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Discussion au Clair de Lune

Tahrren sourit en voyant son apprenti aussi proche de la jeune Ophélie. Mais il se refusa à les taquiner davantage. Ou plutôt, il n'en avait pas la force. Cette longue journée l'avait grandement épuisé. Il déposa ses armes près de l'entrée et retira sa sacoche. Il s'approcha d'une chaise et s'affala dessus, expirant une large bouffée d'air.

Eiji était surprit de voir son mentor ainsi. C'était la première fois qu'il voyait une telle nonchalance chez lui. Il le fixa pendant quelques secondes avant de l'interpeller.

"Heureusement que toutes les journées ne sont pas ainsi."

Tahrren soupira une nouvelle fois, comme si ces quelques mots lui avaient remémoré de mauvais souvenirs. Il se remit droit sur sa chaise, regagnant son habituelle prestance.

"Dire que nous avons dû combattre, et ce à peine arrivé ! La situation est certainement plus grave que je ne sus le prédire." Il marqua une courte pause avant de reprendre. "Eiji, nous devons changer nos plans. Aidons la ville. Un ou plusieurs immortels vivent dans les environs, et si nous ne faisons rien, c'est bien toute la cité qui pourrait disparaitre."

Eiji ravala sa salive et fixa Ophélie qui lui sourit en retour. Bien que sept cens ans s'étaient écoulés, rien n'avait changé pour elle. Il savait qu'elle n'était la cause de tout cela, pour preuve, les incidents et la corruption s'étaient déjà répandus bien avant sa transformation en dryade. Cependant, il ne pouvait imaginer ce qu'elle pouvait ressentir, elle qui s'était quasiment sacrifiée pour sauver son pays, le voilà encore en danger, comme si ces sept cens années furent vainement perdues.

Enfin, il se leva, et se dirigea en direction de la cuisine.

"Très bien. Mais d'abord, mangeons. La journée fut vraiment épuisante, je doute que nous puissions avoir une discussion fructueuse en ayant le ventre vide."

Il prépara trois bols, et y déversa du riz, ainsi que la viande mijotée et quelques légumes. L'un des trois bols était encore plus copieusement rempli, pour Tahrren, qui n'eut pas de soupe.

"J'ai réussi à trouver quelques morceaux de Nixian pour quelques pièces de bronze au marché ! J'espère que cela vous plaira, c'est une viande bien connue pour ses notes épicées."

Ophélie et Tahrren salivèrent presque à la vue du repas. Les délicieuses odeurs qui chatouillaient leurs narines n'y étaient pas pour rien, et ils dégustèrent joyeusement leur repas. Ils ne reprirent leur discussion qu'une fois les bols complètement vides.

"Alors comment vous portez-vous, Ophélie ?" Demanda Tahrren.

Légèrement surprise et prise de court par son intervention, elle le fixa pendant quelques instants avant de lui répondre.

"Je vais bien. Merci. Malheureusement, je n'ai aucun souvenir de ces sept-cens ans passés. Cependant, je me souviens de ma vie d'avant comme si c'était hier. Mes amies. Mon père… et le royaume tout entier."

Le silence s'imposa quelques secondes, avant que Tahrren ne daigne lui répondre.

"Je suis désolé, je ne pense pas pouvoir vous raconter toutes les évolutions et changements sur ces sept-cens dernières années…"

Eiji intervint rapidement dans la discussion, coupant la parole à son mentor.

"Je lui ai déjà raconter dans les grandes lignes ce qu'est devenu son royaume, et la situation actuelle. En revanche, je pense que tu es plus qualifié pour parler des immortels et de la corruption de l'anima."

Tahrren caressa doucement son menton.

"De ce que je sais, et en analysant les écrits datant de cette époque, il semblerait que l'anima soit responsable des sécheresses et de la mort des forêt de la région. Mais la tendance s'inversa grâce à vous, Ophélie. L'anima resta donc dormant ces sept cens années, jusqu'à ce qu'il prenne le dessus sur votre mana et vous corrompt à votre tour."

