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Chapitre 2

Deux jours. C'était le temps qu'il avait fallu pour préparer les festivités. Deux jours durant lesquels mon frère et moi avions dû subir - car il s'agissait bien de cela - les remontrances de notre capitaine. Jamais assez droits. Jamais assez attentifs. Rien ne nous était épargné. Rien, mis à part peut-être les heures de sommeil qu'il nous avait généreusement retirées pour mieux nous préparer.Au moins Tobias le vivait-il bien mieux que moi, visiblement fier de porter les armes auprès de notre cousin. Une fierté que je ne partageais pas, plus désireux de lire que d'apprendre à user de l'épée.— Tiens-toi plus droit ! me fit-il remarquer, provoquant mon exaspération.— Ne te mets pas à ressembler au Capitaine ! râlai-je en laissant tomber mon épée pour lever les mains. Parce que c'est bon ! J'en ai marre !— Tu n'as pas le choix ! Reviens et recommence !Et il n'avait pas tort. Je n'avais pas le choix. Alors j'étais revenu et nous avions repris jusqu'à ce que je comprenne ce que l'on attendait de moi, jusqu'à ce que mon propre frère ne m'autorise à rentrer dans mes quartiers pour m'y reposer avant le grand jour.Le réveil eut lieu aux aurores. Pourquoi ? La question se posait. Les festivités devaient avoir lieu plus de dix heures plus tard... Et elle se posa d'autant plus lorsque l'on m'indiqua qu'il fallait que je sois prêt dans trois heures.— Hors de question ! décrétai-je en replongeant ma tête dans l'oreiller. Laissez-moi encore une heure trente minimum !Mais c'était sans compter l'arrivée de ma mère qui m'arracha toute couverture, me laissant tremblant de froid et dramatiquement effondré sur mon lit.— Je suis votre fils ! Votre dernier fils ! tentai-je en désespoir de cause.— Et tu vas te préparer. Dépêche-toi. Ton frère et toi êtes attendus pour les répétitions.— Nous n'allons faire que rester droits et immobiles. Est-ce réellement util...Le regard de ma mère m'indiqua qu'il ne valait mieux pas que je continue à discuter, me faisant baisser la tête. J'allais donc me préparer. Obéir. Comme toujours. Me laissant tomber en bas de mon lit, je soupirai exagérément dès lors qu'elle avait quitté la pièce. C'était monstrueux, et le sourire désolé d'Aleah, l'une de mes domestiques, ne fit que le confirmer.— Je vous ai préparé moi-même votre déjeuner, m'indiqua-t-elle en m'aidant à me relever. L'on viendra vous aider à vous habiller dès lors que vous aurez terminé. Vous n'aurez qu'à sonner.— Vous êtes ma seule alliée ici, me plaignis-je en m'installant.— Allons. Ne dîtes pas de sottises. Mangez. Vous allez en avoir besoin pour la journée.Et elle avait raison. Car tout s'était rapidement enchaîné. Mon déjeuner bien sûr, puis ma tenue inconfortable au possible comme toutes les tenues que l'on nous obligeait à porter au quotidien, d'ailleurs. S'en suivirent d'innombrables répétitions dans lesquelles mon cousin peinait sans que nous ne puissions l'aider mais sans que ses « petits chiens » ne puissent lui dire ce qui n'allaient pas. Après tout, mieux valait ne pas agacer le Roi qui... Qui s'agaçait, très sincèrement. Et je le comprenais. Je le comprenais au point que j'avais fini par avancer.— Hayes, il faut que tu...— Ne vous adressez pas au Roi de la sorte, me coupa l'un de ses conseillers qui m'arracha un grondement avant que je ne le fusille du regard.— Et ne vous adressez pas à un Prince de la sorte, rétorquai-je immédiatement avant de me retourner vers mon cousin. Donc. Je disais, mon Roi.Mon ton était sarcastique, insistant même qu'il en avait fait trembler le conseiller de rage.— Il faut que tu te tiennes à droite du trône pour que le Conseiller te passe le sceptre, continuai-je et...— Et tu imagines que je n'avais pas compris ? me coupa soudainement Hayes sous mon regard surpris.Bien sûr qu'il n'avait pas compris, sinon pourquoi ne le ferait-il pas ? Pourquoi se tromperait-il pour la centième fois ?— C'est que...