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Chapitre 14

"Remettre les pendules à l'heure". C'était ce que j'avais voulu faire. Véritablement. J'avais voulu le faire et... Je n'avais rien fait.

Dès le lendemain, rien ne se passa comme prévu. Je fus réveillé par mon frère qui semblait retrouver ses esprits loin du château. Sautant sur mon lit dans un rire que je ne lui avais pas entendu depuis longtemps, je mis de longues minutes à réagir, l'observant comme si je venais de voir un fantôme.

Tobias ne me laissa pour autant pas rêver trop longtemps. Me tirant hors du lit, je dus le rejoindre trop rapidement devant l'église où il m'attendait déjà avec Annalise, tout sourire.— Pendant le trajet, nous nous sommes dit qu'il serait de bon ton de visiter ton lieu de vie. Père et Mère vont sans doute rester dans l'auberge à râler et ennuyer ce pauvre tavernier qui se plie déjà en quatre pour eux.— Il ne va pas en sortir vivant, grognai-je légèrement.Je plaignais Tom. Le pauvre homme allait devoir subir mes parents sans que nous ne puissions rien faire pour lui.— Justement. Je proposais à votre frère d'aller cueillir quelques fruits et légumes pour l'aider, souffla la comtesse. Je l'ai entendu dire qu'il lui manquait quelques fruits rouges, cela doit se trouver quelque part, n'est-ce pas ?Des fruits rouges... Exactement ce que je savais désormais reconnaître. Une veine, alors que j'esquissai un large sourire en leur faisant signe de me suivre.

Des buissons dans la forêt, voilà ce qu'il nous fallait chercher. Et si je n'en trouvais pas ici, je n'aurais qu'à les amener près de la cabane, quand bien même cela nous ferait marcher. Tobias m'avait dit vouloir visiter, c'était donc le moment !

Et nous dûmes d'ailleurs nous rendre rapidement à l'évidence : les fruits rouges ne se trouvaient pas près du village. Ou s'ils y avaient été, les enfants avaient déjà tout pris, comme ceux qui retournaient en courant près de la place centrale d'ailleurs. Leurs lèvres rougies ne détrompaient pas, ils avaient déjà tout mangé.

