Chapitre 5
J'avais passé près d'une semaine à être enfermé. Une semaine durant laquelle je n'avais rien fait d'autre qu'étudier, m'entraîner et manger. Une semaine où j'avais tout fait pour éviter tant le Roi que mon Père. Quant à ma mère... Voilà bien une personne que je n'avais pas pu éviter tant elle était venue m'hurler mon incompétence chaque jour faisant.Des hurlements que j'avais fini par ignorer, passant outre, subissant sans un mot jusqu'à ce qu'elle ne parte et ne me laisse retourner à mes occupations monotones quotidiennes.— Combien de temps cela va-t-il durer ? souffla mon frère, passant le pas de la porte de mes appartements.— Jusqu'à ce qu'Hayes arrive à oublier que j'existe ? réussis-je à plaisanter.— Ils ont accepté de venir, m'informa-t-il alors bien trop sérieusement. Le messager est arrivé il y a trois jours pour l'annoncer. Prépare-toi à sortir d'ici rapidement.Et ils n'avaient donc pas pris la peine de me l'annoncer ? Bien. Très bien. Et très peu étonnant, finalement.— Tu me préviendras quand ils seront là depuis deux semaines, dans ce cas ? ironisai-je.Ses yeux roulèrent vers le ciel, signe de son agacement face à mon comportement.— Prépare au moins tes arguments. D'ici là. Fais attention. Sa Majesté est toujours furieuse.— Hayes. Il s'appelle Hayes.Je n'obtins pas de réponse. Il partit, me laissant seul.Et c'est seul que je restai ainsi encore deux jours pleins. Deux jours où je ne vis pas même ma mère, visiblement exaspérée par ce qu'elle semblait, à raison, prendre pour de l'insolence. Deux jours où j'étudiai sans relâche l'économie, la politique et surtout la communication. Qu'allais-je pouvoir dire pour prendre la défense de mes positions ? Qu'allais-je pouvoir trouver pour expliquer pourquoi je n'avais pas failli à ma tâche, pourquoi les coupables se trouvaient être des traîtres ? Deux jours qui passèrent bien trop vite pour que je puisse trouver des réponses à chacune de mes questions.Et deux jours qui se terminèrent enfin.Là, debout, mon costume enfilé par les soins des domestiques, j'attendais. Ils viendraient me chercher d'une seconde à l'autre. Nos invités étaient arrivés à la veille au soir. Nul doute que l'entretien n'attendrait pas neuf jours pour se tenir. L'on vint effectivement me chercher. Pire, la Garde Royale fut elle même dépêchée dans mes appartements. Une preuve, sûrement, que la colère de mon cousin n'avait pas décru.— Veuillez nous suivre, Prince Elian, ordonna mon Capitaine de Garde.— Je ne comptais pas faire autrement.Les suivant jusqu'à la salle du Conseil, j'y croisai le regard de Seth et de ses quelques hommes venus pour l'occasion. Ce sale petit... Non. Du calme. Je n'avais pas appris à jouer aux avocats pour m'énerver dès la première seconde. Je devais respirer et rester calme.Me positionnant près de mon père, seul Conseiller admis pour ce face-à-face, j'attendis alors. C'était au Roi d'ouvrir le bal et à lui seul.— Je suppose que même un verre d'eau n'est pas au programme ? articula pourtant Seth sous mon regard presqu'ébahi.J'étais insolent, c'était un fait souvent établi. Mais il ne s'agissait là plus même d'insolence. Il confirmait d'ailleurs mon diagnostic. Seth Parsons était devenu fou. A moins qu'il ne l'ait toujours été. Une possibilité toute trouvée alors que le poing d'Hayes semblait se crisper sur la table.— Du respect, ordonna mon Père, la voix lourde.— Je pourrais en avoir si vous en aviez en retour, malheureusement...— De l'eau. Immédiatement, coupa le Roi.Et ce que Roi demandait, Roi obtenait. Les verres d'eau servis et placés devant chaque invité, la séance pu enfin reprendre, ou commencer. C'était du pareil au même.— Je suppose que vous savez la raison qui nous a poussés à vous inviter gracieusement ici ? commença Hayes. Vos actes sont intolérables.— Le manquement à votre promesse l'est tout autant, rétorqua Seth dont le regard se posait sur moi.— Vous... Soufflant légèrement, je repris ma respiration. Je ne devais pas m'énerver.— Vous ne m'avez pas laissé le temps de le faire.— Vous auriez dû convenir d'un délai.— Seul un imbécile peut imaginer qu'il est possible de négocier en un jour ! m'agaçai-je un peu trop rapidement.— C'est que vous ne savez pas négocier !— C'est vous qui...— IL SUFFIT ! coupa brusquement Hayes, son regard passant de Seth à moi sans discontinuer. Tout ce que le Prince Elian a pu vous dire ne saurait justifier vos actions, à vous et à vos mercenaires !— Des mercenaires ? s'énerva l'un des membres de la Rébellion. Vous nous appelez mercenaire ?! Vous croyez qu'on fait ça par plaisir ?! Pour l'argent ?! Pour...— Travis, arrêta Seth. Du calme.Son regard se porta sur le souverain. Comment pouvait-il être aussi serein face à un Roi aussi agacé ? Ne comprenait-il pas les enjeux de cet entretien ? S'imaginait-il réellement en sécurité ?