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CHAPITRE 13 LES MINES

Pendant ce temps, dans son bureau de la Cité Blanche, le capitaine Théodore faisait les cents pas, préoccupé. Il se demandait ce qu'avaient découvert les jeunes gens. Edward avait mis des semaines à décrypter les faces des médaillons. En quelques jours, eux, avaient fait le rapprochement avec une carte. Mais dans ce cas, ils avaient aussi compris pour le katana. Alors pourquoi ne lui en avaient-ils pas parlé dans leur rapport ? Est-ce qu'ils ne lui faisaient pas confiance, ou avaient-ils considéré que ce n'était pas important. Après tout, la seule chose qui les intéressait était de retrouver Maître Guillaume.

Il prit brusquement une décision. S'emparant d'un stylo, il griffonna quelques mots sur un parchemin. Il l'avança au-dessus de la bougie, qui brûlait sur son bureau. La flamme devint violette, le papier s'embrasa et disparut en de multiples étincelles. Un instant, les mots, encore humide d'encre luire : « Derrière le Cheval Blanc. 18H. Ce soir. »

L'homme claqua sa langue dans sa bouche. Rien ne se passait comme prévu en ce moment et il était agacé de ne pouvoir intervenir directement. Il grogna avant de se mettre au travail. La journée allait être longue.

***

Dans la forêt, les six compagnons avançaient lentement. La forêt s'était encore assombrie tandis qu'ils s'engouffraient en son cœur. Les branches épaisses étaient plus touffues, plus lourdes, semblant les désigner d'un doigt accusateur. Ils se sentaient acculés, observés et indésirables, comme si la forêt rejetait leur présence. L'humidité de l'atmosphère imprégnait leurs vêtements, dont la moiteur devenait désagréable. Plusieurs fois, le silence fut interrompu par des reniflements des six sorciers.

Enfin, le sentier s'éclaircit et une faible lumière se distingua à travers l'épais feuillage. La clarté s'intensifia jusqu'à en devenir aveuglante. Ils avaient passé tellement de temps dans la pénombre que leurs yeux s'y étaient habitués et il fallut plusieurs minutes pour qu'ils distinguent avec netteté le paysage rocailleux, qui s'étendait au-delà de la forêt.

Ils virent des roches grises, dont les nuances allaient de l'anthracite au gris perle, anguleuses et imposantes, qui leur barraient le passage. Çà et là des rails se dirigeaient vers des trous béants creusés dans la pierre soutenue par d'épais linteaux de bois. Des panneaux en métal rouillé indiquaient le nom de chaque tunnel : Aurum, Cupreum, Lithos, Alumen, Thorium…

— Mais par où va-ton commencer ? Il y en a de tous les côtés ! soupira Yohan, découragé.

— Réfléchissons, fit Mark. Qu'a-t-on lu sur les médaillons ?

— Ce que nous cherchons se trouvent vers des mines de métaux précieux, commença Katherine. Mines que nous avons devant nous. Mais comment trouver la bonne entrée ?

— J'imagine que les noms des mines sont importants, avança Adrien.

— Oui, reprit Eowyn, du même avis. Tous les noms semblent être en latin.

— Génial ! railla Jonathan en tâtant avec un enthousiasme exagéré ses poches. Oh zut ! J'ai oublié mon dico de latin à la maison, c'est bête !

— Idiot, répliqua la jeune femme. Tu sais bien que je n'en ai pas besoin pour les traduire. Ça ne me pose aucun problème. En fait, dit-elle après un moment de réflexion, ce ne sont pas vraiment des noms propres, mais les noms latins de métaux…

— Comment ça ? s'étonna Mark

Eowyn regarda attentivement les panneaux avant de lui répondre.

— « Aurum », c'est l'or en latin… « Cupreum », le cuivre…

— Ça ne marche pas, l'interrompit Yohan, qui était lui aussi versé en langue ancienne. Lithos, c'est la pierre… pas un métal et d'ailleurs c'est du grec.

— Et c'est aussi le mot à l'origine du nom « lithium ». Dans le même style, « Plumbum » signifie « lourd », mais fait référence au plomb.

— Eh ! Attendez ! lança Adrien, prit d'une impulsion soudaine.

Depuis, plusieurs minutes, il voyait défiler tous les mots inscrits en latin sur les panneaux et traduits en quasi-instantané par le cerveau d'Eowyn. Tout cela allait tellement vite, qu'il était sûr qu'elle était capable de tenir une discussion dans cette langue morte. Mais au-delà de son étonnement, une idée avait germé dans sa tête.

— On cherche un objet en acier !

— Oui ! Bien vu ! s'écria Eowyn. Euh… Voyons voir, je ne vois nulle part acies ou aciarum…

— Et si on faisait fausse route, s'avança Katherine hésitante.

— Non, je suis convaincu qu'on est sur la bonne voie, assura Adrien.

— Jusqu'à présent, ton intuition a été bonne, nous te faisons confiance, décréta Mark, d'une voix sans appel.

