Avec peine, il se releva, se débarrassant de la terre et des aiguilles de pins qui recouvraient ses vêtements, puis il jeta un œil autour de lui. Il avait échoué quelque part au cœur de la forêt. Le sol était humide, et un brouillard dense empêchait d'identifier quoi que ce soit se trouvant à plus de dix mètres. C'était encore l'hiver, la température oscillant autour des moins dix degrés, et le garçon n'était pas vêtu assez chaudement. Son corps tremblant, il joignit ses mains devant lui et murmura, « Que le seigneur soit avec moi ».
Sortant une bouteille à moitié vide de son anneau de stockage, il la vida lentement. C'était un vin peu cher, au goût médiocre, mais sa teneur en alcool était suffisante pour le satisfaire, alors il ne s'en plaignit pas. Une fois vide, il balança l'objet dans la boue, et s'aventura dans l'épais brouillard. Son apparence sinistre se fondait avec l'environnement hostile. Sa peau, d'une blancheur macabre, aurait pu faire croire au retour d'un défunt. Ses cheveux roux, en désordre, dissimulaient un regard morne, et portant un costume noir, de pasteur, dont le pantalon lui allait trop court. Sa présence n'avait l'air que plus étrange.
Il marcha ainsi, dans le froid, sans savoir où il allait, quand un léger tremblement de terre l'immobilisa. Malgré son état d'ébriété, ses sens restaient aiguisés. Lentement, il tourna sur lui-même, scrutant les environs avec attention. Cependant, le brouillard n'arrangeait pas les choses. Sa vision entravée, il ne pouvait qu'espérer que la cause du tremblement de terre n'était pas ce qu'il craignait.
Mais la terre trembla à nouveau, plus violemment cette fois, et la source était bien plus proche.
« RAAH, MAUDITE CRÉATURE ! APPROCHE SI TU L'OSES ! »
Il dégaina une épée longue à deux mains, prêt à affronter la menace imminente. La terre tremblait de plus en plus fort, et quand il réalisa la nature de la menace, il était déjà trop tard. Une énorme gueule s'ouvrit sous ses pieds. Il vit d'immenses dents fines et acérées se rapprocher dangereusement, sur le point de se refermer au-dessus de lui.
La gueule de la créature était de la taille d'une maison, rendant le garçon minuscule en comparaison. Cependant, l'instant suivant, des morceaux de chair volèrent dans toutes les directions, le sang jaillissant comme une fontaine, recouvrant les pins alentour. Dans une frénésie folle, le garçon déchiqueta le monstre avec un regard dément. Le ver était si massif que ses coups d'épée ne parvenaient pas à le trancher correctement. Il continuait à frapper les entailles déjà ouvertes, tranchant encore et encore, jusqu'à ce que les morceaux se séparent enfin du corps. Même démembré, les bouts de chair de taille titanesque, éparpillés un peu partout, continuaient de se tortiller de manière répugnante.
« de Guivre... essaie de mourir d'une manière moins dégueulasse, tu veux ?! »
« Argh, c'est vraiment répugnant ! »
Avec deux doigts, il dessina un triangle dans les airs, puis joignit ses deux mains devant lui à nouveau.
« Loué soit le seigneur »
Cependant, le sol se mit à trembler de nouveau, et cette fois, ce n'était plus un simple tremblement de terre. Le grondement incessant était si violent que le garçon ne put maintenir son équilibre et dut poser un genou à terre. Il savait que quelque chose de gros approchait.
"Aha… on dirait que le seigneur n'est pas avec moi."
Cette fois, le garçon ne songea même pas à se battre. Il repéra rapidement la provenance du danger et s'élança dans la direction opposée. Le sol était jonché de chairs, de sang et même de boyaux. Dans sa course précipitée, il trébucha à plusieurs reprises dans cet infâme mélange avant de pouvoir courir sur la terre ferme.
"Merde ! J'ai même pas eu le temps de dessaouler sales insectes !"
Les Guivres, malgré leur taille colossale, étaient bien plus rapides que lui et finirent par le rattraper. Tout se déroula rapidement. Le garçon avala sa salive avec difficulté, tenant son épée, les mains tremblantes. N'ayant nulle part où fuir et dans un acte désespéré, il se retourna pour affronter les créatures. Cependant, à cet instant, une seule pensée lui traversa l'esprit.
