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Zombie émotionnel.

La route de montagne sur laquelle je roulais quelques minutes plus tôt était plongée dans la pénombre la plus totale, en plus d'être détrempée par une violente pluie d'automne.

Les gouttes d'eau venaient s'écraser avec violence sur le toit et sur le pare-brise, obstruant avec obstination ma vision entre deux mouvements de balais d'essuie glace. De ce fait, j'en étais réduit à rouler à vitesse considérablement réduite, les phares longue portée ne pouvant même pas éclairer à plus de vingt mètres en avant la chaussée sinueuse que je devais emprunter à cette heure avancée de la soirée.

Parfois, l'orage déclenchait un éclair à proximité de mon chemin, ce qui illuminait partiellement certains endroits insolites de la forêt.

La plupart des gens auraient sûrement été effrayés par un tel temps, voire même auraient refusé de faire le déplacement.

Mais pas moi. Car j'ignorais ce qu'était la peur.

Jetant brièvement un œil au GPS, je vis que le temps estimé d'arrivée avait encore une fois été rallongé ; en accord avec mon allure de conduite que je ne cessais de diminuer.

J'étais quelqu'un de prudent, après tout.

Ça n'empêchait pas pour autant mon responsable de m'attribuer les tâches les plus ingrates. Des missions que je devais parfois mener à des heures ridicules, comme celle que je remplissais actuellement. Peut-être était-ce aussi ma faute. Je ne savais pas vraiment faire la distinction entre un simple ordre et un abus de pouvoir. Peut-être que d'autres à ma place auraient sûrement refusé.

Mais même si j'avais refusé, à quoi cela m'aurait-il mené ?

Je serais simplement rentré chez moi, aurais mangé quelque chose, puis me serais endormis devant la télévision jusqu'au lendemain. Alors… Autant me rendre utile.

D'autant plus que la mission de ce soir était importante.

Je devais aller récupérer le manuscrit d'un de nos auteurs phares. C'était le chapitre qui devait sortir cette semaine, et à cause du mauvais temps, sa connexion internet avait lâchée. Et les services de coursiers ne fonctionnaient pas par ce temps, ni pour des distances si importantes. Il lui était donc impossible de nous faire parvenir la version dématérialisée de son travail.

J'étais donc devenu malgré moi le coursier d'Osagawa Sensei, célèbre auteur de romans policiers. Alors que je n'était encore qu'un assistant éditorial, et pas encore un éditeur à part entière.

Mais je ne fus pas surpris. J'ignorais ce que c'était que d'être surpris.

L'auteur Osagawa Tokuhei était non seulement connu pour ses écrits, mais était également encore bel homme, malgré le fait qu'il avait déjà 58 ans, et qu'il semblait aussi maigre qu'il était grand. Ce qui attirait beaucoup les regards des employées de notre maison d'édition, en plus de celui de ses fans. C'était le genre de personne à dégager un certain charme – notamment de par la façon dont il s'habillait - ainsi qu'une élégance rare.

Peut-être que c'est ce qui plaisait, avant même ses écrits. Le fait qu'il ait une personnalité et une apparence magnétiques, qui attiraient les foules.

Mais pour ma part, je ne savais pas vraiment. Je n'avais jamais lu ses livres, ni ne l'avais vu autrement que dans les magazines où il donnait des interviews. Et même là, je devais dire que son style vestimentaire était assez austère, même si les journalistes y faisaient plus allusion comme étant un style classique tout droit sorti des années 70.

De ce que j'en voyais, il portait en permanence des pulls sans manche au-dessus de chemises parfaitement repassées, une cravate avec un nœud parfait, un chapeau trilby en feutre noir, ainsi qu'un long trench coat vert olive. Peut-être voulait-il se donner un style similaire aux personnages qu'il écrivait. Ou peut-être aimait-il s'habiller en décalage avec les modes allant et venant.

Toujours est-il qu'à mes yeux, ça n'avait rien d'extraordinaire. Je m'habillais parce que c'était une nécessité. Pas parce que quelque chose en particulier me plaisait.

Je n'étais pas vraiment heureux ni excité à l'idée de rencontrer cet auteur que tout le monde tenait en haute estime. C'était juste la routine, le travail.

Le vent fit légèrement déporter ma voiture sur la droite, me décalant momentanément sur la voie en sens inverse.

Rapidement, et avec un geste précis, je ramenais le véhicule sur sa voie, et compensais dès lors la poussée du vent en tournant légèrement le volant sur la gauche.

La météo n'avait pas parlé de typhon, mais j'étais à peu près sûr que ce genre de temps orageux agrémenté de rafales de vent collait bien à la description.

J'apercevais alors un panneau sur le côté de la route. Le GPS n'avait pas pipé mot depuis un moment, signe que je devais encore avancer sur la même route sans faire aucun détour. Aussi, ce panneau était la seule indication me permettant de savoir à quelle distance je me trouvais de ma destination. Et il semblait que je n'étais plus très loin.

La route continuait d'avancer entre les grands conifères, leurs épais troncs format une sorte de mur dissimulant le reste de la forêt. Et au loin, la route se retrouvait bordée de deux grands murs de pierre, derrière lesquels les arbres se montraient toujours autant menaçants par leur taille imposante.

Mon téléphone portable sonna dans ma poche, et le sortant rapidement, je vis le nom « Chiba » écrit. C'était mon responsable qui m'appelait, alors je décrochais.