Nous prîmes donc le chemin de la cabane que je connaissais désormais bien. Discutant de tout et de rien, je rencontrai pour la première fois une impression de sérénité. Mon frère semblait revivre, riant, gesticulant et racontant ses dernières anecdotes sous le regard amusé d'Annalise, bien plus réservée. Comme si sa présence nous faisait revivre, l'air était à la joie.Et cela continua jusqu'à ce qu'un homme à la mine patibulaire ne soit en vue. Positionné devant sa maison, les mains sur la taille, il semblait presque nous attendre. Avait-il entendu nos rires de loin ou était-il doté d'un sixième sens qui lui faisait lire l'avenir et donc notre arrivée ? Les deux me semblèrent possible tant ses yeux me lançaient des éclairs.— Vous vous êtes perdus ? articula froidement Seth dès lors que nous fûmes à sa hauteur.— Non ! s'exclama Tobias souriant en retour. Elian nous emmenait cueillir des fruits rouges là où vous lui aviez montré.Je baissai la tête, gêné. J'aurais pourtant du m'y attendre, nous passions par chez ses parents après tout. Parents qui apparurent fort heureusement sur le pas de leur porte, accompagné de leur belle-fille dont le sourire éclipsa la mauvaise humeur de son mari.— Il y en a derrière la maison ! informa Isaias. Inutile de faire plus de route, venez !— J'ai fait une tarte avec les fruits de la dernière fois, indiqua même son épouse en me souriant. Vous avez bien assez marché.— Mais, mam...Le regard de Sophia coupa Seth dans son élan, le laissant maugréer dans sa barbe. Au moins était-il géré par son épouse. C'était déjà cela de pris même si... Même si rien. Ravalant la pointe du sentiment désagréable que cette pensée avait provoquée, je relevai la tête, esquissant un sourire envers les parents de Seth.— Merci de nous recevoir, souffla délicieusement la comtesse en suivant Madame Parsons jusqu'à la table de la maison.— Merci à vous de nous faire l'honneur d'accepter un peu de tarte, rétorqua Elaina. Marshall, va remplir un panier de fruit s'il te plait, qu'ils se reposent.— Oh ! Mais ! Ne le dérangez pas ! Nous pouvons le faire ! tenta de s'interposer la jeune femmeMais c'était là sans connaître la maîtresse de maison qui voyait le moindre invité comme un roi ou un prince à choyer.J'aimais être ici. Isaias et Elaina étaient la définition même de la bienveillance, tentant toujours de nous arranger, de prendre soin de tout ceux qui les entouraient quand bien même ils ne les connaissaient pas. En quelques jours seulement, ils avaient fait bien plus pour moi que mes propres parents. Un comble dont j'avais fini par me satisfaire alors que mes aises étaient déjà bien trop prises ici. Je ne pouvais plus nier y passer trop de temps. Mais ce fait ne fut soulevé ni par la comtesse, ni par mon frère qui se contentèrent de profiter de l'instant jusqu'à ce que nous ne devions rentrer. Durant tout ce temps, Seth n'avait pas pris la peine de me parler. Je ne l'avais pas non plus fait cela dit, incapable de trouver les mots pour "le remettre à sa place". Pourtant, ce qui devait être une simple tarte avait pourtant tourné à la journée entière. Mais nous ne nous étions rien dit, pas un seul mot.Rentrés à l'auberge où Tom avait semblé réellement touché de l'attention que nous avions eu, le repas se déroula alors dans un silence religieux. Un véritable opposé de ce que nous avions vécu presque toute la journée et qui se souligna par la seule remarque que fit mon père sur notre journée oisivement passée. Une remarque qui coula pourtant sur nous, le sourire ravi de mon frère m'empêchant de douter un instant de notre journée.Ainsi retournai-je enfin chez moi, abandonnant Tobias et Annalise aux mains de mes parents pour me retrouver seul. Allongé sur mon matelas, j'observai le plafond, un léger sourire au visage, heureux. Cela faisait longtemps que je n'avais pas passé une telle journée avec Tobias. Et je devais admettre qu'Annalise était merveilleuse. Sa douceur, sa gentillesse était certaines, et sa présence d'esprit ainsi que son intelligence n'étaient pas en reste alors qu'elle était capable de conversation, ayant même tenu débat avec Isaias. Pourquoi donc Seth se comportait-il ainsi alors qu'elle méritait d'être connue et appréciée pour ce qu'elle était ?

Voilà donc que cela m'agaçait. Grognant, j'attrapai mon oreiller pour me retourner sur le lit. Pourquoi fallait-il qu'il gâche même ce moment seul ?! Ne pouvait-il pas juste ne pas exister ? Oui voilà ! Qu'il n'existe pas ! Il n'était bon qu'à râler de toutes façons. 

Mes pensées furent interrompues par le bruit de ma porte. Quelqu'un frappait... Non, quelqu'un tambourinait. Fronçant les sourcils, j'observai la nuit bien avancée. Qui diable se venait à une heure aussi tardive ? Grognant de nouveau, mon humeur désormais retombée à zéro, je trainai les pieds jusqu'à la porte du presbytère avant de me figer, la porte ouverte.— Seth ? soufflai-je, la surprise effaçant ma mauvaise humeur. Qu'est-ce que tu fais là ?Le silence fut ma seule réponse. Il semblait... Je n'en savais rien à vrai dire. Il était là, m'observant avant de détourner le regard, visiblement mécontent.— Toi, qu'est-ce que tu fais ? Tu es pas censé dormir ? grogna-t-il, me faisant arquer un sourcil.— Tu es sérieux ?! Tu tambourines à ma porte et tu... Mais... Mais sérieusement !Seth fit fait volte-face et repartis comme il était venu. Resté idiot, je l'observai sans le retenir, incapable du moindre geste au vu de l'étrangeté de la situation. Que lui prenait-il donc pour agir de la sorte ? D'abord froidement puis maintenant anormalement... Avait-il un problème avec moi ? Je ne voyais que cela pour l'expliquer quand bien même ce n'était pas une explication. Mais ce fut pourtant sur cela que je dus retourner dans mon lit.