Adrien le savait, une fois Mark convaincu, les autres se rangeraient de son point de vue, y compris Jonathan le sceptique.

— Tiens ! C'est bizarre, murmura Yohan, le charbon n'est pas un métal…

— Qu'as-tu dit ? demanda Eowyn intriguée.

— Ben, ce panneau-là indique « Ira (carbon importare) ». « Carbon », c'est pour le charbon, non ?

— Mais oui ! Bien sûr ! fit sa camarade en se tapant le front.

Elle posa sa main sur l'épaule de Mark.

— C'est forcément ça !

— Euh, tu nous expliques ? demanda le chef du groupe en haussant un sourcil. Parce que là, on est tous un peu confus.

Ce n'était pas tout à fait exact, parce qu'Adrien commençait à comprendre la logique d'Eowyn au fur et à mesure qu'elle vérifiait dans sa tête son intuition. Elle avait raison, c'était tout à fait logique, vu sous cet angle.

— « Carbon », c'est l'élément carbone et non le charbon, dit Eowyn. « Ira » est le mot latin pour désigner le fer. « Importare » est un verbe signifiant « importer ». L'acier n'est pas un métal trouvable dans la nature. C'est un alliage ! Un mélange de fer et de carbone plus ou moins concentré. La mine contient, ou contenait, probablement du fer et on y importait des éléments riches en carbone, sûrement pour y produire de l'acier.

— On produisait de l'acier dans la mine ? s'étonna Jonathan. Pourquoi pas à côté.

— Aucun abri n'a jamais été construit au moment de l'utilisation de ces mines, l'informa Yohan en haussant les épaules. Les ouvriers dormaient et mangeaient dans l'une d'entre elles. Il est donc possible qu'ils aient construit une forge à l'intérieur même d'une mine.

— Très bien ! décréta Mark. On va débuter nos recherches par celle-ci.

Les autres acquiescèrent. Eowyn ramassa un large morceau de bois d'une trentaine de centimètre, y enroula un tissu épais, qui s'embrasa au moment où elle l'effleura de sa main. Elle réitéra son geste cinq autres fois, tendant à chacun une torche. Ils la remercièrent l'un après l'autre et c'est en silence qu'ils pénétrèrent dans le large tunnel, s'enfonçant dans les profondeurs sombres et oppressantes de la mine. Tous les cinq mètres de grosses poutres en bois étaient disposées pour soutenir le lourd plafond. Adrien commença à les compter tandis qu'ils avançaient toujours plus loin sous la montagne. Il en avait compté quinze quand le long tunnel se scinda en deux. L'un des passages était bouché, ils empruntèrent le second avec précautions.

À leur droite un petit passage clôt par une porte se détachait nettement. La porte n'était pas fermée à clef, elle donnait sur une pièce relativement spacieuse au milieu de laquelle se dressaient des étagères quasiment vides. Un comptoir, sur lequel trônait une balance de Roberval d'une taille monstrueuse, était à demi-détruit. Des tableaux encadrés et des tapisseries démodées décoraient encore les murs. Des toiles d'araignée étaient tendues d'un bout à l'autre de la pièce, comme un fin linceul pâle.

— Ça devait-être le magasin, murmura Katherine.

Le son de sa voix claire et amplifiée par le vide de la pièce, résonna et leur glaça le sang. Adrien pouvait sentir une immense tristesse l'envahir. Cette boutique avait connu son moment de gloire il y a longtemps, mais la vie qui l'avait habitée semblait résonner encore en lui. Il pouvait presque entendre le son métallique des balanciers et des pièces de monnaie passant d'une main à l'autre.

Et puis, d'un coup, plus rien. Le bruit des pièces avait disparu, remplacé par un silence de mort. Oui, il pressentait que la mort avait frappé ici, dans cette pièce et, tout à coup, il eut envie de fuir, de rebrousser chemin et de retrouver la sécurité de sa maison. Pour la première fois, il comprenait la portée de son engagement : il participait à une entreprise dangereuse. Ses compagnons étaient des soldats, pas lui. Il ne savait pas se défendre. Son angoisse augmenta. La main de Yohan se posa sur son épaule et il se sentit immédiatement plus calme.

— Nous devrions quitter cette pièce, proposa Yohan. Qu'en dis-tu Adrien ?

— Oui, murmura ce dernier, encore ébranlé.

Ils continuèrent leur chemin croisant çà et là d'autres portes, parfois fermées, parfois ouvertes, souvent partiellement détruites et le bois noirci. Ils ne s'aventurèrent pas plus loin que le pas de la porte pour chacune d'elles. Adrien s'en approchait rarement. Le peu de fois où il l'avait fait, la même angoisse l'avait étreint, lui coupant un instant le souffle. Puis, le tunnel s'arrêta net. Un mur en pierre se dressait devant eux, infranchissable. Au moment où ils s'avancèrent en direction du mur, ils se rendirent compte qu'un immense fossé était creusé dans le sol. Des pierres roulèrent dedans lorsque lorsqu'ils s'approchèrent et ils entendirent un bruit lointain plusieurs secondes plus tard au moment où elles percutèrent le fond.

