webnovel

Le pavillon des bêtes

Parmi les onze schémas de canaux énergétiques qu'il avait représentés sur sa copie, tous s'avéraient justes à l'exception du premier, qui se révélait entièrement faux. Pourtant, cela n'aurait pas dû être le cas. Norval connaissait l'intégralité des circuits par cœur. Le fait que dix d'entre eux aient été représentés à la perfection, en témoignait. S'il ne connaissait pas bien le premier, comment aurait-il pu acquérir une connaissance aussi approfondie des autres ? Une telle incohérence défiait la logique. Même une légère imperfection dans son premier schéma aurait paru plus crédible qu'il soit entièrement faux. Bien que même cela aurait paru peu probable. Cependant, il semblait que même la plus inenvisageable des situations pouvait se produire. Bien sûr, ce n'était pas les marques de crayon rouge sur cette feuille qui allait lui faire douter de ses capacités. Si le professeur Becquerel pensait que ce schéma était faux, cela ne signifiait pas nécessairement qu'il l'était réellement. Il devait y avoir un problème dont il n'était pas au courant. 

"Alors, quel est ton résultat ?" demanda David, tenant une copie similaire entre ses mains.

Il n'avait pas l'air mécontent de sa note. Même s'il essayait de le dissimuler, une légère pointe de fierté restait visible dans son expression. Rien d'étonnant. Même s'il ne semblait pas entièrement absorbé par ses études, il provenait tout de même d'une académie affiliée à un culte. Tout le monde savait que ce genre d'endroit avait la réputation d'être particulièrement stricte. S'il avait réussi à rivaliser avec les meilleurs là-bas, cela ne pouvait pas être attribué uniquement à ses compétences pratiques. Les connaissances techniques devaient suivre.

— "Ce n'est pas mauvais, mais j'espérais avoir tout juste."

— "Quoi, tu veux dire que tous tes schémas sont juste, sauf un ?"

Il acquiesça, laissant David stupéfait.

"Et bien… je suppose que tu ne mentais pas en disant que ton intelligence était la raison principale de ta présence ici."

Relevant un sourcil, Norval émit un rire forcé.

— "Tu ne me croyais pas ?"

—"Honnêtement, oui. J'avais du mal à y croire. Mais bon, ce n'est pas comme si tu avais tout fait correctement. Si tu es entré à Dryadalis pour cette raison, n'aurais-tu pas dû ne commettre aucune erreur ?"

Prenant son mal en patience, Norval fit pour une fois en sorte de ne pas s'énerver et répondit calmement, reportant son regard sur sa copie.

— "Tu as raison, cela n'aurait pas dû se produire."

— "Hm ?"

Étonné, David abaissa également les yeux sur la copie de Norval. Il y discerna de nombreuses annotations en crayon rouge, mais ne parvint pas à déchiffrer clairement ce qui était écrit.

"Ce schéma… n'est-il pas complet ? Pourquoi y a-t-il autant de ratures du professeur ?"

— "Je ne sais pas" soupira-t-il. "Je compte lui demander à la fin du cours."

Maintenant, le rouquin semblait très intrigué par cette copie. Sans attendre l'autorisation de Norval, David lui arracha des mains et l'examina de plus près. 

"Hé ! Pourquoi agis-tu toujours de façon si impolie ? Est-ce que les saints clercs ne doivent-ils pas se comporter comme de respectueux gentils hommes, aimable et courtois ? Et pourtant tu en es tout le contraire !"

Au fil de sa lecture, les expressions de David traversèrent plusieurs phases. Ses réactions gagnèrent en intensité à chaque nouveau circuit observé. De manière inattendue, une admiration grandissante se lisait sur son visage à mesure qu'il progressait dans sa lecture. Cependant, après avoir examiné le dernier circuit, il releva immédiatement la tête, fixant Norval d'un air complexe. Il semblait avoir une question à poser, mais resta silencieux. Un moment s'écoula alors qu'il réfléchissait. La question qu'il avait en tête ne pouvait être posée avant qu'il ne vérifie si le problème observé résultait d'une erreur de sa part, due à un manque de connaissance, ou bien, si Norval s'était véritablement trompé. Le principe d'une erreur était qu'elle devait se produire à cause d'un manque de connaissance sur le sujet, ou alors suite à un oubli et parfois, parce que la question avait mal été comprise. Cependant, Norval ne se trouvait dans aucun de ces cas. On ne pouvait pas appeler ça une erreur. 

"Norval... Tu as tout juste, le problème ne réside pas là."

À cet instant, Norval était incapable de comprendre de quoi David parlait. L'un de ses schémas était entièrement raturé de rouge. Comment cela pouvait-il être correct ? Pourtant, le rouquin semblait étrangement sûr de lui, sans la moindre trace de doute dans son regard.

