Un soleil froid le réveille le lendemain. Losvicth étire ses membres coincés dans le silence de la matinée. Il se lève, ouvre les rideaux et aère sa chambre. L'air qui arrive sur son visage est lourd. Un énorme nuage noir plane à l'horizon et la lumière grise fait mal aux yeux.
« T'es réveillé ? »
Il se tourne dans un sursaut vers Tom, assis sur un fauteuil de brocart.
« Me fait pas peur comme ça ! Qu'est-ce que tu fous ici ? »
« Les autres viennent de m'envoyer à l'instant pour voir si tu dormais encore. »
« Mais pourquoi il est quelle heure ? »
« Treize heures, un peu moins peut-être. »
Le jeune homme respire à fond. Il a plein de choses à faire aujourd'hui, alors autant s'y mettre maintenant.
« Je vais prendre une douche. »
« Je patiente ici. De toute façon tout le monde est déjà en bas en train de déjeuner donc… »
« Qui ça tout le monde ? »
« Jay, Hall, Soman… l'équipe quoi. »
La main de Losvicth se referme sur le pommeau. Il jette son dévolu sur un savon senteur racine de vétiver et un shampoing hydratant. Il chasse les traces de terre mouillée sur sa figure avec le bonheur d'une personne qui se sent propre. Pourtant, arrivé à son épaule gauche, il s'arrête. Le souvenir de la tête d'Eillana posée contre lui, lui revient en mémoire. Il frotte un peu plus son savon dans le creux de son coude où elle a mis ses mains endormies.
« Tu te dépêches ? »
Il attrape une serviette et sort. Le garçon met un jean clair et une nouvelle chemise. Ses chaussures ont une rayure bleue en plein milieu qui stylise le côté classique de la paire.
« On fait quoi ? »
« On verra plus tard, j'ai pas le temps tout de suite. »
« Pour quelle raison me lâches-tu ? »
Losvicth attrape un sweat noir et le porte de la main droite.
« Je dois voir Eillana. »
« Je t'accompagne ? »
« Non merci. »
Il le plante là et s'en va.
Cela fait des lustres qu'il n'a pas remis les pieds dans le dortoir 74. Il trouve Eillana somnolente dans le canapé avec les filles. Presque toutes les filles.
Depuis quelques jours, Aline disparait de plus en plus, on ne la voit qu'à l'heure du déjeuner et en cours. Tout le monde se demande bien ce qu'elle fait de son temps libre.
Eillana lève les yeux de l'écran en le voyant arriver. Sa tasse de thé chaud au citron repose sur la table du salon. Son nez est un peu rose et ses cheveux sont relevés en un chignon éparpillé. Elle est adorable ; il ne lui aurait dit pour rien au monde.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? » grogne-t-elle emmitouflée dans sa couverture.
« On ne devait pas travailler ? »
La question la surprend.
« Tu veux bien de moi maintenant ? C'est bizarre tu ne disais pas ça il y a quatre jours. »
Mardi lui revient en mémoire. Il s'excuse platement.
« J'étais de mauvaise humeur, désolé. Mais il faut qu'on coopère si on veut finir l'exposé. » même si ça lui coute, il ajoute : « En plus j'ai besoin de quelqu'un qui sache correctement faire un mélange donc… »
Elle hausse un sourcil. Tess regarde la scène avec attention, un sourire taquin sur le coin de la bouche.
« Si c'est si gentiment demandé… » l'adolescente quitte le canapé. Son short fluide et son t-shirt se révèlent. « J'accepte. »
Elle s'absente quelques minutes et revient avec une pille de feuilles gribouillées d'écritures en pattes de mouches.
« Qu'est-ce que ? »
« Moi aussi j'ai avancé de mon côté. »
Il ne peut s'empêcher de sourire. Bien sûr il aurait dû se douter qu'elle n'allait pas rester les bras croisés toute la semaine.
