Les Légendes Sont Toujours Fondées

Les mages postés sur le rempart furent tous choqués, leur lieutenant le premier. C'était lui qui avait prévenu les hommes au sol du danger. Les mains encore un peu tremblantes, il s'approcha de Tahrren.

"Une impulsion cinglante ? De la magie supérieure ? Mais… Qui êtes-vous donc ?"

Tahrren ignora la question et se précipita vers les escaliers. Il fut cependant rattrapé par la main du lieutenant.

"Attendez !"

Tahrren se libéra aisément, ne manquant pas toutefois d'informer davantage le lieutenant quant au critique de la situation.

"Lâchez-moi, si vous tenez à vos hommes ! On ne se débarrasse pas d'une dryade aussi facilement !"

Le soldat se lança à la poursuite de l'elfe. Le pont ayant été de nouveau ouvert afin de fournir les premiers soins aux blessés, les deux hommes arrivèrent rapidement à proximité de la dryade. Passant à côté de son apprenti, Tahrren l'approcha, lui qui était encore au sol, épuisé par les combats.

"Eiji. Tout va bien ?"

Ce dernier acquiesça. Tahrren lui tendit la main et l'aida à se relever. Les deux hommes se dirigèrent ensuite en direction de la dryade. Bien qu'elle fût gravement blessée, celle-ci se régénérait à vue d'œil. C'était le plus grand des pouvoirs de ces créatures : unies avec la nature, leur vitalité allait de pair avec les forêts. Tant que leur territoire était intact, alors une dryade ne pouvait mourir.

Tandis qu'Eiji restait sur ses gardes, Tahrren s'approcha au plus près de celle-ci. En observant avec précision son écorce, son œil avisé put distinguer des tâches noirâtres qui s'étendaient çà et là.

Tahrren soupira légèrement. Il approcha ses mains de la créature. Un bref frisson parcouru son corps lorsque ses mains entrèrent en contact avec la rugueuse écorce. Il sentait les énergies se déchainer au sein de la dryade. La corruption était si avancée qu'un simple contact suffisait pour que le flux d'anima présent dans la nymphe ne s'attaque à l'elfe.

Malgré cela, Tahrren ne recula pas et concentra sa magie dans ses mains, qui agit comme bouclier en répandant le mana corrompu de la dryade dans l'atmosphère les entourant.

Eiji, attiré par les flux d'énergie environnants, si puissants que même lui pouvait les voir distinctement, s'approcha de son maître.

"Que fais-tu, Tahrren ?"

Cependant, ce dernier ne lui répondit pas, tant il était concentré sur sa manœuvre. Une fois sa défense solidifiée, il commença à faire circuler sa magie dans le corps de la créature. Les dryades étaient des esprits, des êtres entièrement composés de mana. Parmi les immortels, ils faisaient partie des exceptions, car ceux-ci n'étaient pas vivants à proprement parler.

Simples agrégats d'énergie, ils erraient souvent aux proximités des lieux qu'ils convoitaient, comme les bois et forêts pour les dryades, ou les mers et océans pour les océanides. De par leur nature proche de la magie pure, ils présentent une grande résistante à l'anima. Au vu de l'état de la dryade, la corruption avait certainement débuté des décennies auparavant.

Pendant plusieurs minutes, Tahrren continua à faire circuler son énergie dans le corps de la dryade, expulsant de violentes vagues de mana corrompu dans les environs. Face à ce phénomène, Eiji recula de quelques pas.

Lorsque Tahrren retira ses mains, la corruption avait disparue. Les tâches noires s'étaient dissipées et la régénération de la dryade s'accéléra à vue d'œil. Rapidement cette dernière se réveilla et se mut.

Avant même de s'être complètement levée, son apparence changea : plus petite, elle échangea ses racines et branches pour des membres plus humains, semblant à des bras et des jambes. Elle conserva cependant son écorce et son apparence végétale.

Tahrren recula de quelques pas, laissant un peu de place à la nymphe. Cette dernière se leva doucement, posant d'abord un genou avant de prendre appui sur ses jambes, afin de faire face à l'elfe.

