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CHAPITRE 2 QUESTIONS.

Eowyn s'acharnait à peigner sa crinière depuis dix minutes déjà… Elle soupira. Elle devait se rendre à l'évidence, elle n'arriverait pas à dompter ses cheveux aujourd'hui et n'avait pas de temps à perdre. Hier, elle avait failli manquer son bus et ne pouvait pas se permettre de renouveler l'expérience, ne voulant pas attirer les regards sur elle, même si le nouveau semblait distraire suffisamment ses camarades en ce moment.

Elle n'aimerait pas être à sa place. D'ailleurs, il n'avait pas eu l'air si à l'aise que ça. Mais, qui le serait à côté de cette peste d'Éris ! Elle portait bien son nom celle-là. Eowyn se demanda vaguement si les parents de sa camarade s'étaient renseignés sur la mythologie grecque au moment de choisir un prénom. En tous cas, s'il n'y avait pas eu le nouveau, Éris n'aurait eu de cesse de la tacler sur son retard hier matin.

Lorsqu'elle était rentrée dans le bus et s'était aperçue que la seule place vacante était à côté de celui-ci, elle avait essayé de l'ignorer, ne voulant pas s'attirer ses foudres dès le premier jour. Il rejoindrait bien assez tôt la horde de vipères et de serpents d'Éris, répandant du venin sur chaque élève ne correspondant pas à leurs critères de respectabilité.

Il avait semblé intrigué par son attitude et elle s'était laissée aller à quelques regards en mathématiques lorsqu'elle fut sûre qu'il ne la voyait pas. Il avait un physique agréable, large de carrure, sans que cela soit impressionnant, athlétique, blond, des cheveux coupés plus court sur les côtés de sa tête qu'à son sommet retombant un peu sur ses yeux. Elle aurait aimé pouvoir connaître leur couleur, mais il était trop éloigné.

Elle avait été surprise de le voir au CDI à la pause, il avait semblé se cacher. Peut-être n'appréciait-il pas toute cette attention. Comme elle le comprenait ! Toute cette agitation autour de lui devait être fatigante ! Pourtant, elle aurait bien aimé lui parler aussi. Peut-être pourraient-ils s'entendre ? Non ! C'était trop dangereux pour lui ! Sa vie était bien assez compliquée, protéger ses parents n'était déjà pas une sinécure, alors un ami! Un ami ?! Mais qu'est-ce qui lui prenait ? Elle ne le connaissait même pas ! Comment pouvait-elle même envisager une amitié avec lui !

Pourtant, elle n'avait pas imaginé la petite décharge électrique dans le bus ce matin-là. Il y avait quelque chose chez lui qui l'intriguait. Elle sentait qu'elle devait se rapprocher de lui pour une raison. Son sixième sens s'était-il réveillé ? Oui mais pourquoi ? Elle devrait en parler à Yohan. Elle n'avait pas pu le voir lorsqu'elle avait traversé le portail hier… Peut-être ce soir. En attendant, elle aurait à subir une journée de plus le courroux d'Éris si elle ne se dépêchait pas.

Elle descendit en trombe les escaliers et courut à l'arrêt de bus. Elle constata qu'elle n'était pas la dernière. Romain et Éris étaient déjà là. Celle-ci lui jeta un regard dédaigneux avant de reprendre sa discussion avec Romain. Lui, semblait terminer sa nuit, tellement il baillait à s'en décrocher la mâchoire. Elle s'assit par terre dans un coin de l'abribus et ouvrit le recueil qu'elle relisait depuis quelques jours : « Alcool » d'Apollinaire, un de ses auteurs préférés.

— OH ! Adrien ! lança la voix nasale d'Éris, faisant se retournait plusieurs élèves.

Eowyn leva la tête, le nouveau arrivait, un peu embarrassé par tant d'attention. Il se figea en voyant Eowyn, qui détourna les yeux en rougissant.

— On est là, mec ! fit Romain

Adrien se reprit et se dirigea vers ses camarades de classe, ne faisant plus attention à la jeune fille. Lorsque le bus arriva, elle s'assit machinalement à la rangée qu'elle avait occupé le jour précédent et regarda par la vitre.

