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Kawasaki Eiji

Le marché de Ninakami était le plus fréquenté de la région. Dans ces dédales de ruelles, caractérisées par leurs hauts bâtiments, il était possible de trouver tout type de richesses. Certains commerçants présentaient sur leurs étalages des tissus du monde entier, tandis que d'autres fournissaient des armes ou des armures. Il s'y vendait des ingrédients rares, ainsi que des objets du quotidien.

Pour assurer la protection de cette foule, la garde était sollicitée en permanence. Ils veillaient à ce qu'aucun incident ne se produise : la réputation du marché étant en jeu. Après tout, avec autant de biens et d'argent en circulation, personne n'était à l'abri d'une arnaque, d'une dispute ou d'une agression.

Fort heureusement, ce genre d'incident était peu commun. Les membres de cette garde avaient une certaine notoriété : chacun était entraîné dès son plus jeune âge au combat, avec une rigueur rarement égalée.

Ils maniaient le sabre et la lance comme personne, et étaient également doués à l'utilisation des armes à distance comme l'arc, l'arbalète ou encore la sarbacane. Cette dernière était notamment utilisée pour arrêter certains débordements qui ne pouvaient plus être contenu pacifiquement.

Grâce à la protection de ces hommes et femmes, les transactions pouvaient continuer sans craintes.

"Venez voir mes armes ! J'en ai pour tout le monde : en bronze pour les débutants, en acier pour les confirmés, et en obsidienne pour les connaisseurs ! Des authentiques armes d'obsidienne d'Aresha !"

Rapidement après sa publicité, une dizaine de personnes, pour la plupart aventuriers, accoururent à l'échoppe qui venait de dévoiler ses produits. Après tout, les armes d'Aresha étaient connues pour être parmi les meilleures lames du monde, et quasiment indestructible !

"Combien pour une lance d'obsidienne ?"

Le commerçant regarda le client de haut en bas. Il semblait plutôt aisé, avec une armure en cuir de qualité, des bijoux aux mains et des souliers neufs. Il esquissa un petit sourire, avant de s'exclamer :

"Trois cents pièces d'or, mon cher monsieur !"

Le visage du client pâlit rapidement, avant qu'il ne réplique :

"Trois cents ? Mais il n'y a que quelques mois, le prix était presque deux fois moins cher !"

Le marchand tenta de s'expliquer, en gesticulant ses mains.

" Certainement, monsieur, mais depuis, le prix de la matière a grimpé ! Les côtes d'obsidienne sont plus chaudes et dangereuses que jamais ! Et la mer est également dangereuse, avec tous ces pirates ! Trois cents pièces d'or, c'est de loin le meilleur prix que je puisse vous faire !"

L'aventurier baissa les yeux, réfléchissant.

"Allons, je peux bien vous la faire pour deux cent quatre-vingts pièces d'or, mais je ne peux descendre davantage, sinon je ne pourrai entrer dans mes frais !"

Une petite lueur s'illumina dans les yeux du client.

"Très bien ! Dans ce cas, je vous la pr …"

Il s'arrêta brusquement de parler, arrêté dans son entrain. Son teint pâlit davantage encore, et son corps se crispa brutalement. Il tenta de se retourner, ne parvenant à voir qu'une femme derrière lui, poignard en main, planté directement dans son dos !

Ce n'est qu'après quelques secondes qu'il se mit à sentir la douleur, comme si mille abeilles le plantaient de leur dard.

Rapidement, les autres clients remarquèrent la scène et plusieurs cris de détresse se firent entendre :

"A l'aide ! Au meurtre !"

Quelques secondes suffirent à la garde pour arriver sur les lieux. Ces derniers étaient au nombre de trois, deux hommes et une femme. Sabre à la ceinture fermement empoigné, sarbacane accrochée au bras et imposante armure en cuir équipée, ils s'avancèrent près des personnes les ayant appelés. L'un des hommes se détacha du groupe. Ses longs cheveux étaient sombres, et ses yeux d'un noir profond. Il présentait un regard sévère, bien que son visage encore enfantin trahît son jeune âge.

"Quel est le problème ?"

