Des Retrouvailles Amicales

Après avoir traversé plusieurs rues, Sin arriva au temple de la Main Solaire. Même si le sanctuaire se trouvait loin du centre de la cité, sa taille imposante le rendait perceptible à des lieues à la ronde. Son architecture, à la fois volumineuse et détaillée, se constituait de lourdes colonnes, ainsi que de nombreux vitraux qui habillaient les murs de marbre blanc d'une multitude de couleurs. Hormis son style atypique et raffiné, qui le démarquait des bâtiments alentour, une grande gravure formant une main dans un soleil siégeait au-dessus de ses portes. Ce symbole représentait celui que le culte arborait sur ses édifices et les tenues de ses plus fervents fidèles. 

Le chevalier ne découvrait pas les lieux. Au contraire, ce n'était pas la première fois qu'il se fêlait une côte ou se faisait une fracture quelconque en revenant d'une expédition mouvementée. En y pénétrant, il fut accueilli par une jeune femme d'un âge similaire au sien et qu'il n'avait encore jamais aperçu auparavant. Une capuche ample recouvrait sa tête, mais de somptueux cheveux - de la couleur du plumage d'un corbeau - venaient habiller sa robe blanche. Il n'entrevoyait pas son visage à l'exception de sa bouche pulpeuse.

Sin ne la dévisagea qu'un instant, le temps qu'elle engage la conversation. 

Malgré sa petite taille et sa corpulence chétive, elle ne paraissait pas intimidée par lui.

— Loué soit Solaris... Que puis-je faire pour vous, messire ?

— Je souhaiterais voir Claire.

— Bien entendu. Veuillez me suivre, je vous prie.

De nature calme et polie, elle ne montra pas la moindre indiscrétion sur la raison de sa venue et le guida sans plus attendre dans le vestibule pour rejoindre la vestale en charge du temple. Cette dernière - d'une taille bien plus grande que les femmes de la région - déambulait autour du feu sacré qui animait les lieux. Une longue et imposante tresse, de la même couleur que le braséro qu'elle côtoyait, descendait jusqu'au bas de ses reins. De nombreux détails pouvaient stimuler le regard des visiteurs, mais la hache de guerre à double tranchant, accrochée au mur derrière elle, se révélait le plus frappant de tous. Sa taille monstrueuse supposait une simple décoration. Cependant, l'usure perceptible à plusieurs endroits pouvait prétendre le contraire. Finalement, la visibilité de son exposition suggérait à quiconque de ne pas troubler l'ordre au sein du sanctuaire.

Les bruits de pas métallique du chevalier résonnèrent dans l'enceinte silencieuse, interpellant aussitôt la vestale qui posa ses yeux azurés dans sa direction. Elle portait une tenue similaire à celle de sa consoeur et le symbole du culte - représentant une main blanche sur un soleil noir - était on ne peut plus discernable.

Lorsque celle-ci reconnut Sin, sa bouche raffinée exprima un sourire flatteur.

— Hé bien, qui voilà ?! Mon petit chevalier noir préféré ! s'exclama-t-elle avec enthousiasme.

— Ravi de te revoir, Claire.

— Alors... Que me vaut l'honneur de ta visite, chérie ? Des doigts cassés ? Un tendon déchiré ? Laisse-moi deviner… hmmm… 

Elle médita un court instant, l'observant avec plus d'assiduité.

— Des côtes brisées, peut-être ?

Une assurance prononcée se lisait sur son visage, son arrogance se montrait aussi grande que sa beauté.

— On ne peut rien te cacher, déclara-t-il en perdant face à sa redoutable perspicacité.

Sous cet aveux sarcastique, Claire frappa dans ses mains d'un air victorieux.

— Très bien ! Ça veut dire que tu vas devoir retirer tout ce joli attirail ! affirma-t-elle avec un sadisme exagéré.

La jeune prêtresse ne comprenait pas les élucubrations de sa consœur. Elle parut étonnée au départ, puis se contenta de l'ignorer.

— Tu peux disposer, Chloé. Étant donné que je n'ai pas vu Sin depuis longtemps… Hmm... Renvoie tous ceux qui se présenteront jusqu'à ce que j'en ai fini avec lui !

— Bien, Dame Claire.

— Je t'ai déjà dit de garder tes "Dame" pour les bourgeoises qui le quémande.

— Bien, Vestale Claire.

