Elle la protège.

« Ah ! C'est ce que j'appelle faire la fête ! » S'exclama-t-elle tout en abaissant son sixième verre de bière.

Takao tenta de cacher une grimace derrière un sourire maladroit.

Il s'était laissé entraîner par la jeune femme sans même pouvoir protester, et à présent, ils étaient tous les deux assis au comptoir d'un petit bar de quartier.

« Vous avez déjà bien bu, non ? » Demanda-t-il un peu déstabilisé.

« Ça ? Bien boire ? Je fais que commencer ! » S'exclama-t-elle en rigolant bruyamment. « Ça fait plusieurs jours que j'ai pas pu sortir, alors j'en profite ! »

« Vous risquez d'avoir une gueule de bois demain... » Tenta-t-il de la convaincre.

« Pas mon problème, demain je serai plus là, » dit-elle nonchalamment.

Encore cette étrange formulation… Qu'est-ce qu'elle voulait dire par là ?

Il avait déjà essayé de lui faire cracher le morceau avant, mais tout ce qu'il avait obtenu, c'était qu'elle était Shinohara Nana, et pas Shinohara Hana.

« Vous… Vous pouvez me dire ce qui se passe ? » Demanda-t-il avec doute.

« M'sieur ! Une autre bière s'il vous plaît ! » S'exclama-t-elle.

Takao mit rapidement le plat de sa main sur le verre vide de la jeune femme.

« On va arrêter là pour ce soir ! » S'empressa-t-il de dire à l'employé derrière le bar.

La jeune femme lui lança un regard plein de reproches, avant de finalement s'avouer vaincu en s'affalant en arrière sur sa chaise.

« Bon, qu'est-ce que tu veux savoir ? » Demanda-t-elle avec un air dépité.

Takao déglutit. Il ne savait vraiment plus quoi penser de cette situation.

Au départ, il avait rencontré le matin même Shinohara Hana, une femme réservée et plutôt timide. Et maintenant, il se retrouvait face à Shinohara Nana, une personne débordant d'énergie et plus qu'extravertie.

Le point de changement, entre ces deux individus ? L'espace de quelques minutes, pendant un repas d'équipe.

Ça avait été bien trop soudain pour qu'il puisse vraiment savoir ce qui s'était passé, aussi était plus que curieux quant aux événements de ce soir.

« Vous êtes Shinohara-san, mais vous n'êtes pas non plus elle, pas vrai ? » Finit-il par demander en la fixant du regard.

« Correct, » répondit-elle en ouvrant le premier bouton de sa chemise. « Et Vous, vous ne semblez pas être une simple recrue comme Hana, pas vrai ? »

Il fit la moue.

La jeune femme l'avait peut-être percé à jour, mais il voulait d'abord en savoir plus avant de dire plus de choses que nécessaire.

« Dans ce cas, quelle est votre relation avec Shinohara-san ? » Demanda-t-il sans détourner le regard.

La dénommée Nana se mit à sourire, cette fois avec une expression maline, avant de se pencher légèrement vers le jeune homme.

« Oh ? Voilà donc une question intéressante... » Déclara-t-elle. « Mais si je te réponds, tu me diras qui tu es vraiment, toi aussi ? »

Takao resta interdit un instant, ne sachant pas trop quoi décider. Il savait que sa curiosité risquait de prendre le dessus à tout moment, et ne s'attendait donc pas à ce que la jeune femme ajoute autre chose derrière sa proposition.

« J'ai besoin de savoir… Si Hana peut avoir des alliés sur son lieu de travail, » dit-elle en se penchant à nouveau contre le dossier de sa chaise.

« Des alliés ? » Répéta-t-il un peu perdu par le mot employé.

Nana hocha alors lentement de la tête.

« Si je devais répondre à ta question, je pourrais dire quelque chose de censé et de terre à terre, du genre 'je suis une personnalité secondaire', ou quelque chose comme ça... » Expliqua-t-elle. « Mais si je devais choisir quelque chose de plus poétique et de plus proche de la réalité, je dirais que je suis l'ange gardien d'Hana... »

« Un ange gardien ? » S'étonna-t-il.

« Pour des raisons qui lui sont strictement personnelles, Hana a besoin de quelqu'un pour veiller sur elle. » Dit Nana. « Et quand le besoin s'en fait ressentir, j'apparais. »

« Attendez... » l'arrêta-t-il en sentant un mal de crâne commencer à marteler ses tempes. « Vous êtes en train de me dire que cette jeune femme a une personnalité secondaire, et que cette personnalité, c'est vous ? »

« Quoi, t'as du mal à y croire, c'est ça ? » Se moqua-t-elle de lui avec un rictus. « Pourtant, y'a pas mille solutions possibles face à ce qui s'est passé ce soir, pas vrai ? »

« C'est… Vrai.. » Concéda-t-il.

