"Etelor, capital des hommes fut battit sur une ancienne cité elfique, cela explique son style architectural unique que les autres races n'ont jamais réussi à reproduire."
Galäm était vêtu d'une souple cape de soie de malane lorsqu'il se promenait dans les rues de Yomanra. La malane est une plante poussant en abondance dans les régions du sud. Semblable en apparence à la violette, ses baies blanches et sucrées sont très nutritives. Il était commun d'en effiler les fibres afin de tisser de jolis vêtements, ceux-ci alors teintés d'un fin vert veiné sont très populaires dans les villes humaines. Quant à Galäm, lui, contemplait le port avec un air rêveur. Il a toujours aimé découvrir de nouvelles choses et les bateaux qu'il observait naviguer lentement sur une mer calme lui donnaient une sensation de liberté qu'il ne pouvait que très rarement ressentir dans son quotidien. Son tuteur et ami Donovan l'accompagnait, bien que celui-ci n'était présent que dans le but d'enseigner à Galam ce qui incombait à son rôle. Il ne disait rien car il savait que le jeune homme appréciait cet instant. De plus, l'enfant n'avait jamais fait preuve de mauvaise foi lors de ces enseignements. Donovan avait donc confiance en lui.
Le jeune homme brisa le silence d'un ton calme. « Où en étions-nous aujourd'hui ? Vous souhaitiez profiter du fait que nous sommes ici pour m'enseigner l'histoire des terres de l'est, n'est-ce pas ? »
Donovan fut surpris, car il n'avait rien dit au jeune homme. Il se demandait d'ailleurs si ce n'était pas là une nouvelle tentative qui permettrait à Galäm d'orienter le sujet du cours de la journée. Alors il rit en réponse. Il rit et dit : « Vous avez bien deviné, aujourd'hui, nous allons apprendre comment la province d'Enamareke, dont Yomanra fait partie, a réussi à résister durant des siècles aux guerres grâce à sa puissance maritime réputée invaincue, ainsi que les méthodes employées par les pirates d'Isa qui leur ont permis de saboter de nombreux navires de guerre de Yomanra. »
Galäm sentait déjà un ennui infini se propager dans tout son corps. En effet, bien qu'il fût nécessaire au jeune homme de comprendre l'histoire, il préférait nettement tout ce qui ne se rattachait pas à des guerres qu'il avait toujours trouvé ridicules. Elles sont pour lui un simple moyen d'affirmer sa puissance et sa domination sur d'autres peuples, alors même qu'une collaboration franche et sincère était, à ses yeux, toujours une meilleure solution plus productive, plus simple et bien moins sanglante. Cependant, il fit tout de même l'effort de ne pas le faire ressentir à son pauvre tuteur. Il savait que celui-ci n'avait guère le choix, tout comme lui.
Donovan commença alors : « Voyez-vous, Enamareke a connu de nombreuses guerres. Étant au centre-ouest du continent, cette province est entourée de trois voisins, du moins si l'on ne compte pas Hagalaz au nord et Teneke au sud-ouest, avec lesquels la province d'Enamareke ne partage qu'une motte de terre commune. »
Il continua en détaillant à chaque fois que possible les altercations qu'avait eues la province avec tous ses voisins. « Enamareke s'était trouvée, au cours de l'histoire, être l'une des provinces humaines les plus belliqueuses. Bien que Gebo à l'ouest et Isa au nord n'avaient rien à lui envier dans ce domaine. » Lorsque Donovan compta l'une d'elles, confrontant Gebo et Enamareke, Galäm trouva amusante l'anecdote connue sous le nom de "Anak molnara aten", autrement dit la révolte des bâtisseurs d'Anak. On remarquera ici que "molnara" était placé de manière ambiguë et pouvait aussi signifier "créateur d'Anak". Cette anecdote expliquait qu'après de longues guerres, Anakia, une ville proche du centre du continent, fut divisée en deux cités distinctes. L'une appartenait à la province de Gebo, Anak, et l'autre à Enamareke, Anakia. Il en fut ainsi durant des siècles. Cependant, après de nombreuses révoltes, luttes et guerres, la pression économique et militaire sur la cité dans son ensemble avait atteint son paroxysme. Si bien que la cité fut entrée en guerre civile contre toute autorité, et ce en plein milieu d'une guerre sanglante entre Gebo et Enamareke.