"Je suis mort"
Devant lui, les gueules béantes de cinq Guivres se dirigeaient droit sur lui. C'était une situation désespérée, même lui le savait. Face à ce destin inévitable, même les saints étaient impuissants. Si dieu avait choisi que sa mort aurait lieu aujourd'hui, alors qu'il en soit ainsi. Avec cette pensée en tête, il ne semblait plus aussi terrifié qu'il l'était à l'instant. Un homme sur le point de mourir avec une telle expression sur le visage… il ne pouvait qu'être atteint de démence. On pouvait y lire un intense plaisir. Mais quels plaisirs pourrait-on ressentir dans cette situation ?
"La mort m'accepte enfin !"
Dans ce monde, certaines personnes éprouvent un intense désir pour la mort. Ce n'est pas un sentiment qui peut être considéré comme une simple fascination. Non c'est au-delà de ça. Ces personnes n'éprouvent pas non plus un dégoût envers la vie suffisamment fort pour que la mort soit une issue préférable. Non, ces gens éprouvent simplement une forte obsession pour la mort à l'état pur. Ce n'est pas qu'ils ne tiennent pas à la vie, mais le fait d'être vivant les rend simplement malade.
Voilà le genre de personne qu'était cet homme.
"Aha ! Gloire à Dieu !"
Les bras grands ouverts, il était prêt à accueillir la mort avec impatience. Mais un éclair lumineux plus tard, les cinq énormes gueules n'étaient plus. Il y eut un bruit d'explosion, et juste beaucoup de sang. Enfin ce n'était pas tout à fait exact, autre chose avait changé. Une personne était apparue. On pouvait déjà dire que le garçon aux cheveux roux n'était pas habillé de façon à supporter des températures aussi basses, mais l'homme devant lui était carrément en manches courtes ! Il affichait une expression complexe et s'avançait vers lui, les mains recouvertes de sang.
"Qu'est-ce que t'essayais de faire en t'infiltrant dans la forêt d'Arden ? Tu ne sais pas que c'est un moyen stupide de mourir ?"
— "Hein ?" Le garçon mis du temps avant de comprendre ce qu'il venait de se passer. " V-vous ! Pourquoi êtes-vous intervenu !?"
L'homme le regardait, stupéfait par cette réaction.
— "Toi… ce n'est pas une façon de remercier celui qui vient de te sauver la peau !"
— "Qui a dit que je voulais être sauvé !"
— "Les gamins de nos jours… je te jure. Et c'est quoi ces vêtements ? Tu n'es pas un élève de cette école ?"
Le garçon repoussa ses cheveux en arrière et releva légèrement la tête.
— "Je suis venue, car j'ai été invité par le grand doyen."
— "Oh, alors le petit curé a été invité par le directeur ? C'est drôle je ne savais pas que les gens comme toi était autorisé à étudier dans des académie extérieur à leur culte."
Le garçon fronça les sourcils. — "J'ai mes raisons"
— "Peut-être bien, mais si c'est t'es venues rencontrer le grand doyen, tes clairement pas au bon endroit gamin"
—- "Et qui êtes vous au juste ?
L'homme lui lança un regard qui semblait dire que sa question était totalement stupide.
— "Je suis un prof qui travail là, ducon"
— "Oh, J'espérais que vous soyez un élève de dernière année.
L'homme ne put retenir un éclat de rire.
— "Ahahah ! Il aurait fallu redoubler un bon paquet de fois qu'une neuvième année ait cette gueule. Mais je préfère te prévenir. Ne sous-estime pas les étudiants de Dryadalis. Tu risquerais d'en payer le prix fort.
Le garçon eut l'air d'aimer ce goût de défi, et lui rendit un sourire suffisant.
— "J'ai tout le temps de vous prouver le contraire"
L'homme ne prit pas ses mots au sérieux et l'ignora avant de le saisir comme un sac à patate pour quitter la forêt. Le garçon protesta, mais la prise ferme de l'homme ne laissait aucune place à la discussion.
***
L'astral était un lieu plongé dans une obscurité presque totale. L'unique source de lumière provenait des nombreuses étoiles qui peuplaient l'espace.
Assis à une table du self, Norval participait à une partie de loup-garou avec quelques étudiants du vaisseau. Treize joueurs étaient présents, accompagnés de quelques spectateurs en attente du prochain tour. Le meneur de jeu annonça la tombée de la nuit, et tous les participants baissèrent la tête, fermant les yeux.
Le meneur appella ensuite la voyante.
"La Voyante se réveille !"
Norval releva la tête, croisant le regard du meneur. Celui-ci lui fit signe de faire un choix. Il examina attentivement chacun des joueurs, posant finalement son regard sur Mars. Bien que la tête baissée, sa touffe de cheveux bouclée le rendait facilement identifiable. Devant lui, une carte reposait sur la table.
