C'était la première fois que j'allais quitter le château, mon foyer. Si l'idée de partir m'avait toujours attiré, aujourd'hui, à la veille de ce départ, je n'en avais plus réellement envie.
— Ne soyez pas anxieux, me souffla Aleah en me servant ce qui me semblait être mon tout dernier dîner. Vous allez vous en sortir et vous ne serez pas seul.— Quatre jours de voyage aller. Vingt quatre sur place pour leur faire comprendre qui est le chef. Quatre jours de voyage retour, résumai-je en grimaçant. Neuf jours sans aucun confort à devoir être à la tête d'une petite armée, qui n'a de respect pour moi que mon titre, pour faire face à des paysans qui n'ont de respect pour moi que... Ils n'auront même pas de respect pour moi ! Ce qu'Hayes demande est complètement idiot !— Monsieur, s'interposa la domestique face à mon agacement. Ne présumez pas des conséquences de la décision de Sa Majesté. Faites. Vous verrez. Vous pourriez être surpris.Elle aussi semblait lui faire confiance alors, pouvais-je aussi... Non. Je ne pouvais pas approuver ce genre de chose, pas quand j'étais persuadé qu'il y pouvait y avoir d'autres solutions. Des solutions qui ne serviraient à rien, de toutes les manières, puisque personne ne voulait m'écouter. Pas même mes domestiques.Ainsi mangeai-je, en silence. Ainsi m'étais-je lavé, en silence. Et ainsi m'étais-je couché, toujours dans ce même silence, sans même un bonne nuit pour Rainy qui vint s'endormir contre moi alors que je fixai encore ce plafond que je connaissais aujourd'hui par cœur jusqu'au nombre de pierre qui le façonnaient.Et la nuit fut courte. Très courte. Si courte que je ne m'étais finalement pas endormi, me levant aux aurores, me préparant dans un silence de mort pour rejoindre les rangs sans même prendre le temps de déjeuner. Dix jours. Cela allait passer vite, finalement, avais-je tenté de me convaincre. En vain. Car lorsque le départ fut sonné, il me sembla perdre toute contenance.— Prince Elian ? me souffla l'un de mes hommes. Il faut y aller. Je crois...—Heu... Je... Oui. Allons-y.Quatre jours.De pluie.
De froid.
De faim tant les repas étaient désolants.
Quatre jours de désespoir tant je ne voyais pas le bout de ce voyage.
Au moins mes hommes faisaient-ils front autour de moi, me permettant de les connaître un peu plus. Il y avait Damien, le casse-cou ; Messiah, l'épuisé ; Adriel qui ne jurait que par la bière et la saucisse ; Phillip qui aurait été meilleur Conseiller que soldat à mon avis ; Peter le père de famille ; mais aussi et surtout Myles rapidement devenu mon bras droit dans cette expédition. Le cœur et l'esprit ouvert, nous nous étions en effet trouvés des points commun, à commencer par l'imbécilité de cette mission. Enfin quelqu'un m'entendant. Enfin quelqu'un ne pouvait-il rien faire, comme moi.— Et vous pensez que demain on atteindra Haedleigh ? avait fini par demander Messiah, dépité par ce voyage.— Normalement, lui répondis-je. A moins que nous ne nous soyons trompés de route et... Tous commencèrent à beugler, frustrés, soucieux que cela puisse être vrai. — Je plaisante ! Calmez-vous ! rectifiai-je alors prestement. Nous sommes sur la bonne route, nous arriverons au village demain.— Ils nous attendent vous croyez ?— Je n'en sais rien, Phillip. Mais j'imagine que si c'est le cas, nous aurons le droit à un comité d'accueil.Et cela allait effectivement être le cas, mais mais nous ignorions encore à quel point.Le lendemain matin, nous avions repris la route. Il nous avait encore fallu plusieurs heures pour pénétrer le village avant de nous faire arrêter par un petit groupe de paysan armés et visiblement bien peu ravi de notre présence.