— "Qu'est-ce que tu racontes ?"

David fit glisser la copie devant lui et posa son doigt sur le premier circuit représenté.

— "Ce circuit énergétique n'existe pas. Pourquoi en avoir dessiné onze, alors qu'il n'en existe que dix ?"

Norval était un expert en mysticisme, possédant une connaissance approfondie qui rendait improbable une erreur aussi élémentaire que se tromper dans la représentation d'un circuit énergétique. Ainsi, Quand David lui avait dit que "l'erreur" de sa copie provenait d'un circuit apparemment inexistant. Son premier ressentit fut un profond soulagement. C'est vrai, il n'avait pas fait d'erreur après tout. Cependant, très vite il comprit que ce n'était pas normal. Pourquoi avait-il dit que ce circuit n'existait pas ? Mais cette fois encore, il ne lui fallut pas plus d'un septième de seconde pour en comprendre la raison. 

À ce moment, il se produisit un phénomène qui faillit lui faire s'étouffer. Devant lui, une fenêtre rouge apparut avec un seul mot.

[Imbécile]

Un imbécile ? Oui, il en était un. Il était le plus à même de savoir pourquoi ce circuit n'existait pas. Alors pourquoi ne l'avait-il réalisé que maintenant ? Les circuits énergétiques, permettant la circulation du Vis dans le corps, étaient un héritage des dieux primordiaux. Si un dieu n'existait pas, son circuit n'existait pas non plus.

—"Ce circuit... je l'ai imaginé il y a longtemps, juste pour m'amuser. Avec le temps, j'ai oublié qu'il n'existait pas, et qu'il était simplement issu de mon imagination."

David éclata de rire si fort que même les élèves qui distribuaient les copies durent s'interrompre pour chercher l'origine de ces éclats.

—"AHAHAHAHA ! Y a-t-il quelque chose qui ne va pas chez toi ?" Les larmes aux yeux, il prit le temps de les essuyer. "On m'a déjà qualifié de fou, mais toi ! Non, Emile, je pense que tu me surpasses de loin ! Personne d'autre ne pourrait être assez fou pour imaginer un nouveau circuit. Ahahaha, ce n'est pas incroyable !"

Norval secouait la tête, dépassé par les événements. D'une certaine façon, David n'avait pas tort. Lui-même ne pensait pas que quiconque en ce monde soit suffisamment fou pour faire une chose pareille. Il avait seulement dit cela, parce que ça semblait être l'excuse la plus plausible. Maintenant il le regrettait un peu.

"D'accord, c'est bon, calme-toi. Tu nous fais honte à rire comme un incivilisé."

Normalement, Anastasia aurait dû être celle qui réprimandait David pour son comportement. Cependant, même maintenant, elle restait étrangement silencieuse. En la regardant, Norval remarqua qu'elle avait déjà reçu sa copie. Son visage était sombre, elle la tenait si fermement entre ses mains que le papier s'était froissé. Si cela continuait, elle risquait de la déchirer. Avant que cela ne se produise, Norval intervint, la secouant en attrapant son épaule pour qu'elle se tourne vers lui.

"Hé, fais attention, ou ça risque de se déchirer."

Mais elle ne réagit pas. La tête baissée, elle continuait de fixer intensément sa copie, comme si elle pensait pouvoir modifier sa note par un simple regard. Cette note devait être vraiment mauvaise pour qu'elle soit à ce point désespérée.

"C'est bon, tu feras mieux la prochaine fois, ne t'en fais pas."

—"Tu te trompes." soupira-t-elle.

Relevant la tête, elle regarda Norval comme si ses mots n'étaient qu'une blague innocente. Ses mains étaient toujours tendues, mais elle ne semblait plus aussi furieuse qu'auparavant. Évidemment, ce n'était qu'en apparence. Derrière l'expression aimable qu'elle affichait, les muscles de son visage étaient aussi tendus que ses mains.

— "Pourquoi cela ?"

— "C'était la même chose l'année dernière. Peu importent mes efforts, Je ne parviendrais jamais à rattraper le retard que j'ai dans cette matière.

— "Tu ne sais pas qu'il ne faut jamais dire jamais ?"

— "Je ne te demande pas de comprendre. Un génie comme toi ne le pourra pas;"

— "Je trouve ta conclusion un peu rapide." rétorqua-t-il, les sourcils froncés. "Tu ne devrais pas te faire d'a priori sur les gens en ne te basant que sur ce qu'il renvoie."

— "C'est vrai, et pourtant je ne pense pas m'être trompée."

David, qui avait cessé de rire depuis un moment déjà, suivait maintenant leur conversation avec grand intérêt.

