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Chapitre 15

La nuit était tombée sur la capitale Najycima. À la fenêtre d'une chambre, dans l'une des innombrables auberges de la cité, la lumière d'une chandelle brillait. Assise à même le plancher, Zaÿsha, l'amazone, aiguisait ses poignards. L'ivoire de la lame reflétait la flamme de la bougie, renvoyant des éclairs blancs.

Les gestes de la jeune guerrière trahissaient sa frustration. Quatre jours, cela faisait quatre jours qu'elle avait fait son rapport concernant Udiir Arginane. Et rien, pas de nouvelles instructions. Elle devait attendre là comme une idiote à aiguiser ses armes et à tourner en rond dans cette grande ville qui empestait la mer à plein nez !

Alors qu'elle fulminait intérieurement, une lueur bleue jaillit de sa sacoche. C'était le signe qu'elle espérait ! Zaÿsha laissa tomber son poignard et se jeta sur son bagage pour en sortir un miroir ovale poli dont les bords étaient ornés de runes arcaniques. Ces dernières brillaient de mille feux. Il s'agissait d'un miroir de communication. Lorsque les runes brillaient, cela signifiait que quelqu'un avait engagé le contact.

L'amazone fit glisser ses doigts le long des runes dans un ordre précis afin d'activer la réception magique. La surface du verre s'illumina à son tour et le visage d'une amazone plus âgée apparut.

Zaÿsha inclina la tête en signe de respect avant de dire :

─ Mère.

Puis, elle attendit que son interlocutrice lui réponde. Lorsque cette dernière prit la parole, la magie du miroir retransmit la voix d'une façon légèrement déformée.

─ Zaÿsha… Les choses sont en mouvement.

─ Quelle est la situation mère ?

L'amazone âgée prit quelques secondes avant de répondre.

─ La reine Artha s'est bien rendue au village des Arginanes comme nous le pensions.

La jeune guerrière serra le poing de frustration et frappa le sol.

─ Qu'en est-il ressorti ?

─ Ça n'a pas encore été annoncé, mais le fils de Garam va être amené à la capitale.

Zaÿsha frappa la commode d'un coup de poing. Udiir allait être la cible de tous les regards désormais. Il allait être difficile de l'approcher sans être repérée.

─ Qu'est-ce que l'on peut faire à présent ? demanda la jeune Amazone, dès l'instant où je tenterais de lui parler, je me ferai remarquer et Artha exigera de notre part des explications. Et tu sais tout comme moi que c'est inenvisageable pour l'instant.

Un lourd silence se fit, la mère et la fille ne disaient rien. L'ainée reprit finalement la parole :

─ La seule solution est de surveiller Udiir. Tu as toujours tes entrées à l'académie, n'est-ce pas ?

─ Oui mère.

─ Alors, tu sais ce qu'il te reste à faire : prends contact avec lui, établis un lien de confiance et veille à ce qu'il ne lui arrive rien. Bientôt, il partira on avisera à ce moment-là.

Ce plan n'était pas parfait, il était également risqué. Mais c'était le seul qui permettrait de garder secrètes les informations que Zaÿsha et sa mère possédaient. Tels étaient les ordres de sa mère, Chaiira, l'impératrice d'Inguadia.

***

Le cri d'un rapace transperça le ciel de l'aube. Udiir leva les yeux vers le ciel, c'était un faucon. Sous ses iris bleu orage, le jeune chaman portait le poids de quatre nuits quasi blanches. À la suite de l'annonce de la reine Artha la veille, une longue discussion animée avait suivi. Des cris et des pleurs d'angoisse également. Les proches d'Udiir s'opposaient fermement à ce qu'il aille à l'académie. Pour eux, cela était bien trop risqué : des gens auraient peur de lui, d'autres voudraient lui faire du mal.

Mais toutes ces inquiétudes bienveillantes n'avaient pas pesé bien lourd face à l'ordre royal d'Artha. Selon elle, tôt ou tard, Udiir devrait s'intégrer au monde extérieur et l'académie était le meilleur endroit pour cela. En dépit de sa crainte, le chaman ne pouvait dire le contraire. À présent que son existence était connue de tous, il ne pouvait plus revenir en arrière. Il allait devoir s'aventurer un minimum dans le monde extérieur. Il savait que ça ne serait pas simple, les gens auraient peur de lui, voire le détesteraient pour son apparence.

