D'abord, me lever, forcément, quoique peut être la chose la plus compliquée chaque jour. Cela l'était même encore plus depuis que je vivais seul sans que le bruit de l'auberge ne puisse me déranger.
Je prenais alors mon petit déjeuner avec d'autres chez Tom, toujours prêt à nous gâter aidé d'Adriel qui s'était bien trop adapté à la vie ici.
Avec Seth, nous prenions alors le chemin de chez ses parents que nous aidions avec les moutons présents, les soignants, les tondant avant de laisser sa mère et Sophia filer tout cela.
Puis, à nouveau, nous reprenions la route en direction de la cabane. Là-bas, nous nous occupions du champs, des moutons en pâtures, de la cabane que nous avions décidé de rénover pour notre bon plaisir. J'y apprenais à être paysan, bûcheron, commerçant aussi alors que Seth m'expliquait tout de la vente de laine, de la négociation et même de l'économie actuelle du Royaume.
Le soir venu, en contrepartie, je lui apprenais à lire et à écrire. Une tâche bien plus compliquée que je ne l'avais prévue. Seth peinait à retranscrire les lignes d'écritures que je lui faisais faire et refaire sans relâche malgré toutes les simplifications apportées. Je ne comptais plus le nombre de fois où il avait râlé, geint ou même les moments où j'avais été gracieusement insulté lorsque je déchirais sa feuille. Mais Seth était persévérant et surtout particulièrement entêté. Plus d'une fois j'avais même dû le stopper avant de devoir dormir à la cabane du fait de l'heure trop avancée. Peut-être était-ce d'ailleurs en partie pour cela que nous avions commencé sa rénovation, afin de nous apporter un confort un peu moins précaire.
Ce soir-là, d'ailleurs, ne fit pas exception. La nuit était déjà largement tombée lorsqu'il releva les yeux de sa feuille.— Ça suffit, Seth, ordonnai-je en attrapant sa plume. Tu as assez travaillé pour ce soir.— Non ! Attend ! Il me reste la dernière ligne ! Le... Le mou... mouton ? Le mouton este— Est.— Ah oui. Est. Le mouton est dans le pré ette...— Et.— Foutues lettres qui ne se prononcent pas ! gémit-il en fronçant les sourcils. Le mouton est dans le pré et... il est... tondu ?Seth leva les yeux vers moi, dans l'attente de mon approbation.— Le mouton est dans le pré et il est tondu ? répéta-t-il alors que je restais silencieux. C'est ça ?! Elian ! Répond ! C'est ça ?J'attendis encore quelques secondes, comme une sorte de petite vengeance, avant qu'un sourire ne vienne éclairer mon visage et que je n'approuve sa phrase avant de lui retirer le parchemin. Cela suffisait. Il avait bien assez fait de progrès pour ce soir, quand bien même son écriture était-elle encore... Disons-le : particulièrement laide. D'ailleurs me demandais-je parfois s'il arrivait réellement à se souvenir des lettres. Mais ce ne serait plus le problème de ce soir.— On va devoir dormir ici, souffla-t-il un fois la frustration passée. Il est trop tard. Je vais chercher de quoi manger. Des fruits, ça te va ?— Ai-je le choix ?— Bien sûr Votre Majesté. Désirez-vous des framboises ou des mûres ? souffla-t-il dans un rire sincère.Le fusillant du regard, je finis par lever les yeux vers le ciel pour m'occuper de dresser la table.— Et que dites-vous d'une soupe et de pain ?Surpris, je levai la tête vers la porte d'entrée dans l'encadrement de laquelle se trouvait le père de Seth, tout sourire, un panier au bras.— Elaina s'est doutée que vous ne rentreriez pas, assura-t-il en déposant le tout sur la table. Elle m'a donc envoyé braver la nuit pour vous nourrir.— Votre épouse est une sainte, bénis-je l'homme en ajoutant une assiette.— Et moi donc ?! s'insurgea-t-il en riant. Je viens de braver cette nuit noire pour vous !