Chapitre 63 : “ Construisons l’avenir ”.

Une usine détruite par le temps se profilait devant le trio. Ils étaient arrivés à destination sans autre réel contretemps. L'armure brisée de Reiner avait vaguement été rapiécée avec quelques fibres et le cuir des devorambre mort, mais elle tenait. Cependant, la simple vue du bâtiment fit vaciller sa résolution. 

[ Comment je suis censé me concentrer sur l'avenir alors que tout me rappelle le passé…]

Reiner força un soupir, continuant d'avancer le dos droit. Il avait passé tout le reste du trajet à réfléchir aux meilleures phrases à dire quand il reverrait Mélissa, cependant, tout celà c'était avéré inutile. Son esprit s'était vidé quand elle se profila pour les accueillir, et qu'il put la voir. Elle avait tant changé. Son apparence misérable et vieillie était tellement différente de celle qu'il connaissait. Reiner souria amèrement, serrant ses poings en essayant de paraître joyeux. Chaque souvenir qui ressurgissait dans son esprit était douloureux, mais il se concentra sur l'expression de Mélissa, partagée entre l'incompréhension, l'espoir, et la tristesse. 

" Rei-ner ?"

Elle n'arrivait pas à en croire ses yeux. Elle ne pouvait pas rêver, elle en était consciente. Pourtant, elle pinça son bras afin de s'assurer de la réalité. Plus loin derrière elle se trouvait d'autres androïdes, marmonnant bruyamment quand ils l'entendirent parler.

" Alice, tu…tu l'a vraiment ramené… Je…je…"

Les genoux de Mélissa perdirent toutes ses forces alors qu'elle retenait difficilement ses sanglots. Alice s'avança pour la prendre dans ses bras silencieusement, laissant également Reiner s'avancer en souriant sincèrement.

" Oui, c'est moi. Heureux de te revoir."

Salvatoris n'avait aucune idée de quoi faire. Il se sentait comme un intrus n'ayant rien à faire ici. Il observait les deux femmes avancer, restant silencieux. Toutefois, les paroles de Mélissa atténuèrent cette pensée.

" Salvatoris, je… je ne po-urrai jamais t'expri-mer toute la grati-tude que je ressens pour toi. Ce n'est pas ton combat, et pourtant… Merci."

" C'est devenu mon combat au moment où j'ai décidé d'amener Alice ici."

Rétorqua Salvatoris en s'avançant, provoquant le même mouvement chez ses pantins. En voyant cela, une idée traversa l'esprit de Reiner, un fils noir s'échappant discrètement de lui.

" Mélissa, pour fêter nos retrouvailles, j'aimerais te montrer quelque chose."

Reiner arborait un sourire innocent. On aurait presque dit Alice quand elle préparait l'une de ses mauvaises blagues, ce qui fit rétrécir les yeux de Mélissa. Toutefois, quand un homme lézard au crâne brisé se profila devant-elle, un nombre incalculable de larves y grouillant en lui, elle ne put retenir un cri en se cachant précipitamment derrière Alice, paniquée. 

" Re-re-retire les…s'il te plaît…je déteste ça."

Murmura Mélissa, les yeux étroitement fermés. Alice fixa alors Reiner, soupirant en lui jetant un regard noir.

" Désolé, désolé. C'était trop tentant."

Répondit Reiner en forçant un ricanement. 

[ Clovis est plus doué que moi pour dédramatiser la situation. Il faudrait que je lui-]

Son train de penser s'interrompit, un sourire amer se dessinant sur son visage. Peu après, le trio discuta de ce qu'ils avaient fait avec Mélissa en entrant dans le grand hangar en ruine, ainsi que leur plan pour l'avenir. 

" Il faudrait réparer cet endroit et faire une petite fortification autour. Au moins suffisamment pour dissuader des aventuriers de nous attaquer."

Déclara Reiner. Il observait attentivement l'endroit brisé par le temps. C'était réellement une ruine, cependant, ce hangar regorgeait de riftine. Si ils arrivaient à faire fonctionner ne serait-ce qu'un des chalumeaux industriel ranger dans l'un des nombreux cartons dont regorgeait le hangar, peut-être qu'ils pourraient vraiment réparer cet endroit.

" On a d'anciens artisans, quelques menuisiers et des métallu-llurgistes. Je suis sûr qu'on de-vrait pouvoir y arriver."

Répondit Mélissa, avant de soulever le principal problème. La raison pour laquelle cet endroit n'avait jamais été fortifié.

" Mais, si on commen-ce à renforcer l'endr-droit, on va devenir une cible, c'est cert-a-ain."

" C'est vrai. Si un noble ou la guilde d'aventuriers s'en rend compte…ce sera une véritable petite armée qui viendra détruire l'endroit. À leurs yeux, ce serait un signe annonciateur d'une invasion de démon."

