Je regardais l'homme en face de moi qui me dévisageait de ses yeux noirs. Aussi noirs que sa personnalité. Cet homme dégageait une aura froide, lorsque nous nous approchions de lui nous sentions le danger pointer le bout de son nez. Jamais personne ne m'avait autant fait peur que lui. Je savais qui il était et je savais à quoi m'attendre. Chaque jour il faisait la même chose.
Il me fixait de ses yeux intimidants, m'intimant le silence. De toute évidence je ne devais pas prononcer quoi que ce soit sous peine de représailles. De sa voix grasse il me dit alors de monter dans ma chambre et de ne plus le déranger. Je m'exécutais donc. Je me dirigeais vers cet escalier en bois vieux qui craqua sous mon poids, d'un bruit rauque.
Arrivée à ma chambre, j'allumais la lumière et posais mon sac d'école au sol. Je m'assis à mon bureau et entreprit de faire mes devoirs. Plus bas je pouvais percevoir mon géniteur traîner des pieds lourdement, faisant tinter les différentes bouteilles qu'il transportait. Ça commençait. Je mis alors mes écouteurs et tournais le son à fond.
J'essayais tant bien que mal de me concentrer sur la musique mais c'était peine perdue. Mon esprit était torturé par ce qui aller se passer d'ici peu de temps. J'arrêtais alors d'écrire et me tournais vers le reste de ma chambre, pensive. J'observais d'un œil morne le modeste lit contre le mur et la fenêtre à ses côtés. Cette fenêtre... Lorsque le soir tout se terminait j'aimais me tourner vers elle et m'évader en regardant le ciel, imaginant ma vie si les choses avaient été différentes...
J'imaginais parfaitement la scène qui se déroulait plus bas. J'y avais déjà assisté lorsque j'étais plus jeune. Mon père était assis au sol et buvait. Il buvait jusqu'à plus soif. Et quand le son du silence le faisait trop souffrir, il criait. Si fortement, qu'il avait constamment la voix éraillée. Il ressassait tous ces traumatismes qui nous rongeaient tous les deux.
Et quand venait le moment où il en avait assez de s'égosiller seul, il s'arrêtait et faisait craquer les vieilles planches des marches, marchant avec peine jusqu'à ma chambre. Quand je percevais le son de ses pas, j'arrêtais tout ce que j'étais en train de faire et je m'asseyais sur mon matelas, ce dernier grinçant dans un bruit sinistre. Je peignais alors sur mon visage un masque d'indifférence, patientant pour la suite.
Le plus souvent il peinait à ouvrir la porte de ma chambre, mais y parvenait tout de même. Je fixais alors ses yeux rouges, injectés de sang, et sa bouche formant une moue mi triste mi en colère. Il s'approchait de moi, s'abaissait à mon niveau et respirait lourdement. Il me caressait alors la joue avec douceur puis jouait avec une mèche de mes cheveux blonds. Je lisais dans ses yeux de la confusion qui peu à peu se transformait en rage.
Ses yeux devinrent ténébreux et il se relevait, craquant ses membres. Et soudainement une première gifle claqua, cinglante, dure. Il me criait alors toutes sortes de choses à la figure comme ''Pourquoi tu nous as quitté ? Pourquoi t'as fait ça ?''. Les coups pleuvaient jusqu'à éclater en sanglots sur le sol durant de très longues minutes. Puis il repartait me laissant les joues rouges et les larmes coulant silencieusement sur mon visage.
Je me laissais ensuite glisser sur mon lit, le regard tourné vers les étoiles espérant m'échapper de la réalité. Et enfin je tombais dans les bras de Morphée. Toutes mes soirées se passaient ainsi. Et cette soirée-ci aussi.