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Chapitre 1

ElizabethLondres, Février 1660Mes talons claquent impétueusement contre le sol, les courtisans s'inclinent respectueusement sur mon passage. Je me force à leur répondre d'un simple hochement de tête, aucun d'entre eux n'est capable de m'offrir une révérence digne de ce nom. C'est affligeant, comment peuvent-ils être aussi maladroits alors qu'ils font partie de l'une des plus illustres cour d'Europe. J'accélère le pas, il ne manquerait plus que l'un de ces hommes vienne me parler. J'ai promis à père de m'adresser avec plus de douceur à mes interlocuteurs, particulièrement avec la grande noblesse. Malheureusement, je ne me sens pas capable de refréner mon caractère aujourd'hui. Ces hommes sont d'un ennui mortel, tout ce qu'ils savent faire c'est d'essayer de paraître intelligent tout en supposant que je ne suis qu'une écervelée incapable de les comprendre. Si je commettais l'erreur de leur faire remarquer une quelconque incohérence dans leur démonstration, s'en suivait un moment désagréable durant lequel ces hommes à peine plus vieux que moi se permettaient de me parler comme si je n'étais qu'une enfant. Ils en oubliaient presque qu'ils s'adressaient à la fille de leur roi, à leurs yeux je ne devenais qu'une petite oie qu'il fallait farcir d'informations qui n'avaient ni queue ni tête. Je ne suis pas d'humeur pour supporter un tel affront avec un sourire éclatant. Ma journée est suffisamment pénible depuis mon lever, et elle n'est pas près de se terminer. Je me faufile avec autant d'agilité que me permette mes jupons, le doux bruis de froufrou provenant de la dentelle est à peine audible, tant les courtisans sont nombreux aujourd'hui. Je n'ose imaginer ce qui m'attend dans la sale de doléance du peuple. Cette coutume souhaitant que la reine reçoive le peuple une fois par mois, est une véritable perte de temps à mes yeux. Notre peuple souffre depuis plusieurs décennies, ce n'est pas une nouveauté. Les récoltes sont moins bonnes qu'avant, et notre dernière mésaventure avec les Écossais n'ont rien arrangé. Pour ces affaires, nos bonnes gens ne peuvent s'en prendre qu'à Mère nature, et aux troupes du roi James qui étaient bien mieux préparées que les nôtres. Certaines doléances portaient également sur les maladies, les désaccords entre voisins, et parfois même sur la difficulté d'enfanter. Ces questions ont le don de m'exaspérer plus qu'aucunes autres. Je veux bien compatir à leurs misères, cependant ils faillaient qu'ils se mettent en tête que mon titre de princesse ne m'octroi pas la possibilité de faire des miracles. Je pousse un léger soupir, mère ne me manque jamais plus qu'avant une séance de doléance. Elle était la bonté incarnée, elle savait toujours ce qu'il fallait dire dans n'importe quelle situation. Chaque fois qu'elle paraissait en public, elle captivait l'attention générale tant par sa beauté que par son maintien. Il suffisait d'un seul regard dans sa direction pour savoir qu'elle descendait d'une grande lignée de monarque. Elle avait bien plus de compassion que moi, et le peuple avait bien plus d'affection pour elle. Je donnerais n'importe quoi pour que père se remarie, je pourrais enfin abandonner cette tâche qui me donnait de l'urticaire tant elle était pénible. Je ne comprends pas pourquoi il refuse toujours cette possibilité, ça fait déjà deux ans qu'elle n'est plus parmi nous. Du coin de l'œil, j'aperçois le bleu criard qu'arbore l'ambassadeur français. Je ralentis le pas, provoquant presque une collision avec Anne, ma dame de compagnie qui me suis du mieux qu'elle le peut avec ses jambes courtes. Notre cher ambassadeur se trouve, comme à son habitude, en charmante compagnie. La jeune femme à ses côtés, n'est autre que la duchesse de Richmond. Cette femme est d'une beauté surprenante, ses pommettes rondes lui confèrent un air plus jeune que ce qu'elle n'est en réalité. Ses yeux, légèrement allongés, sont d'un bleu