Akira est mort en monstre. Le divin lui accorde une seconde chance en le ramenant à la vie. Mais dans une terre où les Sans-éclats sont traqués, écartelés, massacrés et greffés à d'indicibles abominations, Akira pourra-t-il trouver un sens à sa résurrection ?
Assis sur une souche d'arbre, Akira découpait des champignons, et les ajoutait au ragoût qui bouillonnait dans la marmite en cuivre devant lui. Une carcasse de loup embroché rôtissait à côté. Le feu crépitait doucement dans la nuit, projetant son ombre aux alentours. La lune était belle ce soir.
Ils étaient arrivés à la cabane de Bernahl peu après l'escarmouche. Et aussitôt, après une brève introduction, chacun avait reçu une tâche à effectuer : Roderika irait ramasser du bois pour alimenter le feu, Thanadal et lui rapporteraient de la viande, tandis qu'Akira préparerait le ragoût. Il avait donc trouvé quelques herbes, champignons, noix et noisettes dans les sacoches que lui avait indiqué le vieux chevalier. Bernahl ne s'était pas encore présenté comme tel, mais Akira l'avait facilement déduit en jetant un bref regard à l'intérieur de la cabane : une armure rutilante, de plates et d'acier, aux fioritures étincelantes, reposait à côté d'une immense épée à deux mains à double garde mesurant dans les deux mètres de long.
Akira ajouta une poignée de sel, et touilla légèrement dans la marmite. Il était affamé.
« Ce ragoût avance ? »
Les feuillages s'ouvrirent sur Bernahl qui portait une nouvelle carcasse de loup sur les épaules. Il la déposa non loin des autres, près de la broche, avant de se frotter les mains. Bernahl était solidement bâti ; les épaules larges, la silhouette finement dessinée malgré son âge avancé, les yeux de la même teinte terne que sa chevelure grisonnante, il avait tout du vétéran expérimenté. Une force tranquille se dégageait de lui, une aura que possèdent tous les hommes d'expérience.
Akira contempla la mixture bouillonnante.
« C'est bientôt prêt.
— Parfait. (Bernahl vint s'installer à la broche pour surveiller la cuisson du loup.) C'est du beau travail que vous avez fait, là-bas. On a de la viande à ne plus savoir quoi en faire. »
Akira continua d'éplucher ses pommes de terre en silence. Bernahl lui jeta un regard en coin.
« Thanadal m'a dit que tu n'étais pas dans le genre bavard. Pourtant, j'aurais une question à te poser. »
Akira rinça ses légumes sous un filet d'eau avant de les couper en morceaux au-dessus de la marmite. Le ragoût avait une bonne odeur.
« Es-tu ici dans l'Entre-Terre pour poursuivre le combat ? As-tu toujours foi en la grâce qui nous guide, malgré l'effondrement de l'Ordre d'Or ? »
Le samouraï remuait le bouillon.
« Ça ne vous regarde pas, dit-il après un moment.
— Thanadal m'a aussi dit que tu étais dans le genre fermé, dit Bernahl en tournant la broche. Je vois qu'il t'avait bien cerné. »
Akira lâcha un soupir.
« Si par poursuivre le combat vous entendez la quête des fragments du Cercle d'Elden, je ne suis pas certain. (Son regard se fit brumeux un instant.) Je cherche encore ma voie dans cet endroit. Mais s'il y a bien une chose dont je suis sûr, c'est que je ne laisserai personne me dicter ce que je dois faire.
— Ta langue se délit enfin, sourit Bernahl. J'aime ta franchise. De telles idées ne conviennent guère à un Sans-éclat, mais il n'y a rien de mal à ça. Si cela peut t'aider à trouver ta voie, je me suis passionné très tôt pour l'épée et les arts du combat. Il en existe une myriade dans ces terres que je n'ai pas encore découverts. Ce sont les souvenirs de tous les guerriers qui ont pris les armes, pour ne connaître que la défaite et le trépas. C'est un bien beau récit, une véritable romance chevaleresque dans laquelle je souhaite écrire ma propre histoire, ajouter mes propres pages. Ainsi, même si je devais faillir ou périr sur le champ de bataille, ma vie aura eu un sens. »
Akira méditait ces paroles en silence. Le ragoût clapotait doucement, et une odeur alléchante s'échappait de la marmite.