Il n'y avait en effet pas d'autre explication possible.

Takao se trouvait face à une personne qu'il connaissait, sans vraiment la connaître.

« Et donc, qui t'es exactement ? » Demanda-t-elle sans plus attendre. « T'as pas la tête d'un type étant interne pour une année... »

« Non… En effet... » Soupira Takao. « Mais avant ça, j'ai quelque chose à vous demander. Est-ce qu'Hana-san et vous partagez les mêmes souvenirs ? »

« Pas vraiment, non… Nous sommes comme deux personnes séparées, avec chacun nos propres souvenirs... » Dit pensivement Nana.

« Dans ce cas, elle ignorera complètement ce qui s'est passé ce soir, depuis que vous avez fait votre apparition ? » Insista Takao.

« Je suppose, oui… Pourquoi ça ? » Répondit-elle.

Il cligna un peu des yeux, momentanément gêné, puis se décida à lui expliquer la raison derrière sa question.

« Pour tout dire, je viens à peine de revenir au pays, » dit-il à demi-mot. « J'occupe momentanément le poste de directeur du Département Catastrophes Naturelles, et je ne compte pas m'éterniser. »

« Oh, tu connais du beau monde dans ce cas, si t'as déjà réussi à décrocher un poste pareil aussi vite... » Dit-elle pensive.

« Comme je l'ai dit, je ne veux pas m'éterniser… » Reprit-il son explication. « Aussi, j'aimerais qu'Hana-san ne sache pas que je suis réellement. Ça fait un moment que quelqu'un ne m'as pas parlé sans arrières pensées, et j'aimerais que ça continue comme ça. »

« Hum, je vois... » Dit Nana tout en fixant les menus accrochés au mur à côté d'eux.

Ils restèrent tous les deux silencieux un instant, seul le bruit de la vaisselle nettoyée et rangée, ainsi que les quelques discussions étouffées des autres clients venant interrompre ce moment de vide.

« Dans ce cas, faisons un marché. » Proposa Nana. « Je ne révélerai rien à Hana sur vous, et vous, vous ferez comme si vous ne savez pas que j'existe. Ça vous va ? »

Le marché était plutôt simple aux yeux de Takao.

Toutefois, quelque chose continuait à quelque peu le déranger dans tout cela.

« Je me sens vraiment pathétique, » finit-il par dire. « J'aimerais qu'Hana et moi devenions amis, mais j'ai l'impression de lui mentir, en faisant comme si vous n'existiez pas... »

Nana s'accouda alors contre le comptoir en bois du bar, une expression abattue sur le visage.

« Ah, si les choses étaient aussi simples... » Souffla-t-elle. « Mais crois-moi. Hana n'aime pas cette situation, loin de là. Alors si elle apprend que j'ai encore fait des siennes... »

Takao frappa alors du poing droit sur le comptoir, avant de planquer sa main gauche contre sa bouche. Le geste soudain fit sursauter la jeune femme.

« Merde... » Laissa-t-il échapper.

« Quoi ? » Demanda-t-elle avec anxiété.

« Vous… Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? » Dit-il lentement, en réalisant enfin dans quel pétrin ils se trouvaient tous les deux.

« Quoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? » Demanda-t-elle.

« Vous… Vous avez agressé un des collègues d'Hana-san... » Ajouta-t-il.

Il s'attendait à ce que la jeune femme soit aussi inquiète que lui, mais contre toute attente, elle se mit à rire bruyamment.

« Quoi ? Ça ? Ce type était un vrai pervers ! De la légitime défense ! » Se défendit-elle. « De plus, je suis absolument sûre que personne de Marline n'a pu voir ce qui s'est passé, si ce n'est toi ! »

Takao se mit alors à réfléchir rapidement, prenant en compte toutes les informations qu'il possédait sur l'incident.

C'est vrai, il était la seule personne de Marline dehors à ce moment-là. Ça écartait donc les éventuels autres témoins. Quant à cet homme, Kubo Touma, il avait bien senti que quelque chose n'allait pas.

« Attendez… Comment pouvez-vous être sûre que ce type en voulait à vous… Ou Hana-san ? » Demanda-t-il avec suspicion.

Elle se redressa lentement, et tout en croisant les bras, lui décocha un regard franc.

« Je te l'ai déjà dit, pas vrai ? Je suis l'ange gardien d'Hana. La condition pour que j'apparaisse, est qu'elle soit en danger. »