"Si j'ai tort, peux-tu le prouver en affirmant t'être déjà senti inférieur à d'autres, cela parce que tu étais incapable de résoudre des problèmes considérés comme faciles à leurs yeux ?" Elle faisait en sorte de cacher ses émotions, gardant un visage de marbre, mais ses yeux tremblants la trahissaient. "Tu ne peux pas, n'est-ce pas ?"

Elle avait raison, Norval n'était pas capable d'affirmer cela. Il n'avait jamais vécu ce genre de situations.

— "Peu importe ma réponse, comment pourrais-tu confirmer que ce n'est pas un mensonge ?"

Un sourire se dessina sur ses lèvres.

"Si tu confirmes, alors peu importe que ce soit un mensonge ou non. Ça signifie que je me suis vraiment trompé à ton propos. Cependant, si à l'inverse tu n'en es pas capable, là aussi, que ce soit un mensonge ou non, ça ne ferait que prouver que ton ego n'est pas capable de supporter la seconde réponse."

Elle finit son explication par un clin d'œil, fier et certaine que son moyen n'avait aucune faille. 

— "Mais maintenant que tu me l'as dit, je pense être capable d'ignorer mon ego pour te donner une réponse. Ça aussi, tu l'avais prévue ?"

Son visage se décomposa. Finalement, elle ne l'avait pas prévu. C'était dommage; son analyse avait du potentiel. Si elle n'avait pas révélé ses intentions à l'avance, ça aurait pu fonctionner.

Assis à côté d'elle, David soupirait, déçu par le fin mot de cette histoire. — "Aïe aïe aïe… Anastasia, pourquoi avoir tout dit avant qu'il ne donne sa réponse ?"

— "Rah ! De toute façon je suis toujours sûr de ne pas me tromper à son propos."

— "Vraiment ?" Reprit le rouquin. "Permets-moi d'en douter."

En les observant, Norval se mit à rire sans le vouloir. — "Mais David, est-ce qu'il y a même quoi que ce soit en ce monde dont tu ne doutes pas ?"

Il l'avait demandé pour plaisanter, mais David prit en fait vraiment cette question au sérieux. — "Hm, non, il n'y en a pas."

Stupéfaits, lui et Anasasia, tentèrent de se retenir de rire, en vain. 

"Quoi ? Pourquoi vous riez ? Je suis très sérieux."

Puis les trois se tournèrent vers l'estrade en même temps. Personnes ne dit quoi que ce soit, mais le regard du professeur Becquerel lancé dans leurs directions était si intense, qu'ils savaient tous qu'ils ne devraient maintenant plus parler jusqu'à la fin du cours. Autrement, la punition qui leur serait donnée, serait certainement bien pire que des devoirs supplémentaires.

***

[Objectif : Chassez les âmes errantes du village de Pentyr

Temps restant : 9 jours et 7 heures

Récompense : ???

Si échec : anneau de stockage confisqué]

À la fin de la semaine, après le dernier cours de la journée, Norval et David s'étaient dépéchés de retourner à leur résidence pour se préparer à partir au village de Pentyr. Norval n'avait pas grand-chose de plus à prendre avec lui. Le plus gros de ses affaires, ainsi que ses précieux artefacts étaient cachés dans l'anneau de stockage qu'il portait à son doigt. David par contre, avait une tonne de choses à récupérer. Faisant des allées et retour dans toute la résidence, il semblait constamment à la recherche d'un nouvel objet. Cela ne faisait qu'une semaine qu'il était arrivé ici, alors comment diable avait-il pu déjà éparpiller autant de ses affaires partout comme ça ? À la fin, il donna même de l'argent à Emma, la jeune troisième année pour qu'elle aille lui acheter des paquets d'encens dans une boutique du campus.

"Quel genre de pasteur se promène sans encens sur lui ? Ou alors… ne me dit que tu les as perdu ?"

— "Pour qui tu me prends ? J'en ai toujours sur moi d'habitudes, je viens juste de les finir, c'est tout."

— "Tu te moques de moi ? Je suis presque sûr que c'est la première chasse que tu réalises depuis que tu es arrivé ici. Tu dis qu'en une semaine tu n'as pas eu le temps d'en racheter ?"

— "Ahah… C'est humain d'oublier certaines choses, n'est-ce pas ?"