Norval fit un signe de tête au meneur pour indiquer son choix. Ce dernier se déplaça derrière Mars, ramassa sa carte et la dévoila à Norval. Après avoir vu la carte, le meneur la replaça à sa position.
"La Voyante se rendort"
Norval baissa la tête et ferma les yeux à nouveau.
Mars est un loup-garou…
"Les Loups-Garous se réveillent !"
Il y eut quelques chuchotements parmi les spectateurs.
"Les Loups-Garous se rendorment !"
Ce fut ensuite au tour de la sorcière de se réveiller, puis la nuit prit fin.
"Le village se réveille !"
Une fois que tout le monde ouvrit les yeux, le meneur pointa quelqu'un du doigt.
"Il y a eu un mort cette nuit !"
Norval écarquilla les yeux, surpris.
"...moi ?"
Le meneur lui sourit d'une manière désolée, et demanda à ce qu'il retourne sa carte pour la montrer à tous.
"Tu étais la voyante !?"
"Oh non la partie vient de commencer et on a déjà perdu notre meilleure carte !"
Mars avait la tête plongée dans ses mains, mimant à la perfection un villageois désespéré. Ce n'était qu'un jeu, mais on fond Norval était vraiment frustré de le voir s'en sortir aussi bien après l'avoir éliminé de la partie.
Même s'il ne participait plus, la partie continuait, les villageois devaient débattre et tenter de démasquer les loups-garous. Tout le monde accusait celui qu'il trouvait le plus suspect, mais à aucun moment Mars ne fut suspecté. Il participait activement au débat, pointant du doigt deux joueurs et révélant de nombreuses preuves les désignant comme suspects principaux. Ses paroles étaient si convaincantes que d'autres joueurs entrèrent dans le jeu, les accusant à leur tour, affirmant avoir entendu des bruits bizarres pendant la nuit vers leur position. Lorsque l'attention était pleinement concentrée sur ces deux joueurs, Mars sortit son dernier atout.
"Il y a autre chose d'étrange à propos de l'un d'eux," s'exprima-t-il, d'un étrange sérieux, les yeux rivés sur l'un des joueurs qu'il accusait. "Toi, si tu n'es pas un loup-garou, alors pourquoi je t'ai vu rôder près de la forêt cette nuit ?"
La joueuse pointée du doigt bafouilla quelques mots incohérents, visiblement prise au dépourvu. Le reste des villageois resta stupéfait un moment avant que certains ne se mettent à rire et n'acclament Mars pour son superbe jeu d'acteur.
"Tu avais l'air si sérieux à l'instant ! Je le jure j'y ai presque cru !"
Pendant ce temps, Norval observait la scène avec un mélange d'amusement et de frustration. Bien qu'éliminé du jeu, il ne pouvait s'empêcher d'admirer la façon dont Mars manœuvrait avec habileté, manipulant les autres joueurs pour détourner les soupçons de lui-même. C'était un talent indéniable.
Après cette brillante prestation de jeu de rôle, le meneur annonça le début du vote, et comme attendu, tout le monde pointa du doigt la même personne. Celle qui avait eu le malheur d'être pris pour cible par un loup-garou rusé.
Après s'être fait éliminé, tout comme Norval un peu plus tôt, elle retourna sa carte et la montra à tous.
"Alors ce n'était pas un loup-garou ?"
"Raah ! on a encore éliminer une bonne carte !"
"Pourquoi la sorcière, d'entre tous…"
La victime faisait la tête, ne cachant absolument pas sa déception face à certains de ses amis qui avaient participé à la partie.
"Si jamais je suis à nouveau la sorcière lors d'une prochaine partie, ne comptez pas sur moi pour vous sauver avec la potion de vie !"
L'une de ses amies présente parmi les spectateurs la poursuivit après qu'elle s'enfuit en colère.
Norval ressentit un peu de pitié pour cette pauvre étudiante. Mars était vraiment sans merci pour avoir fait en sorte qu'absolument tous les joueurs se liguent contre elle.
Après cette scène, la partie continua et Norval quitta le self, lassé de les regarder jouer.
Se baladant dans les couloirs du vaisseau, Norval repensait à ce qu'il c'était passé quatre jours auparavant. Cette fois où il s'est retrouvé dans cette sublime cathédrale, réunit avec un être très certainement maléfique et les mots d'un Chronarque impoli.