— Salut Eowyn, dit une voix grave à côté d'elle.

Elle sursauta. Personne ne lui adressait jamais la parole. En levant les yeux, elle reconnut Adrien et rougit.

— Bonjour. Tu ne restes pas avec tes amis ? lâcha-t-elle un peu sèchement, la surprise ayant déclenché une décharge d'adrénaline.

— Tu pourrais en faire partie…lui dit-il en souriant timidement

Elle le regarda stupéfaite, accrochant son regard bleu vert. Ils se dévisagèrent plusieurs secondes sans plus rien dire, puis il détourna les yeux pour attacher sa ceinture. Se faisant, il frôla sa peau et un courant d'électricité, plus fort que le jour précédent, la parcourut, il sursauta à son tour. Elle n'avait pas rêvé, lui aussi avait ressenti la brûlure. Elle devinait que son tatouage était en train de se dessiner sur la peau pâle de son avant-bras, signe que de la magie était à l'œuvre.

Elle ne comprenait pas. Elle ne percevait pas la présence d'une quelconque créature magique, alors pourquoi son tatouage était-il apparu ? La prévenait-elle ? Mais de quoi ? Et pourquoi était-il apparu au contact d'Adrien ? Était-il victime d'un sortilège ? Elle devait le découvrir. Il était peut-être en danger. Elle devait trouver un moyen de passer du temps avec lui sans que cela paraisse suspect. Ce fut lui qui rompit le silence

— Au fait cela ne te dérange pas si je m'assois ici ? Éris m'épuise avec son bavardage dès le matin.

— Tu m'étonnes ! soupira Eowyn.

Comme elle s'était doutée, il n'aimait pas être le centre de l'attention de la classe et en particulier d'Éris, ce qui réjouit Eowyn. Quand elle lui apprit qu'elle passait le plus clair de son temps au CDI en dehors des cours, il lui proposa de l'accompagner à la pause. Elle hésita jusqu'à ce qu'il lui confia chercher un moyen d'éviter Éris. Ce serait un bon moyen d'avoir l'œil sur lui et de découvrir en quoi le jeune homme était lié à la magie. Aussi, elle accepta. Il l'interrogea sur son prénom original. Elle haussa les épaules, expliquant que sa mère adorait le seigneur des anneaux. Adrien sourit en lui avouant que c'était aussi un de ses livres préférés.

Le bus s'arrêta devant le lycée un peu brusquement et Eowyn lâcha le livre qu'elle tenait à la main. Lorsqu'Adrien lui rendit, elle posa ses doigts sur les siens, la température de sa peau la saisit : elle était glacée ! Non pas que la sienne soit tellement plus chaude, mais d'ordinaire, c'était elle qui avait les doigts les plus froids. Il sembla s'apercevoir de sa stupeur, s'excusa et partit rapidement.

C'était de plus en plus étrange ! D'abord la brûlure après la décharge électrique, son tatouage magique qui apparaissait et maintenant des mains encore plus glacées que les siennes. Son tatouage la brûlait désormais. De la magie était à l'œuvre, elle le savait. Restait à découvrir de quelle façon elle allait se manifester.

***

Adrien courut presque jusqu'à sa salle de classe. Il attendit dans le couloir désert, priant pour ne rencontrer aucun professeur lui demandant d'aller dans la cour en attendant la sonnerie. Il sentait son avant-bras le picoter depuis qu'il avait touché les doigts d'Eowyn. Il releva sa manche et étouffa un cri : il y avait un dessin sur sa peau. Il l'effleura, humidifiant son doigt, espérant faire partir la trace d'encre noire, mais rien n'y fit. Le tracé était comme tatoué sur son avant-bras. Il formait un ensemble de spirales tribales décorées de divers signes et symboles, le tout entourant un dessin stylisé de dragon.

Des bruits parvenaient du fond du couloir et il redescendit rapidement la manche de sa veste, cachant le tatouage qui aurait, à coup sûr, déclenché un débat. Ses camarades arrivaient maintenant. Il remarqua qu'Eowyn était maintenant accompagnée d'une grande fille athlétique et gracieuse, qui le dévisageait avec un regard aimable. Elles s'assirent l'une à côté de l'autre au deuxième rang. La seule place encore disponible était au fond de la classe, une paillasse qu'il devrait partager avec une fille blonde aux yeux bleus. Adrien se dirigea vers elle tandis qu'elle lui souriait. Il la reconnaissait, elle faisait partie de la bande d'amis d'Éris, quoiqu'elle paraissait ne pas partager entièrement les opinions tranchées de son amie.