Bien sûr, on pourrait croire que quelques militaires bien armés auraient pu faire face à quelques citadins, eux armés de fourches et se débattant tant bien que mal dans une ville en ruine. Cependant, Anak ou Anakia, selon l'observateur, était une ville dont il était impossible de franchir la frontière sans passer par un pont. Ce pont, bien que robuste, fut détruit de nombreuses fois. Ainsi, aucune armée ne pouvait se mesurer l'une à l'autre. La ville avait gagné. Bien entendu, les soldats têtus avaient bien tout essayé, mais leurs pertes furent si lourdes des deux côtés qu'ils furent contraints de signer un cessez-le-feu. Ainsi, un groupe de civils savants avait mis fin à une longue guerre impitoyable entre deux anciens ennemis. Bien sûr, Isa, région des royaumes pirates du nord, avait largement contribué à cet essor, les navires pirates ayant coulé de nombreux navires de commerce enamarkiens. Cela fit sourire Galäm qui voyait en cette anecdote une preuve de ses pensées encore immatures.
Galäm nota donc qu'Isa avait simplement profité de la faiblesse des navires marchands d'Enamareke. La province, ayant bien trop investi dans son armée et s'étant bien trop divisée dans ses guerres, avait oublié que les militaires n'étaient pas les seuls cibles lors d'une confrontation. L'économie des villes maritimes d'Enamareke avait alors souffert de bien trop grandes pertes, et ce bien avant que ses navires de guerre ne puissent agir. Cela les avait paralysées, forçant Enamareke à adopter une posture défensive. Les Enamarekiens finirent tout de même par reprendre le dessus sur Isa, car suite à plusieurs guerres navales, dans lesquelles les larges navires de grand fond de la ville avaient particulièrement brillé, agissant alors comme de véritables citadelles flottantes prolongeant les frontières telles des phares éclairant les horizons. La ville avait réussi à gagner du terrain et à sécuriser ses frontières face aux pirates.
Cependant, comme le jeune homme ne pouvait absorber plus d'informations dans sa journée, ou peut-être parce qu'il se rendait compte que Donovan lui aussi commençait à somnoler, il proposa de terminer ici ce cours magistral. Il rassura Donovan en affirmant qu'en échange, il pourrait lui montrer, s'il le souhaitait, ces fameux navires ne sortant des ports militaires que lorsque le besoin s'en faisait sentir. Donovan lui sourit poliment. Il savait bien ce qu'en pensait son élève, mais tout de même, il apprécia le geste. D'ailleurs, il lui dit :
« Mon prince, je crains que vous ne puissiez entrer dans les quartiers militaires sans votre uniforme. »
Galäm fuyait cet accoutrement autant que possible. Il préférait largement rester discret, car une fois repéré, tous hésitaient à lui parler, ou du moins, tous faisaient attention à ce qu'il disait. Or, personne ne reconnaissait le prince à son faciès, mais bien à l'image royale qui se dégageait de ses atours. Des bijoux de kwartz clair, imprégnés d'un emblème royal fabriqué par les hauts mages humains, eux seuls en étant capables. Même les nains ne pouvaient mouler cette pierre. Des habits à la couleur des 6 royaumes, entremêlés du symbole d'Etelor, la capitale des hommes, tout pour rappeler son rang, sa place dans la société. Or, son père, le premier haut roi humain Entalar Armodens, était certes le premier à unir tous les hommes, promettant aux royaumes humains une ère de paix tant espérée. Mais il était aussi un homme craint et respecté, un homme dont il était connu qu'il valait mieux respecter la parole. Entalar régnait sur Etelor et n'en sortait que très peu. Galäm faisait tout pour le fuir. Son vieux père n'avait de toute façon guère le temps de s'occuper de lui. Il avait toujours su inspirer la crainte à Galäm. Son air sévère lui donnait l'impression que rien ne serait à sa hauteur. C'est pourquoi l'idée de mettre son uniforme ne lui plaisait guère. Il n'aimait pas l'image que celui-ci lui donnait. C'est pourquoi il revint sur sa parole, proposant plutôt d'explorer la ville.
près tout, c'était la première fois qu'il venait à Yomanra, ainsi que la première fois qu'il s'éloignait d'Etelor. Autrement dit, tout de la vie en dehors de la capitale lui était inconnu, en dehors de la théorie pure et froide que lui enseignait Donovan. Son tuteur fit un signe d'approbation, bien que celui-ci aurait préféré remplir pleinement son rôle aujourd'hui. Le temps lui étant compté, son cœur de vieil homme sage ne pouvait dire non à un enfant avide de connaissance. Après tout, il se devait de respecter tout savoir, et la culture de Yomanra n'en était pas des moindres.
