Ale sentit son cœur s'emballer à une vitesse vertigineuse. L'Esprit des Ténèbres ? Celui que l'on avait toujours décrit comme l'incarnation du mal, le chaos incarné, le maître des ombres et de la destruction. C'était donc lui, ici, emprisonné depuis des siècles ?
Son esprit bouillonnait de questions. Comment cet esprit avait-il fini là ? N'était-il pas censé être un dieu maléfique ? Celui qui semait la terreur et plongeait le monde dans le chaos ? Devait-il fuir, combattre, ou simplement écouter ?
Il baissa les yeux un instant, essayant de rassembler ses pensées. Ses poings se serrèrent malgré lui, chaque muscle de son corps tendu par une colère qu'il avait refoulée depuis si longtemps. Les souvenirs de son village envahi par les flammes tourbillonnaient dans son esprit. Les maisons dévorées par les incendies, les cris des villageois, l'odeur âcre de la fumée. Et son grand-père, tombé dans les cendres, sacrifié par la brutalité des fidèles.
Les fidèles des Ténèbres. Ils étaient responsables de tout. Ils avaient tué son grand-père. Ils avaient détruit tout ce qu'il avait jamais connu. Ils agissaient sous la bannière de cet esprit maudit, celui qui se tenait là devant lui, emprisonné, mais vivant.
La haine monta en lui, brûlante, aveuglante. Devait-il venger les siens ? Devait-il, à cet instant, se faire justice ?
« C'est toi... » murmura-t-il, à peine conscient des mots qui sortaient de sa bouche.
Il releva brusquement la tête, ses yeux emplis d'une douleur sourde et d'une colère irrésistible. « C'est toi qui les as envoyés ! Les fidèles des Ténèbres, ils ont détruit mon village ! Ils ont tué mon grand-père ! » Sa voix se brisa, sa rage éclatant en une furie incontrôlable.
Sans réfléchir, Ale bondit sur la créature immense. Des mots de pouvoir jaillirent de ses lèvres, ses murmures devenant des incantations féroces. « Ignivores ! » hurla-t-il, projetant des boules de feu avec une intensité décuplée par sa rage. Les flammes tourbillonnèrent autour de lui, illuminant le sanctuaire de lueurs orangées et rouges.
Les boules de feu frappèrent les chaînes et la silhouette imposante du phénix, mais rien ne semblait pouvoir affecter l'esprit emprisonné. Ale continua pourtant, aveuglé par la haine. « Ignivores ! Ignivores ! » Les flammes ne cessaient de jaillir de ses mains, même lorsque sa réserve de mana s'amenuisa. Il était prêt à tout, prêt à se brûler lui-même s'il le fallait.
Mais bientôt, sa magie s'épuisait. Son souffle devenait erratique, ses forces le quittaient. Pourtant, il ne s'arrêta pas. Lorsque les boules de feu disparurent dans l'air, il chargea vers l'esprit, frappant la créature avec ses poings nus. Chaque coup s'abattait sur la forme sombre du phénix, chaque impact résonnait douloureusement dans ses jointures.
« Je te déteste ! » criait-il, ses poings martelant les chaînes et le corps imposant. Il frappait encore et encore, mais ses coups semblaient dérisoires face à l'immensité de l'Esprit des Ténèbres.
Sa vision commençait à se brouiller. Le choc contre la dureté des chaînes déchira la peau de ses mains, mais il continuait, refusant de céder à la fatigue. Ses cris se transformèrent en murmures désespérés, puis en silence. Ses poings, eux, ne cessaient de frapper, même lorsque ses forces le trahirent.
Enfin, épuisé, vidé de toute énergie, il tomba à genoux devant la créature. Le monde autour de lui tourna, sa tête bourdonnait, et sa vision se couvrit d'un voile sombre. Ses poings ensanglantés s'abaissèrent une dernière fois, et il s'évanouit, son corps frêle s'effondrant sur le sol froid du sanctuaire.
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Ale se releva difficilement du sol glacé, la tête encore lourde, son corps endolori. Il ne savait pas combien de temps s'était écoulé depuis qu'il s'était évanoui, mais la première chose qu'il remarqua fut la présence immobile du phénix. L'Esprit des Ténèbres restait là, silencieux, observant Ale d'un regard insondable. Ses ailes noires, toujours enflammées d'ombres, étaient étendues autour de lui, comme un voile protecteur.
Il n'y avait aucune colère dans ses yeux. Rien ne laissait transparaître l'agressivité qu'Ale attendait. Au lieu de cela, le phénix semblait empli de tristesse, comme s'il percevait toute la douleur qui habitait le cœur du jeune homme. Sa voix résonna à nouveau, cette fois avec une nuance qui surprit Ale : une tristesse profonde, presque fatale.
« Tu as été trompé, tout comme tant d'autres avant toi. » Le ton de l'Esprit des Ténèbres était grave, mais sans jugement. « Les ténèbres ne sont pas le chaos, ni la destruction. Je suis la nuit… celle qui apporte le repos et l'équilibre après le jour. Une force indispensable, nécessaire pour que ce monde puisse survivre. »
Ale resta immobile, abasourdi. Les émotions tourbillonnaient en lui, s'entrechoquant dans un chaos impossible à ordonner. Tout ce qu'il avait cru jusque-là, tout ce qu'on lui avait inculqué sur les ténèbres, semblait s'effondrer devant cette créature. Si ce que l'Esprit des Ténèbres disait était vrai, alors… qu'était cette foi qu'on lui avait enseignée ? Qui était l'ennemi, si ce n'était pas l'Esprit des Ténèbres lui-même ?