« Que dirais-tu de reprendre le flambeau ? D'apprendre mes arts du combat ? » reprit Bernahl en piquant la chair carbonisée du loup pour en estimer la cuisson. « Je ne sais manier que l'épée, mais je connais quelques bottes plutôt utiles. Il est temps pour moi de les transmettre, de préférence à un Sans-éclat comme toi ou Thanadal. »
Akira réfléchit un moment. Il considérait déjà avoir atteint le maximum de son potentiel dans le maniement du katana, mais il n'avait aucune raison de refuser. Tout lui serait utile, dans cette terre étrangère.
« C'est d'accord. Quand débutera l'entraînement ?
— Très prochainement, ne t'en fais pas. J'enseignai déjà mes tours à Thanadal, je n'ai qu'à le faire à vous deux en même temps. »
Les feuillages bruissèrent à nouveau. Cette fois, ce fut Roderika qui apparut entre les arbres, les bras chargés de bois. Bernahl fit mine de se lever.
« Ce fut un plaisir d'avoir pu échanger avec toi, Akira. »
Le vétéran rejoignit la jeune fille et inspecta les buches. Il jaugea la qualité du bois du bout du doigt.
« Tu n'aurais pas pris du bois un peu trop humide par hasard, jeune fille ? Il aura du mal à brûler en l'état.
— Oh, ce… (Roderika piétina sur place) Je peux aller essayer de trouver des buches plus sèches si vous le désirez, Sire », dit-elle en s'inclinant.
Akira observait du coin de l'oeil tout en remuant la marmite. Bernahl fronça les sourcils.
« Bah, ne t'en fais pas », dit-il d'un air bourru. « Dépose ça près du feu et elles vont bien finir par sécher.
— Comme vous le désirez, Sire. »
Elle s'inclina à nouveau et alors qu'elle se dirigeait vers le feu, Bernahl l'arrêta d'une main sur l'épaule.
« Pas la peine de faire autant de manières avec moi. Nous sommes tous sur un pied d'égalité ici. Tu peux m'appeler Bernahl. »
Roderika hésita une seconde, puis accepta.
« Comme vous le voudrez, Bernahl. »
Et le chevalier disparut entre les arbres. La Sans-éclat, quant à elle, déposa les buches à côté du feu et s'installa à la place qu'occupait Bernahl, devant la broche. Akira lui jeta un bref coup d'oeil.
Des mèches blondes tombaient devant son visage, sous son capuchon rouge. Elle fixait avec un peu trop d'insistance la viande qui rôtissait sur la broche, comme si elle y mettait toute sa concentration. Elle a envie de bien faire, se dit Akira en reportant son attention sur le ragoût.
« Au fait, je devrais peut-être vous rendre votre manteau », dit-elle en amorçant le geste de le retirer.
« Garde-le. Je vois bien que tu frissonnes encore. »
Roderika se rassit. Se réchauffant les mains au-dessus du feu, elle contemplait les braises rougeoyantes.
« Vous devez probablement m'en vouloir, pour votre blessure. »
Akira reposa la louche dans la marmite. Il tâta son flanc gauche, et un léger picotement lui parvient.
« Si j'avais quelques talents dans les incantations, je vous aurai soigné. »
Il demeura silencieux.
« Thanadal a raison, vous savez. Je suis faible, et incapable de m'en sortir toute seule… (Elle baissa tristement les yeux.) Je m'accrochais à mes compagnons pour survivre, maintenant je m'accroche à vous…
— Tes compagnons ? » releva Akira en se rasseyant sur la souche. « Et où sont-ils maintenant ?
— Avec l'araignée », dit-elle avec un sourire triste. « Tous ceux qui m'accompagnaient. Ils ont traversé la mer pour moi. Ils se sont battus pour moi. »
Elle se recroquevilla sur elle-même en tremblant, serrant ses genoux contre sa poitrine, couverte de son capuchon écarlate et du surcôt grisâtre d'Akira.
« Tout ça pour qu'on leur arrache les bras. Les jambes. Et même… la tête. Leurs membres font partie de l'araignée désormais. (Elle eut un petit rire.) Le saviez-vous ? Si vous êtes greffé à l'araignée, vous deviendrez un cocon. C'est presque ironique quand on y pense…
— L'araignée ? Un cocon ? (Akira plissa les yeux.) Où êtes-vous allés, toi et tes compagnons ?