Ils disparaissent tous deux dans le couloir. Losvicth l'entraine au premier étage, presque vide. Les étudiants ne restent pas tous les weekends. La grande majorité en profite pour se rendre en ville et quelques rares personnes rendent visite à leurs proches. Notari, c'est une échappatoire ; la plupart des élèves ici sont issus de famille comme la sienne : influente, avec de hautes attentes et riches. Donc, pour tous ceux qui en ont assez de vivre dans une bulle étriquée, cette école est un paradis sur terre. Si on oublie les rivalités stupides de qui est le plus beau, qui est le plus connu, qui est le plus… l'ambiance à Notari est très sympa.
« Où on va ? »
« Chillroom. » lui répond-il en ouvrant la haute porte.
Elle le suit, étonnée.
« On peut y travailler ? »
« On a même un labo, princesse. »
La jeune fille lève les yeux au ciel mais continue de le suivre. Ils se retrouvent dans une pièce adjacente avec une table en bois, comme dans la salle de physique, et quelques éprouvettes. Losvicth y dépose les matériaux dont ils vont avoir besoin pour leur expérience.
« Tu as déjà terminé le projet ? »
« Oui et toi ? »
« Aussi. » soupire-t-il « C'est pour ça qu'on va tout mettre en commun. »
Il se pose sur un autre bureau vide où patientent deux sièges.
« J'ai même une chaise ! » plaisante Eillana en s'asseyant à sa droite.
« Je suis de bonne humeur, ne me donne pas envie de ne plus l'être. » il ne peut cacher son envie de rire. « Prends ce paquet, je prends l'autre. Au travail maintenant ! On n'a plus que deux jours. »
Le poignet de Losvicth est mort. Cela fait presque deux heures qu'ils travaillent d'arrachepied pour concorder leur texte ensemble. Depuis le début, pas une dispute n'a eu lieu et ils se contentent de se lancer quelques piques de temps en temps. Le fruit de leur dur labeur est une formule parfaite, avec un écrit parfait et une expérience qui se doit d'être aussi impeccable que le reste de leur présentation.
Eillana éternue entre chaque réplique. Sa petite sieste sous la pluie ne l'a pas laissée indemne. Ses yeux éclatants glissent sur le papier tout en écrivant des phrases à toutes vitesse. Losvicth l'observe sans trop savoir pourquoi. Il aura beau la taquiner dès qu'il le peut, il devra bien admettre qu'il aime sa compagnie. Un peu comme lorsqu'on découvre quelque chose de nouveau, cette fille l'intrigue et lui donne envie de débusquer tout ce qu'elle cache.
« J'ai terminé ! »
Elle se fige en s'apercevant qu'il la regarde toujours.
« Je dois te dire quelque chose. » Losvicth reprend ses esprits et lui explique ce qui s'est passé hier dans la voiture pendant qu'elle dormait.
Un silence s'ensuit.
« HORTENSE ! » elle effrite une feuille de papier dans sa main. « Hortense… sérieusement. »
« C'est original comme nom. C'est floral. »
« Si être une femme intéressée est floral alors oui ce prénom lui va parfaitement. »
Elle serre les poings, inspire un bon coup et se ressaisit. Ce n'est pas le moment de se prendre la tête. De toute manière, elle ne voit jamais son père alors la jeune fille n'a aucun intérêt de se préoccuper de la vie amoureuse de celui-ci. Pourtant, à la simple pensée d'imaginer une autre personne que sa mère pendue à son bras lui donne la nausée. Si Orlando est retombé amoureux, elle sait ce que cela implique : mariage, nouveauté, médias et, pire que tout, changement ! Rien que d'imaginer une étrangère se promener chez elle, cela lui donne envie de vomir.
« T'en fais pas, rien ne dit qu'il va l'épouser. »
« Tu as raison. »
Avec un peu de chance, l'histoire se répéterait et il abandonnerait sa nouvelle femme loin dans un village pommé ; au mieux avec une compensation considérable qui la ferait fermer son clapet devant les journalistes.
Le téléphone de Losvitch vibre.
« Allô mère. » son ton froid est surprenant.