Lily était très grande et gracile. Elle avait l'allure d'une danseuse étoile. Sa compagnie était agréable, elle ne bavassait pas sans cesse et se montra une coéquipière efficace lors des travaux pratiques de physique-chimie. De temps en temps, Adrien jetait un œil à la paillasse d'Eowyn. Quand elle s'en aperçut, Lily cru qu'il s'intéressait à la nouvelle venue. Elle lui apprit qu'elle s'appelait Mathilde, elle était malade hier. Elle avait l'air de bien s'entendre avec Eowyn. Adrien sentit une pointe de jalousie le parcourir. Il avait espéré trouver en elle une camarade aussi seule que lui. Il secoua la tête quand il s'aperçut de l'égoïsme de cette pensée et la chassa bien vite de son esprit.

À la pause, il gagna la paillasse des deux jeunes filles avant qu'elles n'aient eu le temps de ranger toutes leurs affaires.

— Bonjour, dit-il en s'adressant à Mathilde.

Elle parut charmée et sourit.

— Bonjour. Tu dois être Adrien.

— Oui. fit-il surpris, ses yeux interrogeant Mathilde du regard.

— Eowyn m'a parlé de toi. En fait, c'est le cas de la moitié des filles de la classe, se crut-elle obligée de préciser, ce qui eut le don de le faire rougir.

— Arrête de le taquiner, Mathilde, intervint Eowyn. Viens Adrien, allons rendre nos livres. 

Ils s'éloignèrent sous les regards interrogateurs de quelques élèves. Au CDI, ils se réfugièrent au coin lecture. Il s'agissait d'un espace morcelé où les élèves pouvaient s'isoler afin de profiter au mieux du refuge que constituer la lecture. Ils s'affalèrent sur un tas de coussins de sol et soupirèrent en même temps. Tandis qu'Eowyn ressortait son recueil de poèmes, Adrien remarqua qu'elle se grattait l'avant-bras, se faisant, elle retroussa involontairement, une manche de son blouson en jean, laissant deviner un trait identique à celui sur son propre avant-bras. S'en apercevant, elle réajusta sa manche rapidement, jetant un coup d'œil à Adrien pour voir s'il s'était aperçu de quelque chose.

Il fit comme si de rien n'était, mais son esprit commençait à bouillonner. Que lui avait-elle fait ? Son contact avait déclenché une décharge électrique ce matin. Ce tatouage était apparu après qu'elle l'a touché. Que fallait-il en déduire ? De toute évidence, cette fille sentait la magie à plein nez. Était-elle une nouvelle menace ou une victime innocente d'un envoûtement. Il devait la tenir à l'œil.

La sonnerie retentit et ils se dirigèrent en silence en français plongés tous les deux dans leurs pensées sous les regards curieux de leurs camarades. La semaine se déroula ainsi. Comme un accord tacite, ils se rejoignaient tous deux au début des pauses du matin et de l'après-midi, se rendaient au CDI en échangeant quelques phrases banales, passant ces quelques minutes à s'observer à la dérobée, cherchant tous deux des réponses à leurs interrogations, sans oser les poser.

Durant les repas, Adrien s'asseyait avec Romain et Lily, qui étaient malheureusement toujours accompagnés d'Éris. Il supportait de moins en moins les remarques désobligeantes qu'elle se sentait obligée de lancer à-tout-va à propos de tous ceux qui ne partageaient pas ses idées ou son goût pour la mode. Elle tournait ses phrases de façon à ce qu'elles soient teintées d'humour, mais Adrien sentait d'acidité de ses propos derrière le glaçage sucré de son ton.