— Au Château de Voilorage. (Roderika releva la tête pour le regarder.) Vous aviez prévu de vous y rendre également ? C'est l'homme au masque blanc qui vous y envoit, je suppose ?
— Varré m'en a parlé oui, murmura Akira. Mais je n'ai pas encore pris de décisions. Il disait que ce château était le repère d'un demi-dieu.
— Le repère de l'araignée », corrigea Roderika, d'un air sombre. « Je me suis enfuie, vous savez. J'ai eu peur. De me faire couper les bras. Ou les jambes. Ou la tête. »
Elle renifla bruyamment. De petites larmes apparurent au coin de ses yeux.
« J'aimerai être comme tout le monde mais je suis si terrifiée, sanglota-t-elle. Je ne suis qu'une couarde ! »
Une larme roula sur sa joue, et elle enfouit sa tête entre ses genoux pour éclater en sanglots. L'air grave, Akira lui remplit un bol de ragoût.
« Mange ça. Ça va te faire du bien. »
Roderika se redressa et contempla l'écuelle fumante, les joues brillantes.
« Merci », dit-elle en plaçant le bol entre ses genoux pour se réchauffer. « Désolée, la seule chose que je sais faire est me plaindre, alors que vous avez aussi vos problèmes. »
Les feuillages bruissèrent à nouveau et Thanadal pénétra dans la clairière, un loup crevé sur les épaules.
« Attendez-nous avant de commencer à manger », lança-t-il avec hargne alors qu'il déposait le loup auprès des autres. « Bernahl arrive bientôt.
— Parfait, le ragoût est prêt. »
Akira jeta un bref coup d'oeil à Roderika. Elle avait aussitôt séché ses larmes quand Thanadal était arrivé. Pauvre fille, se dit-il. Je ne parviens même pas à imaginer ce qu'elle a dû vivre.
Bernahl arriva quelques minutes plus tard, une dernière carcasse de loups sur les épaules. Il avait prévu de les dépecer et de cuire leur viande pour la conserver. Akira ajoutait les assaisonnements de dernière minute, et Thanadal s'amusait de voir le soin qu'il mettait à la tâche, tout en affûtant son épée posée sur les genoux. Roderika, quant à elle, restait silencieuse. Elle fuyait soigneusement le regard de Thanadal. Puis, au bout d'un moment, ils vinrent tous s'installer autour du feu et, Akira se mit à remplir les bols de chacun avant de manger en silence.
Akira porta sa cuillère à la bouche et savoura sa cuisine. La viande se mêlait avec onctuosité avec les légumes et les champignons. La dose de sel était parfaite. Les quelques plantes qu'il avait associées produisaient un résultat bien plus qu'acceptable. Pour la première fois depuis qu'il s'était réveillé ici, un mince sourire s'étira sur ses lèvres.
« C'est vraiment très bon, dit Roderika. Ça réchauffe agréablement.
— On croirait voir une vraie servante, grommela Thanadal qui se régalait malgré tout.
— Où as-tu appris à aussi bien cuisiner ? s'enquit Bernahl. Nous, les Sans-éclats, ne sommes pas reconnus pour notre cuisine, d'habitude. »
Akira perdit son sourire. Son regard se fit vague.
« Dans ma terre natale, une de mes camarades adorait cuisiner. C'est elle qui m'a initié.
— Ta terre natale ? dit Thanadal. C'est où ?
— Je n'ai pas envie d'en parler. »
Il porta une nouvelle cuillerée à la bouche.
« Tu viens des Terres des Roseaux, je me trompe ? » lâcha Bernahl, le regard brillant.
La cuillère d'Akira se figea en plein mouvement. Le vétéran sourit d'un air satisfait.
« Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— Ton attitude. Le katana que tu manies. La tunique que tu portes. Ce sont des signes qui ne trompent pas. »
Akira se renferma de plus belle. Il reposa sa cuillère et son bol devant lui. Il n'avait plus faim.
« Les Terres des Roseaux ? fit Thanadal en regardant Bernahl. On raconte pas qu'une guerre civile fait des ravages depuis des décennies là-bas ?