La ville était magnifique, les puissants bâtiments de grès blanc faisaient penser à un mélange entre des cités grecques anciennes et celles de la Renaissance française. Cela ne laissait pas de marbre le cœur du jeune homme qui se demandait comment les bâtisseurs pouvaient réaliser de telles façades, aussi sophistiquées que sobres en apparence. Une grande muraille circulaire entourait le port, qui, éclairé d'un phare à son entrée, avait une forte activité humaine. Tout le monde semblait descendre dans la rue et commercer avec les pêcheurs qui venaient à peine de s'amarrer sur le port. Le brouhaha de la foule prenait presque la forme d'une douce mélodie pour le prince, celle de la vie.
Galäm proposa à son ami de goûter l'une des spécialités de la ville. Celui-ci acquiesça et ne manqua pas de témoigner de ses grandes connaissances en sélectionnant lui-même le poisson. La créature avait l'horrible apparence d'un mélange entre une baudroie et un poulpe. Le prince ne dit pas un mot. Il aurait pu être mal à l'aise, comme tout homme face à cette monstruosité pour la première fois, mais il sourit plutôt à l'idée que Donovan le provoquait. Celui-ci aimait stimuler la curiosité de son disciple, c'est pourquoi Donovan avait choisi un mets qui n'était apprécié que des pêcheurs eux-mêmes ou des rares connaisseurs qui ne fuyaient pas l'apparence du poisson et se permettaient de le déguster allègrement. Il en profita d'ailleurs pour préciser à Galäm que cette étrange créature vivait loin des côtes d'Enamareke. En fait, suite à une famine liée aux guerres de Isa, le peuple de Yomanra avait osé s'aventurer à de telles distances du rivage. Le large était d'ordinaire bien trop dangereux, même pour les plus braves marins, et le poisson lui-même était simplement empoisonné. Du moins pour tous ceux ne connaissant pas les quelques secrets de cuisine de Yomanra.
Le soleil commençait à se coucher, on pouvait le voir parfumer les couleurs des mers de l'est d'un doux dégradé orangé. Galäm se laissait bercer par cette poésie aux mille couleurs. Cependant, il n'eut guère plus de temps pour profiter de l'instant présent, car, alors que les gardes s'occupaient à allumer les lumières de la ville, son ami Donovan le sortit de ses songes en lui rappelant qu'il était temps de rentrer à l'ambassade. Galäm se plia à son destin et suivit son maître, bien conscient que désobéir et alarmer la ville de son absence ne serait pas à son avantage. Sur le chemin, il remarqua que Yomanra était composée de plusieurs quartiers bien distincts. Chacun de ces quartiers était marqué par des différences sociales entre les hommes. Ainsi, le port était composé de petites bâtisses blanchâtres teintées par l'usure du temps et l'air marin, tandis que le centre-ville était orné d'une myriade de couleurs, de dorures aux fenêtres, faites en bois d'arbre d'acier aux teintures d'un rouge flamboyant, et d'une rue pavée de petites pierres légèrement bleutées. Cela n'était pourtant que le centre commercial de la ville. Ce n'était ni le quartier des mages, ni même encore moins celui de la gouvernance de la ville vers lequel le prince se rendait. Cependant, Galäm ne s'attarda pas trop sur ces détails. Il était encore bien trop rêveur d'avoir pu enfin voir la mer éclairée par la chaleur du soleil de Nekea. Et puis, bien que Yomanra fût l'une des villes les plus riches du continent, aucune dorure ne serait comparable à celle d'Etelor, sa ville natale. Cela était donc pour lui finalement plutôt banal. Il dirait même que c'était un déguisement masquant une réalité similaire à chaque royaume, bien que Galäm n'en ait encore vu que deux. Il remarqua tout de même le style particulier du quartier des mages. Il semblait fait d'un seul bloc, rendant impossible l'identification des différentes bâtisses qui le composaient, presque comme s'il s'agissait d'une véritable forteresse au sein même de la ville.