Stupéfait, Norval se massait les tempes, de plus en plus anxieux quant à cette aventure. Au cours des derniers jours, il avait à plusieurs reprises cherché à savoir si cette chasse ne risquait rien, en utilisant l'une des reliques en sa possession. Cette relique n'avait pas de nom, ce n'était qu'un livre noir, dont la couverture était en cuir et sur lequel était inscrit un symbole représentant une horloge au centre de laquelle se trouvait un œil ouvert. C'était cette même relique qui, la dernière fois l'avait averti avant que sa conscience ne se retrouve dans la zone d'influence onirique du Chronarque. Mais cette fois-ci, chaque fois qu'il demandait à en savoir plus sur cette chasse, la relique ne lui donnait aucune réponse. En vérité, ce n'était pas surprenant car cette relique était une création du Chronarque lui-même. Bien qu'elle appartienne à Norval, la divinité primordiale en restait son véritable maître. Ainsi, si le Chronarque voulait qu'il ne puisse avoir aucune information sur un sujet en particulier, alors naturellement la relique obéirait et ne répondrait à aucunes des questions de Norval, posé à ce sujet. Et puisque cette chasse était le résultat de la tâche confier par le Chronarque, il ne voulait certainement pas que Norval puisse avoir des informations supplémentaires.

Finalement, ils furent tous les deux prêts à partir au alentour de dix-neuf heures, soit quatre heures après la fin des cours. Bien sûr, pas la peine de vous dire qui était le responsable.

Le plus au sud des terres de Dryadalis, au pied du Mont Rouge, se trouvait le pavillon des bêtes. Un ensemble de bâtiments perchés en hauteur, dans la roche des montagnes et destiné à accueillir des bêtes mystiques dressées, appartenant à l'académie. Même si le village de Pentyr était considéré comme proche, la distance qui les séparait n'était pas un voyage pouvant être facilement effectué par un saint illuminé et un saint parfait. Sans compter le fait qu'ils se trouvaient dans l'empire extérieur, là où la plupart des terres étaient encore sauvages et regorgeaient de dangers. Le voyage jusqu'au village de Pentyr leur prendrait au moins trois jours s'il cherchait à s'y rendre un pied, et ce sans prendre en compte les divers obstacles auxquels ils devraient faire face, alors autant dire que c'était inenvisageable. Heureusement, Dryadalis laissait à la disposition de ses étudiants des milliers de bêtes mystiques dresser, qu'ils pouvaient utiliser pour effectuer leurs voyages dans les régions voisines. Mais bien sûr, l'emprunt de bêtes mystiques n'était pas gratuit. 

À l'accueil du bâtiment destiné à recevoir les clients venus louer les services d'une bête mystique, Les deux garçons furent accueillis par un jeune homme qui avait probablement une dizaine d'années de plus qu'eux. La fin de son service devait approcher, puisqu'il paraissait particulièrement fatigué. Lorsqu'ils étaient entrés, Norval crut presque avoir sorti le pauvre homme de son sommeil. Habillé de l'uniforme des dresseurs de l'académie, il s'était tout de suite redressé et les avait accueillis avec un sourire forcé, qui disparut aussi vite qu'il était apparu.

"Bonjour Messieurs, quel genre de bêtes rechercher vous ? Si c'est pour un voyage, je vous conseille une bête de tailles moyenne pour le confort et dont la vitesse soit suffisamment élevé pour voyage rapide. Sinon, si c'est pour—"

— "C'est un voyage." le coupa David.

Ses sourcils froncés, il se retenait visiblement de dire des choses qu'il ne pouvait pas se permettre de dire pendant ses heures de travail. — "Je vois, dans ce cas veuillez jeter un œil à ce catalogue. Les bêtes sont classées en cinq rangs, le rang un étant le rang le plus bas et le moins chère. En termes de capacité, ces rangs correspondent à peu près au niveau de F à B du classement des créatures mystiques du continent."

— "Toutes les bêtes du catalogue sont celles conseiller pour les voyages ?"

— "Je ne vous l'aurais pas donné si ce n'était pas le cas."

Les deux garçons se lancèrent un regard, pensant tous deux à la même chose au même moment. 

Cet homme n'est absolument pas aimable.

"Au fait tous les deux, vous n'avez pas vraiment l'air d'être des étudiants fortunés. Est-ce vous avez bien l'argent pour emprunter une bête mystique ?"

Puisque ce n'était pas le genre de chose dont il avait normalement à se préoccuper, Norval n'avait jamais pensé que l'argent pouvait être un problème. Mais maintenant que ce dresseur le mentionnait, il se demandait combien cela coûtait de louer les services d'une bête mystique et jeta un œil au catalogue que David avait entre ses mains. Quand il vit les chiffres indiquer sous les noms de chacune des bêtes, il ne put qu'être choqué. Comment ce pasteur pouvait-il regarder ça sans même sourciller ? Sur cette page ne se trouvait que des bêtes de rangs cinq et pourtant leurs prix était déjà aux alentours de plusieurs centaines de roys !