« Oui, Losvitch je voulais simplement te faire part du fait que ton père et moi sommes extrêmement en colère. Tu as été vu à une soirée de débauche -dieu soit loué chez quelqu'un d'influent- en train de boire devant des centaines de personnes ! Te rends-tu comptes de ton acte ? A quel point cela tue notre image ? »
« Oui mère, pardon mère… » il répète ça en baillant comme un robot. On dirait qu'il l'a dit toute sa vie.
« Bon. Nous avons aussi des documents à te transmettre, tu dois les corriger, les transcrire et les envoyer. Ton père dit que ça t'entrainera à gérer son bureau, compris ? »
« Compris. »
« Bon, eh bien je te rappelle s'il y a du nouveau ! »
La mère raccroche. Tout de suite après le téléphone se remet à sonner.
« Père. » « Oui, alors, comme Bella te l'a expliqué voici les documents.(Il se dispense d'un bonjour) Et la paperasse en plus. Je te l'ai faite transmettre par pièces jointes. » un soupir se fait entendre. « Juste pour ton information, je suis extrêmement déçu. Comme toujours. Puisque on ne peut pas compter sur toi pour redorer le blason de la famille, il va falloir avoir un autre enfant ! »
« C'était une soirée. Juste une soirée. »
Son père l'ignore.
« Je ne peux plus t'interdire de sortir mais je te préviens tout de suite : la prochaine fois, si tu ne fais pas attention aux caméras je te prive de ton argent et je renvoie ta voiture à l'autre bout du monde. Allez au revoir ! J'ai autre chose à faire que de m'occuper de toi. »
Lui aussi raccroche sèchement. Eillana est choquée. Elle qui pensait que ses conversations familiales étaient tendues, elle voit à présent qu'il y a bien pire.
« Excuse-moi pour ça, reprenons. »
Elle le scrute. Il est indifférent. Comme si ces paroles lui passaient par-dessus la tête. Il les supporte depuis longtemps déjà, c'est bien plus simple d'encaisser lorsqu'on a l'habitude.
« Quoi ? »
« Rien. »
Le portable se remet à vibrer. Le jeune homme pousse un long soupir. Sa mère tente de le joindre encore une fois. Il sait qu'il n'a pas le choix de répondre mais hésite quand même avant d'appuyer sur le bouton décrocher.
« Qu'est-ce qu'il y a encore… »
« Les taux de l'entreprise ont chutés dans les trois domaines que je t'ai envoyés. Je veux que tu les étudies, ce sera ta punition. Également, j'ai trouvé un programme nutritionnel… »
« Je suis déjà un programme nutritionnel. »
« Oui mais pour le corps, pas pour le cerveau, selon mes statistiques, cela augmentera grandement tes notes dans tes matières faibles et je t'ai rajouté… »
Eillana attrape le téléphone. Elle ne sait pas trop ce qu'elle fait mais cet étalage de stupidité ne la laisse pas aussi impassible que Losvitch. Et puis, maintenant qu'elle a commencé elle ne peut plus reculer.
« Allô ? »
« Mais, qui est à l'appareil ? »
« Cela n'a aucune importance. Je suis une amie de votre fils. »
Losvitch sent la panique monter. Elle n'a pas de filtres dans ce genre de moment, il le sait et il craint le pire.
« Ah, eh bien de quelle famille êtes-vous ? »
« Cela non plus ne comptera pas. » son ton est exceptionnellement poli. Il faut se trouver à côté d'elle pour remarquer la fureur qui se lit dans son regard azur. « Je tenais simplement à vous dire quelques mots. Avec tout le respect que je vous dois, je vous demanderais d'être un peu plus courtoise avec votre fils. A force de l'empêcher de s'amuser, vous le cloitrer dans une cage dont il risque de se libérer un jour et vous regretterez de ne pas avoir vu le potentiel et le bonheur que c'est de tisser des liens avec son enfant. Comme vous le dites, dieu soit loué qu'il se soit rendu à cette fête sinon j'aurais probablement été agressé. » elle marque une pause pour souffler avant de reprendre : « En plus, je me dois de vous rappeler que nous sommes en train de travailler sur un exposé en groupe et il est très impoli de nous interrompre, que ce soit vous ou votre mari, car nous essayons d'atteindre la meilleure note possible. Surtout venant de quelqu'un qui compte faire suivre un programme d'alimentation cérébral, je pense qu'il serait plus approprié de nous laisser en paix. Excellente journée à vous, au revoir ! »
Elle raccroche dans un souffle, un sourire supérieur sur le visage.