— MAIS ! Si Maman ne t'avait pas ordonné d'y aller, tu nous aurais laissé mourir de faim ! ajouta son fils. Donc Maman est une sainte et tu es son apôtre. C'est tout.Dans un sourire, j'assistai au débat père fils devenu presqu'habituel pour moi. J'aimais cela. J'aimais la complicité que pouvait avoir Seth avec son père, l'humour de ce dernier ainsi que sa patience. J'aimais cette relation de bienveillance que je ne connaissais que trop peu chez moi. J'aimais faire partie un tant soit peu de cette famille qui m'avait accueilli comme si j'étais l'un des leurs. J'aimais réellement et définitivement cela.— J'espère que vous avez arrangé les lits depuis la dernière fois ! décréta finalement Isaias. Mon vieux dos ne supportera pas une nuit par terre.Les lits... Clignant les yeux, je tournai la tête vers Seth. Nous avions effectivement amélioré les lits mais nous n'avions fait que deux lits. Suffisants pour nous mais certainement pas pour nous et quelqu'un d'autre.— Il fallait y penser avant ! réagit immédiatement Seth en grondant son père. Tu sais qu'il n'y a que deux lits ici et pas un de plus.— Ta mère est une sainte qui a mis au monde un démon. grogna l'homme alors que je fronçai les sourcils.Nous ne pouvions définitivement pas le laisser dormir sur le sol, il en était tout à fait hors de question. Mais qui de nous deux cèderait sa chambre ? Moi ? Non. Enfin., je le pourrais, certes, mais je n'avais jamais dormi sur le sol et l'envie de commencer me manquait. Alors lui ? Comme si Seth allait accepter de laisser sa place.— Je vous laisse mon lit, ne vous en faites pas. tranchai-je néanmoins.Mon confort était bien moins important que celui du père de Seth. — Ça c'est un bon fils d'adoption, s'amusa Isaias, me tapotant le dos en fusillant l'autre du regard. Prends en de la graine, fils biologique indigne !Je ne pus m'empêcher de rire. Comme je ne pus m'empêcher d'apprécier ce repas en leur compagnie, riant, participant aux conversations avec un entrain que je ne me découvrais encore et cela jusqu'à ce qu'il ne faille nous coucher. Seth et Isaias partirent ainsi chacun de leur côté et moi... Je restai au milieu, observant chacune des portes.Assis sur une chaise, je ne bougeai pas. Fallait-il vraiment que je me couche au sol ? Peut-être la paille des moutons allait-elle être plus confortable. Et puis Seth ne s'était même pas inquiété de mon sort, m'arrachant une grimace de mécontentement. Ce sale petit...
— Tu viens ?Je sursauté à la voix de Seth, l'observant, interdit. Venir ? Où ?— Ou tu veux peut-être dormir sur la table ? Il y a un peu de foin pour la rendre confortable si tu préfères ça au lit.Je n'attendis pas une seconde de plus, comme monté sur un ressort avant de le rejoindre et me figeai à l'entrée de la chambre. Très bien mais il n'y avait qu'un seul lit. Cela ne réglait pas notre affaire. Il était suffisamment grand, certes, mais ce n'était qu'un seul lit.— Je ne vais pas te manger, souffla l'homme, un sourire narquois au visage. Je ne mange pas les maigrelets.— Je dois aller dans le lit ?— ... Non. Dans le grenier... répondit-il, las. Bien sûr dans le lit. Je ne vais pas te manger je te dis. Dépêche. Avant que je m'étale.Cela devait être une chose habituelle pour lui. Peut-être même était-ce une chose paysanne que j'ignorais encore. Sûrement devaient-ils dormir tous ensemble par manque de place. Oui, voilà, ce fut une explication qui me parut suffisamment logique pour me faire venir jusqu'au lit, m'installant à l'autre bout. Mais cette explication ne me permit pourtant pas d'être d'être à l'aise lorsque que Seth se coucha à côté de moi. D'autant plus lorsque le silence se fit.Dormait-il déjà ? A quoi rêvait-il ? Comment pouvait-il trouver le sommeil aussi rapidement à côté de quelqu'un ?