Ajouta Salvatoris, ses doigts tapant ses cuisses. Ils étaient seuls dans ce hangar, entouré d'androïdes désactivé, mais il ne pouvait pas se détendre. Il avait raison, si jamais ils se faisaient voir, la situation deviendrait bien plus compliquée qu'elle ne l'est actuellement. Cependant, ils n'avaient pas de réel autre choix si ils souhaitaient devenir actifs, et arrêter d'attendre la mort certaine qui les enlacerait inévitablement. Même la fuite n'était pas viable à long terme. Sans le soutien des colonies abyssales, le manque de pièces détachées deviendrait un trop grand problème.

C'est à cet instant où seul le silence régnait que Reiner reprit la parole, proposant un plan audacieux.

" Je veux attirer les dieux démons à nous. Ils ne se montreront jamais, mais si une nation bâtie par des androïdes devenait soudain assez puissante pour menacer l'ordre qu'ils ont créé, ils seraient forcés de réagir."

Il fit une petite pause, prenant une longue inspiration.

" En plus, on pourrait sauver les démons éparpillés sur le continent, et peut-être même prendre contact avec les autres qui ont été bannis, c'est bien ça Salvatoris ?"

" Hein ? Ah euh oui, ils ont été en grande partie rejetés sur le continent des démon, qui devrait être l'Amérique. D'après les légendes, ils y auraient bâti leur royaume."

Répondit Salvatoris, ne s'attendant pas à être questionné. La détermination qui prenait doucement racine dans le regard de Reiner était un soulagement pour lui. Quand Alice vit également la détermination exulter du corps de Reiner, elle ne put s'empêcher de parler à son tour.

" Je pense que c'est un risque à prendre. Ça pourrait même faire bouger d'autres androïdes ayant survécu. Si on se soulève petit à petit…peut-être qu'on pourrait arrêter de simplement survivre ! "

Le visage de Mélissa se crispa. Même si elle n'en avait pas, elle avait l'impression que son cœur s'emballait. Cette idée était séduisante. Pouvoir vivre à nouveau, arrêter les patrouilles quotidiennes, pouvoir réveiller ses camarades, ne plus craindre l'attaque imminente. Elle avait désiré cela un long moment, avant d'abandonner ses espoirs. Tant qu'elle était seule, ce n'était pas envisageable. Tant de gens comptaient sur elle. Et si ils refusaient ? Ou pire, et si ils acceptaient à nouveau, mais qu'elle se trompait encore…

Elle ne voulait plus rien perdre au point où le simple fait de prendre un risque pour gagner plus était devenu inenvisageable.

[ Depuis le jour où j'ai perdu Lina face à cette liche…je-]

Ses pensées étaient confuses. Elle tremblait, ses ponts serrés.

[ J'ai…j'ai peur …]

Des larmes commencèrent à perler de ses yeux. Toutefois, Alice attrapa ses mains, témoignant silencieusement son soutien.

[ Depuis le jour où j'ai arrêté de faire mieux, je nous ai simplement fait survivre…mais… et…et si c'était une erreur ? Ils n'ont pas vu le danger de ce monde…les dieux démons ne sont pas la seule menace, mais ils font comme si c'était le cas. Je ne veux pas choisir…je…je veux pas les décevoir…je…]

Elle fixa Alice, saisissant ses mains en retour. Elle était totalement affolée, mais personne n'avait essayé de l'influencer.

" Tu as le droit de dire non."

Murmura Alice, ce qui fit tressaillir Mélissa. Elle ne voulait pas dire non.

[ Je suis plus seul mais…mais…]

Elle secoua la tête. Le regard déterminé qu'elle avait vu en face d'elle…elle aussi voulait le retrouver.

[ Mais si c'est Reiner et Alice, ça va fonctionner. J'en suis certaine.]

" Construisons l'avenir. "

Murmura Mélissa. Sa voix était faible, mais empreinte de conviction.

" Je suis d'ac-cord. Fortifions cet endroit… Ba-attons nous pour vi-vivre, et pas juste survivre."

Poursuivie-t-elle, sa voix devenant plus forte alors qu'elle reprenait les propos d'Alice. Les larmes au coin de ses yeux avaient disparu. L'atmosphère se dégageant du petit groupe était comparable à celle de plusieurs dirigeants politiques ayant voté une décision pouvant sceller le sort de leur pays. Pourtant, elle ne dura pas longtemps. Après tout, ils n'avaient pas de salle de réunion, et ils étaient encore moins politiciens. Désormais, seuls des sourires se lisaient sur leur visage, ainsi qu'un espoir naissant. Un espoir pour l'avenir. 

* * *

Quand le soir fut venu, Mélissa s'isola dans l'un des petits bâtiments délabré bordant l'usine. Il semblait pouvoir s'effondrer au gré du vent, cependant, un léger sourire fleurissait sur son visage.

" Journal. E-ntrée 185. 

