« Regarde-toi… Papa Ewan... » S'extasia Carciem.
« Je t'ai déjà dit d'arrêter avec ça... » Grogna Ewan, avant de serrer ses dents.
Le médecin de la base finissait de recoudre son épaule, étant donné que le jeune homme avait refusé de se faire soigner plus longtemps que nécessaire par le mage présent sur place.
Il avait préféré être traité juste pour les lésions les plus graves, laissant le reste du travail à un docteur tout ce qu'il y a de plus classique. La principale raison de cette décision étant qu'il ne pouvait pas bouger du lit sur lequel il s'était assis, car Pavas s'était endormie sur ses jambes et il ne voulait pas la réveiller.
« Sûr… T'étais tellement accaparé par la petite que t'as même pas pris le temps de te faire soigner juste après la fin du raid... » Se moqua Carciem en soulevant un sourcil.
« Puisque j- » Commença Ewan, avant d'être interrompu par une douleur fulgurante dans l'épaule.
Le médecin venait de tirer sur le fil pour faire un nœud et l'arrêter, rendant encore plus douloureuse l'épaule couverte de bleus du jeune chasseur.
« J'ai fini, mais faites attention à ne pas trop solliciter votre bras dans les prochains jours, » l'avertit le médecin, avant de se lever pour commencer à ranger son matériel.
Ewan leva alors légèrement son bras gauche, et remua lentement ses doigts.
« T'as de la chance que notre mage ait pu traiter les dégâts sur tes muscles et tes nerfs, » Dit l'homme blond. « Tu aurais pu perdre l'usage de ta main, tu sais... »
« Et toi ne refais plus jamais ça... » menaça Ewan.
Carciem se contenta de rire avec légèreté, malgré l'œil au beurre noir qu'il avait reçu quelques heures plus tôt. Pas sûr que ça lui ait servi de leçon…
« Dès que tu es reposé, viens me faire ton rapport sur l'opération, » demanda calmement le militaire.
« Mon rapport ? » Répéta Ewan, suspicieux.
« J'ai entendu par Finn qui vous aviez rencontré, alors j'aimerais en savoir plus à ce sujet... » Précisa Carciem. « Le plus vite sera le mieux, même. »
« Tu manque de temps? » Demanda Ewan, troublé.
Carciem releva le coin de ses lèvres brièvement avant de faire une moue, puis s'approcha d'une des grandes fenêtres de la pièce pour observer la cour de la caserne, croisant ses mains dans son dos. Son regard, impassible, était braqué sur les troupes en train de rassembler sans interruption du matériel et des vivres.
Il avait l'air préoccupé par quelque chose, et même inquiet.
« Carciem… Dis moi ce qui se passe... » Demanda d'un ton grave Ewan.
Le militaire resta silencieux un instant, continuant de regarder à l'extérieur ; puis, se tournant à nouveau vers son ami, il s'appuya contre le cadre de la grande fenêtre.
« Nous allons être déployés en urgence d'ici quelques heures, » déclara Carciem.
« En urgence ? » Dit le jeune chasseur.
Carciem soupira longuement, sûrement accablé par la pression que ses propres supérieurs hiérarchiques exerçaient sur lui.
« La créature que tu nous as signalée… Elle a encore grandi, et détruit des villages, » révéla le militaire. « Cette menace de catégorie 500, est passée à 1000 en l'espace de quelques jours. »
« 1000 ?! » S'exclama Ewan, ce qui réveilla Pavas.
La petite fille cligna lentement des yeux avant de les frotter, et de lever le regard vers Ewan.
« Ah, désolé... » S'excusa-t-il auprès d'elle. Puis, portant à nouveau son regard sur Carciem, il ajouta : « ça veut dire que l'intégralité de la caserne est mobilisée ? »
Carciem hocha de la tête, un air grave toujours affiché sur son visage d'habitude si insouciant. Même son ridicule œil au beurre noir n'était plus suffisant pour détendre l'atmosphère.
« Nous sommes déployés sous ordre direct, et sans délais, étant donné que nous sommes la grande ville la plus proche. J'ai aussi entendu dire que d'autres villes allaient nous prêter des effectifs pour contrer cette menace. » Dit Carciem. « Mais si nous n'arrivons pas l'arrêter, Ylesse pourrait bien être la prochaine à disparaître... »
« C'est grave à ce point ? » Demanda Ewan.
Carciem croisa alors ses bras devant son torse, avant de se redresser et de décoller son dos de la fenêtre.
« Cette bestiole… Plus elle engloutit de vies et de terrain, et plus elle grandit... » Dit Carciem en serrant ses dents de frustration. « Rien ne semble l'arrêter pour le moment, alors une attaque violente est prévue à son encontre. »
Ewan allait encore dire quelque chose, quand Carciem le précéda, reprenant rapidement la parole tout en le regardant droit dans les yeux.
« Si les choses tournent mal, je te souhaite de t'être vraiment éloigné d'ici le plus rapidement possible, Ewan. »
Il y eut un moment de silence, avant que le militaire ne se décide à quitter l'infirmerie pour sûrement aller rejoindre son bureau.
Ewan, quant à lui, resta quelques minutes assis sur le lit, avant de jeter un regard à Pavas, puis de contempler à nouveau sa main gauche. Il avait encore l'épaule complètement endolorie et rigide, mais il espérait que cette condition allait s'améliorer. Il n'aimait pas trop être limité dans ses mouvements, surtout si cela risquait de rendre son travail plus difficile.
Toutefois, ce qui l'énervait encore plus que la blessure qu'il avait reçue, était de savoir qu'il ne serait probablement d'aucune aide dans la situation que Carciem allait affronter sans aucune hésitation.
Peut-être était-il lâche de penser comme cela, mais même lui ne se risquerait pas à faire face à une créature de ce niveau. Car malgré toute l'animosité qu'il pouvait avoir envers cette bête qui avait tué ses amis, il savait également reconnaître ses propres faiblesses. Ewan savait, au fond de lui, qu'il était incapable de combattre cette créature, seul ou en groupe ; et le fait que Carciem ait soudainement été déployé sans avoir un instant de répit avec la précédente opération ne présageait rien de bon. Un mauvais pressentiment s'était emparé du jeune homme, envoyant un désagréable frisson dans tout son corps, et comme un signe funeste, son bref combat contre l'individu masqué lui revint à l'esprit.
Qui était donc cette personne qui avait pu anticiper tous ses faits et gestes ? Et pourquoi avait-il eu l'impression vive et tenace qu'il ne devait absolument pas s'en approcher ?
Inquiétée par le ton grave utilisé par les deux adultes présents dans la pièce, Pavas serra les draps du lit entre ses doigts, attirant le regard d'Ewan sur elle.
Pour rassurer la petite fille, Ewan posa délicatement sa main droite sur le sommet de sa tête, et fit un petit sourire maladroit.
« On va bientôt partir d'ici, alors n'aies plus peur, d'accord ?
Pavas hocha de la tête, en même temps que son cœur se mit à battre plus fort.
Ewan avait utilisé le mot « on ». ça voulait donc dire qu'il allait l'emmener avec lui, pas vrai ?