Lily semblait parfois aussi mal à l'aise que lui, mais elle non plus ne disait rien. Romain, quant à lui, insouciant, ne paraissant pas se rendre compte de l'amertume des paroles de son amie. Eowyn restait seule à sa table, Mathilde rentrant chez elle pour manger tous les midis. Adrien lui avait bien proposé de venir se restaurer avec eux, mais la présence d'Éris avait fait réagir si violemment Eowyn, au moment où il avait évoqué l'idée, qu'il avait vite renoncé.

Tout se déroula aussi normalement que possible jusqu'au lundi suivant. Éris découvrit que quelqu'un avait forcé son casier, elle était dans une rage folle. Quand elle s'aperçut qu'Eowyn ricanait dans son coin, elle la toisa d'un regard noir. S'approchant d'elle, Éris la héla, menaçante :

— Qu'est ce qui te fait rire comme ça, le rat de bibliothèque ?! T'aurais peut-être quelque chose à voir avec le crochetage de mon casier !

— Pourquoi je ferai ça ? hoqueta de surprise Eowyn

— Parce que tu es jalouse de ma popularité, cracha Éris

— Certainement pas ! Je ne voudrais être à ta place pour rien au monde !

— Menteuse ! C'est toi qui as fait ça ! J'en suis sûre !

Éris menaçait désormais Eowyn, le doigt pointé contre son sternum. Sans se démonter Eowyn continuait de nier. Adrien commençait à sentir la colère l'envahir. Certes, Eowyn n'avait jamais caché son aversion pour Éris, mais ce n'était pas correct de l'accuser sans preuve. Le climat était tendu, cela promettait une journée difficile. Quand la sonnerie annonça le début des cours, toute la classe était à cran.

Le cours d'allemand fut le plus agréable pour Adrien, il regardait un film qui traitait de l'Allemagne avant et après la chute du mur de Berlin : « Goodbye Lénine ». Il adorait les références à l'histoire. Parfois il se demandait ce qu'il faisait en filière scientifique, mais ses professeurs et ses parents s'étaient montrés si persuasifs, qu'il avait cédé, se disant qu'il pourrait toujours aller en fac d'histoire l'année prochaine.

À midi, la tension n'était toujours pas retombée, Éris était d'une humeur massacrante. Elle cherchait partout sa calculatrice, puis sembla se souvenir qu'elle l'avait laissée dans son casier vendredi soir. Avant que ses comparses n'aient pu la retenir, elle se tenait devant Eowyn essayant d'attraper son sac. Celle-ci avait anticipé le geste et s'accrochait à son bien désespérément.

— Je suis sûr que la calculatrice est dans ton sac, ça s'est passé ce matin, puisque je suis partie à dix-huit heures vendredi.

— Je n'ai pas ta calculatrice.

— Montre ton sac alors !

— Je n'ai pas à le faire !

— Pourquoi tu ne veux pas le faire ? Tu as quelque chose à cacher ?

— Non, mais on n'accuse pas sans preuves.

— Tu me détestes et tu te réjouis que j'ai des ennuis, ça me suffit comme preuve ! 

Éris continuait à tirer sur la bandoulière du sac d'Eowyn, qui finit par se retourner, étalant son contenu sur le sol. Pas de trace de la calculatrice, mais Adrien remarqua la présence d'un étrange carnet plutôt vieux à en juger par la couleur jaunie des pages gondolées. Eowyn s'empressa de ranger ses affaires, en commençant par le carnet. Adrien eu le temps de reconnaître sur sa couverture un des symboles dessinés sur sa peau.

Le tatouage n'avait pas disparu de son avant-bras et cela commençait à l'inquiéter. Il ne pourrait pas le cacher indéfiniment à ses parents et son professeur d'EPS trouvait étrange qu'il n'enfile que des maillots à manches longues pendant les séances de sport… Il devait obtenir des réponses…

Et maintenant, c'était sûr ! Cette fille était responsable du mystérieux tatouage apparu comme par magie sur sa peau. Choqué, il recula au moment où elle croisa son regard. Elle dut lire le trouble et la peur dans ses yeux, et il comprit qu'elle connaissait au moins une partie de son secret. Qui était-elle ?

Soudain, Lily s'écria :

— Mais elle est là ta calculatrice Éris !

Elle désignait la poche de devant de son sac.

— J'ai dû la mettre dedans en rangeant mes affaires vendredi. Je suis désolée… 

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