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CHAPITRE 9 DISPUTE

— Une carte ? s'exclama Katherine, les yeux ronds.

Adrien venait de rapporter à ces cinq nouveaux colocataires ses découvertes de la matinée. Il leur désigna un à un les kanjis de la face commune à tous les médaillons.

— On rassemble plusieurs indices et l'emplacement qui les conjuguent tous est le bon endroit, leur expliqua Adrien. À gauche, vous avez le symbole de la montagne et celui de la mine, à droite, la rivière, puis la forêt et le kanji signifiant métal précieux tout en bas.

— Ouais, et ces deux symboles qui entourent le métal précieux représentent le piège et la mort… grogna Jonathan. Hyper-encourageant tout ça !

— Que veut dire ce kanji au centre du médaillon ? demanda Mark en l'ignorant volontairement.

— L'épée ou le katana en japonais, répondit Yohan.

— Il est entouré d'un cercle et de la rune Elhaz répétée huit fois, compléta Eowyn. Le cercle représente la protection, tout comme Elhaz, qui tracée ainsi, signifie « armure ».

— Une double protection ? s'écria Adrien. Mais pourquoi ? Pour protéger l'épée ou pour s'en protéger ?

— Bonne question, murmura Yohan. Je suppose que les runes au-dessus vont nous en donner une idée.

— Eowyn ? demanda Mark

C'était elle qui s'y connaissait en mieux dans ce domaine.

— Thurisaz, Tiwaz et Othalo, reprit Eowyn. La première rune est l'image d'une épine, elle représente la traîtrise, la colère. Elle est de mauvais augures.

À ces mots Jonathan grommela dans sa barbe. Mark lui donna un coup de coude, lui dit de se taire, puis enjoignit Eowyn à poursuivre d'un hochement de tête. Adrien comprit alors que son rival était le chef naturel de la petite bande. Depuis le début, c'était lui qui avait le dernier mot et prenait les décisions. Il allait devoir désamorcer d'urgence la situation avec lui pour s'intégrer. Plus il y pensait, plus Adrien craignait de ne pas trouver sa place.

Eowyn proposait plusieurs stratégies, plusieurs points de vue. C'était la créative de la bande. Katherine replaçait systématiquement les gens au centre des débats. Yohan était probablement le plus rationnel, la voix de la raison. Et Jonathan… eh bien il se contentait de grogner et de se montrer pessimiste… À moins que son attitude ne permette de contre-balancer l'enthousiasme d'Eowyn avec qui il n'arrêtait pas de se chamailler, dédramatisant par la même occasion certaines situations… Chacun semblait avoir son rôle dans leur équipe… Adrien se demanda quel pouvait être le sien, mis à part être un fardeau. Il soupira tandis qu'Eowyn détaillait la symbolique de Tiwaz.

— Tiwaz est la rune représentant le dieu nordique Tyr, chargé de la guerre, de la justice et des lois. En magie runique, il indique que l'on obtiendra ce que l'on souhaite par le sacrifice.

— Génial ! s'agaça Jonathan. Pièges, traîtrise, sacrifice et mort ! Un programme bien réjouissant !

— Que faut-il que je fasse pour que tu te taises ?! s'énerva Mark, tournant sa tête vers le colosse.

— J'ai le droit de donner mon opinion !

— Dès qu'Eowyn aura fini d'énoncer tous les faits ! Il faut que nous prenions tout en compte pour fonder notre jugement.

Jonathan bouillonnait, mais se tut. Eowyn continua en le foudroyant du regard :

— Othalo est l'héritage, ce que l'on regarde derrière soi afin d'apprendre de son passé.

— Je me demande si ces runes ne décrivent pas l'objet qui est protégé… intervint Adrien

— Que dis-tu ? s'étonna Mark

— Eh bien, si les kanjis décrivent le lieu où est cachée l'épée, peut-être que les runes indiquent pourquoi l'épée est protégée, ce qu'elle est censée faire, proposa Adrien.

— C'est un point de vue intéressant, fit remarquer Yohan. Peut-être devrions-nous observer l'autre face de chaque médaillon sous cet angle.

— Oui, c'est une bonne idée, admit Mark. Bien joué Adrien!