« Tiens, je ne pense pas qu'elle rappellera avant une bonne heure. »
Eillana lui tend son téléphone.
Losvitch reprend le portable. Les cheveux de l'adolescente retombent en cascade autour de son visage angélique, attirant le peu de lumière du labo.
« Merci. »
« Tout le plaisir est pour moi. » ironise-t-elle en reprenant ses feuilles.
« Continuons. »
Losvitch fait valser ses yeux de son portable à Eillana. C'est bien la première fois que quelqu'un s'adresse à l'un des membres de sa famille comme elle l'a fait. Toutes les personnes que ses parents fréquentent sont à leurs pieds –et pour cause, qui se mettrait à dos des PDG de l'industrie ? Mais elle n'en a strictement rien à faire. Ce qui est le plus déconcertant, ce sont ses paroles. Elle a trouvé, en l'espace de dix minutes, ce qu'il cherche à dire depuis dix-sept ans. Il a l'impression qu'un poids qui pèse sur ses épaules depuis trop longtemps vient de s'affaisser. (Il devra quand même supporter une avalanche de reproche aux prochains appels).
Ils se replongent dans le silence du travail. Le garçon glisse un œil avec un intérêt différent sur sa camarade. Depuis qu'elle est arrivée, beaucoup de choses ont changé à Notari. Tu es une brise d'air fraîche ! avait dit Hall et à présent il réalise que c'est vrai. Le fait que cette fille n'est pas grandie dans une bulle d'abondance et d'insouciance lui permet de faire le tri de ce qui est bien ou mal par elle-même et non selon les normes de l'école.
Le jeune homme observe ses membres tremblants. Il se souvient alors qu'elle est en short et T-shirt et que la température est plutôt glaciale.
« Tu as froid ? On peut changer de pièce si tu veux ? »
« Non, ça ira. »
Il hausse les sourcils, peu convaincu, mais retourne vaquer à ses occupations. Pourtant, cinq minutes plus tard, le corps d'Eillana est tellement congelé qu'il en fait trembler sa pile de feuille.
« Si tu tiens tant à rester ici, au moins arête ce frottement. »
Elle soupire.
« Tais-toi on dirait Owen ! »
« C'est quoi le rapport ? »
Losvitch regrette instantanément son ton irrité. Même s'il n'a rien contre Owen Owel's, la simple formulation de son nom le met hors de lui. Que Eillana formule son nom le met hors de lui, se rectifie-t-il.
« Pourquoi es-tu si énervé d'un coup ? T'as un diagnostic bipolaire c'est ça ? »
« Non, rien, laisse-tomber. »
« T'es chiant. »
Elle lève les yeux au ciel et ceux-ci reviennent sur son cahier. Le jeune homme laisse passer son emportement en enfonçant son stylo dans le papier.
« Si je dis ça c'est uniquement parce qu'il m'a fait la réflexion en classe, c'est tout. »
Losvitch dresse une oreille, les yeux toujours rivés sur ses mots.
« Je t'ai vu lui parler l'autre jour. »
« Je ne suis pas avec lui. »
« Pas encore. »
Il n'en revient pas lui-même de son sarcasme.
« Regarde-moi au moins quand je te parle ! » clame-t-elle
J'hallucine. C'est le genre de phrase que les mères sortent. Eillana le sait ; il le voit à son sourire moqueur.
« Je n'aime pas Owen Owel's et il n'y a aucun risque que ça arrive, ok ? »
Il plante ses yeux dans les siens, envahi d'une étrange sensation. L'orage gronde dehors, la pièce est sombre. Les traits de la jeune fille se détache parfaitement dans la pénombre. Il est comme happé par ses longs cils, ses joues rosies par le rhume… Elle semble fragile dans un sens, mais la détermination qui brule dans ses prunelles est aussi solide que le roc. Losvitch est en train de se perdre dans ce regard ombragé. Il ne résiste pas. Il ne peut pas s'en empêcher. Son bras frôle son épaule et il réalise la proximité de leurs chaises. Ils sont proches, trop proches.
