Le soir même, Arja reçut la première lettre. La lettre était écrite avec une plume délicate et avait été glissée sous sa porte. Lorsqu'elle la découvrit, elle essaya d'ouvrir la porte au plus vite, mais elle ne vit personne.
"Comme la montagne reste solide,
Comme la forêt danse dans la tempête,
Tu es le vent qui fait bouger mon monde,
Et dans la nuit froide,
je me sens au chaud."
Arja emporta la lettre dans son lit et la serra contre elle de toutes ses forces. Une sensation de chaleur l'envahit. Elle en reçut une autre le mois suivant, puis une autre et encore une autre. Elle recevait des lettres tous les mois le même jour. Elle attendait ce jour avec impatience. Le soir venu, elle s'asseyait derrière sa porte pour recevoir la lettre sans chercher à l'ouvrir.
La joie et la surprise de lire ces lettres étaient si intenses qu'elle n'avait plus la curiosité d'en connaître l'auteur. Elle les collectionnait sous son matelas et les lisait tous les soirs pour s'endormir. Parfois, elle les lisait à haute voix à sa petite étoile.
"Ne t'efface pas en terre inconnue,
Car je suis la lumière qui attend.
Promets-moi de toujours revenir,
Car j'ai besoin de toi pour m'éclairer.
Si tu te perds, ne t'inquiète jamais,
Je perdrai mon âme à te chercher.
Et je te retrouverai toujours."
Ces lettres devinrent son oxygène et sa vie ne pouvait pas être plus belle. Après la chute du Royaume, elle ne se serait jamais attendue à une telle joie.
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Par une belle matinée ensoleillée de printemps, le général les appela en urgence. Arja se précipita au bureau, suivie de près par Typhon. Ils sentaient que le général était angoissé et ils n'osèrent pas le faire attendre.
"Arja, Typhon, vous partez immédiatement. Nous avons envoyé une équipe dans le désert de Rika, il y a quelques semaines. Hier, une de nos sentinelles a vu le signal d'urgence. Il s'agit d'une mission de sauvetage. Vous devez les retrouver et les ramener à la maison. Partez maintenant."
Il n'y avait rien à demander. Rien à comprendre. Ils s'empressèrent de préparer leur matériel et partirent immédiatement comme ils en reçurent l'ordre. Le désert de Rika était la région la plus dure du monde. Il n'y avait ni pluie ni eau depuis presque mille ans et très peu de gens osaient s'y aventurer. Encore moins en revinrent vivants. Il n'y avait rien dans cette zone à explorer pour eux. Les partenaires étaient tendus, ils coururent quasiment jusqu'à leur destination et n'eurent que quelques heures de sommeil pendant les trois jours de voyage.
Ils sont arrivés au poste d'avant-garde. Ils y trouvèrent un chaos incroyable. Tout était brisé, comme si une tornade s'était précipitée sur eux. Aucune des sentinelles n'y survécurent. Ils trouvèrent un demi-corps sur un toit, une partie d'un autre corps écrasé sur un mur. Les cadavres n'étaient pas frais. L'odeur était épouvantable car ils avaient déjà commencé à pourrir. Arja remarqua immédiatement que quelque chose n'allait pas, mais Typhon l'attrapa d'abord par le bras.
"S'ils ont envoyé le message hier, ils ne peuvent pas être dans cet état. Même avec la chaleur. Ces hommes sont morts depuis longtemps."
Cela signifiait que le message avait été envoyé par quelqu'un d'autre, ce qui était impossible car le général ne commettrait jamais une erreur. Arja libéra son bras et s'avança dans cet endroit désolé. Elle observa les toits, les murs, le sol. Elle semblait comprendre quelque chose.
"À quoi penses-tu Arja ?"
Elle leva la tête, elle était livide.
"C'était un dragon."
Typhon parut pâlir à son tour. Il rit nerveusement.
"Ils n'existent pas. Personne n'a jamais vu de dragon. Pourquoi dis-tu cela ?"
Elle lui montra les traces sur le sol, les ravages sur les murs. Pour elle, il n'y avait aucun doute. C'était exactement comme cela qu'on les décrivait dans les livres qu'elle avait dû lire lors de son éducation au palais. Les créatures oubliées et imaginaires faisaient partie de la culture d'une princesse. Elle était sûre d'elle en cet instant et elle était sûre que la mission de sauvetage était déjà un échec. Si elle avait raison, alors il n'y avait plus personne à sauver.
Ils tournèrent en direction du désert et Typhon lui prit la main. Il semblait terrifié à l'idée d'y aller. La nuit surplombait le désert, et si ce désert était le pire endroit du monde connu, c'est aussi parce que... La nuit y était éternelle...
Typhon n'eut jamais aussi peur de partir en mission. Il serra sa main avec force.
"Arja, si quelque chose arrive. Laisse-moi là et sauve-toi."
Elle lui sourit et fit le premier pas. Dans sa chemise, tout près de son cœur, la première lettre qu'elle avait reçue lui donnerait la force de revenir à la maison. Elle était aussi terrifiée, mais après avoir observé son partenaire, elle était confiante.
"Je crois en nous, nous ferons en sorte que cette mission soit une aussi bonne réussite que les autres. Tu verras."
C'est alors qu'ils s'enfoncèrent pour de bon dans le désert. Au-dessus d'eux, les nuages étaient épais et derrière eux, la lumière disparaissait lentement. Ils entrèrent dans la longue nuit de Rika.