presque aussi profond que celui que porte son interlocuteur. Ses cheveux couleur miel, ondulent allègrement dans son dos. Les mouvements de sa tête les font voltiger au grès de ses envies. De l'extérieur, elle ressemble à une femme bien comme il faut. Peut-être essaye-elle de vanter les mérites de sa fille Catherine. Après tout, il est de notoriété publique que Monsieur Gonstand est devenu veuf récemment. La fille du duc pourrait donc être un très bon parti pour cet homme qui a sans doute deux fois son âge. La duchesse donne une tape amicale sur le bras de l'ambassadeur, ce geste aurait presque pu passer inaperçu, et je suis certaine que la duchesse n'imagine pas un seul instant que j'ai pu la voir. Un petit sourire retrousse le coin de mes lèvres, il est fort probable que je ne me lasse jamais de ce genre de spectacle. Voir une femme mariée depuis presque vingt ans, badiner avec un homme sous le couvert de chercher un mari pour sa fille, est assurément bien plus divertissant que n'importe quelle comédie. Pauvre Lady Catherine, ça ne doit pas être facile tous les jours d'avoir une mère telle que la duchesse. Cette dernière ne s'est mariée avec le duc que pour s'élever dans la société, elle n'a donc jamais renoncé à son comportement de jeune fille, même après avoir donné naissance à ses enfants. Les mariages de raison sont à mes yeux, le pire fléau de notre temps. Je ne pourrais jamais me résoudre à une telle chose. — Princesse Elizabeth, tout va bien ? me demande Anne qui venait d'apparaître près de moi.― Oui bien sûr, j'étais simplement en train d'observer les fleurs au fond de la grande salle. Anne tourne la tête dans la direction de l'ambassadeur et de la duchesse sans les voir, son attention se concentre sur les fleurs que je viens de mentionner. Depuis la mort de mère, père a pris l'habitude de demander que des roses fraîches soient placées dans les pièces qu'elle fréquentait le plus. Cet hommage bien que charmant, ne m'intéresse seulement dans les moments où j'ai besoin d'une quelconque distraction. — Elles sont magnifiques, commente Anne après un soupir d'extase. Contrairement à moi, ma dame de compagnie a l'esprit romantique. Je me retiens de faire un commentaire désobligeant, l'amour est un sentiment très important chez les jeunes personnes de quinze ans. Étant de huit ans son aînée, ces choses ne me touchent plus comme elles pouvaient le faire à une certaine époque. Il me faut admettre que je comprends bien plus la pensée de la duchesse, que celle d'Anne. — Allons-y, nous allons être en retard si nous perdons trop de temps dans l'observation de ces fleurs. Laissons un peu d'intimité à ce couple qui s'imagine être seul au monde, ajouté-je en mon for intérieur. Je reprends mon chemin à travers les couloirs du palais, suivie de près par Anne. Rien ne me ferait plus plaisir que de passer ne serait-ce qu'une journée seule, sans aucune dame de compagnie pour me suivre dans chacun de mes déplacements. Je ne suis cependant pas naïve, un tel jour n'arrivera jamais. Je chasse donc ce vain espoir de mon esprit, ça fait bien longtemps que j'ai appris à refouler certaines de mes volontés. C'est une chose affreuse de nourrir un désir, tout en sachant qu'il nous sera à jamais interdit. Il est préférable de l'oublier, avant qu'il ne prenne une place trop grande. Nous sommes presque à l'extrémité de la grande salle, lorsque je commence à me sentir observée. Je ralentis le pas, et tourne discrètement à la tête. Lorsque mes yeux rencontrent ses iris d'un bleu azur, un frisson me parcours le dos. Il ne s'agit pas du genre de frisson de gêne, mais plutôt celui d'anticipation quand nous savons qu'il va nous arriver quelque chose d'excitant. Lord Henry est le duc de Buckingham, à seulement vingt et un an il est le plus jeune de sa famille à obtenir ce titre. Ses traits fins et harmonieux, font battre le cœur d'un grand nombre de dames. Mon propre cœur n'est pas insensible aux charmes indéniables de cet