Malgré cette réprimande sèche, elle fit une légère révérence, repartant à l'entrée du temple en silence et sous le regard insistant du chevalier.

— Ne t'occupe pas d'elle, c'est un simple coupe-jarret. Elle est un peu trop polie à mon goût si tu veux mon avis ! Ha ha.

— Je me disais bien qu'elle n'avait pas l'aura d'une quelconque prêtresse, confirma-t-il sans surprise.

— Oui... Je ne peux pas soigner les blessés et botter le cul des ivrognes qui viennent foutre le bordel ici en même temps, grogna-t-elle avec une colère palpable.

Claire est un paladin renommé dans tout Élyséa et au-delà. Rejoignant la Main Solaire il y a plusieurs années de cela, son parcours se voulait déjà incroyable pour une femme de son âge avant qu'elle n'ajoute ce poste à son étiquette.

Son affinité de Lumière ayant été découverte pendant son enfance, elle fut placée dans une kabbale dès son plus jeune âge. Cependant, elle ne termina pas son cursus. Ne pouvant gérer son comportement impulsif et ses débordements fréquents, l'organisation l'expulsa bien assez tôt de son académie. 

Dotée d'une force hors du commun, Claire fut finalement révélée paladin à l'âge de 12 ans et devint la plus jeune de sa classe dans toute l'histoire de Midgaïa. Elle décida alors de s'inscrire à la Guilde sous les conseils de son père, puis arpenta ainsi seule, et sans difficulté, les quêtes de chasses et d'explorations qu'elle entreprit. Malgré son caractère agressif et solitaire, cela ne l'empêcha pas de se forger une solide réputation au sein de l'organisation. Elle finit par atteindre le rang Adamantite à 17 ans et mit un terme à sa carrière d'aventurière sur un coup de tête. Peu de temps après cela, Claire croisa Sin par hasard dans une taverne. Il fut l'un des rares à surpasser sa force dite surhumaine en la mettant K-O lors d'une bagarre qu'elle provoqua.

— Si tu savais comme ça me fait plaisir de te revoir ! s'exclama-t-elle en enlaçant le bras de Sin.

Tout en exprimant la joie de cette retrouvaille, elle le tira vers la pièce située à l'arrière du temple. Cette salle faisait office de thermes privés. Il y avait d'un côté les bains de sources et de l'autre un atelier pour les soins. 

Le chevalier se laissa guider vers la table d'opération en marbre massif et s'assit dessus. Il commença à défaire les lanières qui maintenaient son armure jusqu'à ce que Claire prenne le relais. En le dénudant, la lumière du jour dévoila de nombreux hématomes sur son dos large et musclé. 

La jeune femme l'ausculta un temps, parcourant une grande partie de son corps avec ses doigts pour finalement faire d'inutiles détours dans son propre intérêt.

— Arrête de jouer, s'il te plaît, demanda-t-il avec une fermeté non assumée.

— Hé bien... Il me plaît de faire ce que je veux, rétorqua-t-elle d'un ton plus dominant. Ou préfères-tu peut-être voyager vers le temple d'une autre cité pour te faire soigner ?

Sin soupira face à ce chantage éhonté et fit un geste de la main pour acquiescer. Même si elle se délectait ouvertement de cette résignation, l'expression arrogante de Claire s'effaça à mesure qu'elle découvrait les blessures du chevalier :

— Qu'est-ce qui t'a fait ça ? Ça faisait longtemps que tu n'avais pas pris aussi cher...

— Mon premier ogre.

— Oh… Tu t'es enfin fait dépuceler ?! insinua-t-elle en pouffant de rire.

— Très drôle…

La jeune femme médita un instant, se remémorant de bons souvenirs. 

Ce rare silence interpella le chevalier qui s'empressa de savoir ce que son amie avait à l'esprit :

— À quelle mauvaise idée penses-tu encore ?

— Rien ! Ça me rend juste nostalgique !

— Pourquoi ?

— Parce que ça me rappelle mon premier ogre, déclara-t-elle tout en retirant le casque du chevalier avec délicatesse. Tu sais… Celui que je traquais dans la jungle d'Izalia à l'époque. Cet enfoiré de démon m'avait aussi bien amoché… Si je n'avais pas utilisé ma botte secrète, je serais sûrement entouré d'une portée de hobs à l'heure actuelle !