« On devrait… »
Elle s'interrompt. Un éclair scinde le ciel d'une lumière féroce.
« On devrait essayer l'expérience de la page huit. Ca va aller pour le froid, je pourrais supporter et si… »
Losvitch lui jette son pull dessus.
« Mets-ça et tais-toi ; sinon je te renverse le bocal d'acide sur la bouche. »
Eillana enfile le sweat sans un mot. Le noir fait contraste avec sa chevelure. Les manches sont trop longues et le tissu lui descends sur le haut des cuisses. Cela la rend mignonne. Et il aime la voir le porter ; ça lui va plutôt bien. Mais l'idée que son odeur déteigne sur lui après est malaisant. Je le laverais. Se dit-il. Ou pas… Après tout elle n'est pas un animal qui ne se douche jamais. Bon sang qu'est-ce qui m'arrive ?! s'agace-t-il en réalisant qu'il est en train de sourire.
22h25
Losvitch respire un bon coup en passant l'entrée du cabinet de police. L'intérieur du bâtiment est propret, les murs sont couverts de papier peint blanc et bleu.
Des bureaux sont alignés derrière des vitres épaisses. C'est là que l'attend la policière. Sheery l'accueille avec un grand sourire.
« Je savais que tu viendrais ! »
« Vous ne m'en avez pas réellement laisser le choix. »
Elle ignore cette remarque posée sur un ton déplaisant et se contente de lui serrer la main de ses doigts aux longs ongles rouges. Elle le mène dans une pièce à part.
Des photos de Nell sont partout. Il ressent un pincement au cœur à la vue de son visage souriant. Il préfère garder ce souvenir d'elle, pas celui d'un corps froid et ensanglanté.
« Ça fait un bout de temps que j'enquête sur l'affaire et l'autopsie nous a révélée qu'elle avait quelque chose dans le sang qui ralentissait son cerveau. Mais bien évidemment elle n'est pas morte à cause de ça. »
Sheery débusque une pile dans le tiroir de son bureau. Le garçon grimace à la vue de jambes écrasées, puis à celle d'un endroit familier ; un trottoir glissant dont la vue lui comprime le ventre.
« Après j'ai constaté qu'il y avait des trucs qui clochaient dans l'histoire. Par exemple, les pierres étaient déjà un peu craquelées, les distractions ce soir-là nombreuses et ne parlons surtout pas des soudures du balcon. Elles ont dû recevoir pas mal de coup avant l'accident, le genre de truc que tu repère direct sur ta terrasse… »
Il comprend ce qu'elle veut dire.
« Les proprios étaient donc complices ? »
« Peut-être. »
« Ce ne serait pas plus simple de faire arrêter ceux qui vivent dans l'appartement que de commencer toute une enquête ? »
Elle se dandine sur place.
« Ils ont déménagés très peu de temps après le drame. »
Losvitch fronce les sourcils. Ce départ précipité ressemble à une fuite. Il regarde les papiers tour à tour.
L'un montre une autopsie douteuse, l'autre des photos de l'accident et le dernier un dossier détaillé de suspects. Jusque-là, il n'était pas convaincu mais maintenant, il doit bien admettre que les preuves sont réunies devant ses yeux : Quelqu'un voulait du mal à Nell et cette personne l'a tué. C'est simple et pourtant il n'arrive pas à imaginer que quelqu'un ait vraiment assassiner la seule fille qu'il aimait plus qu'autre chose.
* * *
La porte s'ouvre et Losvitch entre dans la pièce. Il contourne la table et s'assois à côté d'Eillana, un bras autour de ses épaules. Tom démarre le jeu, elle attrape une manette et ils commencent la partie.
« Je t'aurais ! » s'écrie Joy en bousculant son copain sur le côté.