homme. Lorsqu'il est certain d'avoir obtenu mon attention, il se courbe dans une révérence pleine de grâce. L'homme avec lequel il s'entretenait, remarque ma présence et tente maladroitement d'imiter la courbette de son ami. Bien entendu, il ne fait que se ridiculiser. Je réponds aux deux hommes avec un hochement de tête, et malgré moi, un sourire. L'homme aux cheveux filasse qui accompagne Lord Henry se méprend lourdement sur mes intentions, tandis que ses joues s'empourprent de plaisir, il fait un pas vers moi. Je ne lui laisse pas le temps d'en faire un deuxième avant de m'élancer à grandes enjambées. Du coin de l'œil, je remarque que mon attitude semble avoir beaucoup amusé Lord Henry. Cette brève rencontre a suffi pour me remonter le moral, elle représente la perspective de nouvelles réjouissances. La cour n'est jamais autant agréable que lors des séjours de Lord Henry. ***La séance de doléance se termine enfin pour mon plus grand bonheur. Je sors de la pièce, la tête aussi lourde qu'une enclume et le cœur meurtri. Le malheur de notre peuple ne me laisse jamais aussi indifférente que je ne le souhaiterais. Avant chaque séance, j'essaye de me convaincre de mon incapacité à les aider ce qui finit par me déprimer profondément. Je me réconforte en me disant que ces gens ne viennent pas uniquement pour trouver une solution à leurs problèmes, peut-être que le simple fait d'être écoutés par une personne de sang royal leur apport un début de réconfort. C'est toujours mieux que rien. Anne et moi sortons de la salle tout en bavardant. Du moins, elle parle et je me contente d'un hochement de tête ou d'une parole évasive. La jeune fille ne s'en formalise pas, elle adore babiller comme un petit oisillon tout juste sorti de l'œuf. Le flot de parole continue qui sort de ses petites lèvres, a au moins l'avantage de m'apporter une distraction. Ne souhaitant pas repasser par la grande salle, je l'informe de ma volonté d'aller me reposer dans mes appartements. Le trajet se fait rapidement, le peu de personnes que nous croisons comprennent immédiatement que je n'ai pas l'intention de m'arrêter pour leur faire la conversation. Je parviens à éviter de justesse mon frère, s'il m'avait vu j'aurais été contrainte de lui adresser quelques mots malgré la haine profonde que je lui porte. Une fois dans mes appartements, j'ordonne à mes dames de compagnie de ne me déranger sous aucun prétexte. J'élude leurs questions sur une potentielle maladie, leur expliquant que je suis simplement fatiguée. Je pénètre dans ma chambre, puis je referme immédiatement les portes. Je m'appuie contre ces dernières, le cœur battant. La sensation de faire quelque chose de formellement interdit me fait vibrer des pieds à la tête. À l'intérieur de cette pièce, je ne suis plus la princesse Elizabeth qui doit se plier à toutes les règles de bienséances. Je ne suis qu'une jeune femme dirigée par ses désirs les plus sombres. Je m'avance vers le grand lit en baldaquin, ma main caresse la courte-pointe verte d'une douceur exquise. Un bruit sourd résonne dans la pièce, je fige, puis un deuxième plus net retentit. Je suis incapable de contenir mon sourire tandis que je m'avance vers la tapisserie murale se trouvant près de la tête du lit. Je la déplace pour dévoiler la poignée de la porte secrète. Je l'ouvre en grand sans la moindre hésitation. J'ai à peine le temps d'aviser le visage de mon visiteur, que ses lèvres foncent sur moi avec une rapidité déconcertante. Mes bras s'enroulent autour de ses larges épaules, tandis que les siens prennent possessions de mes hanches. Sa langue chaude s'enroule autour de la mienne dans une danse endiablée. Mon dieu ce que ça m'avait manqué !Mon amant s'écarte de mon visage pour nous permettre de reprendre notre souffle. Ses lèvres s'étirent dans un sourire séducteur. — Je suis ravie de vous revoir votre altesse, déclare Henry d'une voix suave. — J'espère que Monsieur le Duc a fait bon voyage, répliqué-je avec espièglerie.