— Ah… Je me souviens de cette histoire. Les tavernes n'ont parlé que de ça pendant des mois... Finalement, toi aussi tu es un véritable monstre, ajouta Sin en esquissant un sourire. Dire que tu chassais ce genre de créature toute seule et pour t'amuser.

— Hé ! En même temps, nous représentons des classes d'élites. Si nous étions de bons et gentils soldats ce serait d'un ennui mortel tu ne trouves pas ? rétorqua-t-elle en pressant sensuellement sa poitrine contre lui.

Je ne sais pas comment elle fait pour tenir en place ici. Avec sa puissance, elle pourrait occuper un poste bien plus important au sein de l'empire… pensa-t-il en l'observant du coin de l'œil.

— Cet ogre… Il t'a fait stopper ta carrière d'aventurière si je me souviens bien ?

— Oui... murmura-t-elle d'un air pensif. Tu as bonne mémoire ! Ce stupide tas de muscle m'avait vraiment contrarié. Et je me suis dit que j'avais atteint mes limites… Du coup, j'ai claqué la porte de la Guilde. Si tu avais vu la tronche de mon père et celles de ceux siégeant à la capitale ! Je pense que ça vaut tous les magnus du monde.

Claire resta évasive sur cet événement. À l'époque, tous étaient surpris qu'elle arrête sa carrière au sommet de sa gloire. En plus d'être forte physiquement, son ego prononcé et son caractère difficile la rendaient impulsive et instable. Pour certains, elle voulait simplement préserver l'image inébranlable qu'elle incarnait au quotidien.

— Rejoindre la Main Solaire n'a pas non plus arrangé les choses, je pense, ajouta-t-il d'un autre sourire en coin.

Sin dévoilait un tout autre visage. Il se montrait détendu et ressemblait davantage au jeune homme souriant que Fenris décrivit dans son passé. Malgré cela, Claire ne paraissait pas aussi à l'aise face à ces souvenirs. Ces derniers lui rappelaient un tournant de sa vie qu'elle souhaitait oublier. Elle changea alors de sujet pour se concentrer sur son patient d'une manière plus subjective :

— Au fait, tu te souviens du jour où tu m'as allongé sensuellement sur cette table du Sanglier Ivre ? demanda-t-elle en lui touchant les lèvres.

— Tu veux dire le jour où mon poing t'a vulgairement étalé par terre ? rétorqua-t-il en repoussant sa main délicate avec nonchalance.

Elle lui mit une tape derrière la tête sans jauger sa force, l'envoyant presque valser.

— Aïe… Tu replaceras aussi mes cervicales, idiote.

— Respecte d'abord ton aîné ! exigea-t-elle d'une moue boudeuse. 

Ne laissant pas son expression puérile s'éterniser, Claire se décida enfin à appliquer ses soins sur les blessures de Sin :

— Tu connais les consignes ! Ne bouge pas pendant que j'utilise ma magie.

Il acquiesça cette directive d'un signe de la tête.

— Solaris Curae...

La vestale lança son sortilège de rétablissement sans incantation. Même si le cristal incrusté dans son amulette était d'une grande qualité, elle démontrait un niveau de maîtrise qui aurait fait pâlir de jalousie n'importe quel guérisseur. 

La lueur - qui se dégageait de la paume de ses mains - irradiait la pièce. Les blessures se refermèrent à vue d'œil, ne laissant aucune cicatrice, et la peau violacée reprit progressivement sa teinte d'origine. 

Le comportement agité de la jeune femme s'évanouit un instant, remplacé par un calme et une concentration qui ne lui ressemblaient pas au premier abord.

— C'est dommage que je ne t'aie pas rencontré plus tôt... On aurait pu partir à l'aventure ensemble, déclara-t-elle avec un air songeur.

Cette réflexion crispa Sin. Cependant, il joua le jeu, même s'il savait que cela ne serait jamais arrivé. 

Dans ce monde, les êtres puissants s'attirent irrémédiablement. Néanmoins, le garçon chétif et érudit du passé n'aurait probablement jamais séduit le violent paladin qu'elle fut à ce moment-là.

— Oui… c'est vrai que tu as arrêté ta carrière juste avant notre rencontre. Il faut croire que le destin ne semblait pas emballé par cette idée, répondit-il avec humour. Après il n'est jamais trop tard, tu sais...

Sur le moment, ses paroles sonnaient comme une invitation. Elles piquaient Claire d'une envie éphémère :

— Ne me fais pas marcher ! De toute manière, mes engagements à présent sont tout autres…

Il n'insista pas. Après tout, il cherchait juste à la rassurer.