Et d'un état de sérénité, j'étais désormais dans un état proche de l'énervement qui m'empêcha de dormir jusqu'au petit matin, me tournant et me retournant jusqu'à ce que Tobias n'arrive dans ma chambre.

Mon visage épuisé ne lui échappa pas. Il s'inquiéta même des raisons mais se contenta de mon explication vague sur le comportement de Seth. J'espérai pourtant qu'il m'éclaire, qu'il m'aide à comprendre, mais il n'avança aucune hypothèse. Et ce fut donc sur cette incompréhension mêlé d'un agacement franc que je dus suivre mon frère.A partir de ce matin, je n'avais plus croisé Seth. Comme si mon vœu avait été exaucé, il n'exista dans mon champs de vision. Que faisait-il ? Pourquoi n'était-il pas là ? Nous étions pourtant retourné chez ses parents mais aucun d'eux prononça son prénom. Son épouse était pourtant toujours là, alors que s'était-il passé ?

Les jours passant, j'avais tenté de ne pas me poser de question, de ne pas chercher à comprendre, sans succès. Nous avions pourtant des journées remplies. J'avais pu faire visiter la région à Annalise, la découvrant finalement moi-même un peu aussi. Mon frère avait même tondu des moutons avec si peu de réussite que j'aurais du en rire. Cela avait même semblé amuser tout le monde, Isaias, Elaina, Sophia et Marshall qui jouait le rôle du professeur compris. Tout le monde, sauf moi. 

La semaine s'écoula ainsi. Sept jours que je n'avais pas vu passer autant qu'ils m'avaient semblé interminable tant une question continuait de tambouriner dans ma tête : où était Seth ?