— Une impasse, gémit Jonathan.

— Non ! s'écria Mark. Il y a une porte sur le côté droit du mur.

— Sauf qu'avant, il faut franchir un gouffre de dix mètres, railla la montagne de muscle. Je t'en prie, après toi !

— Il y a forcément une solution ! s'exclama Eowyn. Relis-nous les phrases sur les médaillons Yohan.

— « La conscience est la lumière de l'intelligence pour distinguer le bien du mal ». « Le courage croît en osant et la peur en hésitant. » « Une offrande sera réclamée, elle devra être proposée avec altruisme et sincérité »

— Tu crois qu'une de ces citations s'applique à la situation ? fit Katherine, étonnée.

— Pourquoi pas ! Si les médaillons sont des cartes, alors ils doivent aussi donner la solution pour arriver au sabre. J'ai l'impression d'être dans Indiana Jones.

Eowyn semblait être la seule à s'amuser. Elle avait les yeux qui brillaient.

— Tu oublies ton maître, lui glissa Jonathan. Il ne doit pas trouver la situation aussi amusante que toi.

Adrien, Mark et Katherine le fusillèrent du regard et Eowyn se renfrogna, se sentant très mal d'avoir oublié la situation délicate dans laquelle Maître Guillaume se trouvait. Adrien, percevant toutes les pensées d'Eowyn, prit toute sa culpabilité de plein fouet et il dut se retenir de ne pas la prendre dans les bras pour la consoler.

Puis, elle se redressa, saisie d'une brusque inspiration. Adrien commençait à s'habituer à ses sautes d'humeur. Au début, c'était déstabilisant, car elle comprenait qu'elle tenait quelque chose avant même d'avoir appréhendé l'ensemble des données et des conclusions, ce qui le laissait d'interminables secondes dans un brouillard de confusion. Mark soutenait qu'il avait de l'intuition, mais Eowyn avait un sixième sens pour dénicher LE détail qui avait son importance, son cerveau déterminant avant sa conscience l'importance dudit détail. À cet instant, Adrien savait juste qu'elle avait la solution à leur problème, mais celle-ci ne s'était pas encore déroulée en entier dans les pensées de la jeune femme.

— Que vous inspire le gouffre devant nous ? demanda-t-elle soudainement.

— J'ai une envie folle de me jeter dedans, ironisa Jonathan. À ton avis ? Ça me fiche une trouille bleue, comme à chacun de vous j'imagine.

— Nous savions s'il faudrait faire preuve de courage, grâce aux médaillons.

— « Le courage croît en osant et la peur en hésitant. », percuta Adrien.

— Okay, commença Jonathan, rien de ce que vous me dirait ne me fera avancer plus avant en direction ce ravin. Je n'ai pas envie de me rompre le cou.

— Je te demande pas d'aller au-delà de ce que tu peux faire, lâcha sèchement Eowyn.

Sur ces paroles, elle tendit sa torche à Katherine et entreprit s'escalader le mur à sa droite tout en se déplaçant en direction de la porte. Mark essaya de la retenir, mais elle se dégagea, sûre d'elle. Elle avançait avec détermination, chacune de ses pensées était tournée en direction de son objectif et Adrien se surprit à être moins angoissé que ses compagnons, tout autant persuadé qu'Eowyn qu'elle réussirait à atteindre la porte.

Aussi, il eut l'impression que son cœur s'était brusquement arrêté, lorsque la chute mit fin à l'entreprise de sa camarade de classe. Tout se passa très vite. Son pied dérapa, elle essaya de se raccrocher, mais la paroi humide et glissante ne l'aida pas et elle tomba à la renverse, droit dans le trou béant dans la roche… Sauf qu'elle atterrit sur ses fesses devant eux…sur le sol, venu combler le gouffre. Yohan éclata de rire.

— Un sortilège d'illusion sacrément réaliste dit donc !

Mark lui lança un regard noir, avant de se précipiter sur la jeune femme. Il lui tendit la main pour l'aider à se remettre sur ses pieds.

— Tu ne t'es pas fait mal ?

— Non, tout va bien. En tous cas, c'était bien un piège. On est sur la bonne voie, je le sens ! Oups !

À l'instant où elle s'était relevée, Eowyn avait dérapé, manquant de retomber au sol. Au dernier moment, elle avait saisi les vêtements de Mark, percutant son torse avec son visage, se cramponnant au tissu. Par réflexe, il l'avait entouré de ses bras pour la stabiliser.

— Moi je sens surtout qu'il fait plus chaud tout à coup, blagua Jonathan.

Eowyn s'éloigna rapidement, son visage avait pris une teinte rouge pivoine et tendit la main pour reprendre sa torche. Elle ne vit pas que les visages de Mark et d'Adrien avaient eux aussi pris des couleurs. La gigantesque porte n'était pas verrouillée. Elle grinça avec un bruit sinistre et ce qu'ils virent les pétrifièrent.

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