En y réfléchissant bien, pourquoi n'a-t-elle pas été désignée comme une championne ? Je n'ai jamais pensé à poser la question à Frigga…

La vestale plongea une serviette dans un bol d'eau chaude et essuya le dos du chevalier avec.

— J'ai terminé. Je te laisse rejoindre les thermes, fit-elle en rangeant la table d'opération.

Il retira le reste de son armure et entra nu dans le bain. En s'appuyant à l'une de ses parois, il constatait que la température était parfaite, au point de lui dérober un petit soupir de soulagement.

Alors qu'il se vidait la tête de ses mésaventures et que l'eau tiède chatouillait ses cuisses, il fut interpellé par les grognements de Claire :

— Saloperie de robe ! vociféra-t-elle en essayant de la retirer. Si seulement je pouvais travailler en armure, ce serait bien plus simple !

— Je peux savoir ce que tu fais au juste ?

— Allons... Ne fais pas le puceau avec moi ! Tu sais bien que tes magnus ne m'intéressent pas, déclara-t-elle sans complexe.

Sin arbora une expression désespérée face à ce comportement extravagant. Même s'il la connaissait depuis plusieurs années, il restait surpris de voir les nombreux caprices de celle-ci.

— Et que pense le Pontife Sullivan de tes sous-entendus douteux ?

— Quel hypocrite tu fais ! Tu es le mieux placé pour savoir que j'ai rompu mes voeux de chasteté depuis longtemps… De toute manière, je peux t'assurer que ce vieux rat dégarni est aussi douteux que mes propos ! Si cela avait vraiment dérangé tous ces vieillards postés à la capitale, je ne serais plus ici aujourd'hui. Il faut croire que l'or que nous engrangeons est bien plus important que leurs propres idéaux.

Une fois libérée de sa robe, elle entra à son tour dans le bain - partiellement nue. Vêtue d'un simple et léger pagne de soie, l'eau finit par révéler le peu d'intimité qui lui restait. Et lorsqu'elle s'en rendit compte, elle l'abandonna aussitôt sans la moindre pudeur.

Le corps élancé du paladin soulignait des formes généreuses et quelques cicatrices venaient rappeler son passé d'aventurière. Elle se rapprocha avec assurance de Sin et l'enlaça, pressant sa poitrine contre la sienne. 

Alors qu'elle essaya de l'embrasser aussi spontanément que son intrusion, il détourna la tête.

— Arrête… 

Malgré ses avances explicites qui ne donnèrent aucun résultat, Claire ne s'avoua pas vaincue et retenta sa chance. Sin la repoussa alors de nouveau avant que celle-ci ne s'énerve face à ces refus catégoriques :

— Tu te fous de moi ?! Est-ce que je dois te rappeler ce que tu m'as fait après ton retour ?! Lorsque tu as disparu de la surface de Midgaïa du jour au lendemain, pour finalement réapparaître sans la moindre explication… et avec cet air lugubre que tu ne quittes plus ?! 

Ses reproches soudains montraient à la fois une colère et une tristesse palpable. Son insolente assurance s'envola le temps d'une conversation.

— Et aujourd'hui, alors que je ne t'ai pas vu depuis des semaines, peut-être des mois, tu me rejettes ?! 

— Tu ressasses encore le passé ? demanda-t-il sans surprise. Je n'étais pas dans mon état normal ce jour-là, et tu sais bien pourquoi...

— Vraiment ?! Qui ressasse le passé à cet instant ?! Je ne connais pas la fille que tu chéris tant, mais selon tes dires elle ne reviendra pas ! Et… Et ma virginité non plus !

— Malheureusement...

Sous le soupir que Sin exprima, Claire le gifla, lui faisant involontairement tourner la tête sous la violence de son coup. Dans la confusion, elle posa ses mains sur son visage et l'embrassa avec une fougue brutale. 

Pendant un instant de lucidité, il tenta de la repousser une fois encore. Cependant - avec une furieuse détermination - elle attrapa ses poignets pour l'immobiliser et poursuivit son baiser bestial, enroulant par la même occasion sa longue jambe autour de la sienne pour lui éviter toute fuite. 

Affaibli par son état, Sin ne put se libérer. Le paladin dominait le chevalier noir à ne pas s'y méprendre.