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Chapitre 13

En arrivant à la forge d'Udiir, Artha ne put qu'être stupéfaite. Comme tous ses sujets, elle connaissait la réputation de cette montagne et de la vallée qui se trouvait derrière. Jamais elle n'aurait pensé que quelqu'un puisse vivre dans un endroit pareil, encore moins construire une forge. Pourtant cet étrange individu l'avait fait depuis plus d'une décennie. La curiosité de la reine pour le chaman ne s'en trouvait que renforcée.

─ Votre majesté, dit alors la paladin, je n'aime pas cet endroit, je sens une présence inconnue, comme si nous entrions dans la juridiction d'une autre divinité.

 ─ Je suis d'accord, ajouta la magicienne, je sens les énergies primales qui parcourent la montagne et la vallée voisine, elles sont à leur paroxysme ici.

Prenant en compte ces remarques, la reine parcourut le plateau rocheux du regard. Elle vit alors, à l'opposé de la forge, les quatre monolithes dressés en cercle. À la vue des pierres, la reine éprouva un étrange mélange de peur et de respect. Le chaman, de son côté, s'afférait à retirer la selle de sa monture. Il entendit alors la reine l'interpeller pour lui demander : 

─ Je pense qu'il est temps que nous abordions la question de tes pouvoirs Udiir.

Il se contenta d'acquiescer. Cette fois la question fut posée par la mage :

─ Tu n'es pas un mage, n'est-ce pas ?

─ Non, en effet dame mage, je suis un chaman.

─ Peux- tu être plus clair ? demanda la reine.

Udiir expliqua donc ce que signifiait sa vocation, son lien avec les esprits des éléments et ses pouvoirs. Lorsque le chaman eut terminé son récit, la guerrière sacrée eut un petit rire et dit :

─ Tu penses vraiment nous faire croire que les éléments sont vivants ? L'eau n'a pas de conscience, pauvre fou.

Udiir ne répondit pas, il se contenta de froncer les sourcils. Puis il se plaça au centre du cercle et prononça les mots suivants :

─ Bal'Ash, Aquos, Ignis, Gaïa, je vous demande d'apparaître ! Entendez mon appel !

 Aussitôt ces paroles prononcées, les éléments se manifestèrent : la foudre zébra le ciel, la terre trembla et enfin les quatre seigneurs primordiaux apparurent sur le plateau.

À la vue des quatre esprits, les gorges des spectateurs se nouèrent et le sourire de mépris qu'affichait Silpha la paladin s'effaça aussitôt. La reine serra son trident à en faire blanchir les articulations de ses mains. Tous sentirent la puissance implacable, des entités qui se dressaient devant eux. Ils se tenaient en présence d'êtres, aussi anciens que le monde de Gaï-Rox lui-même, et lorsqu'ils prirent la parole, plus d'un chancela sous la force de leur voix.

─ TU NOUS AS APPELÉS CHAMAN ?

─ En effet esprits, je tenais à prouver votre existence auprès de ces charmantes personnes.

Les esprits fixèrent leurs yeux immatériels sur Artha et son escorte.

─ Ah, la dirigeante d'Erganane, dit Aquos.

─ Et une guerrière de Bal 'Dar, ajouta Ignis.

Silpha était tétanisée, sa voix était bloquée dans sa gorge. Elle eut toute les peines du monde à parler :

─ Que…Qu'est-ce que vous êtes ?

Gaïa s'esclaffa et son rire fit trembler le sol.

─ Nous sommes les seigneurs des éléments petite elfe et celui qui se tient en face de vous est un chaman. Notre bras armé et porte-parole dans le monde matériel.

─ Alors ne t'avises pas de remettre son statut en doute, ajouta Bal' Ash.

Terrorisée, Silpha tomba à genoux et se mit à prier. La reine se plaça devant sa subordonnée et s'inclina brièvement devant les esprits.

─ Veuillez excuser Silpha, grands esprits.

Udiir sourit, dévoilant ses dents blanches et pointues, il ressentait un plaisir coupable de voir la guerrière sacrée perdre son masque de fierté et d'arrogance. Il respectait certes les guerriers sacrés de Bal 'Dar, mais il n'appréciait guère le comportement arrogant, et l'attitude supérieure que certains d'entre eux développaient à cause de leur statut. Leur tirade terminée, les quatre esprits disparurent. Silpha tremblait encore comme une feuille, sa camarade mage tentant de la calmer. La reine Artha reposa ses yeux verts-marins sur le jeune forgeron. Bien qu'il se trouvât en sa propre demeure, Udiir se sentit tout à coup en insécurité. Il appréhendait la décision de la reine à son sujet.

─ Jeune Udiir, tu as d'autres réponses à me donner, dit la souveraine.

─ Je vous écoute Majesté.

Durant les longues minutes qui suivirent, Artha interrogea le chaman sur les événements qui l'avaient amené à intervenir sur-le-champ de bataille. Udiir résuma donc minutieusement ce qu'il c'était passé, notamment sa vision et sa perception des énergies démoniaques. Ayant été témoin de ses pouvoirs, la reine ne trouva aucune raison de douter de ses dires.