— Elian ? Je sursautai, me retournant pour me rendre compte de ses yeux posés sur moi.— Merci.— Pour quoi ? soufflai-je, perplexe.— Pour être là. Enfin... Tu m'aides, tu m'apprends à lire et à écrire et je sais que je ne suis pas franchement l'élève le plus rapide.— Peut-être pas le plus rapide mais le plus persévérant, répondis-je dans un sourire. Mais ne me remercie pas pour ça. Je suppose que c'est seulement un juste retour des choses pour m'accueillir ainsi alors que j'étais loin d'être venu en paix et...Je me tus. Je n'étais pas venu en paix. J'étais venu les surveiller. J'étais venu faire des rapports quotidien au Roi.— Quelque chose ne va pas ? Sa voix aux tonalités inquiète me sortit de ma torpeur alors qu'il se redressait pour s'approcher de moi.— Je n'ai fait aucun rapport...— Des rapports ?— Mes rapports au Roi. Cela fait deux semaines que je n'ai rien envoyé.Le silence se fit alors, bien plus oppressant qu'il ne l'avait encore été. Je n'avais rien envoyé. Hayes allait me tuer, ou pire, envoyer des soldats. J'étais blême, inquiet, mais il fallait que je réfléchisse à une excuse sans que celle-ci ne vienne.— Pourquoi les messagers ne sont pas venus te voir ? s'enquit à juste titre Seth. Ils passaient tous les jours...— Mais je devais les trouver. Ils avaient interdiction de me parler... rappelai-je en me laissant tomber sur le dos. Qu'est-ce que je vais faire...— Dormir déjà. Demain, nous rentrons au village. Avant tout tu écriras une lettre au Roi disant que tu as du partir en ville pour me surveiller puisque j'y allais pour vendre la laine. Tu ne l'auras pas dit aux messagers qui n'auront pas pu te trouver. Mais que tu es de retour et que tout se passe bien.L'imagination de Seth m'étonnait toujours alors que j'hochai la tête. Je n'avais, de toutes les manières, pas vraiment d'autre idée. — Tu vois... C'est à moi de te remercier, murmurai-je.— Pour quoi ?— Pour un certain nombre de choses.— Comme quoi ? insista-t-il.— Pour être toi par exemple ?— C'est une question ou une affirmation ? s'amusa-t-il alors que je le sentais sourire. J'espère au moins que je dois le prendre bien.Je ne répondis pas, un sourire vague aux lèvres m'étonnant moi-même alors que je me tournai sur le côté, dos à lui.— Dors. Il faut que l'on soit très tôt au village demain.Seth rit un peu, me donnant un léger coup sur le bras avant de se recoucher, marmonnant un "bonne nuit".Et enfin nous pûmes dormir. Sa présence ne me dérangea pas, au contraire même, à vrai dire. Cette nuit là et pour la première fois depuis longtemps, je me sentis étrangement apaisé malgré notre situation précaire.
Une situation que je n'oubliai heureusement pas. Je tirai pour cela l'homme du lit aux aurores. Le laissant prévenir son père et avalant rapidement de quoi nous faire tenir la route, nous revînmes au village pour me permettre d'écrire la lettre. Seth m'aida à nouveau, me dictant ce que je devais écrire, corrigeant mes pensées floues du matin sous le regard amusé d'Adriel et de Tom.La chose faite, j'eus même le temps de retrouver le messager du matin sur la place du village, prêt à repartir.
— Une bonne chose de faite, approuva SethSa main passée autour de mes épaules me fit davantage sursauter que sa voix, gêné par cette proximité.— Je... Oui, bégayai-je.Son regard tomba sur moi sans qu'il ne bouge, un léger sourire aux lèvres. Se moquait-il réellement de moi ? Sûrement, car je dus bougonner pour qu'il accepte de se détacher de moi et qu'un froid certain ne parcoure mon corps comme si l'absence de... Secouant la tête, j'oubliai la sensation désagréable qui venait de me prendre autant que mes pensées, préférant passer outre.— Dépêche-toi, ordonnai-je à la place. Nous avons promis d'aider Tom.Ce n'était pas vraiment le cas. J'avais seulement entendu l'aubergiste se plaindre de son jardin, et au vu de ce qu'il faisait pour nous, du nombre de repas préparé gratuitement, nous lui devions au moins cela.— Si je ne te connaissais pas, je dirais que tu essaies d'échapper à quelque chose, clama Seth à tue-tête, les mains dans les poches, en se dirigeant vers le potager du tavernier.Il était hors de question que je lui réponde. A la place, je fusillai ce sale petit paysan du regard, sans un mot et sans un autre geste tandis qu'il se mettait à rire. Ce fut ainsi, dans mon silence brisé par ses rires que nous commençâmes à travailler la terre non sans que je ne doive rapidement l'appeler à l'aide, un oignon en main.— Dans l'autre sens, m'indiqua-t-il.— QUEL autre sens ? C'est rond !— Tu as des tiges d'un côté et des racines de l'autre ! Votre Majesté sait au moins ce que sont des racines, non ? Surtout que du coup c'est pas rond !— C'est. Rond, assurai-je.La mauvaise foi pouvait effectivement être ma meilleure alliée lorsque j'avais quelque chose à lui reprocher comme ses moqueries.— Viens m'aider ! gémis-je en le fusillant du regard, lui arrachant un nouveau rire alors qu'il se redressait.— J'arrive, Votre Majesté, Même si son ton était clair sur l'amusement que je provoquais, au moins daigna-t-il se redresser pour s'approcher et surtout se figer, soudainement.— Seth ! Qu'est-ce que tu f...A mon tour, je me figeai, les yeux écarquillés. Là, accroupis dans ce champs de légumes divers et variés, j'observai mon pire cauchemar.— Hayes... Qu'est-ce que tu...Le Roi était là. Comment ? Pourquoi ? Depuis quand ? Les questions se bousculaient dans ma tête alors que son regard ne m'indiquait qu'une chose... Je n'allais pas m'en sortir indemne.