Toutes ces pensées faisaient bouillonner son esprit et l'empêchaient régulièrement de trouver le sommeil. Mais gamberger ne le menait à rien maintenant. Dans trois jours, il prendrait la route avec ses sœurs et la reine pour l'académie. C'était la condition que le seigneur Jayce et sa famille avaient imposée : Kiara et Arya devaient pouvoir rester à l'académie afin de surveiller l'évolution des choses et protéger leur petit-frère.

Artha y avait consenti, consciente que la situation était déjà très tendue, il valait mieux ne pas jeter de l'huile sur le feu. Comprenant qu'il n'arriverait pas à s'endormir, Udiir se leva de sa couche et saisit son marteau. Son arme à la main, il s'avança sur le plateau. Il invoqua le pouvoir de la terre et forma un mannequin d'entraînement. Le chaman leva son arme et commença un enchaînement de frappes. Le son de l'acier résonna sur le plateau, s'ajoutant aux sons de la faune locale qui se réveillait.

Il perdit bien vite le fil du temps alors qu'il exerçait ses muscles. Le jeune forgeron ne réalisa pas que quelqu'un entrait sur son territoire avant que ladite personne ne soit devant sa demeure. Il arrêta alors son entrainement et se retourna. La reine Artha se tenait juste à l'orée de la forêt, seule.

─ Vous n'avez pas amené votre escorte ? s'étonna Udiir.

Le chaman réalisa que le soleil était haut dans le ciel, il devait être un peu plus de dix heures. 

─ Non, j'avais besoin de te voir en priver Udiir, répondit Artha.

L'intéressé voulut répondre, mais les gargouillis de son ventre le devancèrent.

─ Je le ferais volontiers, mais ça sera en prenant mon repas si vous le permettez, votre Majesté.

La souveraine n'y voyait aucune objection. Udiir sortit une miche de pain, une tranche lard, de fruits secs et un bol de lait. Tandis qu'il faisait cuire la viande et chauffer le lait, Artha s'assit devant lui. Après quelques secondes à observer le jeune chaman, la reine prit la parole :

─ Es-tu en colère contre moi Udiir ?

La question était surprenante, il ne s'attendait pas à cela.

─ Pour quel motif ? demanda-t-il, surpris.

─ Parce que je t'oblige à quitter ton foyer pour aller dans une cité que tu ne connais pas, où beaucoup de gens risquent de te détester. 

Udiir ne sut quoi dire : il ne savait pas si la reine le testait ou bien si elle tentait de lui présenter des excuses.

─ Je ne vous cache pas que j'ai peur et que j'aurais préféré rester avec toute ma famille pour entrer dans ce conflit. Alors en effet, je n'aime pas cette décision et je vous en veux un peu d'avoir mêlé la politique à mon histoire.

─ Je suis la reine d'Erganane Udiir, très peu de mes actes ne sont pas liés à la politique. Ton existence même a provoqué un raz-de-marée dans le royaume, sans parler de tes pouvoirs.

─ Vous ne m'apprenez rien, votre Majesté. J'avoue cependant avoir espéré pouvoir temporiser les choses. Rester un peu sur ma montagne, ou au moins au village avant d'entrer dans le monde extérieur.

La souveraine comprenait ce que le jeune chaman éprouvait. Une idée traversa alors son esprit, un moyen pour aider son jeune sujet à sortir de ses angoisses. Artha se releva alors et son trident en main lança :

─ Très bien, relève-toi et affronte-moi !

Udiir regarda la reine d'un air décontenancé. Ses yeux grands ouverts menaçant presque de sortir de leurs orbites.

─ Vous voulez faire un duel avec moi Majesté ?

La reine hocha gravement la tête.

─ Je suis curieuse d'éprouver par moi-même tes capacités de combattant. Mais aussi tes fameux pouvoirs que je n'ai pu qu'observer de loin jusqu'à présent. Je t'interdis de te retenir c'est clair ?