Ophélie baissa les yeux, et sourit légèrement. Finalement ses actions ne furent pas vaines. Elle avait efficacement protégé son pays et son peuple pendant sept-cent longues années. Elle se demandait toutefois si elle méritait tant d'attention et d'éloge. Après tout, ils ont quand même donné son nom à la ville comme au royaume et ont fondé une religion autour d'elle ! N'était-ce pas un peu excessif ?

"L'anima… Je me souviens. Une amie m'en avait parlé. Une druidesse Higashito. Elle avait investigué la forêt et découvert cette nouvelle énergie que personne encore n'avait vu. C'est pour cette raison que nous étions dans la forêt. D'après ses recherches, cette énergie était diamétralement opposée au mana qui nous compose, et son influence pouvait être annulée si on en injectait par excès."

Tahrren fut interpellé par ces propos. Même les Chasseurs d'Âmes n'étaient pas encore fondés à cette époque. Cette druidesse Higashito était donc la première personne à avoir découvert l'anima et était probablement un génie pour en avoir découvert les principales caractéristiques en un si court laps de temps.

" L'anima est une caractéristique inhérente aux immortels. L'allongement de la durée de vie corrompt le mana, à commencer par l'immortel lui-même. Son mana se change continuellement en anima, et par rayonnement se transmet aux être vivants alentours. C'est comme ça que l'anima se propage. En réalité, le meilleur moyen d'interrompre le flux d'anima, c'est de tuer l'immortel lui-même. Eiji et moi faisons parti des Chasseurs d'Âmes. C'est notre rôle de chasser ces immortels. Mais de penser qu'un immortel survécu sept-cens ans sans que nous en ayons entendu parler, ça n'arrive pas tous les jours."

Tahrren afficha un sourire amer. En réalité, ce type d'événement ne devrait pas arriver. Malheureusement, les Chasseurs d'Âmes manquaient de personnel, et agissaient donc davantage dans la réaction sans pouvoir mener de réelles enquêtes. Comme pour Ninakami, par exemple. De nombreuses vies auraient pu être sauvées si les informations sur la présence d'Aarhèns furent remontés à l'avance. Par chance, cette fois-ci, ils pouvaient intervenir avant que les dégâts ne soient trop importants et irrémédiables.

"D'ailleurs, Eiji. T'habitues-tu à la vie hors de Ninakami ? Au vu de ton combat de tout à l'heure, j'imagine que tu as au moins réussi à mettre de côté ton ressentiment pour les ophéliens."

Eiji se gratta le front. Ses sentiments pour son pays étaient un sujet compliqué… car dès qu'il y pensait, il s'imaginait le visage de Ruka, souriant.

"Je ne peux pas me défaire de mes ressentiments pour l'armée Ophélienne. Ils ont tué tant de gens. Des Higashito, mais aussi et surtout certains de mes amis, des parents de mes amis, ou même des membre de ma famille. Jamais je ne pourrais oublier. Mais, et je l'ai déjà dit précédemment, je ne peux pas en faire pâtir des innocents. Le peuple n'y est pour rien. Et c'est pour eux que je vais me battre. Pour qu'ils n'aient pas à traverser les mêmes épreuves que moi."

Tahrren ne put que sourire face à une telle maturité à un si jeune âge. Il savait qu'Eiji n'était pas comme les autres, mais il ne pouvait qu'être fier d'un tel apprenti. Il tapota légèrement sur la table tandis que la voix d'Ophélie résonna une nouvelle fois.

"Pourquoi y aurait-il autant de ressentiment entre les Higashito et mon peuple ?"

Eiji tiqua à cette intervention.

