Au palais impérial, Sa Majesté Batang V célèbra la toute première victoire de celui à qui il venait de confier la charge de conduire les hommes d'honneur. Il s'enorgueillit d'avoir choisi Babida comme son ministre des armées.
"Je savais que je prenais la bonne décision en le nommant commandant en chef des forces impériales," dit-il avec un enthousiasme débordant à l'emperesse Serena couchée à côté de lui sur le lit lunaire.
L'épouse du monarque avait certes un profond respect envers Babida pour l'héros de guerre qu'il était mais elle ne supportait pas la décision de son mari qui mettait un individu hors du cercle impérial à une position qu'elle considérait vitale pour leur longévité au trône.
Elle se demandait comment Sa Majesté Batang V était parvenu à briser une règle non écrite qui était pourtant en vigueur depuis cinq générations.
Elle consulta même les oracles du palais impérial pour comprendre l'attitude de son époux mais celles-ci ne trouvèrent pas une explication à lui donner.
Elles supputèrent alors à l'oreille de l'emperesse que l'esprit de l'empereur avait peut-être été embrouillé par les divinités au nom d'un projet secret sur le pays.
Toutefois, les magiciens du palais impérial ne purent lui apporter la moindre preuve pour soutenir leur assomption.
L'emperesse en devint malade car elle craignait plus que tout que l'empereur fût renversé par un coup d'État.
La nuit se poursuivit et les troupes à Okundé étaient galvanisées après leur combat victorieux sur les chauves-souris terrifiantes.
Elles glorifièrent l'empereur Batang V pour sa sagesse et sa vision en faisant le choix de placer à leur tête un homme au courage sans fin et d'une force à nulle autre pareille comme Babida le bûcheron.
Elles s'imaginèrent en train de grimper jusqu'au sommet de la montagne interdite, puis de descendre l'autre flanc pour décapiter le bébé monstre.
Elles invoquèrent les ancêtres pour que ceux-ci fortifiassent leur leader afin qu'il eût les ressources nécessaires pour les mener une fois de plus à la victoire.
Affamées et ayant la gorge sèche après leur première bataille heureuse sous la coupole de leur nouveau commandant supérieur, Babida, elles mangèrent abondamment et burent à volonté jusqu'au petit matin.
Et lorsque les premiers rayons de soleil se mirent à briller sur Okundé, les soldats impériaux regagnèrent leurs tentes et se reposèrent.
"Suzie !" s'écria Babida en se réveillant d'un cauchemar.
La tragédie de la veille refit surface et il se rappella avoir laissé la jeune demoiselle Suzie en pleurs au balcon du quartier général avec l'aide-de-camp Polo et le corps sans vie de l'oncle Bibi.
Il jeta un œil à la fenêtre et vit que le jour s'était déjà levé. Il accourut donc à la salle de bain pour se débarbouiller.
Lorsqu'il eut fini, il ne perdit pas davantage de temps. Il se saisit de sa hache et sortit de son appartement. Il alla directement au balcon du bâtiment administratif mais à son arrivée, il n'y trouva personne.
Il retourna à l'intérieur de la bâtisse et interrogea le garde impérial dans le couloir contigu à propos du lieu où la jeune demoiselle endeuillée, Suzie, s'était rendue.
Ce à quoi la sentinelle impériale lui répondit que la malheureuse avait quitté le balcon juste après l'aube accompagnée de l'homme de main Polo et de quelques de ses collègues de service ; et qu'ils avaient pris la route pour la cité impériale, Ékulé, où ils envisageaient d'organiser les obsèques de l'oncle disparu.
Le garde impérial reporta également au commandant en chef Babida que bien que la jeune demoiselle Suzie ne se s'était toujours pas remise de ses émotions et qu'elle avait versé des larmes sans discontinuer toute la nuit, elle devint néanmoins raisonnable à l'aube.
Elle accepta la proposition de l'aide-de-camp Polo de quitter le balcon et d'offrir un enterrement digne à son oncle adoré.
Le nouveau commandant supérieur de l'armée imperiale fut attristé de ne pouvoir être aux côtés de son amour Suzie car ne pouvant effectuer le voyage pour la capitale en raison de sa mission impériale à Okundé.
Il repartit dans sa chambre et pria les ancêtres.
"Mes aïeux, soyez salués !" dit le bûcheron.
"La nuit dernière, vous m'avez porté à la tête du commandement militaire," se confia-t-il aux divinités.
"Quel immense honneur cela fut !" déclara-t-il ensuite.
"Les troupes étaient surmotivées et nous n'avons fait qu'une bouchée des chauves-souris sauvages." L'élagueur poursuivit sa confession.
"Cependant, nous avons aussi subi la perte de valeureux soldats parmi lesquels mon compagnon d'aventure et ex-commandant Bibi," dit-il d'une voix tremblante tandis qu'il coulait des larmes.
"Mais je sais qu'il se trouve en ce moment là haut dans votre royaume. Je vous prie de lui réserver une bonne place." Le bûcheron conclut sa méditation.
Il resortit de son appartement et se rendit au hall du bâtiment administratif.