Kael avançait prudemment dans les dunes sombres, attiré par les grandes structures cristallines qui pointaient à l'horizon comme des tours de verre géantes défiant tout bon sens. Ces formations semblaient sorties tout droit d'un conte de fées un peu tordu, scintillant d'une lumière glaciale qui perçait le vide. Les cristaux s'élevaient du sol en piques aiguisées, entrelacés de filaments lumineux qui palpitaient doucement, un peu comme le battement d'un cœur. Mais c'était un cœur de pierre, ou plutôt de verre, et pas vraiment accueillant.
Plus il s'approchait, plus Kael sentait une sorte d'énergie familière. C'était pas juste du caillou brillant ; c'était vivant, ou quelque chose qui s'en approchait. Un écosystème bizarre où la frontière entre le vivant et l'inanimé se diluait, un peu comme une vieille légende dont on ne connaît plus la fin. Pour Kael, c'était à la fois fascinant et terriblement inquiétant. Il savait qu'un truc pareil, ça pouvait te réserver des surprises pas toujours agréables.
En entrant dans ce qu'on pouvait vaguement appeler une forêt cristalline, Kael ressentit tout de suite la différence : le sable sous ses pieds était plus dense, presque lourd, saturé d'une énergie qui lui filait un frisson dans le dos. Les cristaux vibraient à une fréquence qui lui chatouillait l'esprit, comme une mélodie discrète, entêtante, une rengaine qu'on a sur le bout de la langue sans pouvoir s'en souvenir. Les couleurs changeaient, passant du bleu à un vert apaisant, puis au rouge, comme si chaque teinte racontait une histoire différente.
Kael avança, l'œil aux aguets, scrutant chaque détail avec cette obsession typique du scientifique qui veut tout comprendre, même ce qui n'a pas de sens. C'est alors qu'il les vit : des formes humaines, ou presque. Les Cristallins. Leurs corps étaient faits de la même matière que les cristaux autour, semi-transparents, veinés de lumière, glissant entre les structures comme des fantômes polis. Des esprits de verre, un peu effrayants dans leur silence, avec leurs yeux qui brillaient sans pupilles. On aurait dit des joyaux vivants, magnifiques mais glacials.
L'un d'eux s'avança, se détachant du groupe. Sa silhouette était plus marquée, ses traits un peu plus définis, comme s'il avait retenu un brin d'humanité en plus. Une douce lumière émanait de lui, dessinant des contours apaisants dans ce décor tranchant.
« Tu es différent, étranger, » fit la voix du Cristallin, mais c'était plus un tintement qu'un vrai son, quelque chose qui résonnait dans la tête de Kael comme une cloche en cristal. « Tu n'as pas notre symbiose, mais tu portes quelque chose de plus ancien, de perdu. »
Kael prit un moment pour capter la scène, un peu hypnotisé par l'ambiance mystique. « Je m'appelle Kael. J'étais scientifique, du moins avant de finir ici. Je cherche à comprendre ce monde, à retrouver… ce que j'ai perdu. »
Le Cristallin inclina la tête, comme s'il réfléchissait. « Nous sommes les Cristallins, gardiens de ces structures. Nous vivons en symbiose avec les cristaux, liés à ce désert d'une façon que tu ne peux pas comprendre. Nous ne sommes plus vraiment ce que nous étions, mais ici, nous avons trouvé une forme d'équilibre. »
Kael sentit une étrange compassion venir de lui, une chaleur inattendue. Ces êtres n'avaient pas juste fusionné avec le sable, ils avaient créé quelque chose de nouveau, une existence entre deux mondes. Une adaptation radicale, certes, mais aussi un renoncement. Kael ne pouvait s'empêcher de penser à ce qu'ils avaient laissé derrière pour en arriver là.
« Vous êtes ici depuis… combien de temps ? » demanda Kael, espérant en savoir plus sur les origines de cette tribu de verre.
« Le temps n'a plus vraiment de sens pour nous, » répondit le Cristallin, sa voix résonnant comme une mélodie lointaine. « Nous vivons dans un cycle éternel, régénérant nos formes avec celles des cristaux. Nous partageons leur mémoire. Nous sommes les témoins silencieux de ce désert, depuis des éons, ou peut-être seulement depuis un battement de cœur. »
Kael s'approcha un peu plus, captivé par cette fusion étrange entre l'esprit et la matière. « Vous avez trouvé un moyen de survivre ici, mais pourquoi cette symbiose ? Pourquoi devenir… ça ? »
Le Cristallin se tourna vers les structures étincelantes. « Ce désert est une épreuve sans fin. Ceux qui ne s'adaptent pas sont effacés, perdus dans le vide ou détruits par les Épurateurs. Nous avons fusionné avec les cristaux pour survivre, pour continuer à exister. C'est un marché : nous leur donnons nos pensées, ils nous donnent leur stabilité. »
Kael commençait à saisir l'ampleur de leur choix. Ces êtres avaient embrassé leur condition, intégrant les lois impitoyables de ce monde à leur propre existence. Mais à quel prix ? Pour eux, l'humanité était devenue une notion floue, un souvenir lointain dilué dans une nouvelle réalité.
« Vous avez abandonné ce que vous étiez, » murmura Kael, plus pour lui-même que pour eux. « Vous avez trouvé un équilibre, mais à quel coût ? »
Le Cristallin posa une main translucide sur un cristal voisin, une douce lueur se propageant le long de la structure. « Nous ne regrettons rien. Ce monde nous a transformés, mais il nous a aussi donné une nouvelle forme de paix. Toi aussi, tu devras choisir, Kael. Ce désert ne laisse personne intact. »
Ces mots frappèrent Kael comme une évidence cruelle. Les Cristallins avaient trouvé leur voie, mais ce n'était pas la sienne. Il n'était pas prêt à lâcher ce qui restait de son humanité, même fragmentée. Pour lui, s'adapter n'était pas suffisant. Il devait aller au-delà, explorer d'autres possibilités, chercher sa propre réponse sans se fondre complètement dans ce monde.
Il remercia la tribu de verre pour leur accueil silencieux et repartit, emportant avec lui un nouvel éclairage sur ce qu'était la survie ici. Les Cristallins avaient fait leur choix, mais pour Kael, le chemin restait flou. Ce désert pouvait encore lui offrir une échappatoire, ou du moins, une chance de défier ce qui semblait inéluctable.