Lorsque les gens aperçurent le jeune homme, ils commencèrent à murmurer entre eux. Certains étaient même excités, comme s'ils venaient d'apercevoir une célébrité.

"Regardez ! C'est Eiji Kawasaki. Le plus jeune capitaine de l'histoire."

"Nous sommes sauvés !"

Le capitaine Eiji ne prêta pas attention à ces réactions, et observa les alentours. Il aperçut cette femme aux longs cheveux noirs portant un couteau caché dans les manches de sa robe et l'aventurier au sol, agonisant. Un filet de bave dégoulinait de la bouche de cette femme dont les yeux brillaient d'une lueur écarlate. Ses mouvements semblaient mécaniques, ou tout du moins peu naturels. Elle laissait s'échapper quelques grognements, entrecoupés par les sifflements de sa forte respiration. Face à cela, le garde n'hésita pas à dégainer son sabre.

"Hana, Isao, regardez. Elle a les yeux ensanglantés." Dit-il d'une voix grave.

A ces mots, les deux dégainèrent leur lame et encerclèrent la femme.

"Nous n'avons pas le choix. Nous devons l'exécuter, comme les autres. Ils ne peuvent plus être raisonnés une fois dans cet état. Couvrez-moi. Je m'occupe d'abréger ses souffrances."

Le chef était désolé. Il était censé protéger les citoyens. Pas mettre fin à leurs jours. Il n'y avait aucun honneur en cela.

Sabre à la main, il s'élança. Rapide comme le vent, il arriva face à l'agresseuse. D'un geste fluide, il lui trancha la tête. Il secoua brusquement son épée, retirant le sang présent sur la lame, avant de la rengainer. Il se retourna et se retira.

"Isao, Hana. Je vous laisse vous occuper du cadavre, je vais faire mon rapport. N'oubliez pas de soigner ce gars au sol. Il n'est pas encore mort."

"Compris capitaine !" saluèrent les deux subordonnés.

Il s'enfonça dans les ténèbres d'une ruelle adjacente, avant de disparaitre. Lentement, il marcha en direction du quartier général de la garde, situé à seulement quelques centaines de mètres. Il ne lui fallut qu'une dizaine de minutes pour en atteindre les portes.

Le bâtiment, à l'image du reste de la ville, était gigantesque. Tout fait de bois sombre et de pierres sculptées, son architecture imposante, bien que simpliste de par ses formes cubiques, forçait le respect. Il faisait face à l'auguste statue de pierre représentant la divinité protectrice de la ville, Kibouhito.

Les portes de la structure étaient elles-mêmes sculptées, dessinant la garde de Ninakami, ainsi que le clan Maeda, qui gouvernait la ville depuis plusieurs décennies.

Le pas lourd, le capitaine pénétra dans l'enceinte. Les murs étaient ternes et la jointure des pierres encore apparente. Rares étaient les fenêtres, et même la journée, les seules sources de lumières étaient les torches accrochées aux murs.

Il traversa plusieurs couloirs, avant de s'arrêter face à une porte à deux battants inhabituellement grands. De ses deux mains il les poussa, et entra dans une pièce si lumineuse qu'il en fut ébloui. L'architecture de la pièce était plus moderne. On y trouvait des décorations en bronze mais aussi en obsidienne et en or. Une seule personne était présente dans la salle. Assis à son bureau, grattant quelques mots de sa plume imbibée d'encre noire sur un parchemin, l'homme à la chevelure et aux yeux de la couleur de la nuit ne semblait pas s'être aperçu de la présence du jeune homme.

"Commandant Kawasaki. Je viens faire mon rapport !"

La personne interpelée leva son regard, et fit face à son subordonné, dévoilant son uniforme sur lequel était accrochée de nombreuses distinctions.

"Eiji, c'est toi. Tu termines ton tour de garde bien tôt, dis-moi. Se serait-il passé quelque chose ?"

Le capitaine Eiji fixa son supérieur, toujours avec cet air grave sur son visage.

"Un nouveau cas. Une femme aux yeux ensanglantés est apparue au marché."

Surpris par cette information, le commandant écarquilla les yeux.

"Un nouveau cas, dis-tu ?"

