Était-ce parce que nous venions de passer quatre jours dans un manque de confort trop important pour que je puisse oublier ce qui m'attendait ce matin ? C'était en effet possible car je venais de passer l'une des meilleures nuit depuis bien longtemps.Réveillé par les rayons du soleil, il m'avait fallut de longs instants, quoique bien trop courts, pour me rappeler où j'étais. Le village d'Haedleigh... Par tous les saints, pourquoi avait-il fallut que je me réveille ? Grognant de frustration tant ma nuit semblait douce face au jour qui s'annonçait, je m'étais tourné et retourné de trop nombreuse fois avant de décider à me lever pour me préparer. Il m'avait d'ailleurs fallu encore plus de temps pour me vêtir convenablement, réalisant, malgré moi, l'importance que les domestiques du château avaient face à cette tâche. J'étais bien incapable de serrer correctement mes bandes molletières. Ce n'était pas faute d'avoir essayé plus d'une fois avant que je ne les abandonne sur le lit pour descendre rejoindre les hommes déjà levés.Rapidement installé à la table du petit déjeuner, nous avions été rejoint par l'Aubergiste qui semblait avoir sympathisé avec Adriel dans la nuit.— Il est venu me supplier pour un bout de viande ! s'amusa-t-il, provoquant mon regard quelque peu courroucé à cette idée. Je ne pouvais pas le laisser mourir de faim, ce pauvre homme !— Attendez... Donc... Donc il nous a menti ? Vous mangez autre chose que de l'eau et des croutons ? s'étonna Damien.Un étonnement qui n'obtint pas de réponse, pour sûr, alors qu'il semblait effectivement être le seul à ne pas avoir compris ce qui avait pu se passer hier.— Soyez pas trop chafouin contre Seth, expliqua l'aubergiste. Il est jeune et il croit dur comme fer qu'on pourra faire plier le Roi. Mais il va finir par se ranger. J'vous assure que c'est pas un mauvais bougre. Il est juste, disons... Un poil...— Menteur, fourbe et agressif ? soufflai-je.— J'aurais pas dit ça comme ça, mais j'admets qu'il ne s'est pas montré sous son plus beau jour hier. Mais je vous promets que c'est un brave garçon.— Je pense que nous aimerions tous vous croire pour pouvoir rentrer chez nous, murmurai-je alors que la porte de la taverne s'ouvrait soudain.Lorsque l'on parlait du loup, l'on en voyait visiblement la queue alors que Seth s'avançait justement vers nous en compagnie de deux autres hommes dont les fourches ne laissaient que peu de doute à leur envie matinale au point que j'en avais posé ma cuillère dans un air exaspéré.— Laissez moi deviner. "Partez, les nobliaux, on veut pas de vous ici" ? ironisai-je presqu'immédiatement en me tournant vers le jeune homme.— Plus ou moins. Cela dit, plus que moins. Donc puisque vous avez compris, vous...— Sauf qu'en fait, j'aime bien votre soupe à l'eau et aux croutons, coupai-je en me retournant vers mon assiette. Je la regretterais presque malgré la cuisine particulièrement appréciable de ce matin.Allais-je réussir à le faire fuir ? Je l'espérai presque lorsqu'il fit volte-face. Mais ce fut là un espoir de courte durée. Il revint. Et il posa surtout devant moi un bol d'eau aux croutons. Résister à l'envie de grimacer fut particulièrement compliquée tant l'idée d'avaler ce liquide me donnait des sueurs froides. Mais ce fut pourtant avec un air serein que je le remerciai pour en boire une gorgée. Par tous les saints, avec quelle eau l'avait-il fait ? C'était âcre, désagréable, pire que la veille. Et pourtant, je ne montrai rien, ou du moins rien d'autre qu'un profond respect pour ce plat si gentiment servi. Si tant était que l'on pouvait l'appeler de la sorte. Au moins ma sérénité avait-elle provoqué son silence. Il m'observait en effet, presqu'interdit, entrain de terminer le bol au complet sans oublier le moindre affreux crouton.— Bien, conclus-je dans un demi-sourire, soulagé qu'il n'y en ait pas eu davantage tant mon estomac hurlait à la trahison. Peut-être allons-nous pouvoir discuter, désormais.L'homme resta silencieux.— Messieurs, repris-je à l'encontre de ma compagnie. Je vous laisse aller seller les chevaux. Nous ne resterons pas, quoiqu'il en soit. J'espérai qu'en armant notre départ, le paysan serait plus à même de m'écouter et d'entendre mes avertissements.— En attendant, Mons... Seth ?Ma main tendue vers le siège désormais libre devant moi, il s'y installa, toujours aussi silencieux, et fit signe à ceux que je devinais être ses gardes du corps d'accompagner mes hommes. Ma démonstration de force en buvant sa soupe infâme semblait avoir portée ses fruits, avant qu'il ne prononce quelques mots :— Comment est-ce que vous avez...— Accepté votre hospitalité et votre repas avec le plus grand plaisir ? complétai-je avec amusement. Il ne s'agit que de la plus pure des politesses.— Mais...