─ Vous êtes…

─ C'est un ordre !

Comprenant qu'il était inutile de protester, Udiir prit son marteau et se plaça au centre du plateau rocheux.

─ Celui qui fait couler le premier sang a gagné. Sommes-nous d'accord ? demanda-t-il.

Artha acquiesça, faisant tournoyer sa lance avec une aisance admirable, elle prit place à son tour. La pointe de son trident en avant, la reine guerrière se mit en garde.

Le temps se figea pendant quelques instants. Puis en un battement de cils, Artha chargea et porta un puissant coup d'estoc au chaman. Ce dernier eut tout juste le temps de bloquer le fer de l'arme ancestrale. Les pointes du trident percutèrent la tête de Gal 'Rash dans un fracas semblable au déferlement des vagues. Le choc se répercuta dans tout le bras du guerrier. Cela le surprit quelque peu. Udiir savait qu'Artha était une grande guerrière, mais il s'attendait à avoir l'avantage sur le plan physique.

Une évidence d'une simplicité navrante apparut dans son esprit, il maudit ses réflexions incessantes qui obscurcissaient son esprit. Udiir ouvrit sa perception aux énergies qui parcouraient son environnement. Il perçut alors clairement l'aura qui entourait et renforçait la reine. La bénédiction de Najyana, la déesse des océans et des tempêtes, l'enveloppait et la galvanisait.

Ce fut le déclic dont Udiir avait besoin pour pleinement chasser les brumes de son esprit. Il poussa un rugissement bestial et contre-attaqua. Artha le maintint à distance grâce à l'allonge de son trident. Le chaman se mit alors à feinter pour percer sa défense.

Artha comprit très vite les manœuvres d'Udiir, elle décida donc de passer à la vitesse supérieure. Tout en faisant tournoyer sa lance en acier massif, la reine se mit à incanter. Le vent se leva alors, de lourds nuages chargèrent le ciel au-dessus du plateau. Un crachin presque imperceptible se mit à tomber tandis que plusieurs éclairs zébraient les nuages. Le chaman savait parfaitement qu'il s'agissait là du pouvoir de Najyana.

Contre toute attente, il ne tenta pas de stopper la reine avec sa propre magie. Il était étrangement calme, Artha, curieuse acheva son incantation et clama :

─ Que frappe la foudre ! TANDEVARUM NAJYANA !

Le trident de la reine crépita puis s'illumina d'une lueur bleutée. La foudre tomba alors du ciel et frappa la lance. L'arme absorba le don divin avant de le relancer sous la forme d'un éclair. Le trait de foudre fendit l'air dans un crépitement assourdissant avant de frapper Udiir de plein fouet. Le chaman n'était pas inquiet. Il laissa la foudre de Najyana entrer en lui. Udiir décrypta et assimila l'éclair. Il était bien différent de ceux de Bal'Ash. Il était altéré, contrôlé, apaisé. Cela permettait de lancer les sorts avec plus de précision et sur de plus grandes distances, le chaman le comprenait. Mais la puissance s'en trouvait amoindrie.

Udiir fit circuler la foudre dans son corps et il en appela à la puissance de Bal'Ash. L'énergie de l'esprit de l'air imprégna alors le corps du chaman et absorba l'éclair de Najyana. Udiir s'appropria la puissance de la foudre et la laissa rugir en lui. Le corps et les yeux du chaman se mirent à irradier d'énergie pure. Le pouvoir fusa dans tout le corps d'Udiir, avant de converger vers ses bras et ses jambes. Sans perdre plus de temps, il chargea. La foudre décupla la puissance de son saut.

─ BRAH'ZISH BAL'ASH !!

Le marteau d'Udiir décrivit un arc de cercle iridescent. Le chaman avait gagné la partie, tout du moins il le pensait à cet instant. Artha fit alors tournoyer son trident à nouveau. Elle cala le fer de sa lance juste sous la tête du marteau. Puis d'un mouvement d'une précision et d'une puissance spectaculaire, la reine dévia le coup de masse.