Sa mine se renfrogna rapidement. Il baissa la tête et se perdit dans ses pensées.

"C'est déjà le trente-septième cas cette année, cinquante-et-un en tout. Le rythme d'apparition de ce phénomène augmente, et nous ne connaissons toujours pas l'origine de ce mal. Des personnes, innocentes jusqu'alors, se mettent à attaquer sans raison d'autres personnes. Ils perdent la raison et agressent à vue. Ils n'ont pour seul autre symptôme que leurs yeux ensanglantés…"

A la fin de sa phrase, le commandant frappa du poing le bureau. Il était, lui aussi, désolé. Il s'approcha d'Eiji, et lui posa sa main sur l'épaule.

"Ecoute, Eiji. Rentre chez nous. Aide ta mère à préparer le repas. Je ne rentrerai pas ce soir, je vais préparer une réunion stratégique avec les autres commandant. On se voit demain."

"Oui, père."

Eiji salua son père, avant de se retirer. Lorsqu'il sorti, le soleil épousait l'horizon, peignant la ville de sa lumière rougeoyante. Il traversa les ruelles qui étaient comme teintées de sang. Passant de nouveau par le marché, où les marchands commençaient à ranger les étalages. Il acheta quelques oignons et une dinde.

Il poursuivit sa route en direction de l'ouest de la ville, avant d'atteindre un quartier pavillonnaire aux maisons de bois. Passant quelques habitations, il arriva face à une bâtisse plus imposante que les autres, protégée par deux gardes.

"Bonsoir Yoshio, Daisuke. J'espère que votre tour de garde s'est bien passé."

Les deux gardes firent place et ouvrirent le portail.

"Bonsoir, Eiji. Rien de spécial ne s'est passé aujourd'hui."

Il pénétra dans l'enceinte de la résidence, se rendant directement en direction du bâtiment principal. Long d'une vingtaine de mètres et large d'en environ la moitié il accueillait le clan Kawasaki au complet, tandis que les gardes logeaient dans une petite bâtisse à proximité.

Il poussa la porte, et fut tout de suite accueillit.

"Eiji !"

Une jeune fille portant une longue tunique noire se jeta dans ses bras. Eiji lui caressa doucement la tête. Ses longs cheveux noirs étaient doux et fin, ce qui était plutôt rare dans ces contrées balayées par les vents et la poussière.

"Ruka, tu ne devrais pas courir comme ça."

Elle leva la tête et le fixa dans les yeux, dévoilant son visage pâle esquissant un léger sourire ainsi que ses yeux d'obsidienne.

"Ne t'inquiète pas grand frère. Je vais bien aujourd'hui."

Eiji lui renvoya son sourire, et ouvrit le sac dans lequel il avait entreposé ses achats.

"Regarde, aujourd'hui mère pourra te préparer ton plat préféré."

"C'est vrai ?" Elle regarda l'intérieur, davantage par curiosité que par scepticisme. "Merci grand frère !"

Pendant qu'ils discutaient, une seconde femme approchait.

"Bonsoir, Eiji. Comment s'est passée ta journée ?"

Il se tourna vers elle, mais ne sut pas la regarder dans les yeux.

"Bonsoir, mère. Mon tour de garde était… Compliqué. On a eu un nouveau cas, au marché."

Elle eut l'air peiné, compatissante.

"On ne parle que de ça dans les rues ces derniers temps. Le nombre d'agression ne fait qu'augmenter."

"Passons, mère. Père ne rentrera pas ce soir, il organise une réunion. Je suggère que nous commencions à préparer le diner. Il ne faudrait pas faire attendre ce petit ogre."

Réalisant ce que venait de dire son grand frère, Ruka le repoussa vivement avant de se plaindre.

"Eh ! Je ne suis pas un ogre !"

Eiji ainsi que leur mère rirent en cœur. Ruka, quant à elle, bouda.

"Très bien, je te laisse t'occuper de frire les oignons et de préparer la viande, je vais laver le riz." Dit finalement la mère.

Ils préparèrent rapidement le repas et dinèrent ensemble. La nuit était bien entamée lorsqu'ils allèrent se coucher.

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