— Cela étant. J'admets avoir préféré celle de la veille. Mais cela ne remet en rien en cause votre plat traditionnel, rassurez-vous. Dans tous les cas, nous ne sommes pas là pour débattre de ce que vous avez pu ajouter à votre eau ce matin. Alors avez-vous réfléchi à ce que je vous ai dit hier ?Il fallut quelques instants à l'homme pour réagir, secouant la tête comme pour sortir de sa torpeur. Heureusement que la table cachait ma main, posée sur mon estomac qui se tordait doucement mais sûrement de mécontentement. Mieux valait que que les pourparlers ne tiennent pas en longueur.— J'ai réfléchi, reprit-il enfin. Et c'est toujours non. A moins que vous n'acceptiez de baisser les taxes de 40 sous.— Vous savez que ce n'est pas en mon pouvoir, rétorquai-je doucement.— C'est ma dernière offre. Si vous refusez, je vous promets que je lèverais une armée paysanne pour rayer le château de la surface de ce pays.— Et ensuite quoi ? ne pus-je m'empêcher d'objecter. Vous désirez tuer le Roi pour prendre sa place ? Pour diriger à sa place ? Avez-vous au moins conscience de ce que doit faire un souverain ? Savez-vous comment diriger un pays ?L'homme perdit de nouveau sa langue, ses yeux bruns me fixant, surpris. Non. Evidemment qu'il ne savait pas tout cela. Il n'était qu'un fils de paysan, qu'un paysan lui-même. Il n'était pas un souverain et ne le serait jamais. A quoi bon, alors, vouloir renverser un pays s'il ne pouvait rien faire pour l'après.— C'est ma dernière offre, répéta-t-il malgré tout— Soit, murmurai-je face au mur qu'il représentait. Mais je ne peux rien vous promettre. Je tenterai d'en discuter avec le Roi.Il était inutile de se battre contre un âne sans avoir de carotte sous la main. Et Seth était un âne particulièrement têtu. Au moins une "discussion" avec Hayes me permettrait de gagner un peu de temps. Cela n'allait pas fonctionner, j'en étais certain, et je doutai même fermement du fait que mon cousin n'accepte ne serait-ce que de m'écouter mais j'allais essayer. Je le lui avais dit. D'ici là, peut être aurait-il pris le temps de réfléchir à mes paroles. Je ne voyais pas d'autres solutions.— Vos chevaux doivent être prêts, reprit rapidement Seth en se levant. Vous direz bonjour au Roi de notre part. Vous avez certainement pas ma confiance, mais je vais faire semblant pour aujourd'hui.
Discutez en avec Monsieur son Altesse le Roi. Et on verra bien ce qu'il dira.Il refuserait, j'en étais convaincu mais j'hochai la tête. Nous ferions ainsi. Et nous espérerions sur la capacité de réflexion de cet imbécile de paysan.Resté seul à la table alors que Seth claquait la porte, je soupirai. Pourquoi ne m'avait-on pas envoyé dans l'est ? Ou l'ouest. Ou le sud même ! Oui, le sud aurait été une très bonne idée, la guerre avec Ovejan valait tous les risques de révolte. Alors, le nord... Non. Plus jamais je n'y mettrais les pieds.— Messire ? entendis-je soudain, perdu dans mes pensées. Nous sommes prêts.Je quittai enfin l'auberge avec la mauvaise impression de n'avoir rien accompli. Avant de partir, je remerciai néanmoins grassement le tenancier d'une bourse d'or. Il avait été le seul à nous avoir réellement accueillis ici. Il le méritait.Et à nouveau, ce fut quatre jours pénibles que nous affrontâmes ensemble jusqu'à ce que la dernière nuit n'arrive. Attroupés autour d'un feu de bois sur lequel grillait la viande qu'Adriel avait chassé pour nous, chacun se racontait quelques anecdotes personnelles. A vrai dire, c'était là peut être la seule chance que j'avais eu en étant envoyé dans le nord : les connaître un peu plus, eux qui étaient destinés à passer sous mon commandement régulier une fois mes classes terminées.— Tout va bien ? s'enquit une voix derrière moi.— Tu n'es pas avec les autres ?Myles secoua la tête.— Ils se détendent et je n'ai pas vraiment la tête à rire, admit-il dans un léger sourire, provoquant mon regard interrogatif auquel il répondit immédiatement. Ne pensez-vous pas que notre venue à Haedleigh aura fait plus de mal que de bien ?— Je n'en sais rien, avouai-je alors. Discuter plus longtemps aurait été inutile mais j'ai cette impression de... Enfin qu'il restait quelque chose à faire et que je ne l'ai pas saisi. Alors, j'espère juste que ce Seth Parsons réfléchira à ce que je lui ai dit et ne jouera pas aux imbéciles.— Vous êtes confiant ?Un rictus étendit mes lèvres alors que je secouai la tête de gauche à droite.— J'y crois autant que je crois aux vampires, plaisantai-je avant de poser ma main sur son bras. Je vais dormir. Il nous reste encore beaucoup de route avant d'arriver au château et j'aimerais ne pas tomber de cheval avant de retrouver mon lit.Ce fut sur cette plaisanterie que je le quittai, retrouvant ma tente, mon lit de fortune pour m'y endormir dans un sommeil bien trop peu réparateur.Je n'avais pas menti.