Artha posa alors la question que Udiir et tout sa famille attendait :

─ Une chose me taraude : d'où viens-tu ? À quel peuple appartiens-tu ? De quelle race es-tu ?

Allisya intervint :

─ Je pense qu'il me revient de raconter cette partie de l'histoire, Altesse.

La sorcière raconta alors toute l'histoire. Elle n'omit aucun détail : elle expliqua comment Garam était arrivé au village, sa mort et ses dernières volontés. Puis comment son mari, et elle, avaient fait d'Udiir un membre de leur clan, ainsi que leur fils.

À la fin du récit de la sorcière, la jeteuse de sorts accompagnant la reine Artha prit la parole. Son ton trahissait son inimitié vis-à-vis du chaman et de sa famille :

─ Je ne vois pas en quoi votre histoire permet de prouver vos dires. Qu'est-ce qui nous prouve que votre « fils » n'est pas un espion envoyé par l'ennemi.

Udiir serra les dents jusqu'à se faire mal et ses yeux s'enflammèrent. Personne n'avait le droit d'insulter son clan et sa famille ainsi. Les deux s'étaient toujours montrés loyaux envers le royaume. Il dû se faire violence pour ne pas gifler cette magicienne qui osait insinuer le contraire.

Artha frappa le sol de son trident. Le tonnerre fit trembler la terre, et une bourrasque surpuissante souffla sur le plateau de pierre.

─ Il suffit Saskia ! dit la reine en dardant un regard courroucé sur sa subordonnée.

─ Mais…Votre Altesse…Balbutia-t-elle.

─ J'ai dit, suffit !

Devant la fureur de sa souveraine, la magicienne plia et se tut.

Artha se racla la gorge :

─ Alyssia, Roy, excusez la grossièreté de Saskia, elle se retourna vers Udiir, toutefois, je n'ai pas eu de réponse claire au sujet de tes origines jeune… « homme ».

─ C'est une question à laquelle je ne peux donner de réponse concrète.

─ Comment ça ?

─ Suivez-moi, je vais vous montrer quelque chose qui expliquera mieux ce que je veux dire.

Udiir s'avança vers la paroi de la montagne et ouvrit l'entrée de la galerie secrète. Roy blêmit et Allisya se crispa sur son bâton à la vue du souterrain.

─ Udiir, dit Arya, tu es sûr ?

─ Ça devait bien arriver un jour ou l'autre

 L'escorte de la reine n'était pas plus à l'aise face au tunnel de roche.

─ Qu'est- ce donc, demanda la reine ?

─ Avant tout, prévint le chaman, je tiens à avoir votre parole que tout ce qui sera dit dans ce souterrain restera secret, votre Majesté.

Artha n'hésita pas, et jura que si la moindre information de cette entrevue venait à fuiter le, ou les responsables, en subirait les conséquences. Udiir prit une profonde inspiration. Ce qu'il s'apprêtait à dévoiler à la reine lui ferait sans aucun doute l'effet d'un raz-de-marée.

─ Très bien, alors suivez-moi votre Majesté. Prenez garde, le couloir est étroit marchez en file indienne, déclara-t-il avant de s'engouffrer dans le tunnel.

La souveraine d'Erganane était perplexe, qu'est-ce que le chaman tenait tant à lui dévoiler dans ce souterrain ? À son tour, elle franchit le palier du boyau de roche. Elle découvrit un corridor éclairé par plusieurs braseros disposés de part et d'autre du chemin. Son escorte à sa suite, Artha progressa dans la caverne.

Elle ne mit pas longtemps à rejoindre Udiir, ce dernier se tenait assis en tailleur au centre de la pièce circulaire aux parois couvertes de fresques. À la vue des peintures rupestres, la reine plissa ses yeux verts.

Le chaman attendit que tout le monde soit présent dans la pièce avant de se relever.

─ Quel est cet endroit Udiir, demanda la reine ?

─ Ceci est tout ce que je sais sur ce que je suis, répondit-il en écartant les bras.

Voyant la mine circonspecte d'Artha, Udiir entreprit alors d'expliquer ce que ces fresques signifiaient. Il n'omit rien, qu'il s'agisse des liens entre les Arginanes, ou de son confrère qui avait semble-t-il pris part à la guerre contre l'empire d'Inguadia il y a près de cinq cents ans. La reine et son escorte étaient suspendues aux lèvres du jeune conteur. Lorsque ce dernier aborda la seconde partie, il lui sembla voir la reine se crisper. À la fin du récit, elle parla d'une voix blanche :

─ Je suppose que tu connais les divers contes au sujet de ton…ancêtre.

─ Certes, votre Majesté, mais je pense que « Prédécesseur » est un terme plus approprié, corrigea Udiir. J'en conclus que les légendes n'en sont pas vraiment n'est-ce pas, ajouta-t-il ?

Artha, bien que stoïque, avait le dos inondé de sueur froide. Jamais elle ne s'était attendue, à se retrouver face à un homologue du mystique légendaire, qui avait prêté main-forte à son aïeul, qui avait fondé le royaume des siècles plus tôt. L'elfe paladin et la jeune mage, qui l'escortaient étaient livides de surprise, attendant la réponse de leur souveraine.