— On raconte que la contrée entière a succombé à une folie sanguinaire », précisa le vieux chevalier en scrutant Akira. « La région s'est coupée du monde depuis longtemps maintenant. On n'a que très peu d'informations sur ce qui se passe là-bas réellement, les seules nouvelles que l'on obtient proviennent de ronins expatriés, comme celui que l'on a devant nous. »
Akira serra la mâchoire. Il se renferma davantage, si c'était possible. Roderika le contempla un instant, avant de prendre la parole.
« Vous savez… peut-être que nous ne devrions pas lui poser ce genre de questions, dit-elle. Nous avons tous un passé difficile à porter, nous avons tous vécu des choses désagréables que l'on ne souhaite pas raconter alors… je pense que nous ne devrions pas le forcer. »
Une buche crépita dans les flammes. Des étincelles jaillirent dans l'obscurité au-dessus d'eux.
« Pourquoi, c'est quoi ton passé à toi ? lança Thanadal.
— Je… (Elle se tordait les mains avec nervosité.) Je préfèrerai ne pas en parler non plus.
— Ce que vous pouvez être ennuyeux, vous deux », soupira-t-il en se servant une nouvelle portion de ragoût. « Si vous voulez avancer, vous allez devoir affronter votre passé, que vous le voulez ou non. Quelqu'un reveut du ragoût ? »
Bernahl et Roderika secouèrent la tête. Akira l'ignora.
« Et bien, si vous voulez pas parler du passé, on pourrait parler du futur. »
Thanadal emboucha une cuillerée. Il prit un air grave.
« Parlons des choses sérieuses. J'ambitionne de me tenir devant le Cercle d'Elden et de devenir Seigneur. (Il regarda Akira.) Par conséquent, quiconque ambitionne la même chose devient mon adversaire.
— Le Cercle d'Elden… (Roderika baissa les yeux.) Si les Demi-Dieux eux-mêmes ont échoué à réunir les éclats du Cercle, je ne vois pas comment nous, nous pourrions y arriver…
— Ne soit pas si défaitiste, gamine », grommela Thanadal. « Il suffit d'être plus fort et plus malin qu'eux.
— Thanadal a raison, dit Bernahl. En vérité, un Sans-éclat s'est déjà trouvé très proche de devenir Seigneur.
— Tout à fait. Vyke a été assez puissant pour rassembler deux runes majeures.
— Deux runes majeures ? s'étrangla Roderika. Mais comment…
— Vyke était un grand guerrier, dit Bernahl. Il maniait la lance comme personne d'autres ne la maniait. Il avait un coeur bon, il faisait toujours passer les autres avant lui. (Le vétéran prit un air rêveur.) C'est cette bonté et cet amour qu'il avait pour les autres, et que les autres lui rendaient, qui lui ont donné la force d'aller aussi loin dans sa quête. Sa valeur était telle qu'il a même été reconnu par un dragon ancien.
— Lansseax, précisa Thanadal. La soeur de Fortissax.
— Je ne savais point qu'il existait même des dragons dans ces terres…
— Un génie, voilà ce qu'il était », acheva Bernahl. « Un génie comme il en naît un par demi-siècle. »
Le vieux chevalier but le reste de son ragoût. Roderika contemplait son bol vide, pensive.
« Comment a-t-il échoué ? »
Akira ouvrait la bouche pour la première fois depuis plusieurs minutes maintenant. Bernahl le regarda une seconde, avant de baisser les yeux.
« Il est devenu fou alors qu'il s'aventurait dans les montagnes. On ne l'a plus jamais revu.
— Et qu'en est-il de vous, Bernahl ? » enchaîna Akira, qui avait retrouvé l'appétit. « Ne désirez-vous pas vous tenir devant le Cercle d'Elden, devenir Seigneur et être le rival de Thanadal ? »
Bernahl éclata d'un grand rire.
« Je le désirais ardemment dans ma jeunesse, dit-il. Mais comme tout rêve de jeune, il a fini par disparaître.
— Il a disparu parce-que vous avez échoué, n'est-ce pas ? »
Le regard d'Akira était tranchant comme l'acier. Le visage de Bernahl s'assombrit un court instant, avant de retrouver sa bonne humeur.