— Tu penses qu'il essaie de me fuir ? J'ai été dur avec lui... soufflai-je à Myles à l'entrée du village, mon regard porté sur la voiture de mes parents qui repartaient vers la capitale.— C'est cela qui vous inquiète ?Était-il amusé ou perplexe, je ne le savais pas vraiment, n'arrivant pas à lire les traits de son visage.— Qu'est-ce qui pourrait m'inquiéter d'autre ?— Que votre mère veuille demander au Roi de vous faire revenir au plus vite pour vos fiançailles ?Je me tus, l'observant interdit alors que cette information me parvenait pour la première fois.— Elle veut quoi ?!— Vous avez visiblement convaincu la comtesse et...— Mais ce n'est pas une raison ! Enfin ! Elle est agréable, d'accord, elle est belle, vraiment belle, et douce, et gentille aussi et...— Alors qu'est-ce qui peut vous déranger ? s'enquit Myles, le sourcil arqué. Vous craigniez de la rencontrer, soit. Mais vous vous êtes parfaitement entendu. Ne me dites pas que vous avez passé une semaine désagréable, je ne vous croirais pas.— Bien sûr que non.Ce fut là ma seule réponse. Le regard interrogateur de Myles ne suffit pas à me faire parler. Je n'avais en réalité aucune raison de refuser les souhaits de mes parents. Annalise était charmante, pleine d'esprit et plus agréable que ce à quoi je m'attendais. Mais il y avait un mais. C'était ce mais que je n'arrivais pas à déterminer alors qu'il m'empêchait d'accepter cette finalité. Un mais que Myles attendit pourtant, son regard figé sur moi et qui resta sans réponse alors que je me détournai de lui, rentrant chez moi sans vraiment plus faire attention à rien.Pendant vingt quatre heure, je restai enfermé. Je n'avais pas envie de sortir. Je n'avais pas envie de me rendre compte de son absence qui me perturbaient autant que je craignais de devoir lui faire face s'il revenait de je ne savais où. De toutes façons, que pourrais-je bien dire à Seth ? Il était parti sans rien m'expliquer, son comportement étrange balayant la colère que j'avais ressenti à son égard. Alors quoi ? Devrais-je lui demander des explications ? Ignorer était peut-être une idée aussi... Ou... Ou rien. Rester enfermé me parut être la meilleure des solutions. Sûrement aurais-je d'ailleurs réitéré cette expérience si au surlendemain matin, l'on ne m'avait pas réveillé en trombe, tambourinant à ma porte. Grommelant, je traînai les pieds jusqu'à la porte d'entrée pour tomber sur un déjà-vu bien trop clair.— Seth ?... soufflai-je. Qu'est-ce que tu fais là ?Mais là où mon esprit me soufflait qu'il fallait me préparer à des reproches, il n'en fut rien. A la place, ce fut un Seth penaud qui apparut devant moi, la tête basse.— Je...Je fronçai les sourcils face à cette réponse qui n'en était pas.— Désolé, reprit-il. J'aurais pas du t'agresser la dernière fois et...— Où est-ce que tu étais ?— On avait de la laine à vendre en ville alors... J'en ai profité. J'ai dit à mes parents de ne rien te dire pour... Enfin... Ils l'ont fait visiblement.Ne rien me dire ? Mais pourquoi ? Pour quelle raison obscure ne voulait-il pas que je sache où il se trouvait ? L'observant avec attention, je ne savais même pas comment réagir, quoi répondre à cela.— Tom a préparé un déjeuner royal pour mon retour... Alors... Enfin ça sera sûrement pas ce que tu manges au chateau mais... Enfin... Myles m'a dit que tu devrais peut-être... Peut-être repartir rapidement alors... Enfin... Ca te dirait qu'on aille manger ? Je dois encore t'apprendre à faucher le blé et... Et tu avais deviné que je ne savais pas lire alors... Je me suis dit que peut-être...Je clignai des yeux dans une incompréhension totale face à ce qui me semblait être presqu'un changement de personnalité.— Tu veux que je t'apprenne à lire ? répétai-je, surpris.— Non, enfin... Enfin si mais... Si tu as envie et... Le petit déjeuner attend alors... On devrait y aller... Si tu as envie ! Je ne veux pas te forcer ! Je ne veux pas te...— Non ! rétorquai-je brusquement. Non, c'est bon. Je me change et j'arrive.Fermant la porte à la volée, je restai bête quelques secondes. Était-ce réellement Seth ou un doppelganger ? Cette idée était la seule explication rationnelle que je pouvais trouver. Explication qui m'arracha un sourire bien étrange alors que je me dépêchai à me changer, revenant quelques minutes auprès de Seth, sagement assis sur les marches de la maison. Au moins, s'il avait bien trop parlé comparé à son habitude, j'oubliai rapidement l'idée du doppelganger tant il redevint silencieux jusqu'à ce que nous arrivions à l'auberge.Là-bas, nous attendait effectivement un repas digne d'un roi, me surprenant même. Des céréales, certes, mais aussi des viandes diverses, des fruits et des légumes, de quoi nourrir une armée.

Fut-ce cette nourriture à foison, notre présence à tous autour de la table ou le départ de mes parents, j'en oubliai rapidement tout ce qui m'avait inquiété ou agacé jusque là. Riant, discutant avec Tom, avec Myles, Adriel, Phillip et d'autres du village, j'avais même fini par renouer la parole avec Seth.

Une parole qui ne s'arrêta plus.La semaine durant, nous l'avions pratiquement et uniquement passé à la cabane. La journée, Seth m'apprenait le travail de paysan, à reconnaître jusqu'aux fleurs et aux fruits. Le soir venu, nous nous installions à la table de la cabane pour que je lui apprenne à lire et à écrire. Ce n'était pas gagné, il fallait l'admettre. Seth partait de loin, de très loin. Mais il était persévérant et... J'en étais convaincu, il réussirait. Il suffisait seulement d'un peu de temps. Un temps que nous prenions, allant même jusqu'à dormir dans la cabane des jours durant avant de repointer le bout de nos nez au village où la vie continuait.Tout était redevenu normal. Mes parents partis, la vie avait repris son cours. Un soulagement pour nous, pour moi qui commençait même à oublier l'épée de Damoclès qui pourtant trônait au dessus de ma tête. Restait encore à savoir pour combien de temps elle resterait ainsi suspendue...