— Votre Majesté, reprit-il plus calme. Pensez-vous que nous serions aujourd'hui devant vous si nous n'avions pas attiré votre attention ? Il secoua la tête. — Je ne pense pas. Quand bien même nos actions ont un coût matériel, nous n'avons pris à partie aucune vie humaine. Qui plus est, je pense qu'il est de notre droit de vous faire part de nos mécontentement lorsque les actions de votre prédécesseurs autant que les vôtres nous privent de nos proches, les affamant et les réduisant à l'esclavage ou à la garnison. Et puisque nous n'avons pas pu compter sur le soutien de votre cher petit Prince...— Mais... tentai-je d'arrêter, stoppé par la main de mon père qui m'obligea au silence.— Je disais, continua Seth, imperturbable. Puisque nous n'avons pas pu compter sur votre soutien, Monsieur le Prince, nous sommes aujourd'hui devant vous afin de vous offrir nos conditions.— Vos... Conditions ? s'étonna mon père, un léger rictus aux lèvres.— Laissons les parler, Sir Sigeric.Ce ton sarcastique n'annonçait rien de bon. Mais Seth ne se démonta toujours pas.— Diminuez les impôts de 40 sous et cessez de demander aux villages de faire de leurs enfants des soldats. Nous n'avons déjà pas assez de bras. Nous ne pouvons pas répondre à vos attentes et...—Non.La réponse apportée par mon cousin était au moins très claire à défaut d'avoir des formes.— Non ? répéta le jeune paysan, interdit.— Vous avez bien entendu. Non. N. O. N. Dois-je vous l'écrire ?... A moins que vous ne sachiez pas lire ?— Je...Voilà au moins quelque chose qui avait fait taire Seth qui observait maintenant le Roi avec torpeur, son regard passant à mon père puis à moi sans plus savoir quoi dire.— Vous avez pas honte de parler à un de vos citoyens comme ça ?! lança soudain l'un des hommes de Seth. On vient jusqu'à votre putain de chateau et c'est comme ça que vous nous parlez ?— Ouais ! Et puis on demande pas la lune ! Juste qu'on nous respecte ! On veut le respect !— Et on va l'avoir ! On va continuer ! Vous avez pas le droit de faire ça !Les esprits s'échauffaient. Les corps s'agitaient, les poings cognant sur la table alors qu'ils s'étaient tous levés, hurlant à l'injustice, à l'irrespect sous le regard serein de mon cousin et de mon père. Ils avaient tout prévu. Les observant, stupéfait, j'avais fini par comprendre les raisons de cette invitation.Ils savaient ce qui allait se produire en les invitant, en les insultant. Et ce qui devait arriver arriva. Seth tentait pourtant de calmer ses hommes, de les forcer au silence mais rien n'y faisait. Alors, calmement, le Roi s'était levé, suivi de mon père. Il attendait le moment, l'instant où tout déraperait vraiment. Et je vis ce moment. Je vis l'un des hommes s'avancer, je vis Seth tenter de le retenir. Je tentai moi-même de m'interposer, en vain. Il attrapa le col de son souverain. C'était trop tard. La garde intervint, mettant chaque membre de la Rébellion du Nord à genoux alors qu'Hayes semblait bien trop satisfait.— Mettez les aux cachots, ordonna le Roi dans un rictus distinct. Nous déciderons de leur sort au prochain rassemblement du Conseil.Sans voix, j'observai les six hommes quitter la pièce, emmenés par la Garde avant de me précipiter devant Hayes et mon père.— Tu ne peux pas faire ça ! m'interposai-je. Ils n'ont rien fait ! Ils ne voulaient que défendre leur vie !— S'en prendre au Roi est suffisant pour réclamer la peine de mort, rappela mon père en me fusillant du regard. Tu n'as de toutes les manières plus mot à dire. Ta mission a été un échec complet. Nous l'avons mené à ta place. Sois en reconnaissant.— Mais...— Mais ? s'étonna le Roi en s'arrêtant pour m'observer. Vous remettez donc un ordre de votre souverain en question, Prince Elian ?Mon regard se baissa. Je ne pouvais pas aller contre lui, pas sans risquer je ne savais quelle sanction qu'il semblait capable d'inventer pour me le faire regretter.— Pourquoi m'avoir demandé de venir ? demandai-je alors. Je n'ai servi à rien.— Pour que vous puissiez voir ce qu'il peut se passer lorsque vous échouez, reprit-il. Maintenant que c'est chose faite, estimez cela comme une seconde chance que je vous donne. Alors rejoignez les quartiers des Gardes. Vous serez le premier tour de surveillance de nos nouveaux prisonniers.— A vos ordres. Votre Majesté, articulai-je en m'écartant, la tête basse, pour les laisser quitter les lieux.Ils avaient tout prévu. Et cela rendait les choses... Amères. Tant par l'imbécillité de Seth et de ses hommes que par la stratégie fourbe d'Hayes et mon père. Ils feraient passer cela pour de l'insurrection, pour une tentative de meurtre. Le Roi passerait pour une victime de terroristes. Il s'en sortirait avec les honneurs pendant qu'il mettrait à mort son propre peuple venu réclamer son dû.Mais je ne pouvais rien faire. Ou en tout cas, je ne pouvais rien faire sans risquer de m'attirer les foudres du Roi. Alors j'avais obéis, rejoignant les quartiers de la Garde, revêtant mon uniforme pour descendre jusqu'aux cachots devant lesquels je me postai, sans même un regard pour les hommes au visage sombre, silencieux. Ils savaient. Ils avaient compris. Et je ne pouvais rien faire pour eux à part les plaindre et les observer enfermés. Mais pour combien de temps encore ?