— Je ne t'ai pas demandé ton avis. Reprenons.Je l'observai, interdit, se détourner de moi pour reprendre sa place initiale. Je ne comprenais pas. Pourquoi agissait-il de la sorte alors que je n'avais voulu que l'aider ? Avais-je fait quelque chose qui l'avait froissé ? Reprenant ma place sous l'impulsion de mon frère venu me chercher pour me repositionner, je tentais de refaire le cours des derniers jours. Je ne l'avais pas croisé, je ne lui avais même pas adressé la parole. Comment aurais-je pu le froisser ? Pourquoi agissait-il donc ainsi ? Ce n'était pas logique. Absolument pas logique.Mais au moins Hayes avait-il réussi sa répétition. Et si deux fois furent nécessaires pour assurer son Conseil qu'il ne se tromperait pas, nous avions ainsi tous pu quitter les lieux, me permettant de me réfugier dans les jardins.Voilà au moins un endroit du château que j'appréciais réellement. Au fond du domaine, près de la forêt, j'y prenais place depuis que j'étais enfant, dès lors que précepteurs, parents ou nourrices haussaient le ton. Je fuyais, tout simplement, ici pour m'y sentir en sécurité, au calme. Aujourd'hui ne faisait pas exception alors que je m'installai au pied d'un arbre centenaire pour lever la tête vers sa cime.— Est-ce que tu y comprends quelque chose, toi ? lui murmurai-je, l'air dépité.Pas de réponse, évidemment. Le contraire aurait été étonnant. Effrayant même. Et cela m'allait bien. Ce silence contrastait agréablement avec l'effervescence du château que créait la fête de ce soir. J'avais d'ailleurs fermé les yeux, profitant de la seule nature qui m'entourait en ce mois de juin déjà bien avancé. La chaleur des rayons du soleil qui me baignaient alors m'apaisait, autant que le bruit de la rivière qui coulait non loin. Et cela dura et dura encore, jusqu'à ce que des moustaches ne chatouillent ma main et que je ne sursaute, baissant la tête vers une boule de poils blanche qui semblait vouloir me rejoindre.— Qu'est-ce que tu fais là, toi ? soufflai-je à Rainy en l'attrapant entre mes bras.— C'est moi, Monsieur. M'indiquai la voix de Ruth, m'obligeant à lever les yeux. Il semblait s'ennuyer tout seul alors... Je l'ai pris dans le jardin et nous vous avons vu. M'expliqua-t-elle dans un sourire.— Tu as bien fait, répondis-je alors que je fermai de nouveau les yeux.— ...Je sentais sa présence qui m'observait sans que je n'arrive à comprendre pourquoi elle restait là, pourquoi elle ne bougeait pas.— Tu as quelque chose à me dire ? repris-je.— Je me demandais pourquoi vous vous cachiez ici.— Je ne me cache pas.Une fausse rectification alors que la jeune Ruth avait effectivement parfaitement mis le doigt sur ce que j'étais en train de faire.— Oh... Alors je peux dire à tout le monde que vous êtes là ?— Non ! m'exclamai-je en rouvrant les yeux avant de grimacer. D'accord. Je me cache...Elle m'avait eu.— Je n'ai jamais aimé les bals et autres fêtes qui y ressemblent, admis-je alors. Surtout lorsqu'il s'agit de fêter la mort d'un Roi et la montée sur le trône d'un nouveau. Se tenir droit, rester immobile, attentif, attention à droite il y a quelqu'un qui peut vouloir la mort du Roi ! Non ! C'est à gauche ! Me mis-je à imiter mon Capitaine, entraînant le rire de la jeune fille. C'est épuisant.— Je comprends, acquiesça-t-elle en souriant, calmant son rire. Attention au plateau, reste droite, sois souriante. Attention ! Quelqu'un va te renverser ! Pas de merci, pas de bonjour. Va plus vite. Attention le plateau penche. C'est épuisant.L'observant un instant, j'avais détourné les yeux, honteux. Me plaindre face à une domestique n'était certainement pas la meilleure idée que j'avais pu avoir. Je toussai alors, incapable de savoir quoi répondre à part...— Désolé.— Ne vous excusez pas, s'amusa la jeune domestique, secouant la tête. Vous êtes bien le seul avec qui l'on peut se permettre ce genre de plaisanterie. Et je ne remets pas en cause votre épuisement, rassurez-vous.Lui esquissant un léger sourire, je soupirai un coup, serrant le lapin dans mes bras jusqu'à ce que ne retentisse la corne d'appel. Il était déjà temps ?— Je m'occupe de Rainy, m'affirma-t-elle alors que je reposai l'animal au sol. Ne vous en souciez pas.— Ce n'est pas vraiment cela qui m'inquiète, répondis-je en m'étirant. Je suis davantage préoccupé pour ton plateau.Une remarque qui entraîna de nouveau son rire et mon sourire tandis que je me relevai. Il était temps. Et parce qu'il était temps, je m'y rendis sans grande hâte, arrivant à l'heure précise du rassemblement, après tout le monde.— Où étais-tu ? me houspilla Tobias dans un murmure.— Ca ne te regarde pas. Je suis à l'heure. C'est ce qui importe.