« Nijima-kun ! Tu es bientôt arrivé ? » Demanda immédiatement l'homme à l'autre bout du fil.

Il n'avait même pas pris la peine de dire bonjour – ou plutôt, bonsoir – et avait directement posé de façon agressive sa question.

« Je suis encore en route, » répondis-je.

« Qu'est-ce que tu fais ? Tu ne devrais pas déjà être arrivé, depuis le temps ? » Se plaignit Chiba Takuya.

« Il pleut ici. Je dois ralentir, » répondis-je sans m'épancher sur la situation.

« Tu vas me dire que la pluie te ralentis ? » Demanda avec sarcasme mon responsable.

« Je dois ralentir si je veux espérer arriver vivant, » répondis-je simplement.

« Arriver vivant ? » Répéta-t-il.

Puis, je l'entendis rire à l'autre bout du fil.

Qu'y avait-il de si drôle à cela ? Est-ce que j'avais manqué quelque chose ?

« Si t'avais si peur que ça, t'aurais pu dire non ! » S'exclama-t-il.

« Vous m'avez demandé d'y aller, » répondis-je, encore une fois, très sobrement.

Les rires redoublèrent en intensité comme en durée. Puis, ayant visiblement repris son calme, mon responsable ajouta, non sans une pointe de sarcasme :

« Tu fais vraiment tout ce qu'on te dit sans te plaindre, hein ? T'es quoi, un zombie ? »

Ah. Encore une fois ce mot. Combien de fois avais-je pu l'entendre ?

Depuis toujours, on m'avait toujours qualifié de machine, d'automate, ou même de zombie.

Zombie.

Le mot sonnait étrange à mon esprit. Pour tous ceux qui m'entouraient, j'étais sûrement ce qui s'en approchait le plus, après tout.

Je ne montrais jamais aucune émotion.

Je ne m'énervais jamais, ne pleurait jamais, ne souriait jamais.

Ce n'est pas que j'étais quelqu'un refusant de montrer ce qu'il ressentait. Mais plutôt, que je ne ressentais rien. Je ne pouvais pas montrer aux autres ce que je n'avais pas.

Pour les autres, c'était sûrement une bizarrerie. Ils en parlaient en rigolant, puis n'y pensaient plus le lendemain ; déjà focalisés sur une autre curiosité.

Pour moi, c'était quelque chose d'omniprésent. Ou plutôt, quelque chose d'éternellement absent.

Je n'avais aucun souvenir avant mes six ans. Mais de mes six ans, à maintenant, alors que j'avais vingt-neuf ans, cela avait toujours été pareil. Je ne ressentais strictement rien. Comme si j'étais en autopilote, mon cœur battait inlassablement avec le même rythme régulier. Et depuis le temps, j'avais renoncé à ce que cela change un jour.

Les gens s'étaient toujours tenus à l'écart, après avoir réalisé que je ne répondais pas comme ils le souhaitaient, à leurs premières salutations amicales.

Ils avaient probablement renoncé, eux aussi.

« Hé, tu m'écoutes ? » Dit alors mon responsable, interrompant mon fil de pensées.

J'avais continué à rouler sans vraiment faire attention à ce que je voyais devant moi, suivant simplement le long ruban noir de la route s'étirant devant moi. J'en avais même oublié que je tenais une conversation avec quelqu'un.

Je clignais rapidement des yeux, mes cernes profondes bougeant à peine.

« Je vous écoute, Chiba-san, » dis-je tout en me concentrant à nouveau sur la route.

J'entendis rapidement un murmure furtif de sa part, un 'petit con' qui n'était destiné à personne en particulier. Peut-être pensait-il avoir murmuré assez bas pour que je ne l'entende pas. Ou peut-être se fichait-il que je l'ai entendu.

Car déjà, il continuait à parler, comme s'il ne venait pas de momentanément s'énerver contre moi.

« Osagawa Sensei t'attends déjà depuis un petit moment, alors accélère un peu le mouvement, veux-tu ? » Insista-t-il.

« J'arriverais à temps, même à mon allure actuelle, » répondis-je avec un ton de voix neutre.

C'était vrai, après tout. Ce n'était qu'une simple observation...

« Tu te fous de moi ? » S'énerva mon responsable.

Alors pourquoi s'énervait-il comme ça ? Est-ce que j'avais dit quelque chose de mal ?

Je l'entendis lourdement soupirer, comme s'il essayait de contrôler sa colère. Puis, toujours avec un ton légèrement agressif, il dit :

« Bon, si tu regarde les documents que je t'ai donnés, tu devrais avoir les indications pour trouver la maison d'Osagawa Sensei. Suis-les bien, surtout. »

Les indications ? Ah, il voulait parler de ce bout de papier qu'il m'avait donné avant de partir ?

Je jetais rapidement un coup d'œil furtif à la banquette arrière, avant de regarder à nouveau la route.

Cela me prit quelques secondes, à peine.

Mais c'est tout ce qu'il fallut, pour que je m'aperçoive trop tard que quelqu'un était sur la route, juste devant ma voiture.

Trop tard pour que je freine avant de heurter avec un grand choc une silhouette humaine ; qui s'effondra au sol avant de passer sous ma voiture.

Cette histoire est une version énormément modifiée d'une courte histoire que j'avais écrit en 2013. Le principal élément est resté le même, mais quand j'y regarde de plus près, tout le reste a changé!

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