La route du lendemain fut difficile pour tout le monde, la plupart des hommes n'ayant d'ailleurs pas assez dormi, trop concentrés dans leurs conversation pour penser à aller se coucher. Et si cela avait effectivement resserré leurs liens, je crus que certains allaient tomber de cheval à plusieurs reprises. Une peur qui ne se vérifia heureusement pas alors que nous passions les portes du château.
Enfin.Ce jour-là, je décidai de ne pas voir mon cousin, trop désireux de retrouver mon lit et un bain pour ce faire. Mieux valait, de toutes manières, que je me présente sous mon meilleur jour pour tenter la moindre négociation avec lui. Et au moins pus-je prendre d'abord des nouvelles des autres contrées.
L'est et l'ouest avaient été facilement convaincus par l'arrivée des chevaliers, rendant les armes presqu'immédiatement pour chacune des contrées. Quant au sud, il avait fallu deux heures pour que mon frère ne leur fasse admettre leur erreur et que tous signent la paix. J'étais donc le seul qui n'avait pas réellement réussi. Parfait.
Mais si j'étais sûr que cela me serait bientôt reproché, cela ne serait définitivement pas pour ce soir. Je n'avais ainsi répondu à aucune question, prétextant un besoin de sommeil conséquent avant de m'éclipser de la salle de garde pour retrouver repas, lit et domestiques tant appréciés.
Le jour suivant, je ne pus à nouveau rencontrer le Roi. Mon cousin était visiblement trop occupé à je ne savais quelle affaire pour accepter de me recevoir. Soit. Cela ne serait que partie remise. Quelques jours de plus de gagnés sur les risques de révolte, je l'espérais. Seth Parsons attendait ma réponse, celle du Roi. Il ne ferait rien d'idiot en attendant.
Mais ce fut une partie qui se répéta le lendemain et le surlendemain encore, provoquant tant mon dépit que mon agacement. Si j'étais sûr de la réponse qui me serait apporté, pourquoi ne pouvais-je pas, au moins, défendre ma demande dont il n'avait d'ailleurs aucune idée ?! Appuyant ainsi ma requête, lourdement, auprès des Conseillers, je ne pus être reçu qu'au neuvième jour de notre retour de manière presqu'inespérée.