Les mages sont rares parmi les hommes. La magie, étant une puissante source d'énergie, a rendu les rares personnes capables de la manier aptes à accomplir de grandes choses. On leur prête une certaine sagesse, suivie d'un titre de noblesse pour les plus puissants d'entre eux. Pourtant, la plupart des mages se trouvent être d'arrogants jeunes hommes formés au combat. Sur le champ de bataille, ils font de terrifiants ennemis. Rien que d'y penser fait frémir d'angoisse le dos du prince, tout comme celui de Donovan. Si les mages d'Etelor n'avaient pas été favorables à son père, celui-ci n'aurait jamais réussi à garder le contrôle bien longtemps. Le prince se demande ce que son aîné a bien pu leur promettre pour les convaincre de le soutenir. Ce que Donovan ne dit pas au prince, c'est qu'il est lui-même l'un des leurs, bien que considéré comme faible parmi les mages.
Donovan avait toujours consacré sa vie à comprendre le monde. Il était de ce fait plus un sage qu'un mage. D'ailleurs, il faisait partie d'une académie ayant fait vœu de neutralité afin d'obtenir, et ce bien avant l'union des royaumes, la possibilité d'étudier chaque province. À cette époque, le centre d'intérêt principal de sa guilde était la civilisation perdue des anciens elfes. Ceux-ci précédaient les humains. Maintenant disparue, il était tout de même resté des elfes quelques reliques de leur civilisation. Peu de savoir avait été recueilli quant à leur culture, et ce alors même qu'il s'agissait, à une époque, de l'espèce la plus dominante du continent. On pouvait le voir aux vestiges de leurs cités présents dans tout le continent. Pour ce qu'en savait Donovan, c'était une série de cataclysmes et des guerres qui avait mené à leur extinction.
Les mages neutres de l'académie, chargés de l'étude des elfes, s'étaient regroupés à Etelor bien avant que la capitale n'y soit fondée. C'est d'ailleurs cela qui avait donné à la ville sa réputation de neutralité politique à l'époque. Cette neutralité fut alors par le passé exploitée de nombreuses fois lorsque les royaumes avaient besoin de faire différents échanges économiques ou diplomatiques.
Galäm et Donovan étaient maintenant proches de l'ambassade d'Etelor. Celle-ci était établie côte à côte avec le palais de Yomanra, où siège le comte Ëmra Mara, ancien roi de la région, régissant celle-ci par le biais des ordres de la capitale humaine. L'ambassade, en forme de dôme blanc, portait encore les marques de sa construction récente. Le bâtiment représente, pour le peuple, le seul moyen de s'enregistrer dans les documents administratifs officiels d'Etelor et du royaume dans son ensemble. C'est pourquoi de nombreux marchands souhaitant obtenir diverses autorisations leur permettant de séjourner à la capitale et d'y faire quelques affaires faisaient la queue, attendant patiemment leur tour. Ils dessinaient ainsi une longue ligne le long de la route. On pouvait remarquer que ceux-ci portaient une grande variété d'habits aux multiples nuances de couleur, signe de leur pluralité culturelle et ethnique. Les gens venant de l'ouest se démarquaient par des couleurs violacées similaires à la cape du prince. Ils n'étaient pourtant pas majoritaires, cela étant sûrement dû au fait que le port de Yomanra accueille des navires marchands venant de tout horizon, celui-ci se situant sur l'une des routes commerciales les plus empruntées du continent. Le parti majoritaire parmi les marchands était plutôt vêtu d'un rouge bordeaux, un pigment rare mais très apprécié de la région Eseka. Ce pigment se fabriquait d'ailleurs à partir d'écorce d'arbre d'acier ainsi que de quelques autres composants connus uniquement des maîtres artisans. On pouvait aussi voir dans la foule quelques nuances de bleu nuit, de bleu cobalt ainsi que de quelques touches châtaigne, signe de chacune des villes et tribus du nord et de l'est.
Malgré ce spectacle de diversité populaire, le prince et son ami Donovan, souhaitant ne pas attirer les regards, passèrent par une porte dissimulée dans le jardin où les attendait un garde. Le prince eut à peine le temps d'arriver devant l'homme, droit et fier de sa stature, que celui-ci s'exclama : « La garde de Yomanra vous salue. » en s'inclinant. Il rajouta ensuite : « Le haut roi vous transmet un message en provenance d'Etelor. » Puis il tendit une lettre, une lettre cirée, marquée du sceau royal et sertie d'une rune naine dont il ne savait l'usage, mais se doutait que celle-ci était vouée à surveiller l'état de la missive.