commandant le prit instantanément dans ses bras.

"Mon fils. Aujourd'hui tu nous quittes. Mais Ninakami reste ta maison et tu auras toujours un pied-à-terre ici. Tu es le fils de la famille Kawasaki, l'une des maisons les plus honorables des terres de l'est, donc ne nous fait pas défaut. N'oublie jamais. Honneur et fierté. Sois un homme fier et sauve notre monde. Protège le peuple, punis ceux qui manquent de respect et recadre ceux qui s'écartent du droit chemin. Mon fils… Je te souhaite un bon voyage."

Shun peina à terminer sa tirade, l'émotion prenait peu à peu place à la raison. Il serrait son fils de plus en plus fort, et les larmes finirent inéluctablement par couler.

Eiji ne supportait pas de le voir ainsi et, inconsciemment, le prit à son tour dans ses bras. Ils restèrent ainsi pendant plusieurs longues minutes.

Tahrren quant à lui patientait à côté, ne souhaitant pas intervenir. Il savait ce moment important pour les deux.

Lorsque Shun lâcha finalement son fils, il s'approcha de Tahrren et posa son épaisse main sur ses épaules.

"Et vous, qui m'avez pris femme et fille. Au moins, je vous en prie, protégez mon fils. Il est tout ce qu'il me reste en ce bas monde."

Tahrren était mal à l'aise face au visage ferme et au regard autoritaire du commandant. Il ferma les yeux, cherchant les mots les plus justes.

"A l'instant où il a décidé de devenir mon apprenti, sa vie est devenue pour moi encore plus importante que la mienne. Jamais je ne le laisserai s'égarer du droit chemin, et encore moins ne le laisserai mourir de sitôt."

Rassuré, Shun retira délicatement sa main. Son regard se perdit vers les quelques conifères qui bordaient la ville.

"Bien. Partez, maintenant. Le soleil commence à être haut."

Tahrren regarda l'horizon est, par-delà la ville et des conifères.

"En effet, il a déjà passé les cimes des arbres. Eiji, en selle, nous partons maintenant, sinon nous risquons de sommeiller dehors, cette nuit."

Eiji échangea un dernier regard avec son père, avant de chevaucher Suiseki.

"C'est parti." Dit Tahrren à son cheval, tout en le caressant. Eiji fit presque de même, quoiqu'il ne dît rien, ce qu'il l'obligea à faire une pression avec les talons pour que Suiseki daigne avancer.

Alors que les chevaux s'engageaient sur la route au pas et que Shun faisait désormais dos aux deux cavaliers, Eiji laissa s'échapper quelques larmes.

"Aurevoir, père."

Ils sortirent enfin de la ville. Après quelques minutes d'avancée au pas puis au trot, Eiji se remit de ses émotions.

"Où allons-nous Tahrren ?"

"Pour le moment je dois retrouver une personne, mais je ne sais pas où cette dernière se trouve. Donc nous allons nous rendre chez un informateur de l'ordre."

"Et où se trouve cet informateur ?"

Tahrren prit un temps avant de répondre.

"La ville sainte, Ophélia."