— Tu...Mais il fut coupé par l'arrivée de notre Capitaine qui, après nous avoir passé en revue, nous rappela notre mission. Protéger. Servir. Et le tout avec honneur, évidemment. Nous laissant prendre nos postes, j'avais ainsi pu souffler. Sûrement un peu trop puisque l'on me rappela très rapidement que je ne me tenais pas droit. Encore.Ce fut alors un défilé de toute sorte ; de robes, de coiffures, de tenues, de visages radieux ou malheureux, de tentatives de séduction aussi, de parents qui présentaient leur fille dans un espoir vain, de nobles désireux de s'attirer les grâces de ce nouveau souverain... Un défilé qui ennuyait chaque personne obligé d'y assister, mon cousin en premier lieu. Je le voyais, là, assis sur son trône, crispé. Sûrement commençait-il à perdre patience. Je le comprenais. Je ressentais la même chose. Là, debout, je commençais même à ne plus sentir mes jambes tant ce costume était serré.Et enfin, mon gardien le plus proche prit congé l'espace d'un instant. Tobias venait de quitter le devant de la scène, me laissant sa place le temps de son retour. Me positionnant près d'Hayes, non sans m'être discrètement étiré avant, j'avais alors observé les honneurs de plus près jusqu'à ce que je ne sente à nouveau mon cousin se tendre.— As-tu quelque chose contre les rousses ? m'enquis-je, tentant de trouver un point commun avec les deux femmes qu'il avait pu voir.— Pardon ?— J'ai dit...— J'ai compris ce que vous avez dit, coupa-t-il sèchement. Ma question se tenait plus sur le fait que vous vous permettez de me parler ainsi et lors d'un événement public ?J'étais resté silencieux, le regard fixé sur l'assemblée sans comprendre ce qu'il se passait.— Restez à votre place, Prince Elian, me fustigea-t-il, me figeant sur place.— Je voulais...— Dois-je demander votre relève immédiate ?— Non, votre Majesté, murmurai-je en baissant légèrement la tête.Que se passait-il ? Pourquoi agissait-il de la sorte ? Nous n'avions jamais été proche, je l'entendais mais j'avais toujours pu lui parler normalement, comme l'on pouvait parler à un cousin... Alors... Que se passait-il ?Resté silencieux, très peu attentif, je n'avais pas vu le temps passé ni mon frère revenir, me fusillant du regard alors que je n'avais pas bougé à son arrivée.— Remets-toi à ta place, m'ordonna-t-il, me faisant immédiatement reculer dans un sursaut.— Ou... Oui. Pardon.Je ne comprenais pas. Je ne comprenais plus rien. J'avais forcément fait quelque chose de mal, n'est-ce pas ?Au moins l'événement avait-il permis à mon cerveau de se déconnecter au point que je n'avais plus vu la soirée passer. Resté véritablement immobile, j'avais même été surpris de recevoir les compliments de mon Capitaine pour mon sérieux tout au long des festivités lorsque ces dernières touchaient à leur fin, que les derniers invités quittaient la salle. Mon sérieux, oui... Hochant la tête sans répondre, j'avais jeté un coup d'œil à mon cousin et mon frère, toujours à leur place. L'envie d'aller lui parler se faisait forte mais...— Allons-y Elian, m'appela soudain mon frère que je n'avais pas vu bouger, à nouveau trop concentré.Je n'avais finalement pas demandé mon reste, peu désireux de me retrouver face à Hayes, face au mépris qu'il m'opposait aujourd'hui.— Est-ce qu'Hayes t'a dit quelque chose ? osai-je demander au travers des couloirs menant à nos appartements.— Pourquoi veux-tu que Sa Majesté me dise quelque chose ? souffla-t-il, presque surpris de ma demande.— Je n'en sais rien... Parce qu'il s'agit de notre cousin et...— Cesse de penser ainsi, Elian, me coupa-t-il, une main sur l'épaule. Il est devenu Roi. Agis comme tel. Ce n'est plus le Prince Hayes. C'est le Roi d'Hapalan. Est-ce que tu comprends ?— Oui...Non. Je ne comprenais pas. Je ne voulais pas comprendre et admettre qu'un titre puisse changer quelqu'un à ce point, le rendre aussi méprisant envers sa propre famille.— Va dormir. Tu dois être épuisé, me conseilla doucement Tobias. Nous nous verrons demain au déjeuner.Hochant la tête, je l'avais laissé partir sans bouger. Pourquoi fallait-il qu'il le vive aussi bien, qu'il trouve cela normal ?Il m'avait fallut quelques instants pour, enfin, bouger et entrer dans mes appartements pour me jeter sur mon lit, non sans me débarrasser violemment des vêtements qui m'enserraient alors. Torse nu, dos au matelas, j'avais alors observé le plafond de ma chambre. Je n'aimais pas cela. Je n'aimais pas cette sensation de n'être plus rien pour Hayes. Il était mon cousin... Pourquoi agissait-il de la sorte ? Pourquoi ne pouvais-je même pas lui poser la question sans craindre je ne savais quelle sanction que je l'imaginais capable de me donner ?...Ce soir-là, il m'avait fallu de longues, très longues heures de réflexion pour enfin pouvoir m'endormir, difficilement. Les temps avaient changé... Et je ne savais pas encore à quel point.