« C'est vrai, sourit-il. Je m'y suis essayé. Et j'ai échoué. Et c'est pourquoi j'aide maintenant des jeunôts comme vous qui veulent tenter leur chance. (Il se gratta le front.) Je n'aurais malheureusement pas eu l'honneur de trôner aux côtés de notre Reine.
— Notre Reine ? releva Akira.
— La Reine Marika, expliqua Roderika. La Déesse de l'Entre-Terre. Elle a disparu peu après l'éclatement du Cercle.
— Le Seigneur aussi, Radagon, a disparu », ajouta Thanadal. « Le cataclysme a dû être tel qu'ils ont tous les deux dû être balayés.
— Quoi qu'il en soit, reprit Bernahl, notre rôle originel est de vaincre les Demi-Dieux pour arracher leurs runes majeures et réparer le Cercle. »
Akira resta songeur un instant.
« Cet endroit ira-t-il mieux si le Cercle est réparé ?
— Hmm, c'est une bonne question, dit Bernahl. Je pense que oui. Si l'Entre-Terre est si dévastée, c'est à cause de la guerre qui a suivi l'éclatement du Cercle, mais aussi parce que le Cercle possède un puissant pouvoir. Celui de relier les lois de la nature les plus fondamentales entre elles. On dit même que… le détenteur du Cercle serait capable d'ajouter ou de retirer des lois à son bon vouloir, et donc de modeler le monde à son image.
— C'est… terrifiant », fit Roderika, après un moment. « Un tel pouvoir ne devrait pas exister.
— Pourtant il existe, dit Thanadal. Et c'est pour nous en emparer que nous sommes ici.
— En vérité, le Cercle a eu de nombreux bienfaits sur la population. L'Entre-Terre a baigné dans un Âge d'Or pendant des siècles, où ses habitants étaient bénis et se voyaient accorder une jeunesse éternelle. La Reine Marika, par l'intermédiaire du Cercle, a offert l'immortalité à ses habitants.
— Et l'on voit ce qu'il en est à présent », grommela Thanadal. « Leur immortalité se retourne contre eux. Ils vivent un enfer pour l'éternité. »
Akira repensait aux crucifiés qui ne pouvaient mourir alors que les corbeaux se repaîssaient de leurs corps. Il revit les soldats de Vardis qui se réjouissaient presque de pouvoir mettre un terme à leur vie en se jetant sur son épée.
« Quand je deviendrais Seigneur, je ferai en sorte que la Mort reprenne ses droits sur cette Terre, dit Thanadal. Je libérerai toutes ces âmes de l'enfer qu'elles vivent.
— Amusant venant de toi. Tu ne disais pas que les faibles étaient des vermines qu'il ne fallait pas protéger ?
— Cette Terre est malade, Akira. Profondément malade. Je veux la soigner. Et puis… je vais probablement vivre ici l'intégralité de ma vie, alors si je peux faire de l'Entre-Terre un endroit où il fait bon vivre, où je puisse passer mes vieux jours… C'est mieux.
— C'est bien de se projeter, fiston », dit Bernahl en lui posant une main sur l'épaule. « Mais malheureusement, les Sans-éclats ne font pas de vieux os. Ceux comme moi sont des exceptions. »
Akira termina son bol de ragoût et le reposa devant lui, au pied du feu. Roderika ne parlait plus depuis un moment. Emmitoufflée dans son manteau, elle luttait pour garder les paupières ouvertes. Thanadal lui aussi commençait à bailler à s'en décrocher la mâchoire.
« Avant que l'on aille se coucher, j'aimerai vous parler de quelque choe, dit Bernahl. J'avais prévu de rendre visite à un vieil ami dans les prochains jours. Il se trouve dans un fort au sud-est, par-delà les Bois Brumeux. Si vous m'accompagnez, je pourrais vous entraîner sur la route.
— C'est d'accord, fit Thanadal en baillant à nouveau.
— C'est loin d'ici ? s'enquit Roderika.
— Quelques jours de marche, rien d'insurmontable. »
Akira hocha la tête en silence. Après tout, ce n'est pas comme s'il avait d'autres choses de prévu.
« Alors c'est décidé. Maintenant, tout le monde au lit les enfants. On part demain à l'aube. »