Je sais que ça fait lon-gtemps que je n'ai pas documenté cet endroit…peut-être plus de mi-ille ans, ou moins. Mais…Alice et Reiner so-ont revenues. Tout ce que nous avons fait, toute not…re attente, elle n'a pas été vaine-e ! J'aurais aimé que tu vois ça avec moi…Lina… "

* * *

Dans un endroit reculé au paysage idyllique se dressait une silhouette solitaire. Elle était noire comme la nuit, oscillant entre une forme humaine et celle qu'il arborait la majorité du temps. Celle d'une silhouette informe. Il s'agissait de l'hybride, marchant seul dans une plaine fertile où l'herbe rencontrait les ruisseaux, créant un splendide panorama recouvert par un immense dôme créant l'illusion que cet endroit n'existait pas pour quiconque se trouvant à l'extérieur.$

Toutefois, partout où allait l'hybride, cette nature semblait légèrement flétrir, un air mélancolique se dessinant sur le visage humain qu'il arborait par moment. Qu'importaient les multiples modifications de son apparence, rien ne changeait autour de lui, la nature continuant de dépérir là où il passait. Il s'était habitué au retour de ses pleins pouvoirs durant ses deux millénaires passés sur cette planète, créant ce phénomène. Cependant, en dépit de sa puissance, une nostalgie paradoxale s'emparait de lui. Après avoir vu toute la vie l'entourer, la voir flétrir à son contact ne pouvaient que lui procurer un certain regret. Sa propre puissance ne le rendait plus heureux, au point où parfois, il se surprenait à repenser aux courts mois passés au côté de Reiner. Au combat qu'il avait délivré avec lui, à l'un des rares moments où il avait été libre, et que la vie ne fanait pas sous ses yeux. Peut-être la seule période où il s'était battu avec ce qui s'apparentait le plus à des amis. Bien entendu, sa propre présence ne détruisait pas la végétation environnante, celle-ci regagnant sa vitalité une fois qu'il fut éloigné. Mais cette vue l'ennuyait. 

Autour de lui, une multitude de petits traits emplie de magie, devenant progressivement moins visible se déplaçait. Parfois, ils venaient regagner le corps des quelques dieux démon regroupé, discutant ensemble, ou venaient gagner son corps. Et parfois, ils les quittaient.

[ Trente uns nécromanciens viennent de mourir, et trente-six de naître. ] 

Compta frivolement l'hybride en fixant les fils l'entourant périodiquement, alors qu'un solitaire hurlement draconique faisait trembler jusqu'à la terre à ses pieds.

Il se dirigeait en direction de l'une des quelques structures que comportait la plaine. Un bâtiment futuriste qui avait parfaitement sa place dans les villes que comportait autrefois cette planète. De celui-ci sortaient périodiquement quelques silhouettes. 

La porte s'ouvrit, révélant un immense complexe scientifique d'un blanc immaculé où androïdes, humain, et dieux démon s'afférait au travail. Quand ils le virent cependant, tous se stoppèrent pour jeter un regard en coin empli de méfiance à l'hybride. Il y semblait habitué, passant sans un mot.

Les couloirs qu'il parcourait étaient presque entièrement constitués de vitre, laissant apparente une multitude de capsule cryogénique emplie d'humain, et cuve de clonage ou reposait ce qui s'apparentait à des dieu démon n'ayant pas fini leur croissance. Parmi eux, l'un sortit de sa cuve totalement déformée, n'ayant rien d'un membre de son espèce. Il se fit maîtriser d'un simple geste par celui qui avait ouvert la capsule, et fut jeté dans une trappe s'ouvrant du sol ou une multitude d'échecs lui ressemblant était entreposée, hurlant telles des bêtes.

[ "Même ces échecs seront utiles en temps de guerre." ]

Se rappela l'hybride. Il s'agissait de l'une des paroles prononcées par un ancien après avoir gagné face aux humains, et avoir anéanti toute résistance. Ils n'avaient laissé que les hommes ayant sincèrement collaborér avec eux, ou des ruines emplies d'androïde. Tous ceux qui avaient retourné leur veste pour ne pas mourir avaient connu un sort similaire aux autres humains, leur mémoire devenant vierge de toute histoire, si ce n'est celles que les dieux démons et des scientifiques travaillant avec eux avaient créés.

Le seul point positif à tout cela avait été que leur faible nombre avait permis d'éviter d'avoir à se cacher sous terre, et à la place usée du pouvoir des dieux démons pour rester dissimuler à la surface. Même eux n'auraient pas pu dissimuler toute une planète entière indéfiniment, mais un espace réduit comme celui-ci était tout à fait envisageable. La preuve étant la mise en place de cette idée.

Les pas de l'hybride se stoppèrent nettement, une étrange sensation le parcourant. Il n'avait pas oublié à quoi correspondait ce sentiment, celle d'un pouvoir qu'il avait apposé il y a bien longtemps de cela.

[ Alors comme ça il s'est réveillé ? Ça promet d'être intéressant. ]

Pensa-t-il, la joie teintant son expression en se remémorant quelques souvenirs. Il changea de cap, abandonnant sa destination initiale pour à la place aller dans l'une des nombreuses pièces comportant des humains cryogénisés. Divers plaques indiquant qu'ils étaient des êtres d'exception, ainsi que l'époque de leur cryogénisation y était inscrite. Cependant, il ne s'arrêta qu'au moment où il arriva à l'extrémité de la pièce, là où les plus anciennes figures étaient cryogénisées.

[ Bientôt…si tout change, vous pourrez bientôt revenir.]