Descendant de cheval, laissant sa bride à Myles, j'avais alors avancé, calmement, vers l'homme qui semblait se tenir au centre de cette assemblée.— Bonjour, articulai-je sans réellement savoir ce qu'il me fallait dire en cet instant. Je suis...— Un putain de nobliau venu nous dire d'aller nous faire foutre ?Mon regard, surpris, se tourna vers l'homme qui venait de prendre parole.— Pas exactement, rectifiai-je dans un sourire que je voulais toujours aussi calme. Je suis le Prince Elian et...— Ah bah voilà qui nous envoie le gratin du gratin tellement ils ont peur !Je n'allais pas m'en sortir.— Si vous pouviez juste me laisser finir pour que je puisse vous ex...— Nous dire d'aller nous faire foutre, laissez tomber, reprenez votre canasson et retournez dans votre palais d'or et de diamants. On a pas besoin de bouches à nourrir en plus. Ah non attendez, vous nous prenez déjà tout, sales...— Stop !Je sursautai presque au son de la voix de l'homme vers qui je m'étais initialement dirigé.— Inutile d'en venir aux insultes aussi vite, reprit-il en me fixant, m'intimidant presque tant j'avais envie de baisser les yeux. Reprenez, je vous en prie, « Prince Elian ». Nous vous aurions bien offert de quoi boire mais comme Rhett a pu vous le dire, nous n'avons plus grand-chose dans nos garde-manger. Je peux néanmoins vous proposer le repas traditionnel de chez nous. Croutons et eau. Cela siéra-t-il à son Altesse le Prince ?Je n'avais pas pu passer à côté de son rictus alors que ses « amis » ricanaient derrière. J'étais incapable de répondre, incapable de savoir comment agir face à ce qui était leur réalité, sachant pertinemment que c'était moi l'intru ici.— Mais je vous ai coupé, allez-y, je vous en prie, votre Altesse.Son sarcasme m'agaçait autant qu'il me perturbait. Je n'avais jamais fait face à telles personnes, à telles revendications. Je n'avais pas été préparé à cela. A combattre, peut-être. A me tenir droit, très sûrement. Mais à savoir quoi répondre face à ça, certainement pas.— Pourrions-nous tout d'abord abreuver nos chevaux ? tentai-je alors en diversion. Et votre repas traditionnel nous siéra bien volontiers. Nous vous suivons donc.Son regard surpris m'indiqua qu'il ne s'attendait pas à ce genre de réponse alors que je faisais signe à mes hommes de descendre de leurs montures pour les confier aux paysans, mon regard fixé sur celui de l'homme qui ne semblait pas beaucoup plus âgé que moi.— Suivez-moi, grogna-t-il enfin après ce qui m'avait semblé être bien trop long.Il semblait que je l'avais pris de court. Heureusement. Cela était bien la seule idée que j'avais pu avoir. Au moins ces quelques instants de répits allaient-ils me laisser de quoi réfléchir.Ainsi l'avions-nous suivi jusqu'à ce qui me sembla être une auberge dans laquelle nous fûmes tous installés. Tant mieux. Nous dormirions là ce soir. Envoyant d'ailleurs Peter nous réserver toutes les chambres restantes, j'avais alors attendu la suite qui ne tarda pas à venir. L'homme avait visiblement tenu son invitation alors que des bols d'eau dans laquelle flottait quelques croutons rassis nous étaient présentés.— Monsieur, je... tenta d'objecter Adriel.— Mangez. Il ne faudrait pas que nous froissions nos hôtes, ordonnai-je.C'était infect, au point que je me persuadai même que l'homme avait demandé à ce que cela le soit. Trop salé, sans autre goût que l'âcre, sans la moindre texture. Cette soupe n'avait de soupe que le nom. Mais nous avions tous finis nos bols, non sans qu'Adriel ne semble d'ailleurs tourner de l'œil.— Permettez à ce que mes hommes se reposent, soufflai-je alors en la direction de l'homme qui ne nous avait pas quitté un instant. Nous avons voyagé quatre jours pour venir jusqu'ici. Ils ont besoin d'un bon lit.— Les lits sont à la hauteur de la soupe, avertit-il, faisant tressaillir Adriel.— Nous les apprécierons donc comme votre repas, assurai-je, envoyant chaque homme dans leurs chambres.Resté seul avec le paysan, je l'avais alors observé. Non. Définitivement, il ne devait pas être beaucoup plus âgé que moi. Ses cheveux bruns en bataille et sa peau légèrement hâlée témoignaient de son travail extérieur mais je ne lui donnais certainement pas plus de trente ans.— Je vous proposerais bien de prendre une peinture de moi à m'observer de la sorte mais vous imaginez bien que si nous n'avons pas de quoi nous nourrir nous n'avons pas non plus de quoi nous divertir.Secouant la tête, sortant de mes pensées, j'avais rapidement froncé les sourcils face à l'insolence dont il faisait preuve.