Celui-ci se tourna vers lui, surpris. Mark le dévisageait avec bienveillance, ce qui le stupéfia. Katherine lui décocha un grand sourire. Yohan se contenta d'une petite tape sur l'épaule. Les yeux d'Eowyn brillaient et Adrien se sentit fondre quand ils accrochèrent son regard. Quant à Jonathan, il se contenta de grommeler dans sa barbe. Mark résuma d'une voix pleine d'entrain :

— Donc nous recherchons une épée. Le lien avec Tyr paraît évident : c'est un symbole d'exécution de la justice et des lois.

— Elle porte malheur à son possesseur, compléta Katherine. Mais pourquoi Othalo ?

— L'épée permet peut-être d'obtenir quelque chose en étant obligé d'en sacrifier une autre, proposa Adrien, enhardi par ses premiers succès.

— Oui, renchérit Yohan, ça collerait.

— Je vais mettre mon grain de sel, intervint Jonathan brusquement, mais pourquoi avoir désigné l'objet avec un kanji, il existe une rune qui représente l'épée ou la lame.

— Existe-t-il un katana qui porterait malheur ? lança Adrien tout de go.

— Il y a bien les katanas de Muramasa, fit Yohan songeur…

Cinq paires d'yeux se tournèrent vers lui.

— Il faut remonter au treizième siècle, au Japon, au début de l'utilisation de l'acier pour fabriquer les sabres. Goro Masamune était un maître en la matière. Il fut défié un jour par son élève Sengo Muramasa. Ils fabriquèrent chacun une lame et, pour les tester, les plantèrent dans une rivière. La lame de Muramasa coupait tout ce qui passait à sa portée, feuille, poissons, jusqu'à l'air, qu'elle fendait. Celle de Masamune ne coupait que les feuilles, les poissons s'y frottaient sans crainte. Muramasa crut sa victoire acquise, mais un moine avait vu toute la scène et intervint. Il expliqua que, certes, le sabre de Muramasa était superbe, mais que cette lame était assoiffée de sang et d'une nature perverse. La lame de Masamune, était plus fine, mais bien meilleure que la première, car elle avait su faire la distinction entre ce qu'elle devait ou ne devait pas couper. C'est ainsi qu'est née le mythe qu'une lame de Muramasa doit goûter au sang avant d'être montée, son propriétaire devant se faire du mal pour étancher la soif de sang de la lame.

Yohan finit son récit d'une voix grave et rocailleuse :

— Soif de sang, que développera à son tour son propriétaire… avant de mourir tragiquement…

Katherine frémit à ses côtés.

— C'est une légende affreuse, mon chéri ! affirma-t-elle

Eowyn hocha la tête vigoureusement :

— Eh bien ! Si c'est vraiment ce que nos loups recherchent, je commence à croire que je n'ai pas envie de le trouver non plus ce sabre.

— Enfin, elle retrouve la raison ! s'exclama Jonathan, levant les mains au ciel. Passons le flambeau et reprenons le cours de nos vies.

— Je n'ai pas envie de le trouver, mais où il sera, mon maître sera aussi… Donc nous n'avons pas le choix. Et puis, nous pouvons tout à fait le trouver, mais ne pas le prendre…

— En parlant de ça, se souvint Adrien. Tu n'as pas pensé que la requête de ton supérieur était … étrange tout à l'heure ?

— Quelle requête ? s'enquit Mark. 

Eowyn relata les paroles du capitaine Théodore.

— Adrien a raison, c'est bizarre ! Comme s'il savait pour le katana! fit Jonathan

— C'est son ami, suggéra Katherine, il lui a peut-être confié son secret.

— Oui, mais dans ce cas, pourquoi demander à Eowyn de prendre le sabre et de lui rapporter, s'il est dangereux, remarqua Jonathan.

— Et s'il était mêlé à l'enlèvement de maître Guillaume, souffla Adrien.

Tout le monde se tourna vers lui, interloqués. Eowyn devint rouge de colère.

— N'importe quoi ! Le capitaine Théodore est un homme intègre !

Elle sortit de la pièce en claquant la porte de sa chambre.

— Bien joué mec, ricana Jonathan. On en a pour l'après-midi avant qu'elle ne se calme, en espérant qu'elle ne nous mettra pas le feu à la baraque… Littéralement !

— T'es vraiment un imbécile Jo ! s'énerva Katherine, se précipitant à la suite de son amie, bousculant ledit Jo au passage.

— Je crois que l'on doit avoir une petite discussion, fit Mark, après un moment, en posant une main sur l'épaule d'Adrien.