Sous le choc, Udiir perdit l'équilibre et Artha en profita pour lui asséner un coup de hampe dans l'abdomen. Le chaman eut le souffle coupé et s'écroula au sol, sans défense. Artha plaça alors les pointes de son trident sur la jugulaire d'Udiir. Elle avait gagné.

Le guerrier-chaman était sous le choc jamais : personne n'avait réussi à le mettre à terre si facilement. Son esprit était blanc, vide. La reine s'approcha de lui et l'aida à se redresser avant de lui dire d'une voix calme et au ton très pédagogue :

─ Tu as une grande puissance de frappe, mais quand tu n'utilises pas ta magie tu manques d'allonge. Tu ne pourras pas toujours utiliser la tactique qui t'a permis d'affronter la horde sur la plaine.

Artha avait raison, sur la plaine Udiir avait joué le tout pour le tout. En comptant sur l'arrivée des forces Erganiennes, mais une fois au front il ne pourrait pas agir ainsi.

─ Tu dois développer davantage ta vitesse et ta mobilité, ajouta la reine. Sinon tu ne survivras pas. Mais sache-le, ce qui t'attend à l'académie, c'est aussi un nouveau monde.

Les mots de la souveraine étaient lourds de vérité. Les choses ne seraient pas simples dans les semaines et les mois à venir. Le chaman inspira longuement, puis il se releva.

─ Au moins je sais quoi faire pour m'occuper avant le départ.

Sur ces mots, les deux combattants reprirent leur danse.

***

Le jour du départ arriva enfin. Ce matin-là, Udiir se réveilla avant même que l'aurore ne pointe à l'horizon. Il rassembla tout ce dont il avait besoin, selon lui, pour son séjour à la capitale. Il prit une enclume, ses outils de forges, des matières premières, sans oublier une grande quantité de vêtements. Une fois le paquetage fait, Alka et Udiir ressemblaient à une caravane à eux seuls.

Les deux compères descendirent de la montagne, à leur arrivée au village, le soleil brillait doucement dans le ciel. Il devait être environ neuf heures du matin, le départ était proche. En effet la reine et son escorte terminaient tout juste leurs préparatifs. Arya et Kiara, ainsi que leurs subordonnés, étaient prêtes également.

Le trajet était clair : la téléportation n'était pas possible, aussi bien à cause de la distance que du nombre de voyageurs. La caravane allait donc chevaucher jusqu'à Arguane, le siège du seigneur Jayce et de la famille Marteau-Stellaire. Puis de là ils prendraient le réseau fluvial pour gagner la capitale.

Udiir descendit de sa monture et contempla le paysage qui s'étendait sous ses yeux. Il avait grandi sur cette montagne et dans ces forêts. Et à présent, il s'apprêtait à les quitter pour un temps indéterminé. Le chaman resta ainsi pendant quelques minutes, gravant cette image dans son esprit. Arya s'approcha alors de lui et posa sa main sur son épaule :

─ Udiir c'est l'heure, déclara la magicienne.

Son frère soupira et avec sa monture se dirigea vers le gros de la troupe. Roy et Alyssia étaient présent eux aussi, Udiir comprit à leurs yeux rouges et cernés, qu'ils avaient très peu dormi, mais aussi beaucoup pleuré ces derniers jours. Avant qu'Udiir ne dise le moindre mot, sa mère l'enlaça et le serra contre elle.

─ Soit très prudent là-bas fils. Reste près de tes sœurs et écoute bien ce que tes précepteurs te disent, parvint-elle à murmurer.

Son fils se contenta d'acquiescer en guise de réponse. Les mots lui manquaient. Roy lui non plus ne parvint à dire quelque chose, la peur et l'inquiétude lui nouaient la gorge. Il se contenta de serrer son fils dans ses bras puis il repartit à grands pas vers la maison. Le paternel n'était toujours pas rassuré à l'idée de le laisser partir dans le monde extérieur. Il redoutait plus que tout ce à quoi son fils serait exposé à la capitale.

Une fois les « au revoir » terminés, tous les membres du convoi se mirent en selle. La colonne s'ébranla et quitta le village. En franchissant la porte du village, Udiir en appela au vent. Il étendit sa conscience le plus loin possible. Le monde s'ouvrait à lui, mais tous ses dangers également.