Chapitre 15

Ces types sont des fous furieux.

- Tout le monde est bien échauffé ? Everyone is all warmed up ?

La dizaine d'enfants qui constituaient ma classe hochèrent la tête, la respiration hachée. Je m'étais attendu à ce qu'ils abandonnent dès le troisième tour de terrain et qu'ils pleurent en disant que c'était trop dur, mais non : ils rongèrent leur frein et finirent l'exercice sans même chahuter.

L'instructeur frappa ses mains l'une contre l'autre :

- Bien ! All right ! Je veux tout le monde assis en cercle. On va faire les présentations. Make a circle, we're going to do presentations today.

La majorité des élèves venant de l'étranger, les professeurs n'avaient d'autre choix que de s'adapter pour que tous puissent comprendre les directives. Et puis on s'y habituait vite : mon cerveau réagissait à peine à l'anglais maintenant.

- Qui veut commencer ?

J'étais à l'extrémité du croissant de lune de notre demi-cercle. L'instructeur se désigna du pouce.

- Je suis Mizuki-sensei, votre professeur agrée au combat au corps à corps. Dans ma classe vous apprendrez à vous défendre et à fuir face à d'éventuels assaillants, le temps que les secours arrivent.

Il désigna le premier élève sur sa gauche.

- Ton nom, pourquoi tu es dans cette école et si oui ou non tu possèdes un Alter utile à ta survie.

Le garçon avait des cheveux blonds et des yeux bleus éteints.

- Patrick Bate. Ma tante pense que je dois apprendre à me défendre depuis que j'ai failli me faire kidnapper. Pas d'Alter utile.

Le professeur n'avait pas l'air le moins du monde surpris d'entendre qu'un enfant de quatre ans avait manqué d'être enlevé. Il lui sourit puis traduit pour tout le monde.

Une petite blonde continua.

- Valentina Legdara. Tentative d'assassinat. Télékinésie.

Le prochain garçon continua dans un Japonais approximatif :

- Genma Shiranui. Euh, prise d'otage ? Pas d'Alter utile.

Les présentations suivantes n'étaient pas différentes. Aucun d'entre eux n'était là pour devenir un héros.

Le plus étonnant était de constater que quasiment aucun n'avait d'Alter utile.

Le professeur se révéla être un polyglotte plutôt doué. Il savait parler Russe, France, Anglais, Turque, Chinois, Espagnol et évidemment Japonais.

Au vu de la fluidité avec laquelle il passait d'une langue à l'autre, je soupçonnais que c'était dû à son Alter.

Il me désigna du menton.

- Ton tour

- Shoto Todoroki. Feu et glace.

- Deux Alters, pas commun

Il m'offrit le même sourire qu'il avait donné à chacun.

Les deux jumelles anglaises remuèrent à ma gauche.

- I saw him last week. His father is the number two of Japan.

- He's the only one who didn't said why he was here. Probably because nothing major happened to him.

- Just a matter of time

Mizuki frappa ses mains pour capter notre attention.

- Maintenant que nous nous connaissons un peu mieux, commençons nos exercices. Qui a des connaissances en arts martiaux ?

Les trois quarts des élèves levèrent la main.

*

Notre troisième professeur de la journée était une blonde aux bras si épais qu'elle aurait pu m'écraser le crâne comme une noix entre le creux de son coude et son biceps.

- Je suis le sergent instructeur Sarah Connor. Bienvenue à Sword and Cross, les bleus.

Elle parlait en Japonais avec un très fort accent américain.

- Dans mon cours vous apprendrez à survivre en terrain hostile le temps que les secours vous trouvent. Je vous apprendrai à vous nourrir de ce que vous trouverez, à vous soigner, à vous fondre dans la population locale ainsi qu'à construire un portable à partir de pièces détachées.

L'américain, Patrick, leva la main.

- Et si les secours ne viennent pas ?

Elle sourit et la cicatrice au coin de sa bouche se tendit sur sa peau, lui donnant l'air d'un clown détraqué.

- C'est ce qu'on enseigne en troisième année. Essayez de ne pas disparaître d'ici là.

*

La cantine était haut de gamme, comme toute le reste de l'école. Elle était située au pied des dortoirs et possédait une immense baie vitrée qui donnait une vue plongeante sur la pelouse. Je la soupçonnais pare-balles.

- Groupe un des premières années, venez par ici

Maoki nous mit en rangs, plateaux en main. J'étais dans le fond du groupe à côté de l'américain aux yeux éteints.

Il n'y avait que six tables d'élèves comme la nôtre. Ils étaient entre huit et douze, et tous mangeaient avec un professeur. Les dernières années avaient l'air plus bavards que les premières années.

Un peu plus de soixante élèves. Je me demande combien chaque famille paie par étudiant.

