La nuit était sans lune, et Port-au-Prince semblait presque assoupie. Les ruelles étroites étaient silencieuses, baignées par une obscurité oppressante que seules quelques lanternes vacillantes osaient percer. Mais pour Aniaba, c'était le moment idéal. Caché dans l'ombre d'un entrepôt abandonné, il observait les quais avec une attention intense, ses yeux s'habituant à l'obscurité. Depuis plusieurs jours, il avait étudié chaque mouvement, chaque rotation des gardes, chaque itinéraire emprunté par les marchands et les soldats.
Le marché aux esclaves était l'un des lieux les plus sordides de la ville. Une large place bordée d'entrepôts et de cages où des hommes, des femmes et des enfants étaient entassés comme du bétail. L'air y était saturé d'une odeur mélangeant la sueur, les excréments et le sel marin. Chaque matin, des enchères se tenaient, attirant des acheteurs venus de toute l'île. Mais cette nuit-là, Aniaba avait un plan : frapper un grand coup et libérer ces âmes captives.
Il avait choisi sa cible principale : un petit bateau marchand amarré à proximité des entrepôts. Le navire, bien que modeste, était assez grand pour transporter les esclaves qu'il comptait libérer. Ses observations lui avaient révélé que l'équipage était minimal et peu entraîné. Le vaisseau était idéal pour sa fuite.
Mais avant cela, il devait créer une diversion. Aniaba avait repéré un entrepôt rempli de barils de poudre à canon, situé à proximité de la caserne locale. Son plan était simple mais risqué : provoquer une explosion qui attirerait l'attention des soldats et des gardes, le temps qu'il puisse mener son opération de libération. Cependant, chaque détail devait être exécuté avec précision. La moindre erreur pourrait lui être fatale.
Pendant plusieurs jours, Aniaba étudia les lieux. Il surveilla les gardes qui patrouillaient autour de l'entrepôt de poudre, prenant note de leurs horaires et de leurs itinéraires. Il découvrit que l'équipe de nuit était composée de quatre hommes, souvent distraits par le jeu de cartes ou la bouteille. Le chemin d'accès au bâtiment était bordé par des caisses et des barils, offrant suffisamment de cachettes pour un homme agile.
Il prit également le temps de repérer les entrepôts où étaient retenus les esclaves. Ces structures étaient mal gardées, mais les portes étaient verrouillées avec de lourdes chaines. Aniaba savait qu'il devrait agir vite pour briser ces entraves avant que les renforts n'arrivent.
Chaque soir, il affinait son plan, prenant note des petits détails : l'intensité des lumières, les habitudes des gardes, les itinéraires possibles pour sa fuite. Il savait que la route terrestre était trop risquée. Les rues étaient étroites et étaient souvent bloquées par des barricades improvisées. Le bateau restait son unique option.
La nuit de l'opération, Aniaba était prêt. Il portait des vêtements sombres pour se fondre dans les ombres. Sur lui, il avait une lame courte, un poignard, et une petite fiole d'huile qu'il avait préparée pour allumer rapidement un feu. Son cœur battait à tout rompre, mais son esprit était concentré.
Il commença par l'entrepôt de poudre. Rampant dans l'obscurité, il atteignit les caisses qui longeaient le bâtiment. Les gardes étaient rassemblés devant une table, engrossés dans une partie de cartes. Avec des mouvements silencieux, Aniaba se glissa à l'intérieur par une fenêtre ouverte.
Une fois à l'intérieur, il repéra rapidement les barils de poudre. Il déversa un peu d'huile sur le sol, traçant une ligne menant à l'extérieur. Puis, avec une rapidité calculée, il sortit une étincelle de silex et mit le feu. Une lueur intense jaillit, illuminant brièvement l'intérieur avant qu'il ne s'éclipse dans les ombres.
Quelques secondes plus tard, une détonation assourdissante secoua les quais. Une colonne de flammes monta dans le ciel, accompagnée de cris de panique. Les gardes accoururent, les soldats de la caserne émergeant en hâte. Le chaos était total.
Profitant de la confusion, Aniaba se dirigea vers les entrepôts où étaient retenus les esclaves. Avec sa lame, il trancha les chaînes qui fermaient les portes, libérant les captifs. Leurs regards étaient emplis de stupeur et de peur, mais il leur murmura des mots rassurants.
— Suivez-moi. Vite.
La foule se mit en mouvement, discrètement mais avec une urgence palpable. Aniaba guida le groupe vers le bateau marchand, où il avait prévu leur embarquement. Le navire était presque désert, seulement deux marins montaient la garde. Ils furent neutralisés rapidement et sans bruit.
Alors qu'ils montaient à bord, les esclaves libérés commencèrent à se répartir dans les cales. Aniaba, désormais au gouvernail, se prépara à décrocher les amarres. Mais les cris et les bruits de pas se rapprochaient. La ville ne tarderait pas à réaliser ce qui se passait.
Le bateau se mit enfin en mouvement, glissant dans l'eau noire du port. Les lanternes des quais vacillaient au loin, et le chaos continuait d'éclater derrière lui. Aniaba, bien que fatigué, sentait une étrange satisfaction : il avait réussi à frapper un grand coup.