"C'est vrai que tu ne le sais pas. Mais depuis près d'un siècle maintenant, les Higashito et les Ophéliens sont en guerre, car nous refusons d'adopter leur religion. Ironiquement parlant, c'est une religion t'adorant…"

Bien que légèrement gêné, il essaya d'arborer du mieux qu'il pouvait un sourire sur son visage. Cependant, ses propos énervèrent Ophélie.

"C'est lamentable. Forcer les autres peuples à adopter leur doctrine. Bien que je sois flattée d'être vénérée ainsi, je suis également frustrée et écœurée. J'ai honte d'être leur ancêtre. Ne savent-ils donc pas que sans les Higashito, nous n'existerions même plus. Nous leur devons tant, et pour autant nous leur offrons que misère et tragédie. Au nom de la famille royale, même si cela remonte à plusieurs siècle, je m'excuse."

Eiji approcha sa main des épaules de la jeune princesse. Il la posa doucement, comme s'il venait la caressait.

"Merci, Ophélie. Tes mots sont plus importants que tu ne le penses."

Cette dernière rougit, le regardant droit dans les yeux et affichant un large sourire. Ne se sentant pas à sa place, Tahrren toussa deux fois pour les interrompre.

"Ahem. Bon il se fait tard. Nous parlerons de la suite demain matin. Je vais aller me louer une chambre à l'auberge. Irina a eu la brillante idée de vous amener dans une chambre qui ne comporte que deux lits…"

Il se leva et se dirigea vers la porte. Eiji fit de même et l'accompagna jusqu'à la sortie.

"N'oublie pas de t'entrainer. Il te faut développer davantage ton mana. Et repose-toi bien. Les prochains jours risquent d'être tout aussi chargé."

Tahrren salua son apprenti et Ophélie, avant de s'en aller. Ces derniers débarrassèrent rapidement la table avant de préparer leur nuit. Eiji décida de s'entraîner quelques dizaines de minutes, méditant assis sur son lit, sous le regard attentif d'Ophélie. Elle décida de s'asseoir à côté de lui.

"Tu me rappelles moi, lorsque je n'étais encore qu'une jeune adolescente. Moi aussi, je m'entraînais tous les jours, jusqu'à ce que je devienne l'une des magiciennes les plus puissantes de la région. Enfin, ce titre ne valait pas grand-chose, puisque la plupart des personnes étaient complètement étrangères à la magie."

Concentré, Eiji ne répondit pas. Mais cela ne la refroidit pas, et elle continua son monologue.

"En tout cas, je suis surpris que tu saches si bien t'occuper d'autrui. J'ai souvent été entourée de domestiques, en tant que princesse. Mais rarement j'eus l'occasion de rencontrer une personne aussi attentionnée que toi. En fait, tu me rappelles une personne que j'ai connu autrefois. Ma meilleure amie, Elena. Quand elle était plus jeune, elle s'occupait chaque jour de son petit frère. Quand elle nous a rejoint en tant que domestique, elle se démarqua par son sérieux, son intelligence et sa gentillesse."

Elle marqua une pause, séchant les quelques larmes qui commençaient à perler sur ses joues. Alors qu'elle s'apprêtait à reprendre, elle fut coupée dans son élan.

"Ma petite sœur. D'aussi loin que je me souvienne, je me suis occupé d'elle. Elle était atteinte d'une maladie grave, incurable. Nos parents travaillaient tous les jours, il me revenait donc la responsabilité de prendre soin d'elle."

Elle le regarda. Son visage attristé la peina, et elle posa instinctivement sa main sur son épaule.

"Elle a de la chance d'avoir un grand frère tel que toi."

Eiji attrapa le collier autour de son cou.

"Non. C'est moi qui ai eu de la chance de l'avoir. Elle a su fait de moi un homme meilleur, et heureux."

Bien qu'elle comprît à ce moment-là, elle se devait de lui poser la question.

"Que lui est-il arrivé ?"

Il se mordit la lèvre, et fit de son mieux pour ne pas pleurer.

"La maladie eu raison d'elle."