Nous nous installâmes autour d'une table en verre rectangulaire. Les chaises étaient faites main, et les couffins brodés de fil doré.

Maoki s'assit en tête de table et sourit à tout le monde. Les jumelles étaient juste à sa droite et attendaient qu'elle les autorise à commencer le repas.

Je m'assis le plus loin possible d'elle, mettant le gros Allemand entre nous deux.

Je mangeai sans préalable, affamé. Vu que j'avais commencé l'école j'avais décidé de me lever plus tôt afin de faire mon entraînement physique avant d'y aller.

Il faudrait que j'ajuste mon emploi du temps, mais de toute façon je devais déjà le faire vu qu'il était devenu obsolète.

- Alors, comment a été votre matinée ?

Les jumelles échangèrent un regard.

Des réponses plus ou moins enthousiastes lui répondirent. Maoki ne lâcha rien :

- Et Madame Connors, qu'est-ce que vous avez pensé d'elle ?

- Elle fait peur

Les élèves pouffèrent et regardèrent la petite blonde qui venait de parler avec un mélange d'admiration et de surprise.

Maoki sourit, ravie d'avoir réussi à susciter une réaction des enfants stoïques.

Elle se pencha comme une conspiratrice et souffla :

- Moi aussi elle me fait un peu peur, mais vous ne lui dites pas hein ?

Les enfants secouèrent la tête. Le grincheux du groupe croisa ses petits bras sur son torse :

- Et si je lui dis, vous allez faire quoi ?

Je finissais mon bol de soupe en silence et me tournait pour voir la réaction de Maoki.

Elle recula sur sa chaise, haussa les épaules et regarda ailleurs, son sourire ne la quittant jamais.

- Si tu lui dis ça veut dire qu'on est pas amis ?

La réponse de l'enfant fut catégorique.

- On est pas amis

Il venait de jeter un froid sur l'assemblée. Les élèves reprirent leurs expressions mornes et leurs yeux perdirent de leur éclat.

- Et bien c'est dommage, parce que j'avais une super balade en poney prévue pour cette après-midi

Le garçon grognon se redressa, son intérêt piqué.

Les jumelles échangèrent un regard.

- Des poneys ?

- Tout un paquet, assez pour chacun d'entre vous. (Maoki haussa les épaules) J'avais aussi prévu de la glace et un super film, mais ce n'est que pour mes amis alors...

La petite blonde italienne leva la main.

- Moi je veux être votre amie

- Moi aussi !

- Moi aussi !

Une vague de cris de joie s'empara des enfants. Ils avaient tous perdu leurs airs renfrogné et inaccessible et exigeaient tout un tas de détail sur l'après-midi à venir.

Je finis mon saumon à coups de fourchettes.

Entraînement militaire le matin et garderie l'après-midi...

*

- Tous ceux dont les parents ont signé l'autorisation sont présents ?

Le professeur se tourna vers son assistant. Calepin en main, ce dernier parcourut la liste avec photo du bout des doigts.

- Ils sont tous là

- Très bien. Est-ce qu'on a des premières années parmi nous ?

J'étais le seul à lever la main.

- Des nouveaux qui n'étaient pas là l'an dernier ?

Tous ceux de deuxième année et quelques uns de troisième se manifestèrent.

- Formez deux groupes. Ceux dont c'est la première séance sur ma gauche et ceux qui étaient déjà là à ma droite.

Le groupe de gauche était le plus gros.

- Je suis Géralt de Rives et je serai votre professeur d'armes blanches pour vos années à Sword and Cross. Si vous êtes ici aujourd'hui c'est parce que vos parents ou tuteurs légaux vous ont jugé dignes de manier une arme blanche sans vous mettre en danger ou mettre en danger la vie d'autrui.

Il frappa l'épaule de son assistant aux cheveux bordeau.

- Tanjiro ici est mon co-professeur. Il s'occupera du groupe de ceux qui sont déjà familiers avec nos méthodes d'entraînement.

Tanjiro s'avança.

- Ce groupe, avec moi. On va reprendre directement l'entraînement là où on l'avait laissé l'an dernier.

Huit élèves le suivirent, discutant à voix basse entre eux.

- J'espère que vous vous êtes bien entraînés pendant les vacances, sinon

La remarque les fit taire.

Il tira un coffre noir et leur distribua des épées en bois.

- Mettez vos protections et on y va

Le professeur De Rives nous barra la vue de l'autre groupe.

Il promena ses pupilles dorées sur nous.

- Comme il ne vous reste que deux ans pour apprendre les rudiments du métier nous allons avoir droit à une formation expresse (Il me regarda droit dans les yeux) Ton nom ?

- Todoroki

- Vu que tu es le seul première année il va falloir que tu t'accroches pour garder le rythme. Si c'est trop dur préviens moi et on verra comment faire à partir de là.