L'adolescente se pelotonne un peu plus contre le jeune homme. La pièce est accueillante, merveilleusement chaleureuse. Le canapé est mou, chaud et confortable. Losvitch l'embrasse doucement sur le front. Elle veut juste rester, ne plus bouger jusqu'à ce qu'elle en ait assez. Mais pour l'instant le bonheur qu'elle ressent lui suffit et elle n'est pas prête de le quitter.
Eillana ouvre les yeux, la respiration haletante.
« Oh mon dieu. »
Elle se réveille enfin de ce cauchemar !
Il fait nuit dehors à présent et la jeune fille a tout son temps pour observer le salon vide, sans un Losvitch au comportement étrange. C'est agréablement silencieux. Pourtant, elle sent la peur se frayer un chemin dans ses entrailles. Elle n'aime pas être seule.
Eillana se mord la lèvre en repensant à son entrevue avec Losvitch. Elle se demande encore pourquoi est-ce qu'il se sont disputés exactement et surtout pourquoi elle s'était laissé ramollir en lui disant que rien n'allait arriver avec Owen ? Ce n'est pas son copain, ni même son ami ! Et elle n'a pas besoin de l'approbation de Losvitch pour savoir avec qui elle sors !
« Coucou ! » Joy débarque avec son habituelle énergie débordante.
Tom la suit, un sac plastique odorant entre les mains.
« On a apporté à manger. »
Eillana sourit et aide à sortir les brochettes et les sushis sur le buffet de la cuisine.
« Je vous propose de bouffer avant de jouer. Pas de sauce soja collante sur la table basse de mon père, compris ? » ajoute Joy.
Les deux interlocuteurs hochent la tête avec un demi-sourire. Son air sévère est si rare qu'il n'en est même plus crédible.
« Personne d'autre ne viendra ? » demande son amie avec curiosité.
« En fait non. » répond Tom en s'installant sur l'un des bas tabourets en face de sa copine. « Hall est chez ses parents ; Joy et Aline sont parties il y a une heure et Losvitch… je sais pas ce qu'il fout. »
Elle hausse les épaules et décide d'entamer les brochettes de bœuf, qu'elle repose immédiatement dans le bol. Ses manches trop longues la dérangent. Elle les replie et réalise en même temps qu'elle porte toujours le pull de Losvitch.
« Il fait vraiment pas chaud ici ! » grelotte Joy en piquant un sushi dans le plat
« Oui c'est vrai. » confirme son amie en rabattant la capuche du sweat sur sa tête.
« J'ai compris, je vais fermer la fenêtre. »
Tom s'exécute avec un soupir théâtral. Eillana en profite pour observer ses cheveux platinés mi-long lui descendant dans le bas du coup. En parlant de son cou, il y remarque une drôle de blessure sur le côté lorsque ses mèches volent avec le vent. Ses yeux verts sont couleur pomme. Joy a de très bons goûts.
« J'aime bien ton haut. » la complimente cette dernière. « La prochaine fois pense à prendre la taille en dessous ! »
Eillana feint d'être embarrassée. Elle préfère largement jouer à l'acheteuse stupide que de dire d'où vient le vêtement.
« Au contraire, c'est la taille parfaite pour Losvitch ! »
Tom lui fait un clin d'œil. Elle détourne le regard face à son sourire perturbant. C'est son meilleur pote ! Elle aurait dû se douter qu'il reconnaitrait le pull…
« Comment ça la taille parfaite pour… » Joy regarde la tête de son amie virer non intentionnellement au rouge et esquisse un rictus amusé. « Il te va très bien ! Est-ce-que l'odeur est agréable ? »
« Peut-on se contenter de manger !? » supplie Eillana en fixant son assiette.
Elle sait qu'elle ferait mieux d'aller le déposer dans sa chambre et d'en finir avec cette mascarade. Elle peut même se trouver un autre vêtement à sa taille et aussi chaud que celui-là. Mais elle ne le fait pas. Non, Eillana se contente de rester dans la senteur -étonnement douce- d'un sweat qui n'est pas le sien.