Sa voix, cette fois pleine de douleur et d'incrédulité, se fit entendre : « Et tes fidèles alors ? » lança-t-il, ses poings se serrant à nouveau. « Ils ont détruit des villages entiers. Ils ont causé des centaines, des milliers de morts. Ils ont semé le chaos dans ce monde ! J'en suis témoin ! »
Le phénix, silencieux un instant, observa Ale avec encore plus de gravité. Puis il répondit, ses mots lourds d'un poids ancien :
« Ils se sont trompés. Ces soi-disant fidèles n'ont jamais cherché à comprendre ma véritable nature. En réalité, ils ne vénèrent que le pouvoir qu'ils croient trouver dans les ténèbres. Ils voient les ombres comme une force qu'ils peuvent utiliser pour asservir, conquérir, et se renforcer. Mais les ténèbres ne sont pas là pour cela. Elles sont là pour équilibrer, pas pour dominer. »
Ale fronça les sourcils, déconcerté. « Mais pourquoi alors ? Pourquoi ont-ils causé tout ce mal au nom des ténèbres ? »
Le phénix inclina légèrement sa tête, ses yeux noirs scintillant d'une douleur personnelle.
« Parce qu'ils ont été corrompus par leur soif de pouvoir. Ils ont cru qu'en propageant les ténèbres, ils augmenteraient leur influence sur ce monde, sans jamais comprendre que mes ténèbres ne sont pas une force pour semer la destruction. Ils ont agi par ignorance, par arrogance. Et moi… »
La voix de l'esprit se brisa légèrement, presque imperceptiblement.
« … j'ai souffert de leurs actes, emprisonné ici, condamné à voir les conséquences de leur folie sans pouvoir intervenir. Mon nom, mon essence, ont été utilisés comme un prétexte pour leurs conquêtes. Chaque vie prise, chaque village détruit sous leur bannière est une insulte à ce que je représente réellement. »
Ale restait silencieux, pris dans un tourbillon d'émotions contradictoires. Tout ce qu'il avait cru savoir semblait s'effondrer devant lui, comme un château de cartes balayé par le vent. Il leva les yeux vers le phénix, sa voix tremblante d'incompréhension.
« Pourquoi es-tu emprisonné ici alors ? Les esprits divins ? Pourquoi t'ont-ils fait ça ? »
Le phénix demeura silencieux un instant, ses ailes noires frémissant doucement. Ses yeux, emplis de tristesse, rencontrèrent ceux d'Ale.
« Il fut un temps où les esprits vivaient en harmonie… » commença-t-il, sa voix basse résonnant dans la salle. « Chaque esprit avait un rôle à jouer dans le maintien de l'équilibre du monde. Nous veillions sur nos terres, bénissions nos fidèles, et le cycle naturel de vie et de mort, de jour et de nuit, se déroulait sans heurt. Chacun de nous apportait une force essentielle et les hommes ont commencé à nous vénérer. »
Il fit une pause, comme pour laisser ces mots imprégner l'esprit d'Ale avant de continuer.
« Au début, cette vénération ne changeait rien à l'équilibre. Mais peu à peu, les religions ont pris de l'ampleur. Chaque peuple se mit à honorer un esprit plus que les autres. Ils construisirent des temples, ils créèrent des rites, des dogmes. Et bientôt, ils commencèrent à se battre pour prouver que leur esprit était le plus puissant, le plus juste. Les guerres religieuses éclatèrent. Les hommes, aveuglés par leur fanatisme, se retournèrent les uns contre les autres, croyant que seul l'esprit qu'ils vénéraient pouvait apporter la paix et la prospérité. »
Ale écoutait attentivement, captivé par le récit du phénix, sentant que l'histoire prenait une tournure plus sombre.
« Mais ce ne sont pas seulement les hommes qui se sont divisés… Les guerres religieuses ont fini par nous affecter, nous, les esprits. Nous avons commencé à nous disputer. Certains esprits cherchaient à agrandir leur influence, à dominer les autres. L'équilibre que nous avions préservé pendant des siècles s'effondra. Les terres brûlaient, les mers se déchaînaient, les montagnes s'effondraient. Le monde sombrait dans le chaos, et avec lui, l'humanité. Les esprits eux-mêmes étaient en guerre. Le désastre semblait inévitable. »
Le phénix plia légèrement ses ailes, comme si le souvenir lui-même le pesait. « Dans un ultime effort pour sauver l'humanité, l'esprit de lumière réunit les autres esprits en secret. Ils passèrent un pacte : pour apaiser les guerres humaines, ils désignèrent un ennemi commun, un coupable. Ce coupable devait être moi. »
Les yeux d'Ale s'écarquillèrent. « Toi ? Mais pourquoi ? »
« Parce que je représentais les ténèbres, la nuit, l'inconnu. Aux yeux des hommes, il était facile de me blâmer. Les autres esprits convinrent que me désigner comme la cause de tous leurs maux mettrait fin aux guerres. Ils avaient besoin d'un ennemi commun pour unir les royaumes, pour stopper le chaos. J'étais ce coupable. »
Ale serra les poings. « Mais… ça a fonctionné, n'est-ce pas ? »
Le phénix acquiesça doucement. « Oui. Les guerres prirent fin. Les hommes s'unirent pour combattre un seul ennemi : moi. Mes fidèles furent chassés, massacrés, leurs terres détruites. Ce qu'ils vénéraient, ce qu'ils croyaient, fut tordu et déformé. Ils n'avaient plus de refuge, plus de but. Alors, dans leur désespoir, ils ont cherché à se battre pour survivre, à détruire ce qu'ils ne pouvaient plus protéger. Ils ont cru, à tort, que propager les ténèbres les rendrait plus puissants. Mais ils n'ont jamais compris que les ténèbres ne sont pas là pour détruire. Ils n'ont fait que semer le chaos, et j'en ai souffert, emprisonné ici, sans pouvoir arrêter ce carnage. »