Il était ainsi midi passé lorsque je pénétrai dans le bureau officiel du Roi, accompagné de tous ses Conseillers, évidemment. Des Conseillers dont le regard pénétrant avait d'ailleurs toujours tendance à me pétrifier sur place tandis que j'avançai, la tête légèrement basse, avant de m'incliner face au souverain.— Votre Majesté, commençai-je, n'oubliant pas cette politesse spécifique qu'il m'avait fallut acquérir face à ce qui avait été mon cousin. Je vous remercie pour avoir accepter de me recevoir et...— Viens en au fait, insista mon père, me faisant serrer les dents.— Je me suis permis de demander audience afin de vous apporter des nouvelles d'Haedleigh, le village où j'avais été envoyé, dans le Nord du pays.— Ah. Oui, commenta Hayes nonchalamment. Je suppose qu'ils ont rendus les armes par peur des conséquences et que tu...— Pas exactement, rectifiai-je dans une légère grimace. Ils ont peut être été un peu plus décidés que d'autres et...— Monseigneur !Je me retournai rapidement vers la porte ouverte à la volée par l'un des suivants du Roi, m'exaspérant de cette interruption. Je ne pouvais donc ni voir mon cousin, ni même lui parler pendant plus de deux minutes. Cela ressemblait bien à une plaisanterie de mauvais goût.— Je m'excuse de vous interrompre mais vous m'aviez demandé de vous prévenir immédiatement de l'arrivée de votre tenue de cérémonie et c'est chose faite, votre Majesté.Une plaisanterie, avais-je dit. J'étais le dindon de leur farce. Il n'y avait plus aucun doute. Mais un sourire éclaira le visage de mon cousin qui renvoya l'homme de la main, m'invitant à reprendre le cours de notre entretien immédiatement. Peut-être serait-il un peu plus enclin à accéder à mes demandes, finalement. Mieux valait que je me concentre sur ce qui pouvait être positif.— Je disais donc, repris-je. Le Nord a été plus difficile à convaincre. Ils refusent de plier face aux armes. Ils ont néanmoins baissé leurs demandes et...— Leur avez-vous au moins expliqué ce qu'il se passerait s'ils ne se rendaient pas ? s'enquit froidement l'un des Conseillers.— Oui, bien sûr, me défendis-je. C'est l'une des premières choses dont ils ont été avertis mais ils veulent malgré tout...— As-tu au moins été clair avec eux ? coupa de nouveau mon père, me faisant d'autant plus serrer les dents.— Bien sûr, Monsieur. Je n'aurais jamais pu être plus cl...— Votre Majesté !Non. Là, cela commençait à être vraiment trop. Poings serrés, je m'étais retourné vers la porte à nouveau ouverte à la volée.— Si c'est parce que le deuxième costume royal est arrivé, pourriez-vous s'il vous plait attendre quelques minutes ? ne pus-je m'empêcher de m'exaspérer devant le regard baissé de l'homme.— Non, Prince Elian. J'apporte des nouvelles du Nord.Du Nord ? Écarquillant les yeux, je me ruai vers le pauvre homme pour lui arracher sa missive.Par tous les Dieux et les saints...
En ce jour de Junius.Se sont déclarés trois feux
Tous d'origine volontaire dans les villes d'Aurippes et de CragdaleOnt été arrêté deux hommes du nom de Stevens et Hahn
Ont affirmé agir selon les ordres de la Rébellion du Nord et pour cause de silence de notre Roi bien aimé malgré les promesses faites par le Prince envoyé en convoi.
Sont condamnés aux travaux forcés pour six semaines.
Suite à torture, avons appris que d'autres actions étaient prévues dans les jours et semaines à venir.
Espérons que cette missive vous arrivera rapidement.
— Elian. La lettre, ordonna le Roi sous mon regard effaré. Maintenant.L'idée de déchirer la lettre me passa par l'esprit. Un simple passage tant je n'avais pas d'autres choix que d'obéir au Roi. Je la lui apportai ainsi, jurant intérieurement contre cet homme dont le cerveau devait être aussi léger que celui de ses vaches. Un jour.
Si je comptais le temps de voyage, il ne m'avait laissé qu'un seul malheureux jour pour négocier avec le Roi.
Que pensait-il par tous les saints ?! Que je pouvais avoir des passes droits ? Que je pouvais discuter autour d'un verre de bière avec le Roi tous les jours ?! Était-il fou ou était-il véritablement un abruti ?!— Votre Majesté, envoyez une invitation immédiatement à cette "Rébellion du Nord", conseilla mon père lorsque la lettre lui parvint. Il faut que nous fassions à tout prix cesser cette folie et ils semblent vouloir attirer votre attention.Je sentis le regard du Roi et de ses Conseillers sur moi. J'avais échoué. Sans même avoir pu essayer de changer les choses, j'avais échoué. Tête basse, dents serrées, j'attendis, sans savoir ce qu'il allait pouvoir désormais se passer.— Faites, ordonna le Roi au domestique qui repartit immédiatement. Prince Elian, je suppose que nous aurons l'honneur de vous compter parmi nous lors des pourparlers. Vous qui semblez si bien connaître ces hommes aux "moindres demandes" nous serez utile, n'est-ce pas ?— Oui. Votre Majesté, articulai-je, priant tous les saints pour que ce maudit Seth se tue à cheval avant d'arriver jusqu'ici.— D'ici là, évitez que je ne revois votre visage au détour d'un couloir. Le sang tâche bien trop la pierre et je ne voudrais risquer d'abîmer ce magnifique château, gronda-t-il dans une menace bien trop claire pour que je ne la comprenne pas.M'inclinant, je ne demandai mon reste, fuyant littéralement pour rejoindre mes appartements dans lesquels je m'étais enfermés. Mieux valait que je n'en sorte pas pour le moment. Si Hayes n'aurait jamais été capable de me faire du mal, j'admettais que le Roi Hayes ne m'inspirait aucune confiance alors oui. J'allais rester là. Le temps qu'il faudrait.