Je hochai la tête même si je n'avais pas l'intention d'abandonner.

J'étais en train de toucher un point mort dans mon entraînement personnel de Kenjutsu vu que je n'avais pas de vrai professeur avec lequel interagir – ce cours optionnel était une aubaine, et je ne laisserai pas cette opportunité passer.

- A Sword and Cross nous portons une attention toute particulière à la sécurité et au bien être de nos étudiants. Apprendre à manier une épée sera votre base commune : a partir de l'an prochain vous pourrez apprendre à manier une autre arme. Si vous êtres très bons vous aurez même droit à une troisième mais n'ayez pas trop d'espoirs, ça n'arrive que rarement.

Il y avait une fillette qui frimait parce que elle savait déjà manier la dague et l'épée. Ce devait être à un niveau sommaire mais c'était impressionnant quand on réalisait que la moyenne d'âge des élèves était de cinq ans.

- En plus de manier une lame, vous apprendrez à l'entretenir et faire en sorte qu'elle reste en bon état. Rappelez vous qu'en terrain hostile votre arme est votre allié le plus précieux.

Une main se leva.

- Et notre Alter ?

- De nos jours tout le monde compte tellement sur son Alter qu'ils en oublient le plus important : notre corps. Notre corps est notre arme la plus précieuse et je peux vous garantir qu'un corps bien entraîné vaut infiniment plus qu'un Alter qu'on aimerait croire tout puissant.

Sa remarque créa des remous parmi les élèves.

- Vous voulez une démonstration ?

Tout le monde hocha la tête. J'étais moi-même très intéressé par la suite du cours.

- Qui ici a un Alter offensif ?

Moi et un autre garçon levâmes la main. De Rives le pointa du menton.

- Je peux faire bouger le sol un peu

- Toi ?

- Feu et glace

- Deux Alters ? Viens par ici

Je traversai le groupe jusqu'à me retrouver face à lui.

- Tanjiro !

L'autre professeur lui lança une épée en bois sans même se retourner.

- Todoroki, tu sais bien utiliser tes Alters ?

Pour toute réponse je fis chuter la température dans ma proximité directe avant d'embraser mon côté gauche.

J'avais toujours du mal à utiliser les deux côtés en même temps mais je progressai.

De Rives leva sa main vers les élèves.

- Voici mon Alter

Le bout de ses doigts s'alluma. On aurait que des lucioles vertes étaient cachées sous ses ongles et venaient de prendre vie.

- Pas très impressionnant, hein ? Dans notre cas de scénario Shoto est celui qui a l'avantage

La fillette de tout à l'heure leva la main.

- Mais vous êtes un adulte vous

- C'est juste

De Rives mit sa main droite dans son dos et se mit à cloche pied.

- Maintenant je suis un adulte estropié à qui il manque un bras

Les enfants s'esclaffèrent.

- Ca vous paraît plus égal ?

- Oui !

L'ombre d'un sourire plana sur les lèvres du professeur. Il me fit face, ses yeux s'ancrant dans les miens.

- Voyons combien de temps est-ce que Todoroki peut survivre face à un tel adulte avec un aussi bon Alter

Son expression devint sérieuse.

- Je veux que quelqu'un compte à voix haute pour qu'on ait une idée du temps. (Il ne me lâcha pas du regard) Le garçon avec les lunettes, oui toi là-bas qui te cache derrière ta copine. Compte.

Je fléchis les jambes, mon Alter s'excitant dans mon estomac. Je n'avais jamais eu l'occasion d'affronter qui que ce soit depuis que j'avais commencé mon entraînement – encore moins un adulte.

- Moi ? Euh, d'accord

Le garçon inspira bruyamment.

- Un-

Je n'eus même pas le temps d'ouvrir ma paume que l'épée en bois était déjà à ma gorge.

Un souffle de vent fit voleter mes cheveux.

J'écarquillai les yeux.

La carotide.

Les élèves étaient silencieux. De Rives resta immobile jusqu'à ce que tous aient bien réalisé qu'il m'avait battu en une seconde.

Une. se.conde.

Il remit son pied à terre et me fit signe de rejoindre le groupe.

- Ce que je viens de faire c'est ce que tout le monde ici sera capable de faire avec de l'entraînement et de la discipline.

Ce type était bon, très bon même. Je voulais absolument apprendre de lui.

- Ce ne sera pas facile, bien au contraire. Il vous faudra investir beaucoup de temps et de l'énergie, mais si vous suivez mes enseignements à la lettre rien ni personne ne pourra vous arrêter.

Il promena son regard sur notre assemblée. L'air était chargé d'électricité.

- Qui veut commencer ?

Tout le monde leva la main.