Elle déglutit bruyamment avant de déclarer :

─ Avant cela, je me dois d'exiger de toi, et de toutes les autres personnes présentes dans cette salle, de garder le secret sur ce que je vais dire. Est-ce clair ?

Tous firent vœux de silence sans exception, alors la reine d'Erganane dit :

─ Cette légende a effectivement une grande part de vérité, cet individu, que notre peuple appelle l'esprit de la montagne, a bel et bien existé.

Si la famille d'Udiir et lui-même n'étaient pas étonnés par ces paroles, ce fut tout le contraire pour le seigneur Marteau-Stellaire et l'escorte royale. Artha raconta toute l'histoire :

Comme la plupart des Erganiens le savaient, ils étaient issus de la fusion de deux peuples humains : les Arginanes, premiers habitants du continent et les Najyiens, des marins venus de la mer du sud il y a plus de cinq siècles. Peu de temps après l'arrivée des colons, le conflit contre les Amazones et leur régime esclavagiste avait éclaté. La race de femmes guerrières avait en effet un besoin vital de capturer des mâles afin de pouvoir se reproduire. Car, peu importe la race du géniteur, l'enfant né de l'union est toujours une fille Amazone.

Bien qu'avantagés, par la métallurgie avancée des Arginanes et la flotte marine des Najyiens, les futurs Erganiens avaient du mal à contrer l'important nombre, et l'immense force des guerrières de l'est.

C'est alors que, sorti de nulle part, un mystérieux individu apparut. Personne ne savait d'où il venait ou à quelle race il appartenait. Mais une chose était sûre : sa puissance faisait trembler les Amazones. Il se fit connaître pour la première fois à ces dernières durant une attaque nocturne sur le village des Arginanes. Depuis toujours, les Amazones avaient tenté de capturer des mâles du clan forgeron, sans succès. Ainsi une nuit à la faveur de l'obscurité, les forces inguadiennes lancèrent un assaut éclair.

Ce fut une réussite et les assaillantes enlevèrent une trentaine de jeunes hommes, dont un tiers composé d'enfants entre dix et douze ans. Mais quelqu'un ne l'entendait pas de cette oreille. D'après les témoignages, une pluie de foudre s'était abattue sur elles avant que la terre ne s'éventre, laissant jaillir des geysers de lave.

Puis émergeant de la poussière du combat, un inconnu de grande taille avait libéré les captifs avant de les ramener au village. Si les Arginanes l'appelèrent le Gardien de la montagne, les Amazones l'appelèrent Shaytoun hilrajed, le Démon du tonnerre et du volcan dans leur langue.

Un tel nom était approprié pour quelqu'un pouvant survivre sur la montagne que toutes les peuplades alentour considéraient comme hanté. Cet « esprit » convia pourtant le chef du clan Arginane de l'époque et l'ancêtre d'Artha à une entrevue. Personne ne sait ce qu'il s'y est réellement produit mais une chose est sûre : c'est ce jour-là que le trident, arme emblématique de la famille royale, fut forgé.

À l'évocation de l'arme, Udiir posa son regard sur la lance de la reine puis sur la partie de la fresque qui en représentait un jumeau quasi-parfait.

 ─ Je pense, déclara la reine, qu'il est juste de dire aujourd'hui que ton prédécesseur a joué un rôle dans la création du trident de mes ancêtres mais j'ignore totalement lequel, Udiir.

Le jeune chaman fronça les sourcils.

─ Mais votre mère ne vous a-t-elle pas raconté cette partie de l'histoire, demanda-t-il ?

Une ombre de colère passa sur le visage d'Artha.

─ Espèce d'ignare, fulmina Silpha !

Un geste de sa souveraine coupa net la colère de la paladin. Réalisant qu'il avait commis un impair, Udiir ce confondit en excuses.

─ Je ne te blâme pas Udiir, ton jeune âge peux expliquer ton ignorance. Quand ma mère, la précédente reine, est morte tu n'étais même pas né. Hélas je pense qu'elle n'a effectivement pas eu le temps de tout me dire sur le rôle que ton prédécesseur à jouer dans la création de mon trident. Par conséquent je crains d'être loin de posséder une puissance comparable à celle de mes aïeuls.

Ayant écouté les confirmations d'Artha, Udiir réfléchit pendant quelques secondes. Les yeux rivés sur le trident d'acier massif, les informations tourbillonnaient dans son esprit. C'est alors que le jeune forgeron remarqua quelque chose sur l'arme. La partie inférieure de la hampe était faite d'un métal d'une teinte sombre et bleue. Tandis que la partie supérieure et le fer de la lance semblaient être faits d'un acier d'une couleur cuivrée. En tant que forgeron expérimenté, Udiir y vit une anomalie ou bien une erreur de fabrication. Ce qui, sur une arme aussi légendaire que le trident royal, semblait aberrant.

─ Votre Majesté, excusez une fois de plus mon impertinence, mais puis-je observer votre trident ?