Les chevaliers à proximité se méfiaient toujours de la créature, bien que celle-ci ne montrait plus une once d'agressivité : certains dégainèrent leur épée, tandis que d'autres reculèrent de quelques pas. Soudain, une douce voix cristalline mais frêle résonna dans la tête de chacun des hommes présents à proximité.

"Vous m'avez sauvé ! Merci !"

Nombreux furent ceux déstabilisés, voire effrayés. Cependant, et contre toute attente, Tahrren s'approcha de la dryade et s'agenouilla.

"Enchanté. Je me nomme Tahrren. Je suis un humble membre du clan des forêts."

Surpris, Eiji s'approcha de son maître, le suppliant de se relever, tirant légèrement son bras.

"Mais que fais-tu ? Relève-toi ! C'était notre ennemi il n'y pas cinq minutes !"

Tahrren soupira une fois encore, même s'il n'était pas surpris qu'Eiji ne connaissait pas les coutumes de son peuple.

"Je ne peux pas. Je suis un elfe, les dryades sont nos divinités tutélaires. Offenserais-tu l'un de tes dieux ?"

Après quelques secondes de réflexion, Eiji relâcha son maitre et s'éloigna. Il se refusa cependant à s'agenouiller devant la nymphe.

"Je suis enchantée de te rencontrer, Tahrren…" Bien que les traits de son visage étaient difficilement perceptibles, les harmonies de sa voix trahissaient sa joie et son sourire. "Je ne suis pas étonné qu'un membre du clan des forêts ait pu me libérer des entraves de la corruption. Mais que fais donc un elfe dans ces bois ? Il me semblait pourtant que les membres de ton clan foulaient plutôt les contrées de l'ouest."

Tahrren ravala sa salive. Bien qu'il levât la tête avec fierté, il préféra toutefois occulter une partie de l'histoire.

"De nombreux événements m'ont forcé à m'éloigner des membres de mon clan. Depuis, je vis en harmonie avec les humains. J'ai rejoint une organisation, les Chasseurs d'Âmes. Nous combattons la corruption qui sévit partout en Aurdalia."

Il se retourna et présenta également Eiji.

"Voici mon apprenti, Eiji. Il appartient au peuple habitant l'extrémité est de la région, les Higashito."

La dryade s'approcha du jeune homme et l'examina de la tête aux pieds. Déstabilisé, il recula de quelques pas, ce qui ne manqua pas d'amuser la nymphe.

"Ne t'en fais pas, je ne te ferai pas de mal. Higashito, donc ?" Elle resta immobile quelques secondes, pensante. "Je suis persuadée d'avoir déjà entendu ce nom quelque part. Mais je n'arrive pas à me souvenir où et quand. Enfin, ce ne doit pas être très important dans ce cas, pas vrai ?" Dit-elle en ricanant innocemment.

Cependant, à ces mots, les sourcils de Tahrren se levèrent. Il se leva et s'approcha lentement de la dryade.

"Excusez-moi, se pourrait-il que vous ayez perdu la mémoire ?"

La joie et l'innocence que présentait la dryade disparurent peu à peu.

"Je ne sais pas vraiment. A vrai dire, jusqu'à présent, je n'étais même pas consciente de mon état. J'ai quelques vagues souvenirs de mon passé, mais rien de véritablement concret. Je sais juste que j'essayais de combattre la corruption pour sauver mon pays."

Une petite étincelle illumina les pupilles de Tahrren. "Votre pays ?" Répéta-t-il lentement et à faible voix. Il baissa le regard, et après une courte réflexion, se mit à sourire.

"Il faut croire que les légendes ont parfois une origine. La Sainte Originelle a réellement existé … Et était une précurseresse de notre ordre ?"

La nymphe se précipita sur l'elfe et le prit par les épaules. Sa voix, un peu plus haute qu'avant, brisa le flux de mana de celui-ci.

"Vous savez donc quelque chose à mon propos ? Vite dites-moi !"

Malgré une violente migraine, Tahrren continuait à sourire.

"Ma Dame. Est-ce que le nom d'Ophélie vous évoque quelque chose ?"