— Puis-je au moins avoir votre nom ? répondis-je, préférant ignorer ses remarques acerbes.— Pour que vous puissiez me pendre ensuite ?Je soupirai bien plus fortement, levant les yeux au ciel face à cette remarque qui, pourtant, pouvait être justifiée.— Rassurez-vous. Si je désire vous faire pendre, je le ferais avec ou sans nom, rectifiai-je froidement. Votre nom. S'il vous plait.— Seth Parsons.L'impudent avait donc au moins un nom. Cela ne m'avançait à rien, mais c'était toujours cela de pris.— Et vous êtes le chef de rang de la rébellion de ce territoire ? Demandai-je alors dans l'espoir de savoir à qui parler.— Parce qu'il y a besoin d'un chef ?— Non, mais...— Mais vous avez besoin d'un coupable et vous trouvez que j'ai la tête pour.— Ce n'est pas ce que j'ai...— Donc je vais effectivement finir sur la poten...— PAR TOUS LES SAINTS, ARRÊTEZ ! m'exclamai-je, frappant mon poing sur la table avant de fermer les yeux pour tenter de reprendre mon calme. Monsieur Parsons.— Seth.— Comme vous voulez, m'agaçai-je avant de me taire, prenant quelques secondes pour respirer. Bien. Reprenons. Mons... Seth. Je suis le Prince Elian d'Hapalan. Cousin du Roi Hayes Ier d'Hapalan. Je viens de la part de Sa Majesté afin de discuter avec vous de la paix qui doit être maintenue dans le Royaume. J'avais enfin pu me présenter correctement, l'homme étant resté silencieux, visiblement surpris par mon coup de colère. Mais cela ne dura évidemment pas et rapidement, un nouveau rictus se forma sur ses lèvres, me donnant fermement envie de le mener effectivement à la potence. Je n'allais définitivement pas m'en sortir.— Pour que vous puissiez avoir la paix, il faudrait donc qu'on se taise et qu'on vive comme ça encore longtemps ? me demanda-t-il en me fusillant du regard. Je suppose que vous êtes assez intelligent pour comprendre que ça risque d'être un peu compliqué de notre côté, Votre Majesté. Mais si vous avez des solutions concrètes, je suis tout ouïe.— C'est donc vous le chef de rang ? insistai-je. Je dois savoir avec qui je peux négocier.J'admettais avoir quelque peu débordé de la raison de ma présence ici. Mais si je pouvais éviter de les voir sortir les armes, je devais le faire.— S'il en faut un, c'est moi, acquiesça-t-il.— Bien. Alors que voulez-vous ?— Attendez. Vous me demandez de vous répéter tout ce qui a été refusé par votre... Attendez... Ah oui. Votre cousin ? souffla-t-il, presqu'amusé.Parfait. Ma stratégie tombait de nouveau à l'eau. Fronçant les sourcils, je secouai la tête, dépité.— Ecoutez. Je ne suis pas ici pour chercher la guerre, expliquai-je simplement. Mon but est uniquement de... Je détestais ce que je devais faire. — Je dois vous avertir que le Roi ne vous laissera pas mettre la paix en péril. Acceptez ses conditions, s'il vous plait.Seth m'observa un instant entre surprise, amusement et un quelque chose que je refusais de prendre pour de la moquerie.— Vous, vous avez clairement pas la prestance d'un soldat, ricana-t-il, me vexant, je l'admettais. Bon alors mon petit Prince au pays des contes de fées. Si vous imaginez qu'on va se laisser faire simplement parce qu'un petit nobliau nous le demande, vous devriez vite rentrer chez vous pour vous excuser auprès de Mônsieur le Roi. Parce que ça arrivera pas.— Vous n'allez pas avoir le choix, Seth, insistai-je de nouveau. Je ne suis pas venu avec une armée mais le Roi n'hésitera pas à...— Bonne nuit, Votre Majesté. Demain vous pourrez repartir.Je n'avais rien pu dire d'autre. Il était parti. Ainsi. Sans me laisser le temps de l'avertir, de négocier je ne savais quoi d'autre alors que je me levai brusquement pour être arrêté par le tavernier.— Ca ne sert à rien, m'indiqua-t-il. Seth est plus entêté qu'un âne. Laissez la nuit passer, il sera plus calme demain.Plus calme ? Je l'espérais. Et mieux valait que je le sois aussi. Soufflant, j'avais ainsi accepté de monter dans ma chambre, m'y installant pour profiter, enfin, d'un lit douillet. Voici une autre chose sur laquelle il avait menti. Le lit était confortable. Si confortable que j'avais rapidement fini par m'endormir, épuisé par le voyage, par ce que j'avais trouvé dans ce village.Une nuit de sommeil. C'était ce dont j'avais besoin pour affronter le lendemain et affronter de nouveau ce Seth.