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PROLOGUE | Genèse

Imaginez un espace vide, obscur et silencieux. Vous n'entrevoyez rien, n'entendez rien, ne ressentez rien. Un calme absolu vous procurant un profond malaise. Vous pensez tout d'abord à une pièce close, mais en tendant la main, aucune barrière ne vous retient. Cet aspect froid est une simple représentation du Néant.

À l'origine, il n'existait rien d'autre que lui. Puis, à un instant encore indéfini, apparut une lueur blafarde dans ses ténèbres. Cette anomalie fortuite provoqua la naissance de Chaos, une entité primitive surnommée plus tard le Dieu Primordial. 

Errant à jamais dans cette prison obscure, il éveilla peu à peu sa conscience pour enrailler l'emprise que celle-ci lui imposait. Et d'une créativité débordante, il brisa finalement ses chaînes intangibles. La matérialisation de l'Univers ne fut qu'une conséquence de cette étrange libération. Cependant, Chaos ne s'arrêta pas en si bon chemin. Souhaitant aller plus loin, par la simple volonté d'assouvir chacun de ses desseins, il créa les mondes avec six Éléments Majeurs pour les régir. 

De la Terre, il étendit les plaines et les montagnes. De l'Eau, il abreuva les rivières et les océans. Du Vent, il insuffla les atmosphères. Du Feu, il apporta la chaleur. De la Lumière, il anima la vie. Et des Ténèbres, il imposa la mort. 

Cette lourde tâche accomplie, la noirceur morne et immuable qui l'entourait se transforma en couleurs mouvantes, le subjuguant à un rôle de curieux spectateur. Toutefois, ce qui l'interpella - en dépit du reste - fut ces individus primitifs aux aspects excentriques. Ils évoluaient paisiblement sous son regard inexistant au point de le forcer à observer sa propre apparence : sphérique, simple et terne. Se refermant soudain dans une léthargie intemporelle, il médita sur cela avec incompréhension. 

À son réveil, le monde qu'il foulait avait changé, et lui aussi. Chaos possédait des jambes, des bras, des ailes, des cornes et de nombreuses formes qu'il eut l'occasion d'apercevoir avant de s'éteindre. Il ressentait d'étranges battements, fourmillant de toute part dans ce nouveau corps. Il savait que son désir primaire était assouvi. Que ces êtres lui offrirent une bénédiction qu'il ne pouvait s'accorder. Des larmes coulèrent le long de ses joues pâles, hydratant un revêtement organique qu'il découvrait en même temps que le reste. Sa bouche esquissa un signe de joie, un sourire. Néanmoins, ce sentiment ne dura pas. Lorsqu'il reprit le cours de ses observations, il remarqua que seul lui eut la chance d'obtenir cette étonnante transformation. Ses bienfaiteurs, quant à eux, continuaient de naître et mourir sans pouvoir atteindre cet idéal morphologique.

Avec dépit, Chaos fit éclater sa colère et les absorba tous, ne leur laissant nulle possibilité de poursuivre ainsi. Il souhaitait les garder auprès de lui et ne plus les voir souffrir. Mais en les cumulant de la sorte, il se rendit compte que rien ne changerait. Que rien de tout cela n'arrangerait l'impuissance de leur propre nature. 

Finalement, il se résigna et plongea ses doigts dans ses entrailles pour les libérer de cette emprise tyrannique. Malgré ce geste impulsif, empli de désespoir, un miracle se produisit. Les organismes qui jonchaient le sol arborèrent des formes diverses et variées, se transformant à leur tour en êtres sublimes. Anges, Démons, Humains, Elfes et une multitude d'autres créatures naquirent sous ses yeux moroses. 

Enjoué par cette grâce insoupçonnée, Chaos réitéra ce schéma à de nombreuses reprises pour peupler chacun des mondes. Cependant, il ne restait jamais bien longtemps auprès de ses enfants. Il prit conscience que sa nature était unique et qu'elle ne pouvait pas s'associer davantage avec celle des autres. Il se retira alors au cœur du Néant pour y ériger un domaine. Après tout, il n'avait jamais pensé à fonder son propre foyer. Mais cela ne lui semblait pas suffisant. Il gardait malgré tout un vide en lui, la sensation addictive de ne plus être seule, cette sensation qu'il perdit par delà ses efforts. 

Pour y remédier, et comme un apogée enfin atteint, il sacrifia des parties de lui-même pour donner naissance à des êtres en tout point supérieurs au reste : les dieux. En plus de combler cet étrange sentiment de solitude, Chaos souhaitait laisser une empreinte indélébile de son existence, quelque chose qui vivrait éternellement à travers les âges. Ses attentes portaient sur la genèse de son œuvre, ainsi que son avenir. Il savait que ses nouveaux enfants suivraient d'une quelconque façon la ligne tracée par sa volonté. Du moins, il prit le plus grand soin pour cela avec le temps passé à leur côté. 

Sans avertissement ni regret, Chaos s'évapora de la surface du Néant. Son souhait le plus cher fut en partie respecté : les dieux continuèrent d'exister sans être affectés par son absence. Cependant, les possibilités dont ils disposaient ne leur suffisaient pas et certains d'eux commencèrent à s'entretuer. Nul ne savait pourquoi ces hostilités apparurent. La seule justification qui découlait de cette soudaine violence était un besoin chronique de se distinguer les uns des autres.

Après de nombreuses guerres intestines et las de combattre - car immortels - ils revinrent rapidement à leur monotone oisiveté. Plusieurs allèrent même jusqu'à remettre en doute leur propre existence :

Pour quelle raison avons-nous vu le jour ? Dans quel but ? Pourquoi ressentons-nous ce profond sentiment de solitude ? 

Tant de questions sans réponse qui semaient le trouble dans leur esprit. 

Les autres dieux, quant à eux, ne paraissaient pas affligés par ces étranges appréhensions. Au contraire, ils prirent conscience que de nombreuses créatures se présentaient sous leurs regards omniscients. 

Perplexes quant à chacune de ces découvertes, ils restèrent dans leurs domaines pour les observer avec plus d'attention. Cette distance temporaire exprimait l'intention de ne pas influer sur leur évolution.

Peu à peu, l'excitation de se fondre parmi ces êtres intriguant atteignit son paroxysme. Et à ce moment clé, ils décidèrent finalement de peupler les mondes pour les côtoyer.