Adrien acquiesça solennellement. Yohan agrippa Jo par l'épaule et l'entraîna hors de la pièce. Mark se plaça face à Adrien en lui disant :

— Tu sais que tu viens de lancer un pavé dans la mare, n'est-ce pas ? On connaît tous plutôt bien le capitaine, Eowyn plus encore que nous parce qu'elle l'a rencontré dés son arrivée à Valinor. Il nous a sorti plusieurs fois du pétrin et c'est un héros dans ce monde…

Mark haussa un sourcil pour appuyer ses paroles. Adrien déglutit puis balbutia :

— Non, je … je ne savais pas…

— Il est impensable qu'un homme intègre et un officier aux états de service impeccables organise un enlèvement…

— En effet… Je…

— Ceci-dit, le coupa Mark, son attitude n'est pas habituelle et sa requête … suspecte.

Il appuya sur le dernier mot.

— Mais tu viens de dire… fit Adrien hésitant.

— Que c'était « impensable »… pas « impossible ». Je jurerai qu'Eowyn y a autant songé, que nous tous. C'est pour cela qu'elle s'est mise en colère. C'est un ami de la « famille » en quelque sorte pour elle…

— Je comprends. Ça doit être déstabilisant pour elle d'imaginer une telle trahison.

— Oui. Jusqu'à présent, tu as eu de bonnes intuitions et il n'y a pas de raison de douter de ton instinct dans cette affaire, même s'il faudra que nous mettions rapidement cette histoire au clair. Tu es plus impartial que nous. Le fait que nous connaissions les personnes impliquées ainsi que les lieux, rend notre opinion subjective… Je pense que tu vas nous être utile pour la suite des opérations.

Adrien était franchement étonné. En fin de compte, Mark semblait l'apprécier… Il devait avoir un sacré self-control pour mettre de côté sa jalousie, au regard de sa réaction ce matin.

— Maintenant que c'est dit, reprit le sorcier, on doit discuter d'Eowyn…

Hum… Nous y voilà, pensa Adrien tout à coup inquiet.

— Eowyn est une copine du lycée…

— Et moi c'est ma meilleure amie… je n'apprécie pas trop que tu lui tournes autour … et que tu passes la nuit avec elle, expliqua Mark sèchement.

— Écoute, répondit Adrien en levant les paumes vers lui, pour ce matin… Ce n'est pas ce que tu crois… On s'est endormis sur nos bouquins. On n'a pas…

— Je sais… Elle en a rigolé ce matin au taf.

— Ben alors… fit Adrien en haussant un sourcil.

— Tu crois que je n'ai pas capté tes œillades…

Il s'était penché en disant cela et sa voix était plus grave et rauque désormais.

— Peut-être qu'elle, elle ne s'est rendu compte de rien, mais pour n'importe qui de l'extérieur, ça crève les yeux.

— Mais c'est ta meilleure amie… pas ta « copine »… avança Adrien, en sachant très bien, qu'il lançait un deuxième pavé dans la mare.

La mâchoire de son rival se contracta brusquement, mais il répondit à son sous-entendu d'une voix faussement calme.

— Et tu as très bien remarqué qu'elle m'intéressait aussi… T'inquiète, je ne suis pas du genre violent, d'ailleurs, ça plairait pas à Eowyn si on en venait aux mains. Et puis, j'ai envie de te dire que si elle te préfère, je suis suffisamment bon joueur pour accepter son choix, mais, sache que moi aussi je tenterai ma chance…

— C'est de bonne guerre, fit Adrien en lui tendant la main.

Mark la serra brièvement et fermement. Adrien reprit ses doigts endoloris par la poigne d'acier du sorcier. Il était rassuré par ses propos, il n'avait guère envie de se mesurer à lui. Mark avait une carrure d'athlète. Il était grand, large d'épaules, son tee-shirt moulait ses biceps et un ventre ferme. Il devait faire baver toutes les filles …et il fallait qu'ils craquent tous les deux sur la même … Pas de bol ! Le jeune homme soupira de dépit… Il n'avait aucune chance… D'autant qu'Eowyn était en colère contre lui maintenant…

— Bon, lança Mark, maintenant, tu devrais aller la voir, pour arranger les choses.

— T'as vu comment elle est partie ? Elle va m'arracher les yeux si je me présente à sa chambre, s'inquiéta Adrien.

Mark se mit à rire.

— T'inquiète va ! Elle s'énerve vite, mais elle regrette aussitôt ses emportements. Je suis sûr qu'elle s'en veut de t'avoir crié dessus.

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